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Roth, DeLillo, Adonis... Retour sur les loupés éternels du Nobel de littérature
En attribuant son prix à Kazuo Ishiguro, un an après avoir couronné Bob Dylan, l'institution suédoise a une nouvelle fois créé la surprise et de nouvelles interrogations. Année après année, les académiciens ont composé un palmarès qui brille autant par ses grands absents que par ses lauréats plus ou moins prestigieux. Humeur.
À leur corps défendant, les membres de l'Académie royale de Suède ont déjoué les pronostics des bookmakers en couronnant Kazuo Ishiguro. À 62 ans, le romancier britannique d'origine japonaise est l'un des plus jeunes lauréats de ce prix prestigieux, avec le Turc Orhan Pamuk, consacré à 54 ans.
D'ordinaire, l'heureux élu figure dans le groupe de tête des parieurs et des fins observateurs, dans les jours qui précèdent le vote. Comme ce fut le cas pour la Biélorusse Svetlana Aleksievitch en 2015 ou encore pour Mario Vargas Llosa en 2010. C'est toutefois oublier que le choix porté l'an dernier sur le troubadour Bob Dylan ne fut qu'une demi-surprise (et pour certains un demi-canular) et que l'annonce du nom du lauréat Patrick Modiano, en 2014, fut un véritable cataclysme médiatique, y compris hors de nos frontières. Faisant les trompettes de la renommée redoubler de stridences, pour un homme si discret et peu disert, et à l'univers circonscrit aux quais parisiens de la Seine.
Comme quoi, l'option politique de l'Académie suédoise (en lorgnant vers la gauche), qui a longtemps prévalu, n'est plus aujourd'hui qu'un lointain souvenir. Rappelons que l'Académie avait, par le passé, porté aux nues de la postérité des auteurs comme Octavio Paz, José Saramago, Dario Fo ou encore l'ex-dissident russe et poète américain Joseph Brodsky, en pleine Perestroïka, millésime 1987.
Une œuvre relativement chiche
Mais revenons à cette édition 2017. Pour la petite histoire, les parieurs, qui ont à l'ordinaire un flair de ratier, donnaient gagnant l'obscur romancier kenyan Ngugi wa Thiong'o, et ce, haut la main, à quatre contre un. Une cote de PMU. On avait au passage appris que les livres de cet auteur africain avaient été traduits du kikuyu vers le suédois.
L'auteur des Vestiges du jour est le onzième sujet britannique à être distingué par le Nobel de littérature, succédant au palmarès à des prestigieuses plumes, telles que Doris Lessing, le dramaturge Harold Pinter (en 2005), William Golding (l'auteur de l'universel Sa majesté des mouches) ou encore Elias Canetti, l'Anglais d'origine bulgare qui écrivait en allemand. Sans oublier le tout premier d'entre eux, un certain Rudyard Kipling. C'était en 1907. L'auteur du Livre de la jungle avait alors 42 ans.
On s'étonnera toutefois que les académiciens suédois aient déposé leurs lauriers tant convoités sur le crâne de Kazuo Ishiguro, 63 ans, auteur d'une œuvre relativement chiche, constituée en tout et pour tout de sept romans et d'un recueil de nouvelles.
Les loupés éternels de l'Académie
Au passage, on rejoindra le chœur, de plus en plus élargi, des pleureuses et des déçus, en déplorant les loupés éternels de l'Académie, qui a une nouvelle fois fait litière de certains grands noms tels que ceux des Américains Philip Roth et Don DeLillo, de Margaret Atwood, du Triestin Claudio Magris, d'Ismaël Kadaré, d'Adonis. Sans oublier ceux pour qui c'est trop tard, la mort ayant déjà fait son œuvre. Pensons à Yves Bonnefoy, pensons au Brésilien Jorge Amado, pensons aux Cubains Alejo Carpentier et Guillermo Cabrera Infante, pensons à Jorge Luis Borges (qui ne portait pas vraiment à gauche), et à tant d'autres.
On dit, et c'est certainement vrai, que la couronne du Nobel a pour effet d'assécher l'aspiration de l'impétrant à la renommée universelle, comme l'étouffoir coiffe la flamme de la bougie. Pour Ishiguro, le rythme moyen de publication était jusque-là d'un livre tous les cinq ou six ans. Doit-on donc s'attendre à lire son prochain roman d'ici à quinze ans? Avis aux parieurs. En attendant la prochaine surprise, en 2018.
Plus de 5000 votants avaient participé à notre sondage sur les prétendants au Nobel de littérature. Parmi les douze auteurs proposés (en l'absence de Kazuo Ishiguro), Philipp Roth avait recueilli 35% des suffrages, devant Haruki Murakami (25%) et Margaret Atwood (9%).