Scandale sexuel, pédophilie, grands noms de la politique et du monde des affaires qui surgissent au détour de documents judiciaires… L’arrestation début juillet de Jeffrey Epstein, et l’inculpation du riche financier américain de 66 ans pour exploitation sexuelle de mineures, promettait un procès retentissant pour les faits reprochés, le nombre de victimes présumées, et ses connexions avec les cercles d’élites. Mais il a été retrouvé pendu dans sa cellule du Metropolitan Correctional Center à Manhattan (New York), au petit matin samedi.
Un «suicide apparent», selon un communiqué de la justice américaine, sur lequel enquête le FBI. Epstein est mort peu après dans un hôpital des environs. Au lendemain de la publication, par le tribunal fédéral de New York, de centaines de pages de documents, révélant de nouveaux détails sur l’affaire et les noms de plusieurs complices présumés. Il encourait jusqu’à quarante-cinq ans de prison.
Inculpé pour trafic sexuel de dizaines de jeunes filles mineures, Jeffrey Epstein avait plaidé non coupable et attendait depuis juillet en prison le début de son procès, prévu l’an prochain. Craignant une éventuelle fuite à l’étranger, le milliardaire possédant un jet privé et plusieurs résidences luxueuses (notamment une île privée aux îles Vierges et un immeuble à Paris), le bureau du procureur avait obtenu son maintien en détention.
Le 23 juillet, Jeffrey Epstein avait été retrouvé dans sa cellule avec des marques sur le cou, laissant croire à une possible tentative de suicide - Epstein aurait, lui, affirmé qu’il avait été agressé. Il avait alors été placé sous surveillance permanente dans le cadre d’un programme de prévention du suicide, avec évaluation psychiatrique quotidienne. Avant d’en être retiré seulement six jours plus tard, pour des motifs inconnus à cette heure.
«Des têtes doivent tomber»
Sa mort, douze jours après cette décision, met sous le feu des critiques la gestion, par le ministère de la Justice, des conditions de détention et de surveillance de ce type de détenus à haut risque. «La mort de M. Epstein soulève des questions graves auxquelles il faudra répondre», a reconnu dans un communiqué le ministre de la Justice, William Barr, se disant «effaré» par sa mort et annonçant une enquête interne, en plus de celle du FBI.
D’autres éléments troublants entourent la mort d’Epstein. Comme l’a révélé le New York Times dimanche, les gardiens de prison devaient jeter un œil à sa cellule toutes les trente minutes, mais la procédure n’a pas été suivie la nuit de sa mort. Les autorités pénitentiaires avaient récemment transféré son codétenu, laissant Epstein seul dans sa cellule après lui avoir retiré sa surveillance antisuicide. «Une décision qui contrevient à la procédure habituelle de la prison», écrit encore le New York Times.
«Vu la précédente tentative de suicide d’Epstein, il aurait dû être placé dans une cellule capitonnée et placé sous une surveillance constante, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Manifestement, des têtes doivent tomber», écrit le sénateur républicain Ben Sasse, membre de la commission judiciaire de la Chambre haute du Congrès, dans une lettre courroucée adressée à William Barr. Pour Ben Sasse, la mort d’Epstein «prive ses victimes de l’opportunité de le confronter dans un tribunal et de le voir tenu pour responsable de ses crimes». «Le département de la Justice a échoué, et les complices de Jeffrey Epstein pensent qu’ils vont pouvoir s’en tirer à bon compte»,lâche le sénateur.
Le financier américain était accusé d’avoir, au moins entre 2002 et 2005, fait venir de très jeunes filles, dont certaines seulement âgées de 12 ans, dans sa résidence de l’Upper East Side à New York, et celle de Palm Beach en Floride, pour «se livrer à des actes sexuels avec lui» contre rémunération, précisait l’acte d’accusation. «Afin d’augmenter son approvisionnement en victimes, Epstein a également payé certaines de ses victimes pour qu’elles recrutent d’autres filles, qui étaient à leur tour abusées», ajoutait la justice, pour qui le milliardaire avait «créé un vaste réseau de victimes mineures», avec la complicité de certains employés et associés.
La justice américaine s’intéressait également aux proches d’Epstein, qui fréquentait des sommités des milieux politiques, financiers, universitaires, de la mode et du divertissement depuis qu’il avait fait fortune dans les années 80 et 90. Dans ses carnets d’adresses, truffés des puissants du monde entier et épluchés par la presse, on trouve l’ancien président démocrate Bill Clinton, le prince Andrew ou encore l’homme d’affaires Leslie Wexner. Après avoir longtemps côtoyé Epstein, «un type génial avec qui on s’amuse bien», disait-il en 2002, le président Donald Trump avait affirmé récemment qu’il «n’était pas un grand fan» du financier.
Agissements et éventuels complices
Les plaignantes se retrouvent privées d’une confrontation au tribunal, qu’elles attendaient depuis plus de quinze ans. Inculpé pour des faits similaires en Floride en 2007, Jeffrey Epstein avait bénéficié l’année suivante d’un accord de plaider coupable très favorable. Le milliardaire avait accepté d’être inscrit au registre des délinquants sexuels, en échange d’une peine réduite et aménagée. Il n’avait passé que treize mois derrière les barreaux, avec l’autorisation exceptionnelle de pouvoir continuer à travailler, et donc de quitter la prison douze heures par jour, six jours par semaine.
«Nous devrons vivre avec les cicatrices de ses actes pour le reste de nos vies, alors que lui ne devra jamais affronter les conséquences des crimes qu’il a commis, la douleur et le traumatisme qu’il a causés à tant de personnes», a regretté dans un communiqué Jennifer Araoz, qui accuse Epstein de l’avoir violée après qu’elle a été recrutée devant son lycée de Manhattan en 2001. Le procureur fédéral de Manhattan a cependant promis samedi soir de poursuivre l’enquête sur ses agissements et ses éventuels complices.
Les conditions de la mort d’Epstein nourrissent, depuis samedi sur les réseaux sociaux, de nombreuses théories du complot et spéculations sur un possible meurtre du financier, détenu dans l’une des prisons réputées les plus sûres des Etats-Unis. «Arrêter la surveillance antisuicide du détenu le plus en vue du pays six jours après une tentative paraît vraiment une décision étrange», a par exemple tweeté le candidat démocrate à l’investiture pour 2020 Andrew Yang. «Comment une telle chose a pu se produire ? Jeffrey Epstein avait des informations sur Bill Clinton et maintenant il est mort», a posté le comique et commentateur conservateur Terrence Williams, pour accompagner une vidéo. Avant d’être retweeté par nul autre que le président des Etats-Unis, Donald Trump.