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mardi 20 août 2019

L’abécédaire d’Annie Ernaux

FacebookTwitterPinterestFacebook MessengerFlipboardPocketEmaiWhatsApp« Je ne pensais qu’à désobéir », confia Annie Ernaux1. C’est peut-être le verbe qui qualifie le mieux la démarche de l’écrivaine : désobéir aux injonctions morales, aux canons romanesques comme aux lois du monde social. Née en Seine-Maritime un jour de l’année 1940, cette fille d’ouvriers, devenus gérants d’un café-épicerie, n’a jamais séparé sa pratique d’écriture — 20 livres, depuis 1974 — de son engagement politique. Annie Ernaux prend la parole, via ses œuvres, les entretiens qu’elle accorde, les pétitions qu’elle signe. Représenter, expliquer, mais aussi transformer : autant de défis qu’elle entend inlassablement relever.
Annie Ernaux


L’abécédaire d’Annie Ernaux


« Je ne pensais qu’à désobéir », confia Annie Ernaux(1). C’est peut-être le verbe qui qualifie le mieux la démarche de l’écrivaine : désobéir aux injonctions morales, aux canons romanesques comme aux lois du monde social. Née en Seine-Maritime un jour de l’année 1940, cette fille d’ouvriers, devenus gérants d’un café-épicerie, n’a jamais séparé sa pratique d’écriture — 20 livres, depuis 1974 — de son engagement politique. Annie Ernaux prend la parole, via ses œuvres, les entretiens qu’elle accorde, les pétitions qu’elle signe. Représenter, expliquer, mais aussi transformer : autant de défis qu’elle entend inlassablement relever.



Amour : « Je voudrais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé. » (La Place, Gallimard, 1983)
Beauvoir : « Il m’est arrivé de comparer l’effet de ma première lecture de Bourdieu à celle du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, quinze ans auparavant : l’irruption d’une prise de conscience sans retour, ici sur la condition des femmes, là sur la structure du monde social. Irruption douloureuse mais suivie d’une joie, d’une force particulières, d’un sentiment de délivrance, de solitude brisée. » (« Bourdieu : le chagrin », Le Monde, 5 février 2002)
Contradiction : « Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d’un mode de vie considéré comme inférieur, et la dénonciation qui l’accompagne. Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi les barrières humiliantes de notre condition (conscience que “ce n’est pas assez bien chez nous”). Je voudrais dire à la fois le bonheur et l’aliénation. Impression, bien plutôt, de tanguer d’un bord à l’autre de cette contradiction. » (La Place, Gallimard, 1983)
Domination : « En feignant de se considérer comme une employée, elle transformait instinctivement la domination culturelle, de ses enfants lisant Le Monde ou écoutant Bach, en une domination économique, imaginaire, de patron à ouvrier : une façon de se révolter. » (Une femme, Gallimard, 1987)
Écriture : « J’ai toujours voulu écrire comme si je devais être absente à la parution du texte. Écrire comme si je devais mourir, qu’il n’y ait plus de juges. Bien que ce soit une illusion, peut-être, de croire que la vérité ne puisse advenir qu’en fonction de la mort. » (L’Occupation, Gallimard, 2002)
Fille : « C’est une autre honte que celle d’être fille d’épiciers-cafetiers. C’est la honte de la fierté d’avoir été un objet de désir. D’avoir considéré comme une conquête de la liberté sa vie à la colonie. […] Honte des rires et du mépris des autres. C’est une honte de fille. » (Mémoire de fille, Gallimard, 2016)
Gentille : « Il me semble que je savais déjà que ce mot-là ne pouvait pas m’être appliqué d’après les qualificatifs que je recevais quotidiennement de la part de mes parents au gré de mes comportements : intrépide, coquette sale, goulue, mademoiselle je sais tout, déplaisante, tu as le diable au corps. […] Gentille, je ne l’étais pas non plus au regard de Dieu, comme me l’avait signifié l’abbé B., lors de ma première confession, à sept ans, quand j’avais avoué de mauvaises actions seule et avec d’autres relevant aujourd’hui d’un éveil normal à la sexualité et qui me vouaient selon lui à l’Enfer. […] Gentille, ça voulait dire aussi affectueuse, câline, amitieuse ainsi qu’on disait en normand pour les enfants et les chiens. […] Soixante ans après, je n’en finis pas de buter sur ce mot. » (L’Autre fille, Nil, 2011)
Histoire : « Ceci n’est pas une biographie, ni un roman naturellement, peut-être quelque chose entre la littérature, la sociologie et l’histoire. Il fallait que ma mère, née dans un milieu dominé, dont elle a voulu sortir, devienne histoire, pour que je me sente moins seule et factice dans le monde dominant des mots et des idées où, selon son désir, je suis passée. » (Une femme, Gallimard, 2002)

Angleterre, 1980, Ella Murtha
Intellectuelle : « Quand j’étais enfant, le luxe, c’était pour moi les manteaux de fourrure, les robes longues et les villas au bord de la mer. Plus tard, j’ai cru que c’était de mener une vie d’intellectuel. Il me semble maintenant que c’est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme. » (Passion simple, Gallimard, 1991)
Jaune : « Il a suffi d’une taxation de trop pour que le sentiment de ne pas compter, de n’être rien, explose. Je vois dans le mouvement des gilets jaunes une insurrection contre un pouvoir qui méprise, un gouvernement qui ignore la vie des gens. J’ai encore le souvenir de mes parents disant : Avant 1936 et le Front populaire, l’ouvrier n’était pas compté. Aujourd’hui, il y a une grande partie de la population, toutes professions confondues, qui éprouve ce sentiment-là. À juste titre. » (« Il n’y a pas de nouveau monde, ça n’existe pas », Libération, 9 décembre 2018)
Kiosque : « Et la télévision, en diffusant une iconographie immuable avec un corpus réduit d’acteurs, instituerait une version ne varietur2 des événements, imposant l’impression que, cette année-là, on avait tous entre dix-huit et vingt-cinq ans et on lançait des pavés aux CRS un mouchoir sur la bouche. Sous la répétition des images prises par les caméras, on refoulerait celles de sa propre histoire de mai, ni notoires — la place de la Gare déserte un dimanche, sans voyageurs et sans journaux au kiosque — ni glorieuses — quand on a eu peur de manquer d’argent (qu’on s’est dépêché de retirer à la banque), d’essence et surtout de nourriture, remplissant à ras bord un chariot à Carrefour, par mémoire transmise de la faim. » (Les Années, Gallimard, 2008)
Libéralisme : « La différence essentielle entre la gauche et la droite, c’est que la première ne prend pas son parti des inégalités des conditions d’existence entre les peuples de la terre, entre les classes, j’y ajouterais entre les hommes et les femmes. Être de gauche, c’est croire que l’État peut quelque chose pour rendre l’individu plus heureux, plus libre, plus éduqué, que ce n’est pas seulement affaire de volonté personnelle. Au fond de la vision de droite, on trouve toujours une acceptation de l’inégalité, de la loi du plus fort et de la sélection naturelle, tout ce qui est à l’œuvre dans le libéralisme économique déferlant dans le monde actuel. Et présenter, comme on le fait partout, le libéralisme comme une fatalité, est une attitude, un discours, foncièrement de droite. En choisissant le libéralisme à partir du milieu des années quatre-vingt, la gauche gouvernementale française s’est droitisée, elle a perdu sa conscience de la réalité du monde social. » (L’Écriture comme un couteau, Stock, 2003)
Mai 68 : « Nous qui n’avions jamais pris réellement notre parti du travail, qui ne voulions pas vraiment les choses que nous achetions, nous nous reconnaissions dans les étudiants à peine plus jeunes que nous balançant des pavés sur les CRS. Ils renvoyaient au pouvoir, à notre place, ses années de censure et de répression, le matage violent des manifestations contre la guerre en Algérie, les ratonnades, La Religieuse interdite et les DS noires des officiels. Ils nous vengeaient de toute la contention de notre adolescence, du silence respectueux dans les amphis, de la honte à recevoir des garçons en cachette dans les chambres de la cité. » (Les Années, Gallimard, 2008)
Nourriture : « Il avait faim. Quelle sensation ça fait de s’étaler la serviette sur les genoux et de voir arriver des nourritures qu’on n’a pas décidées, préparées, touillées, surveillées, des nourritures toutes neuves, dont on n’a pas reniflé toutes les étapes de la métamorphose. Je l’ai oublié. Bien sûr, le restaurant parfois, rare, il faut prendre une baby-sitting, et c’est de l’extraordinaire, des plats avec parfum de fric et je-te-sors-ce-soir-ma-jolie. Pas sa fête à lui, biquotidienne, tranquille, pas besoin de remercier, chic du céleri rémoulade, le bifteck saignant, les pommes de terre sautées fondantes dans le caquelon. Quand je me sers des pommes de terre en face de lui, ça fait une demi-heure que je les respire, les pré-mâche presque, toujours à goûter, la quantité de sel, le degré de cuisson, à couper l’appétit, le vrai, celui qui est désir et salive. Mais, lui, qu’il mange au moins, qu’il paie mes efforts, intraitable déjà, qu’il nettoie les plats, les restes me font horreur, comme une peine perdue, du gâchis d’énergie, et puis traîner dans le frigo un passé de nourriture qu’il faudra regoûter, resservir, maquiller, j’en ai mal au cœur d’avance. » (La Femme gelée, Gallimard, 1981)

Angleterre, août 1974, Homer Sykes
Oser : « Dans le hall d’attente pour la radiothérapie, à la clinique de Pontoise, j’ai longtemps vu traîner un Madame Figaro où figurait sur la couverture une fille aux seins nus sous une robe en voile. Il y avait écrit en gros caractères OSEZ LA TRANSPARENCE ! En France, 11 % des femmes ont été, sont atteintes d’un cancer du sein. Plus de trois millions de femmes. Trois millions de seins couturés, scannérisés, marqués de dessins rouges et bleus, irradiés, reconstruits, cachés sous les chemisiers et les tee-shirts, invisibles. Il faudra bien oser les montrer un jour, en effet. (Écrire sur le mien participe de ce dévoilement.) » (L’Usage de la photo, Gallimard, 2005)
Politique : « L’une des idées les plus répandues en ces années quatre-vingt — et rien n’annonce son extinction, tant elle a force d’évidence pour la majorité des écrivains et du public — est celle-ci : la littérature n’a rien à voir avec la politique. Elle doit s’en préserver comme de la peste pour mériter d’être de la vraie littérature. […] L’esthétisme, avec le livre ne débouchant sur rien de réel, apparaît alors comme une valeur éthique : il serait la liberté, l’indépendance. Rien n’est moins sûr. L’écriture, quoi qu’on fasse, engage, véhiculant, de manière très complexe, au travers de la fiction, une vision consentant plutôt à l’ordre social ou au contraire le dénonçant. » (« Littérature et politique », écrit pendant l’été 1989, Nouvelles nouvelles, n° 15)
Quartiers : « Bien avant que le terme de quartiers ne devienne, dans la bouche de commentateurs politiques et médiatiques, synonymes de zones à la fois pauvres et dangereuses, évoquer un quartier, dans mon enfance, c’était opposer celui-ci au centre-ville, en sous-entendre l’éloignement et, le plus souvent, la faiblesse des revenus de ses habitants. » (Retour à Yvetot, Mauconduit, 2013)
Race : « Quand j’ai commencé de vouloir écrire, à vingt ans, j’espérais, certes, comme on dit faire œuvre d’art […] mais ce n’est pas cela que j’ai noté spontanément, naïvement — c’est-à-dire naturellement — sur une page de cahier. C’est J’écrirai pour venger ma race (la substitution de race à classe n’étant pas un hasard, une étourderie). » (« Littérature et politique », écrit pendant l’été 1989, Nouvelles nouvelles, n° 15)
Supermarché : « Carrefour, Annecy. Début des années 1970. C’était en hiver, le soir, dans le coin des alcools. Des gars, deux ou trois, faisaient face à une fille toute seule. L’un deux ricanait : Je te dis qu’il peut pas être de moi ! et les autres s’esclaffaient. Pas elle, sérieuse et rouge, confrontée à ce gras déni public de paternité. À son drame puisque l’IVG n’existait pas. Ce jour-là, j’avais pensé pour la première fois que ce hangar sans grâce contenait des histoires de vie. Je m’étais demandé pourquoi les supermarchés n’étaient jamais présents dans les romans qui paraissaient, combien de temps il fallait à une réalité nouvelle pour accéder à la dignité littéraire. » (Regarde les lumières mon amour, Seuil, 2004)
Transfuge : « Oui, j’ai dit l’autre jour qu’écrire était ce que je pouvais faire de mieux comme acte politique, eu égard à ma situation de transfuge de classe. Mais je ne voulais pas signifier par là que mes livres remplacent l’engagement, ni même qu’ils sont la forme de mon engagement. » (L’Écriture comme un couteau, Stock, 2003)
Usine : « J’établissais confusément un lien entre ma classe sociale d’origine et ce qui m’arrivait [sa grossesse, ndlr]. Première à faire des études supérieures dans une famille d’ouvriers et de petits commerçants, j’avais échappé à l’usine et au comptoir. Mais ni le bac ni la licence de lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la fille enceinte était, au même titre que l’alcoolique, l’emblème. J’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi, c’était, d’une certaine manière, l’échec social. » (L’Événement, Gallimard, 2000)

Angleterre, Homer Sykes
Violence : « J’importe dans la littérature quelque chose de dur, de lourd, de violent même, lié aux conditions de vie, à la langue du monde qui a été complètement le mien jusqu’à dix-huit ans, un monde ouvrier et paysan. Toujours quelque chose de réel. » (L’Écriture comme un couteau, Stock, 2003)
Wagon : « Dans un tableau de Daumier, Le Wagon de troisième classe, on voit au premier plan deux femmes assises côte à côte sur une banquette. Elles sont habillées de pauvres frusques, l’une, la tête baissée, allaite un enfant, l’autre, les mains jointes sur l’anse d’un panier, a un drôle de sourire grimaçant, un grand regard sombre. Près d’elles, par terre, un garçonnet dort affalé. Au second plan, des têtes de voyageurs pressés les uns contre les autres. Tout exsude la pauvreté et la fatigue, la promiscuité. J’ai vu pour la première fois la reproduction de ce tableau dans un manuel d’histoire, en troisième. Il me dérangeait. Avec mes parents, on voyageait toujours en troisième classe. » (« Mémoire du chemin de fer », La Bataille du rail, 2018)
XXIe siècle : « Si on excepte une catégorie restreinte de la population — habitants du centre de Paris et des grandes villes anciennes —, l’hypermarché est pour tout le monde un espace familier dont la pratique est incorporée à l’existence, mais dont on ne mesure pas l’importance sur notre relation aux autres, notre façon de faire société avec nos contemporains au XXIe siècle. Or, quand on y songe, il n’y a pas d’espace, public ou privé, où évoluent et se côtoient autant d’individus différents : par l’âge, les revenus, la culture, l’origine géographique et ethnique, le look. » (Regarde les lumières mon amour, Seuil, 2014)
Yvetot : « Flaubert, dans sa correspondance, cite souvent Yvetot et s’acharne sur la laideur qu’il lui voit. Il écrit qu’elle est la ville la plus laide du monde, ajoutant tout de même, ce qui relativise, après Constantinople. Dans son Dictionnaire des idées reçues, il s’en moque carrément Voir Yvetot et mourir. Mais dans une lettre à sa maîtresse Louise Colet, il y a aussi cette phrase, qui, très tôt, m’a frappée : Il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et Yvetot vaut Constantinople. » (Retour à Yvetot, Mauconduit, 2013)
Zones : « Je ne bouche pas les trous de la mémoire, je fais avec ce que j’ai, ce qui reste et n’a pas bougé. Entre les scènes, il y a des creux et il faut le dire. L’écriture est un moyen de connaissance, d’élucidation qui dépasse même ce que l’on trouve. Aller dans ces zones était peut-être une façon de me rendre l’écriture intenable. » (Entretien à L’Humanité, 8 avril 2016)

Tous les abécédaires sont confectionnés, par nos soins, sur la base des ouvrages, articles et correspondances des auteur.e.s.Photographie de bannière : Tish Murtha
Photographie en vignette : Olivier Roller | Télérama

BALLAST


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RIMBAUD



lundi 29 avril 2019

Goncourt / Houellebecq plébiscité Pat les critiques

Michel Houellebecq

Goncourt: Houellebecq plébiscité par les critiques


Ils seront décernés à la mi-journée. Le JDD a demandé à huit journalistes: "A qui donneriez-vous 1. le Goncourt et 2. le Renaudot?Sabine Audrerie (La Croix)
1. "Le Goncourt à Maylis de Kerangal pour Naissance d’un pont, roman étonnant des défis humains, individuels et collectifs. Pour la sensualité de son écriture, le flot à la fois très oral et littéraire de son récit, qui emporte lecteur et personnages dans cette histoire un peu folle de la construction d’un pont en Californie."
2. "Le Renaudot à Fabrice Humbert pour L’Origine de la violence, deuxième roman captivant d’un trentenaire doué. Une réflexion originale sur les secrets de famille et sur le mal, dans ses ravages historiques et ses manifestations esthétiques."
Jean-Christophe Buisson (Le Figaro Magazine)
1. "Le Goncourt à Michel Houellebecq pour La Carte et le territoire. L’époque a les Michelet qu’elle mérite. Son tableau de la France contemporaine n’est pas celui d’un génie ni d’un géant du style, mais il est bien plus intelligent, juste et drôle que ceux de ses rivaux, romanciers ou essayistes."
2. "Le Renaudot à Marc-Edouard Nabe pour L’homme qui arrêta d’écrire. Donner le Renaudot à ce livre auto-édité par un écrivain post-situationniste haï par 95% du milieu littéraire aurait deux avantages: récompenser un immense auteur injustement méconnu et méprisé et le faire cesser de rognonner."
Nathalie Crom (Télérama)
1 "Quels que soient les autres ouvrages en lice, je ne vois pas comment ne pas donner le Goncourt à La Carte et le territoire, tant ce roman est maîtrisé, efficace, abouti."
2. "A un très bon roman qui ne figure pas dans la sélection, il y a le choix: Le Siècle des nuages, de Philippe Forest, Que font les Rennes après Noël, d’Olivia Rosenthal, ou un des trois ouvrages d’Antoine Volodine…"
Jérôme Garcin (Le Nouvel Observateur)
1. "Le Goncourt à Michel Houellebecq, non seulement parce qu’il aurait dû l’avoir depuis longtemps, mais aussi parce que c’est son meilleur roman."
2. "Le Renaudot au Réprouvé d’un auteur jeune, brillant et méconnu, Mikaël Hirsch: en 1954, jour de l’attribution du Goncourt aux Mandarins de Simone de Beauvoir, le garçon de course des éditions Gallimard rend visite à Céline dans sa maison de Meudon. C’est d’une troublante justesse."
Olivia de Lamberterie (Elle)
1. "Je donnerai le Goncourt à La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, tout simplement parce que c’est le meilleur livre de la saison. Et puis, il y a quand même ce précédent fâcheux où les jurés lui avaient préféré Paule Constant. Le snober de nouveau, cela ferait un peu comique de répétition, un mauvais comique…"
2. "Je donnerai le Renaudot à Même le silence a une fin, d’Ingrid Betancourt, parce que, dans la rivalité Goncourt-Renaudot, c’est le seul livre qui puisse rivaliser avec Houellebecq, et parce que c’est un jury capable de coups de poker de ce genre. Et puis, si Betancourt reste un personnage mystérieux, elle s’avère une étonnante auteure: c’est un livre captivant qui rend la lecture de bien des romans dérisoire."
Eric Neuhoff (Le Figaro Madame)
1. "Houellebecq, parce que ça commence à bien faire et qu’il s’agit de son meilleur livre. Si les jurés ne lui donnent pas leur prix, ils seront obligés d’aller voir en boucle le film La Possibilité d’une île."
2. "Fruits et Légumes, d’Anthony Palou. Une enfance bretonne, c’est-à-dire française, comme la langue de l’auteur. Les années 1970, la faillite du père, la tristesse de province: pas une once de gras."
Christophe Ono-dit-Biot (Le Point)
1. "A Michel Houellebecq, pas parce qu’il aurait dû l’avoir pour les précédents, mais parce qu’il doit l’avoir pour celui-ci. Parce que c’est un livre total, brassant tous les genres et tous les milieux, inépuisable au regard, grouillant de détails, de force et de douleur comme La Porte de l’enfer, de Rodin. Parce que cet écrivain, qui voit mieux que nous, est aussi un écrivain qui rit de ce rire, salvateur, qui servait de critère à Nietzsche pour classer les philosophes."
2. "A Pourquoi lire? de Charles Dantzig, parce que l’hiver est en train de montrer le bout de son nez et que le livre de Dantzig me tient spirituellement chaud. Parce qu’il est au mauvais livre ce que le vison est à la peau de lapin. Parce qu’il me parle de ce que j’aime le plus au monde: la lecture. Et parce qu’il m’en parle comme personne au monde n’avait jamais réussi à m’en parler."
Raphaëlle Rérolle (Le Monde)
1. "A Michel Houellebecq, parce que La Carte et le territoire est un roman passionnant sur la France contemporaine. Une réflexion désespérée sur la modernité, mais aussi sur l’art et le principe de représentation. Continuellement lu et commenté, en France comme à l’étranger, cet écrivain ne peut plus être, sans ridicule, écarté des grands prix littéraires."
2. (Ne se prononce pas.)
dimanche 07 novembre 2010


Le JDD


jeudi 31 décembre 2015

Nabokov / « Russie, tu es dans mon cœur »

Vladimir Nabokov

« Russie, tu es dans mon cœur »


Par La Voix de la Russie | Le 22 avril 1899 naquit Vladimir Nabokov, l’écrivain le plus extraordinaire de l'émigration russe, l'écrivain le plus européen, mais aussi le plus russe.

22 avril 2014

Il a réussi à devenir un écrivain bilingue : ses livres en anglais sont connus et appréciés autant qu'en russe. « Ma tête parle anglais, mon cœur russe et mon oreille français », disait l'auteur de Lolita. C'est lui qui est parvenu à expliquer au lecteur étranger le sens de la nostalgie russe.
L'écrivain Vladimir Nabokov a vu le jour dans la famille aristocratique du célèbre homme politique russe Vladimir Dmitrievitch Nabokov. Chez eux, on parlait trois langues : russe, anglais et français. Le futur écrivain parlait les trois langues dès son enfance passée à Saint-Pétersbourg, où il a par la suite commencé ses études à l'école Tenichev avant de les poursuivre à Cambridge. Nabokov avait deux occupations favorites : la littérature et l'entomologie, il composait des poèmes et attrapait les papillons. Peu avant la révolution de 1917, il a édité à ses propres frais un recueil de poésie à Saint-Pétersbourg.
La révolution a forcé les Nabokov à fuir en Crimée, puis, en 1919, à s'exiler. En mars 1922, le père de l'écrivain a été tué et l’écrivain a alors commencé à gagner lui-même sa vie en donnant des leçons d'anglais. A la même époque paraissent ses premiers récits dans des journaux et maisons d'éditions organisés à Berlin par les émigrés russes. Peu après, l'écrivain épouse Vera Slonim et achève son premier roman, Machenka. Dans Machenka apparaît le thème inhérent à la plupart de ses romans ultérieurs. C'est le thème de la Russie abandonnée en tant que paradis perdu et incarnation du bonheur de la jeunesse ; le thème du souvenir qui fait face au temps détruisant tout et qui subit une défaite dans cette lutte vaine. Ainsi, Vladimir Nabokov a gagné son premier grand succès grâce à la nostalgie russe, ayant réussi à l'interpréter stylistiquement et en faisant en sorte qu’elle soit comprise par le lecteur étranger. « Personne n'a encore écrit comme ça en russe », affirmaient les critiques russes en exil.
En Europe, il a écrit presque tous ses meilleurs livres publiés sous le pseudonyme de Sirine. Vers 1937, il compose huit romans en russe, son style devient de plus en plus complexe, avec une forme toujours renouvellée. La Défense LoujineLe DonInvitation au supplice, qui n'avaient pas été publiés en Russie soviétique, bénéficiaient d'un grand succès auprès des Russes en exil et sont devenus des chefs d'œuvres de la littérature russe.
A la fin des années 1930, la politique des nazis en Allemagne a mis un terme à la diaspora russe de Berlin. Vivre en Allemagne avec une femme juive devient impossible pour Nabokov et la famille déménage d'abord à Paris, puis, après le début de la Seconde guerre mondiale, aux Etats-Unis. La disparition de la diaspora russe en Europe signifiait pour Nabokov qu'il avait perdu son lectorat russe. Dans ce contexte, l'unique possibilité pour lui était d'écrire en anglais. Depuis 1937, il n'écrit qu'en anglais à deux seules exceptions près : la traduction deLolita en russe et son autobiographie Autres rivages.
En Amérique, Vladimir Nabokov n'abandonne pas ses occupations d'entomologie. Il a apporté une contribution importante à la lépidoptérologie (partie de l'entomologie traitant des lépidoptères), découvrant 20 nouvelles espèces de papillons et publiant 18 articles scientifiques. Sa collection de 4 324 papillons a été offerte au musée zoologique de l'Université de Lausanne.
En outre, l'écrivain a enseigné la littérature russe et mondiale, a publié plusieurs cours de conférences de critique littéraire, a traduit en anglais Eugène Onéguine et Le Dit du prince Igor et s'est passionné sérieusement pour les échecs : il était un joueur assez fort et a publié plusieurs problèmes d'échec intéressants.
1958 a marqué un tournant pour Nabokov : Lolita est paru d'abord en Europe, puis en Amérique. L'histoire d'un homme adulte épris d'une passion pour une fillette de 12 ans était impensable pour son époque, mais c'est ce caractère scandaleux qui a apporté à l'auteur la gloire mondiale et le confort matériel.
Nabokov rentre en Europe et depuis 1960, il habite Montreux où il écrit ses derniers romansFeu pâle et Ada. L'écrivain meurt en 1977. A la fin de sa vie, Vladimir Nabokov a ainsi répondu à la question d'un envoyé de la BBC sur la probabilité de son retour en Russie : « Je ne retournerai jamais pour la simple raison que la Russie dont j'ai besoin est toujours avec moi : la littérature, la langue et ma propre enfance russe ». N



mardi 15 décembre 2015

Chiens et chats, les meilleurs amis des écrivains

Chiens et chats, les meilleurs amis des écrivainsE 


Astrid De Larminat 
 Publié le 06/02/2013 à 17:35

Une idée court que si le chien est le meilleur ami de l'homme, c'est le chat, auréolé de son mystère, qui a la faveur de l'écrivain. «Le chien s'accommode d'un maître qui nourrit des sentiments banals et une morale humanocentriste surévaluée (…), un type bien, constructif, pas morbide pour un sou, civique en diable, très famille, un type normal en somme», écrit Lovecraft qui n'était pas un grand humaniste. «Tandis que le chat, poursuit-il, est fait pour celui qui réalise quelque chose, non par devoir, mais pour le plaisir, le charme, la splendeur.»
La guerre est ouverte entre chiens et chats, futile certes, mais entrons dans le jeu. Michel Houellebecq, est-il besoin de le rappeler, n'a rien du type normal dont parle Lovecraft, et pourtant il disait de son chien: «Clément a partagé ma vie. Parfois, il restait enfermé derrière une porte pendant des heures sans appeler. Un humain ne ferait jamais ça, il crierait. Je trouve ça très émouvant, cette façon d'attendre, cette confiance. Le chien dépose sa vie entre vos mains.»

Bébert, le chat de Céline

François Nourissier, dans Lettre à mon chien, décidant de passer outre le ridicule d'être un homme qui aime son teckel, explique: «Un chien peut être fou, abruti, pathétique - il n'est jamais sérieux. Il n'est jamais important. J'en ai ma claque des humains empesés de gravité.» Certes, comme le dit joliment Frédéric Vitoux, auteur du Dictionnaire amoureux des chats et d'un livre sur le chat de Céline, Bébert, «le chat, imprévisible, silencieux, avec ce que son regard laisse pressentir de sagesse, est le sparring partner idéal de l'écrivain». Pourtant le chien n'est pas sans profondeur: «Je reste en arrêt sous ton regard. Je voudrais l'interpréter, écrit encore Nourissier s'adressant à son chien. Je ne puis m'empêcher de respecter en toi cet accord secret que tu exprimes, la communication que sans doute tu établis avec les couches secrètes de la vie.»
Frédéric Vitoux rappelle ce mot d'esprit d'Ira Lewis, dramaturge américain: «Le chien pense: ils me nourrissent, ils me protègent, ils m'aiment, ils doivent être des dieux. Le chat pense: ils me nourrissent, ils me protègent, ils m'aiment, je dois être un dieu.» Le chien, modèle du croyant, le chat, emblème du divin? Le célèbre passage de L'Animalque donc je suis de Jacques Derrida tendrait à le confirmer. Le philosophe se demande pourquoi il est gêné lorsque son chat le voit nu. Il réfléchit sur «l'expérience originale de cette malséance qu'il y aurait à paraître nu en vérité, devant le regard insistant de l'animal (…), un regard de voyant, de visionnaire ou d'aveugle extralucide. Honte de quoi et nu devant qui?». Le chat serait-il l'œil de Dieu, ce Dieu devant qui le premier homme cacha sa nudité après lui avoir désobéi?
Roger Grenier dans un ouvrage inspiré par son braque prénommé Ulysse en hommage au chien du héros de l'Odysséequi seul reconnut le roi d'Ithaque lorsqu'il rentra chez lui sous les traits d'un mendiant, passe en revue ce que les grands hommes ont écrit sur les chiens.
Maeterlinck remarquait que le chien est le seul des animaux qui «ait fait alliance avec nous»: «Il sait à quoi dévouer le meilleur de soi. Il sait à qui se donner au-dessus de lui-même.» Levinas se rappelait qu'en Allemagne pendant la guerre, le groupe de prisonniers juifs dont il faisait partie voyait dans le regard des gardiens qu'il n'appartenait plus à l'espèce humaine. Un jour, un chien errant se joignit à eux: «Pour lui - c'était incontestable - nous fûmes des hommes.»

Des créatures de Dieu

L'épitaphe rédigée par Lord Byron pour son chien célèbre «un être qui possède la beauté sans la vanité, la force sans l'insolence, le courage sans la férocité et toutes les vertus de l'homme sans ses vices». Napoléon raconte dans le Mémorial de Sainte- Hélène qu'il avait vu en Italie un chien gémir et lécher le visage du cadavre de son maître: «Jamais rien, sur aucun de mes champs de bataille, ne m'a causé pareille impression.»Les animaux auraient-ils le don d'attendrir les cœurs endurcis?
Les animaux ont quelque chose de religieux. «Créatures de Dieu, frères et sœurs de l'homme, signifiants de la sagesse divine», comme disait Claudel, ils relient l'homme à plus grand que lui.
Dans son roman Flush, écrit du point de vue d'un chien, Virginia Woolf suggère que l'animal voit de façon poétique. «Il est intéressant de s'entraîner à avoir le regard d'un chien attaché à la sortie d'un supermarché, à éprouver ce qu'il ressent en voyant les humains s'agiter, ajoute Houellebecq. Les animaux ne comprennent pas tout. Pour écrire, il faut être comme ça, dans un état de semi-compréhension, un peu séparé.» L'écrivain serait-il l'homme le plus proche de l'animal?