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samedi 19 février 2022

Michel Houellebecq / Anéantir / Un humanisme résiduel

 


Un humanisme résiduel       

par Cécile Dutheil de la Rochère
5 janvier 2022

Offert en avant-première à quelques-uns, piraté donc auréolé d’un parfum de scandale, le dernier roman de Michel Houellebecq est-il si sulfureux ? Anéantir, qui paraît le 7 janvier, met en scène une fratrie de trois adultes dans une situation apte à susciter de la tension et des questions graves : leur père est dans un coma profond dont il semble s’éveiller. Où ? Entre Paris, les Hauts-de-France et le Beaujolais. Quand ? En 2027, date de la prochaine élection présidentielle (n + 1), sur fond d’attentats. Action, lieu, temps : vous avez les principales cartes en main. Imaginez le malin génie Houellebecq tirant les ficelles : il est exercé, perçant, contempteur ; et il est encore plus ambitieux et plus mondial. Les amateurs se réjouiront ; les rétifs laisseront tomber.


Michel Houellebecq, Anéantir. Flammarion, 736 p., 26 €


Un mot sur l’objet. Le livre est relié et agrémenté d’un élégant signet rouge qui tranche sur la blancheur de l’ensemble. C’est prétentieux, mais l’écrivain a le génie de la publicité et ses ventes le permettent. En vérité, le livre est vilain, il ressemble à une vieille édition de Ginette Mathiot, Je sais cuisiner. Coïncidence, Cécile, un des personnages, compense le chômage de son mari en créant Marmilyon.org, une petite entreprise qui propose de préparer des repas à domicile.

Cécile est surtout catholique et pratiquante. Des trois enfants, elle est celle qui croit : au réveil du coma de leur père, en Dieu, en la Résurrection. Elle n’est pas antipathique, un peu ravie de la crèche, pauvre, gentille, son créateur a peu d’estime pour elle. Elle vote Le Pen : aux yeux de Houellebecq, c’est une évidence, quand on est fille de l’Église, on vote à l’extrême droite. Ou est-ce que l’extrême droite n’est plus extrême ? Elle s’est enracinée dans le paysage, celui de la France et de la « force tranquille » qui se déployait, sereine, sur les affiches de campagne de Mitterrand en 1981.

Anéantir, de Michel Houellebecq : un humanisme résiduel

Michel Houellebecq lors d’une conférence en Argentine (2016) © Silvina Frydlewsky / Ministerio de Cultura de la Nación

Le monde entier sait que Michel Houellebecq est un sismographe expert des courants, des modes, des tendances et de leurs mille et une variations et retournements qui font dériver la France et l’Europe occidentale de-ci, de-là. Il anticipe, dit-on. C’est vrai, mais pas toujours. Il n’est pas non plus devin ni sage. Anéantir peut donner l’impression d’être un vaste pot-pourri de tout ce dont nous abreuvent les chaînes d’info en continu : tout y est, tout ce qui fait débat, qui heurte, qui choque, qui choqua, qui ne choque plus ou qui devrait choquer.

L’état des lieux tel qu’il apparaît dans Anéantir est extrêmement clair et parfaitement lisible. Le roman est excessivement signifiant. À trop relever les marques, les sigles, l’invasion des initiales (EHPAD, AVC, PMA, GPA, EVC-EPR), par exemple, il pourrait lui-même finir par devenir un panneau. Heureusement il n’y tombe pas, la sensibilité du romancier est trop aiguisée pour se laisser prendre au piège. Il n’empêche, préciser systématiquement que tel personnage déjeune dans un restaurant Courtepaille et émailler le roman de tics langagiers ridicules finit par affaiblir le propos. Trop de réalisme tue le réalisme. Mais un roman strictement réaliste est un roman mort, ce que n’est pas Anéantir.

Le livre vit, avance, abandonne des pistes, bifurque et surprend. Il est long, certes, et alors ? En dépit des virages et des impasses, son rythme est régulier, comme une autoroute, en cinquième vitesse. Quelques pauses sont néanmoins recommandées, vous pouvez même arrêter en route : « anéantir », dit le titre, alors pourquoi ne pas appliquer la méthode à la lecture du roman et tout jeter par-dessus bord ? Vous aurez raté les quelques sentiers de traverse qui donnent de l’épaisseur à ce livre.

Les premiers sont les rêves du personnage principal : Paul, énarque, fonctionnaire du ministère des Finances, moins minable que le héros houellebecquien habituel. Il doute, croit ne plus aimer et pourtant réapprend à aimer. Il a des angoisses, des passages à vide, des hallucinations qui bousculent la plaque photographique trop reconnaissable qu’offre le roman. Un léger onirisme colore le livre et lui évite de sombrer dans la satire et l’aigreur. La nature est présente, le ciel et ses couleurs, les arbres et leurs teintes vertes, rassérénantes, éternelles. Le romancier se risque à de simples descriptions de paysages qui tempèrent sa noirceur ; les personnages se déplacent sur le territoire et l’observent. Tout ce qu’ils voient ne se réduit pas à un vaste écran Internet ni télévisuel.

Curieusement, aucun des trois frères et sœur n’est célibataire, condition humaine fin-de-siècle type chez Houellebecq. Tous sont mariés, même s’ils ne sont pas toujours heureux. Qui l’est vraiment, après tout ? Des interrogations presque candides naissent : « Il y a encore une dizaine de jours il n’avait jamais touché Maryse, le contact de sa peau était complètement en dehors de son champ d’expériences ; et maintenant cette même peau lui était devenue indispensable ; comment expliquer cela ? »

Maryse est d’origine béninoise, la précision mérite d’être relevée et opposée à une autre : le fils d’Indy, personnage détesté par le romancier (une journaliste « conne » et bien-mal-pensante), est né d’une GPA et d’un père noir anonyme. Indy est pourtant mariée, mais c’est ainsi, assène Houellebecq, de son fils elle a voulu faire « un placard publicitaire ». Le romancier est là au moins aussi malveillant et vengeur que ce personnage féminin honni, Indy. Et il charge la barque, lourdement, très lourdement.

Anéantir, de Michel Houellebecq : un humanisme résiduel

Ministère de l’Économie et des Finances © Jean-Luc Bertini

Plus le roman avance, plus sa dimension apocalyptique et mondialisée est manifeste. Les trois frères et sœur semblent passer au second plan, plus ou moins effacés par les trois attentats qui scandent l’intrigue du livre : contre un porte-conteneurs chinois, contre une banque de sperme, contre un bateau de migrants – trois cibles plus que symboliques pour Houellebecq. Régulièrement, le récit penche vers le roman d’espionnage – hackers, darkweb, exterminateurs impossibles à identifier. Puis il redevient conforme à ce qui a fait la noire réputation de l’écrivain : une comédie de mœurs. Nouvelle surprise, des pages laissent penser qu’il s’agit d’un thriller politique. Puis ce fil s’effiloche lui aussi. Enfin, le livre s’achève comme un mélodrame.

Alors que reste-t-il de cette hésitation d’une piste à l’autre ? Un roman-métastase, qui élimine ses personnages les uns après les autres : Houellebecq les oublie, les abandonne à leur inanité, les suicide ou leur impose une maladie terminale. Il reste aussi un esprit nihiliste « jusqu’au trognon » : l’expression, peu gracieuse, est du romancier, caricaturiste et cousin de Reiser. Dans le roman, elle s’applique au politiquement correct, autre pot-pourri dans lequel Houellebecq balance tout, l’humanisme, « mou », dit-il ; une gauche en loques, la foi du charbonnier de Cécile, la joie, et cætera, et cætera.

Et la droite, l’extrême ? Houellebecq est ambigu, il peut sembler distant puisqu’il a même des « pétainistes vegan » dans sa hotte, mais il joue avec le feu, les braises qui couvent au moment même où il écrit et publie, et il en jouit. Et l’islam ? Le thème est peu présent. Sur une même page, il note deux choses : une mosquée à Belleville-en-Beaujolais, avec un « C’était étonnant » pour seul commentaire ; la « solidarité entre les générations » des Maghrébins qui répugnent à enfermer leurs aînés dans des Ehpad. Ailleurs il est plus désobligeant et ne peut s’empêcher de railler sous cape.

Là où il ne saurait ruser, c’est dans le style, plat comme une limande. Sa prose est normale en tous points, vecteur efficace d’action. Il use d’un passé simple de rigueur et de bon aloi. Il s’est affiné, dans la mesure où il a abandonné ses habits élimés de pornographe, même s’il reste des taches de gras. S’il dénonce ce qu’il appelle la « druckérisation » du monde et du langage, Houellebecq en est le fils consentant.

Finissons en lui donnant raison : l’humour, y compris sur sa propre survie, « fait partie des droits de l’homme en quelque sorte ». Il y a bien chez Houellebecq un humanisme que l’on dira « résiduel », adjectif heureux que nous lui volons. Lui-même parle de « christianisme résiduel » ou d’« une forme de vie étrange et résiduelle », comme si l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre, en était la racine. Chez lui flottent de vagues restes d’altruisme, transportés par un vent toujours mauvais.


Tiphaine Samoyault rend également compte d’Anéantir dans ce même numéro 142.
EaN a rendu compte de Sérotonine, le précédent roman de Michel Houellebecq, et du Cahier de l’Herne consacré à l’écrivain.

EN ATTENDANT NADEAU

lundi 29 avril 2019

Goncourt / Houellebecq plébiscité Pat les critiques

Michel Houellebecq

Goncourt: Houellebecq plébiscité par les critiques


Ils seront décernés à la mi-journée. Le JDD a demandé à huit journalistes: "A qui donneriez-vous 1. le Goncourt et 2. le Renaudot?Sabine Audrerie (La Croix)
1. "Le Goncourt à Maylis de Kerangal pour Naissance d’un pont, roman étonnant des défis humains, individuels et collectifs. Pour la sensualité de son écriture, le flot à la fois très oral et littéraire de son récit, qui emporte lecteur et personnages dans cette histoire un peu folle de la construction d’un pont en Californie."
2. "Le Renaudot à Fabrice Humbert pour L’Origine de la violence, deuxième roman captivant d’un trentenaire doué. Une réflexion originale sur les secrets de famille et sur le mal, dans ses ravages historiques et ses manifestations esthétiques."
Jean-Christophe Buisson (Le Figaro Magazine)
1. "Le Goncourt à Michel Houellebecq pour La Carte et le territoire. L’époque a les Michelet qu’elle mérite. Son tableau de la France contemporaine n’est pas celui d’un génie ni d’un géant du style, mais il est bien plus intelligent, juste et drôle que ceux de ses rivaux, romanciers ou essayistes."
2. "Le Renaudot à Marc-Edouard Nabe pour L’homme qui arrêta d’écrire. Donner le Renaudot à ce livre auto-édité par un écrivain post-situationniste haï par 95% du milieu littéraire aurait deux avantages: récompenser un immense auteur injustement méconnu et méprisé et le faire cesser de rognonner."
Nathalie Crom (Télérama)
1 "Quels que soient les autres ouvrages en lice, je ne vois pas comment ne pas donner le Goncourt à La Carte et le territoire, tant ce roman est maîtrisé, efficace, abouti."
2. "A un très bon roman qui ne figure pas dans la sélection, il y a le choix: Le Siècle des nuages, de Philippe Forest, Que font les Rennes après Noël, d’Olivia Rosenthal, ou un des trois ouvrages d’Antoine Volodine…"
Jérôme Garcin (Le Nouvel Observateur)
1. "Le Goncourt à Michel Houellebecq, non seulement parce qu’il aurait dû l’avoir depuis longtemps, mais aussi parce que c’est son meilleur roman."
2. "Le Renaudot au Réprouvé d’un auteur jeune, brillant et méconnu, Mikaël Hirsch: en 1954, jour de l’attribution du Goncourt aux Mandarins de Simone de Beauvoir, le garçon de course des éditions Gallimard rend visite à Céline dans sa maison de Meudon. C’est d’une troublante justesse."
Olivia de Lamberterie (Elle)
1. "Je donnerai le Goncourt à La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, tout simplement parce que c’est le meilleur livre de la saison. Et puis, il y a quand même ce précédent fâcheux où les jurés lui avaient préféré Paule Constant. Le snober de nouveau, cela ferait un peu comique de répétition, un mauvais comique…"
2. "Je donnerai le Renaudot à Même le silence a une fin, d’Ingrid Betancourt, parce que, dans la rivalité Goncourt-Renaudot, c’est le seul livre qui puisse rivaliser avec Houellebecq, et parce que c’est un jury capable de coups de poker de ce genre. Et puis, si Betancourt reste un personnage mystérieux, elle s’avère une étonnante auteure: c’est un livre captivant qui rend la lecture de bien des romans dérisoire."
Eric Neuhoff (Le Figaro Madame)
1. "Houellebecq, parce que ça commence à bien faire et qu’il s’agit de son meilleur livre. Si les jurés ne lui donnent pas leur prix, ils seront obligés d’aller voir en boucle le film La Possibilité d’une île."
2. "Fruits et Légumes, d’Anthony Palou. Une enfance bretonne, c’est-à-dire française, comme la langue de l’auteur. Les années 1970, la faillite du père, la tristesse de province: pas une once de gras."
Christophe Ono-dit-Biot (Le Point)
1. "A Michel Houellebecq, pas parce qu’il aurait dû l’avoir pour les précédents, mais parce qu’il doit l’avoir pour celui-ci. Parce que c’est un livre total, brassant tous les genres et tous les milieux, inépuisable au regard, grouillant de détails, de force et de douleur comme La Porte de l’enfer, de Rodin. Parce que cet écrivain, qui voit mieux que nous, est aussi un écrivain qui rit de ce rire, salvateur, qui servait de critère à Nietzsche pour classer les philosophes."
2. "A Pourquoi lire? de Charles Dantzig, parce que l’hiver est en train de montrer le bout de son nez et que le livre de Dantzig me tient spirituellement chaud. Parce qu’il est au mauvais livre ce que le vison est à la peau de lapin. Parce qu’il me parle de ce que j’aime le plus au monde: la lecture. Et parce qu’il m’en parle comme personne au monde n’avait jamais réussi à m’en parler."
Raphaëlle Rérolle (Le Monde)
1. "A Michel Houellebecq, parce que La Carte et le territoire est un roman passionnant sur la France contemporaine. Une réflexion désespérée sur la modernité, mais aussi sur l’art et le principe de représentation. Continuellement lu et commenté, en France comme à l’étranger, cet écrivain ne peut plus être, sans ridicule, écarté des grands prix littéraires."
2. (Ne se prononce pas.)
dimanche 07 novembre 2010


Le JDD


dimanche 21 avril 2019

"Houellebecq et les Inrocks", épisode 8 / Entretien croisé avec Emmanuel Macron : “Je ne crois pas au référendum permanent”




"Houellebecq 

et les Inrocks", 

épisode 8 : entretien 

croisé avec 

Emmanuel Macron : 

“Je ne crois pas 

au référendum 

permanent”




Par Anne Leffeter
03/01/19 11h12

Décidément, Michel Houellebecq a toujours eu du flair pour pressentir l’époque. En mai 2016, alors que personne n’aurait parié sur Macron pour la prochaine présidence, il avait souhaité le rencontrer, intrigué par le caractère transgressif du personnage.



Les Inrockuptibles lancent une nouvelle série consacrée aux figures emblématiques suivies par le magazine. Premier artiste mis à l'honneur : Michel Houellebecq. Un choix qui paraissait évident, l'auteur et les Inrocks partagent une histoire commune : depuis la critique de son premier roman jusqu'à son entretien avec Emmanuel Macron, en passant par sa playlist labellisée ou la critique de son dernier ouvrage.



Pour le huitième épisode de la série "Houellebecq et Les Inrockuptibles", nous republions une interview datant de mai 2016. Michel Houellebecq, alors que personne n’aurait parié sur Macron pour la prochaine présidence, avait souhaité le rencontrer, intrigué par le caractère transgressif du personnage.



Macron et Houellebecq


Manu – Tu m’interviewes ou je t’interviewe ?
Michel Houellebecq – Un peu les deux.
Manu – Je ne sais pas ce que tu penses de la politique, mais j’imagine que c’est assez noir.
Michel Houellebecq – Pas si noir que cela. Je pense qu’il y a une crise de la représentation politique, mais c’est une crise prometteuse qui peut déboucher sur des changements positifs. Je vais me situer : je n’ai jamais souhaité déléguer mon pouvoir de faire les lois, donc je n’ai jamais voté aux législatives. Par contre, j’ai déjà voté aux municipales. Si la présidentielle avait moins de signification politique, je voterais volontiers à la présidentielle. En résumé, je suis pour le référendum d’initiative populaire comme unique moyen de changer les lois. Mais cela ne s’arrête pas là : la population devrait également voter le budget. Chacun sait combien il a envie de donner à la police, à la santé, aux entreprises, à l’armée, à l’Education nationale. Il suffirait de faire la moyenne.
Manu – Contrairement aux idées reçues, Michel Houellebecq est pour réduire drastiquement le budget de l’Education nationale et augmenter le budget de la SNCF ! (rires) Je sais qu’il adore les gares et les trains et je pense qu’il a un traumatisme profond avec les profs.
Michel Houellebecq – L’Education nationale ne m’a pas apporté grand-chose parce que je n’ai pas bien écouté. En revanche, je trouve important que l’ensemble du territoire français soit correctement desservi, même si c’est un peu déficitaire.
Manu – Plus sérieusement, pour que les Français puissent discuter le budget, il faudrait une démocratie de discussion permanente. La représentation nationale est un principe d’organisation plus simple qui évite l’écueil du problème athénien : la difficulté d’organiser la démocratie directe. Je sais que tu as une idée précise sur ce qu’on devrait affecter aux gares et aux trains, mais la moyenne des préférences risque de te rendre aussi malheureux que celui qui voudrait tout affecter à l’Education nationale.
Michel Houellebecq – Je suis souvent en désaccord avec la majorité mais j’ai un vrai respect pour son vote. J’ai juste envie d’être consulté directement. La Suisse, un des seuls pays où c’est le cas, ne marche pas si mal.
Manu – C’est un pays qui n’est pas comparable, où la politique n’a pas du tout la même densité qu’en France. Les Français surinvestissent le politique mais il y a un malaise démocratique. Il est consubstantiel à la démocratie. Une partie de ce malaise vient de l’ambiguïté de notre relation aux politiques. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, leur rôle n’est pas pour moi de promettre intensité et bonheur mais de donner un cadre où les citoyens peuvent s’émanciper et acquérir leur autonomie.
“Pour la présidentielle, je ne pourrais choisir que quelqu’un qui a fait ses preuves. Dans cette optique, un ex-Premier ministre serait le mieux, ou éventuellement un maire d’une grande ville.” Michel Houellebecq
Michel Houellebecq – Le problème viendrait du fait que les politiques promettent le bonheur aux gens ?
Manu – En partie, oui, puisque de nombreux politiques vivent de cette ambiguïté, alors qu’aucune organisation politique ne peut faire le bonheur des gens malgré eux.
Michel Houellebecq – Je suis entièrement d’accord. On ne peut promettre ni prospérité ni bonheur. Je ne demande pas cela à un Manu, mais plutôt d’être un bon chef, un chef des administrations et aussi des armées : il ne faut pas oublier les armées, je n’ai jamais pensé que le temps des guerres était dernière nous. Enfin, quelqu’un en qui je puisse avoir confiance en cas de grosses difficultés. Mes expériences professionnelles ont été importantes dans ma conscience politique, elles m’ont appris qu’il suffit parfois de changer de chef pour que tout aille mieux. Pour la présidentielle, évidemment, je ne pourrais choisir que quelqu’un qui a fait ses preuves. Désolé de te dire cela, mais dans cette optique, un ex-Premier ministre serait le mieux, ou éventuellement un maire d’une grande ville. Mais il peut se faire qu’aucun des candidats avec ce parcours ne soit satisfaisant : on peut avoir été un mauvais ex-Premier ministre. Dans ce cas, avoir exercé un ministère important pourrait faire l’affaire.
Manu – Je ne suis pas convaincu par le référendum permanent. Il faut de l’horizontalité dans l’élaboration des décisions, mais je crois aussi à la verticalité des formes de prises de décision. Il n’y a pas d’organisation humaine sans reconnaissance d’une forme d’autorité. C’est la grande question sociale et politique de 1968 : quelle est la forme légitime d’autorité ?
Michel Houellebecq – Demander son avis à tout le monde a un côté assez sain. Cela ne peut que renforcer le sentiment d’appartenir à une communauté. On ne parle de référendum que pour des sujets dits sociétaux, comme la corrida ou l’euthanasie. Cela devrait concerner à peu près tous les sujets. Le rôle des partis devrait tendre à diminuer et le rôle des groupes de pression, des associations, à augmenter.
Manu – Tu voudrais de l’horizontalité permanente… Je crois plutôt aux méthodes telles que les conférences de consensus, qui permettent aux meilleurs experts de former des citoyens pour que ces derniers puissent faire des propositions en pleine connaissance de cause. Je crois en effet à la conscience éclairée. Après, l’Etat ne doit pas légiférer à chaque problème, chaque émotion collective. Cette névrose politique fait de l’Etat une structure politique hyper-maternante.
Michel Houellebecq – On légifère trop, c’est vrai. Et c’est vrai aussi que l’utilisation de l’émotion collective est déplaisante, je ne demande pas au Manu de se rendre sur les lieux d’une catastrophe et de faire son compatissant. Moi aussi, je suis compatissant, et alors ? Sur la verticalité des formes de prises de décision, en cas de guerre, il n’y a pas besoin de consulter la population. L’objectif est clair et consensuel : il est – si possible – de la gagner. Dans ce genre de contexte, une relation verticale s’installe naturellement si le chef est bon.
Manu – Actuellement, nous avons bien d’autres priorités qui justifient de ne pas mettre en œuvre un seul de tes référendums. Si aujourd’hui on organise une consultation populaire sur l’euthanasie, la majorité des Français va penser : “Ces dingos n’ont rien d’autre à faire.” Pour avancer sur la question de l’euthanasie, il faut d’abord créer un consensus démocratique, et je ne suis pas sûr qu’on l’obtienne avec un référendum. Le dernier grand référendum, celui de 2005 sur la Constitution européenne, a été un traumatisme profond en deux temps. Les électeurs ont d’abord rejeté une Europe libérale dans laquelle ils ne se reconnaissaient plus. Et Nicolas Sarkozy n’a pas respecté leur décision ensuite.
Michel Houellebecq – C’est une des choses qui lui ont été fatales. Je fais partie de ceux qui n’ont pas pardonné.
Manu – Tu avais voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 ?
Michel Houellebecq – Non, je n’avais pas voté.
Manu – Malgré tout, tu ne lui as pas pardonné ! Tu es vraiment un électeur vindicatif : tu n’adhères pas au début du projet mais tu ne pardonnes pas les erreurs. (rires)

A l’Elysée, Emmanuel Macron célèbre le « romantique » Michel Houellebecq


A l’Elysée, Emmanuel Macron célèbre le « romantique » Michel Houellebecq

Le romancier a été décoré chevalier de la Légion d’honneur, jeudi 18 avril, par le chef de l’Etat, en présence notamment de Nicolas Sarkozy.

Par Olivier Faye Publié le 19 avril 2019 à 12h01

Il est sorti de l’Elysée à côté de sa femme, la cigarette aux lèvres et le pas léger, un peu comme si la gloire républicaine le faisait flotter sur le gravier de la cour d’honneur. Michel Houellebecq a été décoré, jeudi 18 avril, chevalier de la Légion d’honneur par Emmanuel Macron. Une distinction que le romancier a accueillie devant une petite trentaine de convives, dûment sélectionnés par ses soins.

mardi 17 janvier 2017

N’importe quoi plutôt que l’autre / Houellebecq et Zemmour au paradis des salauds, par Alain Jugnon




Michel Houellebecq
Michel Houellebecq

N’importe quoi plutôt que l’autre : Houellebecq et Zemmour au paradis des salauds, par Alain Jugnon


13 janvier 2017

 
« L
es pratiques surhumaines, religieuses, infernales ou divines, sont totalement étrangères à l’humanité de la raison. La raison est honnête homme », Charles Péguy.
C’est pourtant simple. Simple comme le salut fasciste qui vient.
Nous avons en ce début d’année française deux casseroles sur le feu : la casserole mise à feu par le politoloque dans laquelle cuit à gros bouillon médiatique, le juif, le noir, le musulman et l’autre et la marmite chauffée à bloc du ventrilogue dans laquelle mijote l’affect, le corps sale, les émanations du nihilisme conséquent.
Nous avons donc deux problèmes, c’est ontologique et technique à la fois (que faire ? que devenir ?) : faire taire celui qui ne veut plus être politique, qui veut trier dans le tas, tirer à vue, et ne plus écouter ce qui monte des profondeurs de la droite décomplexante que ce soit une idée politique fascisante, un joli poème mystique ou un livre qui se vend bien.
Avec les Zemmour et les Houellebecq, nous redeviendrions tous classiques et dix-neuvièmistes (lire en ligne La France juive de Drumont, découvrir chez le libraire Le protocole des sages de Sion, toute une époque), ce sera forcé, mais nous sommes encore modernes, c’est encore la vérité.


Eric Zemmour
Eric Zemmour

Il faut alors inventer deux barbarismes pour renvoyer les ultimes barbares du jour aux calendes grecques (et en revenir au politique donc à la Grèce d’origine) : chacun dans son domaine des dieux à l’ancienne, Houellebecq, Zemmour et Le Pen prennent la France pour une bonne fille et la littérature pour une milice chargée jusqu’à la gueule de mots qui veulent performer et de phrases qui peuvent tuer.
Il y a donc le politoloque.
Le politoloque bave contre le politique chaque matin en s’énervant sur les blogues, les blagues et le boulgi-boulga de la modernité telle que médiatisée, il ne se peigne plus mais il a le cheveu long et sale, ou bien la tonsure raide et musclée, il déteste les lectrices et les auditrices quand elles font des phrases qui se tiennent : pour lui la politique c’est la féminisation honteuse du mâle occidental et cela le politoloque, il ne supporte pas. Trop de raison à travailler, trop de mots à dire. Le politoloque aime par dessus tout la haine de l’autre quand c’est un sexe, une religion, une pensée ou une vie : il est cette crapule théorique et ce crapaud critique, posé là, n’importe comment, on le touche, il couine et sort un : « mort aux arabes ! » même pas convaincu, juste à diffuser, juste à empester l’assemblée. Le politoloque, pour (le) finir, est l’homme de lettres le plus français du moment : il veut la croissance de la France et la valeur française du travail, il est nihiliste comme un ministre de l’Économie, une vraie loque intellectuelle. Un Lovecraft pour Maurras, notre Houellebecq des familles françaises.


Michel Houellebecq
Michel Houellebecq

Et il y a le ventrilogue.
Le ventrilogue, et c’est plus simple, est un nain : il se met en rapport avec le monde et les autres à partir de son ventre, car sa connaissance du réel est un toucher des organes. Ce peut être du bling-bling, de la conscience malheureuse ou de l’anti-modernité, c’est à chaque fois un bruit de l’intérieur, plus au dedans qu’un pet ou qu’un rot mais quelque événement qui, contre le politique, établit les données d’un corps du roi/roi du corps qui ferait autorité, qui garantirait un ordre, une ligne, un droit naturel, une divinité : le ventre. Le ventrilogue discourt avec ses tripes, il bave à la coupe du réel en roulant des yeux et en passant à la télé pour faire le malin : c’est l’opinion, c’est mortel. Lui seul et contre tous, un général Boulanger sans galons, un Pétain pour une France sans honneur, notre Zemmour des cavernes françaises.
Avec le politoloque et le ventrilogue, nous sommes réellement au bord de la guerre de tous : pas de pitié pour les femmes et les arabes, comme en quatorze.
Alain Jugnon
Alain Jugnon est philosophe. Il est notamment l’auteur de Sans Dieu merci / Eloge littéraire du casse-dogme, Jacques Flament éditions, 2016. Il vient également de faire paraître, avec Dorian Astor, l’ouvrage collectif Pourquoi nous sommes nietzschéens aux Impressions nouvelles.



jeudi 3 décembre 2015

Michel Houellebecq dans le Top 100 du New York Times


Michel Houellebecq dans 
le Top 100 du New York Times

Par Hélène Pagesy
Publié le 01/12/2015 à 16:47

100 Notable Books of 2015



L'auteur de Soumission a été sélectionné par le prestigieux magazine américain pour son classement des livres les plus marquants de 2015. En octobre, la presse américaine avait salué la «fiction satirique» de l'écrivain.

Critiqué en France, adulé en Amérique. Soumission de Michel Houellebecq a été sélectionné dans le «Top 100» des livresles plus marquants de l'année 2015 du New York Times. Le prestigieux magazine américain évoque le caractère «moralement complexe du roman».
Dans Soumission, le prix Goncourt 2010 imagine la France de 2022 dirigée par un président musulman, Mohammed Ben Abbes. Publié en janvier dans l'atmosphère chaotique des attentats de Charlie Hebdo, le livre avait créé la polémique lors de sa parution en France.

«Houellebecq n'est pas islamophobe»

«Les Français n'ont pas été encore capables de regarder le livre comme une œuvre littéraire», avait déploré un professeur d'Histoire de l'Université de Columbia dans leb New York Times, lors de la publication de la traduction du livre cet automne. Et de souligner: «Il faudra du temps aux Français pour lire et apprécier Soumission à sa juste valeur. Il devrait être considéré pour ce qu'il est», à savoir «une fiction satirique».

Le New Yorker avait également défendu l'écrivain contre ceux qui l'accusaient d'islamophobie: «Houellebecq n'est pas islamophobe. Il est francophobe. Son portrait du régime islamique est affectueux. Il aime la douceur et la sûreté des intégristes.»
Un deuxième auteur francophone figure dans le prestigieux classement: l'Algérien Kamel Daoud, pour son livre Meursault, contre-enquête. Le New York Timessalue un roman «riche et inventif» qui «imagine l'histoire de l'Arabe tué sur la plage dans L'Etrangerde Camus». En 2014, c'est Emmanuel Carrère qui avait eu les honneurs du magazine pour Limonov.