Le petit-fils d'Oscar Wilde rejoue le procès qui a brisé son aïeul
Petit-fils de l'auteur du «Portrait de Dorian Gray», Merlin Holland lira jeudi au tribunal de Montbenon à Lausanne le compte-rendu des audiences.
Lisbeth Koutchoumoff Arman
Publié mercredi 3 septembre 2008
Petit-fils, ce n'est pas une profession. Mais lorsque le grand-père est célèbre, sujet à débats, exégèses et vieux scandales, l'engagement peu devenir plus prenant. Merlin Holland, 63 ans, a pour grand-père Oscar Wilde, l'écrivain irlandais qui poussa l'art de la repartie fine jusqu'à son sommet et ne s'embarrassa jamais du carcan victorien pour vivre ses passions homosexuelles. Merlin Holland déjeune pour l'heure au buffet de la gare de Lausanne. Il descend tout juste du train qu'il l'a conduit de la Bourgogne où il vit. Invité de la Faculté de droit et des sciences criminelles de Lausanne, il va faire revivre jeudi, au tribunal de Montbenon, le fameux procès qui, en 1895, fit passer Oscar Wilde du statut de star des lettres acclamée et vedette des mondanités à celui de paria. Les journaux de l'époque et le public de Londres à New York suivent l'événement avec fièvre. Condamné pour homosexualité, l'écrivain subira deux ans de travaux forcés et ne s'en remettra jamais. Il mourut peu de temps après, à Paris, à l'âge de 46 ans.
Merlin Holland se sent tenu de venir en aide à son aïeul. Pour rétablir les faits. Contrer des biographes qui réduisent l'auteur du Portrait de Dorian Gray à un insatiable croqueur de jeunes hommes. «Ma motivation? La même que mon grand-père je pense. J'aime piquer la bourgeoisie bien-pensante et les gens trop sûrs d'eux en général.» Il est donc devenu un spécialiste incontesté de la vie et de l'œuvre de son aïeul. En est au cinquième livre, des références. Le prochain aura pour titre Après Oscar. Les échos d'un scandale.
L'onde de choc du procès fit exploser la vie familiale de l'écrivain. Sa femme Constance envoya leurs deux fils, Cyril, 10 ans à l'époque, et Vyvyan, 8 ans, le père de Merlin Holland, à Glion près de Montreux.
Cyril l'aîné sait de quoi on accuse son père. A Londres déjà, il a lu les placards des tabloïds. Son petit frère restera dans l'ignorance jusqu'à ses dix-neuf ans. Leur mère les rejoints en Suisse puis choisit l'Italie et puis l'Allemagne. Elle ne survivra pas deux ans à la tragédie familiale. Cyril passera sa vie a prouver au monde qu'il n'est pas efféminé en s'abîmant dans des prouesses physiques extrêmes. Il mourra lors de la Première Guerre mondiale «très certainement en s'exposant bêtement pour prouver sa force», glisse Merlin Holland.
Vyvyan aura tardivement Merlin d'un deuxième mariage. «Lorsque j'avais 15 ans, il m'a emmené un matin très tôt dans le quartier de Chelsea à Londres, tout près de là où nous habitions. Il m'a montré la maison du bonheur de son enfance où il avait vécu avec ses parents et son frère avant que tout n'explose, les parcs où il jouait... Et puis au moment de rentrer, il m'a tendu son autobiographie qu'il avait écrite sept ans plus tôt. C'est comme cela que j'ai découvert l'homosexualité de mon grand-père. Il faut se rendre compte que l'homosexualité était considérée comme criminelle en Angleterre jusqu'en 1967...» rappelle Merlin Holland.
Après le procès, l'œuvre d'Oscar Wilde a continué à être jouée deci delà en Angleterre. Le Continent, comme disent les Anglais, sera beaucoup plus accueillant. Mais il faut attendre les années 70 pour que la modernité de ses pièces et de ses essais soient pleinement redécouvertes. Pour Merlin Holland, la parution de la correspondance de l'auteur a beaucoup compté pour briser l'image de dandy arrogant et superficiel. «Ces lettres ont mis son âme à nu.»
Au point que le petit-fils se dit aujourd'hui que son grand-père n'a plus besoin d'assistance. «Je peux quitter le nid et écrire pour moi, je crois.» Ce sera un roman situé en Bourgogne.
Lors de son procès, Oscar Wilde a défendu sa liberté d'écrivain.
Lisbeth Koutchoumoff Arman
Publié mercredi 3 septembre 2008 à 02:01
C'est Oscar Wilde lui-même qui a enclenché la machine judiciaire qui allait conduire à sa perte. Il sortait depuis déjà de longs mois avec le jeune lord Alfred Douglas lorsque le père de ce dernier, le marquis de Queensbury, lui écrit un mot où il le traite de sodomite. L'écrivain l'attaque alors en diffamation. Pourquoi Oscar Wilde a-t-il pris le risque de voir son homosexualité révélée au grand jour et d'écoper d'une peine de prison?
Pour Merlin Holland, l'une des explications réside dans les arguments avancés par Queensbury pour étayer son attaque. Outre les jeunes prostitués qui pouvaient témoigner, c'est Le Portrait de Dorian Gray, seul roman d'Oscar Wilde, qui est avancé comme preuve, le livre mettant en scène un amour homosexuel. «Oscar Wilde voulait défendre sa liberté d'écrivain. Il avait en tête les exemples de Baudelaire, de Flaubert et de Zola. L'écrivain doit pouvoir choisir ses sujets où bon lui semble dans la société sans entraves morales aucunes.»
Oscar Wilde perdra son procès. Le soir même de ce premier verdict, l'Etat l'attaque pour homosexualité. Sa maison est vidée de tous ses biens.
Oscar Wilde sera condamné à 2 ans de travaux forcés.
De nos jours, la plupart des gens meurent d'une espèce de bon sens rampant et découvrent trop tard qu'il n'y a que les erreurs qu'on ne regrette jamais.
Quand une femme se remarie, c'est parce qu'elle a détesté son premier mari. Quand un homme se remarie, c'est parce qu'il a adoré sa première femme. Les femmes tentent leur chance les hommes risquent la leur.
« Il est imprudent de montrer son cœur au monde. »
Ses aphorismes cinglants et volontiers cyniques. Sa dégaine que l’on imagine fluide, à la limite maniérée, malgré l’empâtement qui gagna les traits de son visage, et une robustesse de silhouette cédant la place, l’âge venant, à un envahissant embonpoint. Ses mœurs affichées, assumées, qui en font une icône principielle de la culture homosexuelle. Le prix qu’il paya de sa personne, physiquement, pour avoir bravé les lois de l’Angleterre victorienne. Les chefs-d’œuvre qu’il en reste, comme Le Portrait de Dorian Gray ou des perles noires de l’eau du Crime de Lord Arthur Saville. Tous ces éléments concernant Oscar Wilde (1854-1900) semblent bien connus du public et ont contribué à bâtir sa sulfureuse légende. Si l’homme demeure controversé au point d’avoir suscité quelque tapageur biopic, son œuvre n’est, quant à elle, plus en procès depuis longtemps – en tout cas dans le domaine francophone puisqu’elle a intégré la collection de la Pléiade dès 1996.
Mais, à l’instar de maints individus qui travaillent leur image jusqu’au moindre détail tout en affectant un souverain détachement par rapport au Siècle, Wilde fut un homme complexe, torturé par des douleurs intérieures dont l’on a du mal à imaginer qu’elles aient pu germer sous sa coruscante carapace. À commencer par les affres de la passion amoureuse.
Qui mieux que Daniel Salvatore Schiffer, déjà signataire d’une kyrielle d’ouvrages traitant de la question du dandysme sous ses aspects philosophiques, métaphysiques ou esthétiques ; qui davantage que cet authentique « Docteur ès brummellogie » pouvait prétendre sonder le cœur et les reins de l’auteur de L’Importance d’être Constant ? Non seulement il dispose de l’érudition sur le sujet et les thèmes connexes, mais l’élégance de sa plume épouse en outre parfaitement les mouvements ondoyants d’une destinée qui fut, stricto sensu, hors du commun.
À découvrir page après page cette somme (qui ne se parcourt pas en dilettante, c’est la seule frivolité interdite à son lecteur !), l’on mesure à quel point il subsiste de zones d’ombres à explorer, dans la bio- comme dans la biblio- graphie de Wilde. Voyageur (en Europe principalement, avec quand même une incursion aux États-Unis, pour y asseoir son succès), rencontreur, séducteur, jouisseur, Wilde fut un insatiable curieux, qui courait avec une égale énergie les salons de la Haute et les venelles des plus sordides bas-fonds. Et s’il s’agit de chercher un modèle d’artiste ayant appliqué l’injonction rimbaldienne d’être « absolument moderne », autant prendre l’alphabet à rebours pour plus vite arriver à son nom et s’y fixer. Préraphaélisme, symbolisme, « décadence »… Pas une tendance fin-de-siècle dont ce marginal absolu ne se soit imprégné, puis qu’il ait transcendée par son art solitaire, sans souci des dynamiques de groupes ou d’écoles. Wilde fut, à lui seul, une avant-garde.
Pour parvenir à un tel niveau de qualité, Schiffer a bénéficié d’un privilège de taille : l’accès à des archives inédites, dont celles que Merlin Holland, petit-fils de Wilde, lui a laissé non seulement consulter, mais surtout reproduire ! Voici donc, sous vos yeux éblouis, l’enveloppe contenant une mèche de cheveux de sa défunte sœur adorée Isola, et que Wilde a adornée d’inscriptions et de dessins débordant d’affection ; voici le fringant oxfordien costumé en Prince Rupert à l’occasion d’un bal en mai 1878 ; voici les alliances imbriquées témoignant de son mariage avec Constance Lloyd, qu’il regrettera d’avoir rendue si mal, si peu, heureuse. Et ces documents jouxtent des annonces de spectacles, des unes de presse et des caricatures puritaines relatives au fameux procès, des tableaux de Félicien Rops ou de Dante Gabriel Rossetti, d’inquiétantes vues des geôles où Wilde fut littéralement supplicié lors des pires moments de son existence, enfin l’ultime cliché, flou mais saisissant, du gisant sur son lit d’agonie. Une mention d’excellence également pour l’orchestration typographique, particulièrement subtile, qui joue sur la taille des polices de caractères pour faire ressortir quelques citations ou traits d’esprit sans jamais les désolidariser du commentaire général. Une finition ciselée qui aurait plu au perfectionniste, voire maniaque, Wilde.
« Splendeur et misère » était la formule idoine pour résumer la trajectoire du personnage ici revisité. Car celui qui côtoya Huysmans, Mallarmé, Proust, Ruskin, Verlaine, Sarah Bernhardt, bref les plus grands, finit dans un minable hôtel parisien, n’eut droit qu’à un enterrement de sixième classe, et il fallut attendre 1908 pour que sa dépouille se trouvât soclée au Père-Lachaise, en un monument taillé à sa (dé)mesure. Le « pestiféré des temps modernes » comme le rebaptise Schiffer se dérobait, mieux vaut tard que jamais, au régal des vermines. Désormais doté de cette seule vertu des morts qu’est la patience, il connut la vanité posthume de figurer, à l’occasion de sa pleine et entière réhabilitation littéraire, le 14 février 1995… sur un vitrail de l’abbaye de Westminster. Prochaine étape, la canonisation ? Il l’obtiendra, assurément, à condition que ce soit Schiffer qui monte le dossier.
Frédéric Saenen
Daniel Salvatore Schiffer, Oscar Wilde. Splendeur et misère d’un dandy, Éditions de La Martinière, 216 pp., 32 €.
Biographie synthétique d’Oscar Wilde (1854-1900).Journaliste, dramaturge, écrivain, Oscar Wilde choque la bonne société mondaine londonienne par ses frasques, son dandysme extravagant. Le portrait de Dorian Gray, en 1890, lui apportera le succès. Mais sa liaison affichée avec Lord Alfred Douglas lui vaudra en 1895 d’être condamné à deux ans de travaux forcés. À sa libération il s’installe en France mais connaît une lente déchéance malgré le soutien de ses amis, notamment André Gide. Il meurt d’une méningite dans un hôtel parisien le 30 novembre 1900.
1854 – Naissance à Dublin le 16 octobre d’oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde, deuxième fils de William Robert Wills Wilde chirurgien de réputation internationale et de Jane Francesa Elgee, poétesse et nationaliste irlandaise qui a publié ses premiers poèmes sous le pseudonyme de Speranza.
1864 – Élève à la Portora Royal School à Enniskillen où il apprend le français, le latin et le grec.
1867 – Mort à 10 ans de sa sœur cadette Isola. Immense tristesse.
1871 – Brillantes études au Trinity College, à Dublin. Premiers signes d’extravagance vestimentaires.
1874 – Obtient une bourse pour le Magdalen College, l’un des plus cotés de l’Université d’Oxford (jusqu’en 1878). Élève brillant et insolent, dandy, réputé et moqué par ses camarades pour ses tenues et son goût prononcé pour la discussion. Fréquente à Londres les milieux culturels et aristocratiques.
1875 – Voyage en Italie.
1876 – Mort de son père
1877 – Très influencé par l’un de ses professeurs, John Ruskin, membre du mouvement « esthète » pour qui l’art ne doit être que recherche du Beau, en dehors de toute préoccupation morale ou sociale. Très snob et anticonformiste, il deviendra très vite l’une des figures emblématiques du mouvement. Voyage en Grèce.
1878 – Retour à Dublin après l’obtention de son diplôme. Publie ses premiers poèmes dans des revues irlandaises et anglaises (« Ravenna » obtient le Newdigate Prize). Tombe amoureux de Florence Balcombe, qui finalement épousera Bram Stoker, l’auteur de Dracula.
1879 – Oscar Wilde s’installe à Londres et devient vite célèbre, notamment pour son extravagance, son cynisme face à la société victorienne et son militantisme en faveur de l’art pour l’art.
1880 – S’installe à Chelsea. Écrit sa première pièce de théâtre, Vera (mais qui sera retirée de l’affiche la veille de la première en 1881).
1881 – Publie Poems, premier recueil de poèmes accueilli avec enthousiasme par la jeune génération tandis que la société victorienne se montre plus réservée. Voyage d’une année aux États-Unis pour une série de conférences sur l’esthétisme.
1883 – De retour en Europe, s’installe quelque temps à Paris, où il rencontre les principaux écrivains français de l’époque : Verlaine, Mallarmé, Zola, Daudet, Hugo et l’actrice Sarah Bernhardt. Série de conférences en Angleterre et en Irlande. Rencontre une jeune admiratrice, Constance Lloyd. Écrit une nouvelle pièce de théâtre, La Duchesse de Padoue. Véra est montée à New York, sans grand succès.
1884 – Mariage avec Constance Lloyd. Le couple (qui aura deux fils, Cyril en 1885 et Vyvyan en 1886) s’installe à Chelsea dans la demeure richement décorée, où défilera toute la société artistique londonienne. Il déserte souvent le domicile conjugal au profit d’hôtel où il retrouve des jeunes gens qu’il entretient.
1886 – Premier essai publié en revue : La Vérité des masques sur Shakespeare.
1887 – Rédacteur en chef jusqu’en 1889 du magazine The Woman’s World. Il y restera jusqu’en 1889.
1888 – Écrit pour ses enfants Le Prince heureux et autres contes.
1889 – Publication de deux essais : Le Déclin du mensonge et Pen, Pencil and Poison.
1890 – Première version de son unique roman : Le Portrait de Dorian Gray. Seconde version en 1891 assortie d’une préface développant sa conception de l’art et de la morale, mais qui, au-delà de l’immense notoriété qu’il acquiert, n’empêchera pas la société victorienne d’être choquée. Parution de deux essais : Le Critique comme artiste et L’Âme de l’homme sous le socialisme.
1891 – Publication de deux recueils de nouvelles : Le Crime de Lord Arthur Savile et autres contes et Une maison de grenades. Ainsi qu’un recueil d’essais, Intentions. Rencontre Lord Alfred Douglas avec lequel il entretiendra une liaison passionnée au grand dam du Marquis de Queensberry, père d’Alfred qui le menace publiquement. Voyage à Paris où il fréquente les Mardis de Mallarmé et se lie avec Marcel Schwob, Pierre Louÿs et André Gide.
1892 – Première à Londres de L’Éventail de Lady Windermere. Les comédies de Wilde, renouvellent le théâtre anglais, mais agacent profondément la société traditionnelle qui s’y voit critique et raillée. La tragédie Salomé est interdite alors qu’elle était programmée. Écrite en français pour Sarah Bernhardt, la pièce sera traduite en anglais par Lord Alfred Douglas et publiée en Angleterre en 1894.
1893 – Première d’Une femme sans Importance.
1894 – Publication en revue de Sentences philosophiques à l’usage de la jeunesse.
1895 – Première de Un mari idéal et de L’Importance d’être constant. Procès entre Oscar Wilde et le père de son amant, le Marquis de Queensberry, qu’il attaque en diffamation. L’affaire se retourne contre lui. Suivront deux autres procès. Alors qu’il a la possibilité de quitter le pays, Wilde préfère rester. Il est condamné le 25 mai à la peine maximale, deux ans de travaux forcés, pour délit d’homosexualité. Il purgera cette peine notamment à la prison de Reading, au sud de l’Angleterre, réputée très répressive. De nombreux intellectuels européens font circuler une pétition réclamant sa libération, sans succès.
1896 – Première de Salomé à Paris avec Sarah Bernhardt dans le rôle principal. Mort sa mère.
1897 – Longue lettre écrite de la prison à Lord Alfred Douglas, qui sera remise à Robert Ross, son exécuteur testamentaire, qui effectuera deux copies, dont l’une remise à Douglas. Wilde y évoque l’affaire, les conditions de sa détention et dresse le bilan de sa relation avec Douglas, qu’il présente comme immature, désinvolte, irresponsable et manipulateur et lui fait nombre de reproches sur les conséquences de ses actes, tout en se montrant néanmoins très amoureux de lui. À sa libération, le 19 mai, Wilde s’exile en France à Berneval, près de Dieppe, et prend le nom de Sebastian Melmoth. Il est ruiné. Ses biens ont été confisqués pour régler les frais de justice, sa femme s’est expatriée en Allemagne avec ses fils qui ont changé de nom (Holland). Il écrit la Ballade de la geôle de Reading, publiée en 1898 et rejoint un temps Lord Alfred Douglas en Italie après avoir tenté de se réconcilier avec sa femme.
1898 – Mort en Italie de sa femme des suites d’une opération. Il s’installe à Paris et commence une longue période de misère et de déchéance malgré l’aide de ses amis, notamment André Gide.
1899 – Parution de Un mari idéal et de L’Importance d’être constant. Mort de son frère.
1900 – Voyage en Italie durant lequel il se rend sur la tombe de sa femme. Le 28 octobre, Wilde se converti au catholicisme. Le 30 novembre, il succombe à une méningite cérébrale, vraisemblablement consécutive à sa syphilis chronique, dans sa chambre de l’hôtel d’Alsace, 13 rue des Beaux-Arts à Paris. Il est enterré au cimetière de Bagneux. En 1909 ses cendres seront transférées au Père-Lachaise.
1902 – Alfred Douglas se marie avec Olive Custance et a un fils la même année, Raymond.
1905 – Robert Ross publie une version expurgée de la lettre à Douglas qu’il titre De profondis.
1909 – Robert Ross publie une deuxième version un peu plus complète de De profondis et dépose le manuscrit original au British Museum auquel il demande une mise sous scellés de cinquante ans.
1913 – Séparation d’Alfred et Olive.
1927 – Internement psychiatrique de Raymond.
1923 – Alfred Douglas est condamné pour calomnie envers Winston Churchill. Lors de son incarcération, il écrit un texte intitulé In excelsis, en référence au De profundis de Wilde, qu’il avait pourtant renié en 1918.
1927 – Douglas tente en vain de récupérer le manuscrit original de De Profondis auprès du British Museum.
1945 – Mort d’Alfred Douglas d’une insuffisance cardiaque à Lancing, dans le Sussex.
1949 – Le fils d’Oscar Wilde, Vyvyan Holland, publie la version complète de la lettre à Douglas sur base de la seconde copie du manuscrit.
1962 – Le British Museum libère le manuscrit. De profundis est corrigé sur base du manuscrit original et publié dans son intégralité.
Oscar Wilde vient au monde le 16 octobre 1854 dans une famille très en vue de Dublin. William, son père, chirurgien officiel de la reine Victoria, a fondé dix ans auparavant l’hôpital ophtalmologique Saint Mark. La gentry s’y presse des quatre coins de l’Europe. Sa mère, Jane Francesca Agnes Elgee, que William a épousée en 1851 après avoir fait trois enfants illégitimes à sa première compagne, est une pasionaria de la cause irlandaise et du féminisme. Poétesse célèbre sous le nom de Speranza, elle encourage les ardeurs nationalistes de ses compatriotes dans la revue La Nation. Nièce de l’écrivain gothique Charles Maturin, elle appelle l’Irlande à s’émanciper de la tutelle britannique et plaide pour l’éducation des femmes et leur droit de vote. Son mari manie aussi la plume. Depuis 1845, il est le rédacteur en chef du Journal of Medical Science, et publie des récits de voyage.
En 1864, alors qu’il vient d’être anobli par la reine, William Wild est accusé par l’une de ses jeunes patientes d’avoir abusé d’elle après l’avoir endormie avec du chloroforme. Elle rédige un pamphlet qu’elle rend public. Lady Wilde lui intente un procès en diffamation qu’elle perd. En outre, la réputation de Sir William Wilde est entachée par son refus de se présenter à la barre des témoins, dérobade qui sonne comme un aveu. Trois ans plus tard, Oscar perd sa jeune sœur, Isola, qui meurt à neuf ans de la peste. En 1871, c’est au tour des deux filles illégitimes de William de périr brûlées vives dans leurs robes de bal. Elles avaient un peu plus de vingt ans.
Cette année-là, Oscar quitte la Portora Royal School, à Enniskillen, où il a appris le français, le latin et le grec, matières dans lesquelles il excelle, pour rejoindre le Trinity College de Dublin. Il se fait remarquer de ses condisciples autant par sa conversation que par ses habitudes vestimentaires hors du commun. Extravagant et volubile, en sa compagnie ses camarades font pâle figure. En 1874, le jeune dandy obtient une bourse pour le Magdalen College, l’un des établissements les plus côtés de l’Université d’Oxford. Il est très rare qu’un roturier y soit admis. Wilde n’est ni aristocrate ni fortuné. Il a comme professeur John Ruskin, l’un des porte-parole du mouvement « esthète », pour qui l’art ne doit être que recherche du Beau, en dehors de toute préoccupation morale ou sociale. Oscar Wilde trouve alors dans les propos du peintre et du critique d’art ce qu’il sent sourdre en lui, se démarquant du commun des mortels avec ses cheveux longs, ses cravates lavallières et les boutonnières de ses costumes fleuries d’un œillet, d’un lys ou d’un chrysanthème. Une élégance distinguée qui ne suffit cependant pas à emporter les faveurs de Florence Balcombe. Cette beauté du diable lui préfère son ami Bram Stoker, le futur père de Dracula, rencontré à Trinity. Fiancée au premier, elle épouse le second en 1878. Qu’importe : le désespoir amoureux rend l’éconduit prolixe. Il publie ses premiers poèmes dans des revues irlandaises et anglaises. L’un d’eux, Ravenna, obtient le Newdigate Prize. À Londres, où il s’installe, Oscar se met à fréquenter les milieux littéraires et aristocratiques. Son apparence et son excentricité le rendent vite célèbre. En 1881, son premier recueil de poèmes est accueilli avec dévotion par les artistes fin-de-siècle. Le « grand monde » victorien lève le sourcil, mais finit par opiner du chef devant le jeune prodige. Ce ne sera pas toujours le cas. Véra ou Les Nihilistes, la pièce qu’il a écrite l’année précédente est retirée de l’affiche à la veille de la première. Cet hymne à la liberté des peuples, en ces temps troublés de crise entre l’Irlande et l’Angleterre, est vu comme une incitation à la révolte.
À la fin de l’année, Oscar Wilde part aux États-Unis donner une série de conférences sur sa conception de l’esthétique. Il déclare à son arrivée « ne rien avoir à déclarer en dehors de [son] génie ». De retour en Europe, il rencontre à Paris les écrivains en vogue : Verlaine, Mallarmé, Zola, Daudet, Hugo. Il se lie d’amitié avec Robert de Montesquiou, Jean Lorrain, Pierre Louÿs, Marcel Proust et André Gide. L’actrice Sarah Bernhardt l’envoûte.
C’est à Dublin, au sortir d’une conférence, qu’il rencontre une jeune admiratrice : Constance Lloyd. Il l’épouse l’année suivante, en 1884. Le couple s’installe à Chelsea dans une demeure cossue, au luxe raffiné. Elle devient très vite le lieu de rendez-vous des artistes londoniens. Cyril, leur premier fils, naît en 1885, Vyvyan l’année suivante. Si Oscar Wilde, en père aimant, se lance pour ses enfants dans l’écriture de contes – Le fantôme de Canterville, Le crime de Lord Arthur Savile, Le prince heureux et autres contes –, il multiplie les expériences homosexuelles. Il aurait, dit-on, contracté la syphilis à Oxford, durant ses études, et s’en croirait guéri après un traitement au mercure. Certains verront même dans ce mal la cause de sa mort prématurée.
Après la publication de son premier essai, La vérité des masques sur Shakespeare, il devient rédacteur en chef du magazine The Woman’s World en 1887. Pendant deux ans, il va y déployer ses talents de pamphlétaire et son art du paradoxe, tout en défendant la cause féministe, fidèle aux enseignements de Lady Wilde.
Le portrait de Dorian Gray
C’est dans le numéro de juillet 1890 de la revue américaine Lippincott’s Monthly Magazinequ’Oscar Wilde publie d’abord son unique roman, Le Portrait de Dorian Gray. Cette apologie de la beauté est aussitôt accusée de corrompre la jeunesse. L’intéressé répond aux critiques dans une Préface qu’il donne à la Fortnightly Review. Pour Wilde, l’art et l’éthique ne sauraient être confondus : « Un livre n’est point moral ou immoral. Il est bien ou mal écrit. C’est tout. » En avril de l’année suivante, l’ouvrage paraît en volume, augmenté de six chapitres. L’Angleterre victorienne s’étrangle, les lecteurs s’arrachent le livre. La carrière littéraire d’Oscar Wilde, qui jusqu’alors était plus connu pour sa vie que pour son œuvre, est lancée.
Le Portrait de Dorian Gray est donc cette histoire extraordinaire d’un portrait qui vieillit à la place du modèle. Pire, ce sont les péchés de Dorian, son immoralité – même si elle est entourée de justifications philosophiques – qui a sacrifié son âme à son image, qui enlaidissent progressivement le tableau. C’est son double, celui qu’il ne veut pas voir. Et, le jour où il en prend conscience, croyant détruire le portrait, il se détruit lui-même. Fin prémonitoire quant au propre destin de Wilde.
C’est donc un roman sur le bien et le mal. Mais c’est aussi une satire sociale, acide, cruelle, caricaturale, de la bonne société victorienne, hypocrite et orgueilleuse. C’est un plaidoyer d’Oscar Wilde sur sa conception de l’art, du beau et du statut de l’artiste qui n’existe que dans l’œuvre – concept que l’on retrouvera chez Proust dans son fameux Contre Sainte-Beuve. Pour preuve, la vie conduit inexorablement l’homme vers la mort, tandis que l’art est éternel. Mais Wilde va plus loin encore, il stigmatise la beauté comme étant dangereuse, tentatrice et parfois mortelle. C’est enfin un roman sur les amours qui ne disent pas leur nom.
« La meilleure façon de résister à la tentation, c’est d’y céder » : Le Portrait de Dorian Grays’articule autour de ce paradoxe wildien célébrissime. Une maxime qui prend à rebrousse-poil les manières d’une société dominée par une morale étriquée. Dans ce qui sera considéré comme le plus français des romans anglais, le vice devient vertu, quand la vertu se fait dépravation. Transposant le mythe de Faust, Wilde s’abreuve aux sources de la littérature contemporaine. Sa fable philosophique doit tout à la fois à la Peau de chagrin de Balzac qu’auPortrait ovale d’Edgar Allan Poe. Le thème du double fascine l’esprit fin-de-siècle. En 1886, Robert Louis Stevenson a livré une allégorie de l’hypocrisie qui régit la société victorienne avecLe cas étrange du docteur Jekyll et de mister Hyde. L’étrangeté de ce roman, qui a fortement influencé Wilde, tient dans les non-dits d’un récit qui donne pourtant l’apparence d’une transparence absolue. Un univers essentiellement masculin, comme celui du livre empoisonné dont se délecte Dorian Gray, À rebours. Le roman de Joris-Karl Huysmans, où il ne se passe rien, paru en 1884, met en scène Des Esseintes, un dandy fin de race, esthète et excentrique, dont l’existence n’est guidée que par la recherche du faux plus vrai que nature. Et Wilde va plus loin encore que Des Esseintes, fatigué, désabusé, revenu de tout : Dorian qui n’est rien, n’a rien créé, rien écrit, rien produit, mais qui est jeune et beau, fait de sa vie son œuvre. Wilde est en quelque sorte le précurseur des émissions de téléréalité qui mettent en scène vingt-quatre heures sur vingt-quatre des inconnus sous le feu croisé des caméras.
Le succès teinté de scandale rencontré par Le Portrait de Dorian Gray n’est pas dû seulement au fait que son intrigue fantastique souscrive au goût de l’époque. Le lecteur y trouve aussi exprimé tout haut sous la plume de l’écrivain ce qu’il pense tout bas. Mais aucune époque n’aime regarder dans le miroir ses petites lâchetés et ses grands mensonges. À la parution du roman, le Scot Observer écrit : « L’intrigue – qui traite de sujets réservés au Service des enquêtes criminelles ou à une audience à huis clos – discrédite aussi bien l’auteur que l’éditeur. Mr Wilde est un homme intelligent, artiste, élégant ; mais s’il ne peut écrire que pour des aristocrates dévoyés et des télégraphistes pervertis, plus tôt il se fera tailleur (ou tout autre métier décent), mieux cela vaudra pour sa réputation et pour la moralité publique. » En effet, quelques années plus tôt, en 1889, « l’affaire des petits télégraphistes » a fait grand bruit. Une descente de police dans un bordel pour hommes à Cleveland Street a dévoilé les relations entre jeunes prostitués et clients influents, dont certains appartenaient au gouvernement. L’affaire fut étouffée et classée sans suite, mais ouvrit une période de soupçon.
La critique partagée
D’aucuns virent dans ce Portrait de Dorian Gray une œuvre autobiographique. Ce qui n’est pas faux, si l’on considère que Wilde s’y retrouve dans les trois personnages. Il s’en est d’ailleurs expliqué. Basil Hallward est tel qu’il croit être, un artiste sentimental qui souffre de vivre ses passions, ses attirances, ses désirs, dans le secret ; lord Henry est tel que le monde le croit, dandy, épicurien, hâbleur, cynique, corrupteur de jeunesse ; Dorian Gray est tel qu’il voudrait être, un idéal esthétique, un objet de désir – et d’ajouter : « Dans une autre vie peut-être. »
La critique ne reproche pas seulement à Wilde l’aspect plus qu’équivoque de son roman. D’abord on trouva qu’il était trop court et bâclé, là où la plupart des écrivains commettaient des romans volumineux en trois tomes ou plus, et qu’il est issu d’une nouvelle qu’il a agrémenté de nouveaux chapitres pour en faire un roman. On estima ensuite qu’il ne respectait pas les règles du genre romanesque. Pour exemple, le fameux chapitre XI, considéré comme un inventaire de connaissances qui n’apporte rien à l’intrigue. On en a voulu également à Wilde d’étaler son goût pour les Décadents français, tels Huysmans ou Gautier, tout en affirmant que les Anglais n’avaient aucun goût pour la vraie littérature. Il y a là crime de lèse-majesté ! À ce sujet, le Daily Chronicle parle à propos du Portrait de « littérature lépreuse des Décadents français – un livre empoisonné, dont l’atmosphère est lourde d’odeurs putrides et de pourriture spirituelles »…
Mais ce que ne sait pas la critique de l’époque, c’est que la première version, celle publiée dans la revue américaine, a été largement édulcorée à la demande de l’éditeur, afin que disparaisse toute référence explicite à la sexualité des personnages et à leur homosexualité affichée. Le manuscrit original, qui a été rendu public en avril 2011, montre à quel point Wilde faisait fi de la morale et des lois en vigueur condamnant très lourdement depuis 1885 l’amour entre les hommes, et combien il était naïf de penser que l’éditeur laisserait passer une telle transgression.
Scandale et procès
Le Portrait de Dorian Gray est surtout un succès de scandale qui servira plus la réputation de son auteur que son enrichissement personnel. Le prince de l’aphorisme devient alors dramaturge. Le 22 février 1892, c’est la première à Londres de L’Éventail de lady Windermere. L’année suivante, Wilde écrit en français Salomé pour Sarah Bernhardt, pièce inspirée par un tableau du peintre Gustave Moreau, mais la pièce est interdite par la censure alors même que les répétitions ont commencé. En 1893, c’est au tour d’Une femme sans importance. On crie au renouveau du théâtre anglais, une évolution qui agace profondément la société traditionnelle qui s’y voit critiquée et raillée. En plus d’être célèbre, Wilde est devenu riche. Ces deux pièces lui rapportent des sommes énormes : 70 livres sterling par jour, soit l’équivalent de 7 000 euros ! Sommes englouties par un train de vie dispendieux et le désir de plaire à un certain Lord Alfred Douglas.
En effet, en 1891, le poète Lionel Johnson a présenté à Oscar Wilde Lord Alfred Douglas, le troisième fils du marquis de Queensberry, un jeune éphèbe de vingt et un ans qui étudie au Magadalen College d’Oxford, là où Wilde fit ses études presque vingt ans auparavant. Surnommé « Bosie » (beau gosse), il dit avoir lu neuf fois Le Portrait de Dorian Gray et ne cache pas sa joie de rencontrer l’auteur, à la réputation sulfureuse. Leur passion de la poésie les lie ; la jactance de Wilde et la beauté insolente de Bosie feront le reste. Devenus inséparables, ils s’affichent au mépris du qu’en-dira-t-on. Une amitié particulière qui n’est pas vraiment du goût du marquis de Queensberry, le père de Lord Douglas, connu pour être l’auteur des « Queensberry rules » qui réglementent la boxe mondiale, mais aussi pour son irascibilité.D’autant que le 18 octobre 1894, le fils aîné du marquis est décédé. Un accident de chasse, selon la version officielle. Mais il se murmure que l’infortuné a mis fin à ses jours après avoir rompu avec son amant devenu Premier ministre.
Le vice innommable, condamné par la 11e section du Criminal Law Amendement Act, lui ayant pris son premier-né, Queensberry se met en tête de sauver le cadet. Après moult provocations auxquelles Wilde ne répond pas, le marquis dépose le 18 février 1895, à l’Albermale, un bristol :« À Oscar Wilde posant au somdomite » [sic]. Bosie, qui déteste son père, pousse l’écrivain à réagir. Malgré l’avis contraire de ses amis et de son avocat, Wilde porte plainte en diffamation le 2 mars 1895. Et ce qui n’aurait dû être qu’une simple formalité tournera très vite au cauchemar.
Le Tout-Londres se passionne pour le procès et personne ne doute de la victoire d’un auteur si adulé. Mais le contexte n’est pas favorable à l’écrivain. Il est son propre ennemi. Il prend le prétoire pour une scène, multiplie les bons mots, se montre très désinvolte vis-à-vis des mœurs et de la morale, ment sur son âge et sur celui d’Alfred, et se met les jurés à dos. Même le public finira par le lâcher. Le diffamé deviendra l’accusé. Et à l’issue du troisième procès, il est condamné à deux ans de travaux forcés !
Du jour au lendemain, la presse, le public, les Anglais, piétineront celui qu’ils ont pourtant porté au pinacle. Wilde aurait dû se souvenir de ce qu’il écrivait dans Le Critique en tant qu’artiste : « Le public est extraordinairement tolérant. Il pardonne tout, sauf le génie. »
La prison
Le 25 mai 1895, Oscar Wilde, esthète, fin poète, écrivain génial, essayiste de talent, dramaturge brillant, dandy maniant l’art de la conversation et au-delà celle de la provocation, excentrique aux réparties fulgurantes, est condamné, à l’issu de trois procès, à deux années de travaux forcés.
L’Angleterre victorienne tient enfin sa revanche face à l’insupportable histrion qui fait fi des conventions et de la morale. Les pairs du royaume qui ont cru se reconnaître dans le personnage du vieux lord du Portrait de Dorian Gray et ceux de l’aristocratie dont il dénonce dans ses pièces de théâtre les mœurs corrompues s’en donnent à cœur joie. Ses pièces sont aussitôt déprogrammées et ses biens saisis pour être vendus aux enchères afin payer ses dettes et ses frais de justice.
En prison, il compose deux chefs-d’œuvre, avant que sa plume ne se taise à jamais : De profundis, une longue lettre à Bosie, publiée à titre posthume dans une version expurgée en 1905, et Ballade de la geôle de Reading, achevée après sa libération.
Brisé et ruiné
À l’expiration de sa peine, c’est un homme brisé et ruiné. Il quitte la prison le 19 mai 1897 avec dix schillings en poche, le gain de ses deux années de travaux forcés. Il parvient à récupérer une petite somme d’argent, reliquat de sa fortune passée additionnée de dons d’admirateurs, et part aussitôt s’installer à Dieppe, puis dans un hôtel, à Berneval, un petit village non loin de là, sous le pseudonyme de Sebastien Melmoth, un héros gothique créé par son grand-oncle. Il est seul malgré quelques visites de ses amis. Il s’ennuie, relit Dante, erre quelque temps dans la région, revient en secret à Londres retrouver Bosie et emprunter de l’argent, voyage avec lui en Italie, avant de se fixer à Paris.
Sa femme s’est expatriée en Allemagne avec ses fils ; ils ont changé de nom et adopté celui de jeune fille de leur mère : Holland. Wilde voit Gide, côtoie Alfred Jarry, Toulouse-Lautrec, Auguste Rodin et Sarah Bernhardt, mais ne cherche pas à retrouver la gloire d’antan. Il fréquente même Esterhazy qui lui avouera être l’auteur du faux qui condamna Dreyfus. Bosie s’est également installé à Paris, avenue Kléber, mais plutôt que d’aider son ami, il dilapide des fortunes d’un hippodrome l’autre. Épuisé par les rigueurs inhumaines de la prison, usé par les excès, délaissé par Bosie qui s’est réconcilié avec son père sur son lit de mort, devenu comme il le disait « une épave à bout de nerfs », il emménage finalement dans un hôtel de la rue des Beaux-Arts, peu cher et dans lequel il dispose de deux chambres, « une pour écrire, l’autre pour l’insomnie ». Il a perdu de sa superbe, cherche désespérément quelque subside, emprunte, mendie auprès de ses amis, se laisse aller, vidé. Il n’a plus d’énergie. C’est la fuite en avant. Criblé de dettes, il fréquente quelques hommes qui l’entretiennent momentanément, voyage, quitte son hôtel qu’il ne peut plus payer, se fait expulser de droite et de gauche, revient finalement rue des Beaux-Arts. Quasi vagabond, il erre dans les rues de Paris. Ceux qui le connaissent font mine de ne pas le voir. Son oreille, suite à une blessure au pénitencier, le fait atrocement souffrir. Il se fait opérer le 10 octobre 1900 dans sa chambre d’hôtel, mais trop tard. La plaie s’infecte. L’otite se transforme en méningo-encéphalite consécutive à une récidive de syphilis. Le 28 octobre, à bout de force, il se convertit au catholicisme et meurt deux jours plus tard, à quarante-six ans dans le dénuement le plus complet.
Vengeances post-mortem
Oscar Wilde est d’abord inhumé à Bagneux, un enterrement de sixième classe suivi par quelques artistes anglais ainsi que par Paul Fort et Pierre Louÿs. Bosie est présent, revenu précipitamment d’Écosse ainsi que Jean Dupoirier, le patron de l’hôtel d’Alsace. Gide et Proust brillent par leur absence. Il faudra d’ailleurs attendre dix ans avant que Gide ne publie un petit recueil de souvenirs. C’est dire si Wilde sentait le soufre. Et bien longtemps après sa mort. Un exemple parmi d’autres : les enfants de l’écrivain, qui ne revirent jamais leur père, furent chassés de tous les hôtels où ils séjournaient après le procès. Ils durent changer de nom et s’exiler avec leur mère en Allemagne. Plus tard, par hostilité envers Oscar Wilde, on refusa même d’admettre Vyvyan à l’Université d’Oxford.
Lady Wilde, qui a toute sa vie pris le parti des combattants pour la liberté, plonge dans une humeur noire à l’annonce de la condamnation de son fils. Elle meurt mutique le 3 février 1896 sans avoir obtenu l’autorisation de voir son fils en prison. Constance, la femme d’Oscar Wilde, tombe quant à elle dans un escalier après avoir fait un faux pas. Touchée à la moelle épinière, elle meurt des suites de l’opération de la dernière chance, le 7 avril 1898.
Les enfants de l’écrivain ne reverront jamais leur père, chassés de tous les hôtels où ils séjournent avant de trouver refuge dans la Principauté de Monaco. Par hostilité envers Oscar Wilde, on refuse plus tard d’admettre Vyvyan à l’Université d’Oxford.
Lord Alfred Douglas, après un mariage de convenance qui ne dura pas longtemps, traduisit les Protocoles des sages de Sion et dirigea un hebdomadaire populiste et antijuif, Plain English. En 1923, il comparait à son tour devant la cour d’Old Bailey pour avoir diffamé dans ses articles Winston Churchill, alors secrétaire d’État aux Colonies. Il est condamné à six mois de prison fermes.
Sphinx nu
Il n’en reste pas moins qu’à travers ses mots d’esprit, ses saillies et ses provocations, Wilde s’est d’abord fait le défenseur d’un art sans entraves et de la liberté de l’écrivain. Même si, contrairement à ce qu’ont prétendu certains, il ne s’est pas immolé, victime consentante, sur l’autel de l’homosexualité, il a brisé par son geste les tabous d’une société bâtie sur les faux-semblants et l’hypocrisie. En poussant ses théories et son comportement subversif jusqu’à la limite, Oscar Wilde est passé d’une « éternité de gloire » à une « éternité d’infamie ».
À sa sortie de prison, il écrit à l’un de ses amis : « Oui, je n’ai aucun doute que nous gagnerons, mais la route est longue et rouge d’un monstrueux martyre. » En 1902, le mot « homosexuel » fait son entrée dans le supplément du Nouveau Larousse illustré et désigne une « pathologie ». En 1967, trois mois après la mort de son fils cadet, Vyvyan Holland qui, à défaut d’avoir conservé le nom de son père a défendu sa mémoire, le Criminal Law Amendement Act est abrogé. Et ce n’est qu’en 2000 que le Royaume-Uni abroge l’une de ses dernières législations anti-homosexuelles. Hasard du calendrier, on fête cette année-là le centenaire de la mort du vibrionnant esthète.
En 1909, les restes d’Oscar Wilde sont transférés au cimetière du Père-Lachaise, division 89. Le tombeau a été réalisé par Jacob Epstein, pionnier de la sculpture moderne. Un sphinx monumental, ailé et nu, surplombe le caveau. Et le scandale repartira de plus belle, l’artiste ayant doté l’ange-démon d’attributs virils. Accusé d’obscénité, il refuse de modifier son œuvre. D’autant qu’il en est très fier : le bloc de pierre de plusieurs tonnes a été sculpté à grande échelle, directement et sans fragmentation. Il fut alors décidé de « plâtrer » l’objet du délit. Finalement, une plaque de bronze fit office de feuille de vigne. Mais quelque temps plus tard, un commando d’artistes et de poètes contestataires arracha le cache-sexe. Le monument fut alors recouvert jusqu’en 1914 d’une bâche et surveillé par la police. Il devint par la suite un objet culte, un lieu de pèlerinage, et se couvrit progressivement de graffitis, de marques de rouge à lèvres et d’inscriptions en tous genres. Restauré une première fois et doté d’une clôture qui fit long feu, rien ne put freiner l’ardeur des admirateurs. Sa tombe au Père-Lachaise vient d’être rénovée et protégée.