L'histoire est un boomerang. Tout le monde croyait l'Europe vaccinée contre le nazisme et le voilà qui revient au galop.
L'affaire des "Frères des Forêts", surgie le 12 juillet dernier des protestations russes contre une "propagande" de l'Ouest, en dit long sur la question. L'OTAN met en ligne une courte vidéo de huit minutes, où les Frères des Forêts sont présentés comme d'héroïques résistants à l'occupant soviétique.
La Russie et le PCF contredisent la chose en présentant les héros en question comme des membres de la Waffen SS en déroute, planqués dans les forêts baltes après l'écroulement de l'Allemagne.
Si l'histoire était aussi binaire, tout serait clair et pur comme du cristal. En réalité, les "héroïques résistants" étaient un ramassis de gars hétéroclites: vrais patriotes, nazis en déroute, juifs rescapés de l'horreur nazie et ne sachant pas trop quelle direction prendre à part celle de la forêt, paysans sans terre et bien d'autres.
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Le
dernier Frère de la Forêt, August Sabbe (âgé de 69 ans), sera découvert par les
agents du KGB en 1978. Pour éviter d’être capturé, il saute dans une rivière et
se noie. |
La version Waffen SS, c'est celle des sites russes. Un peu simpliste, pas totalement faux et néanmoins révélateur. Car les nationalismes tendance croix gammée gagnent du terrain sans trop se gêner dans notre belle Europe tolérante. A croire que seuls les Allemands auraient le privilège de la culpabilité: les jeunes générations sont invitées à tous propos à se couvrir la tête de cendres pour les crimes commis par leurs arrières-grands-parents. A Freiburg il y a dix ans, au milieu d'un grand carrefour, j'ai vu des panneaux de direction qui indiquaient, entre-autres, les kilométrages pour divers camps de concentration. Prière de ne pas oublier. Vlan! Un coup de culpabilité en pleine face!
S'il ne viendrait à personne l'idée de diminuer la responsabilité allemande dans la guerre de 39-45, il serait juste aussi de ne pas oublier le rôle de quelques autres dont les remontées nationalistes sentent mauvais.
Les pays baltes, justement, sont intéressants et si quelques gars de la Waffen SS hantaient probablement les forêts après la guerre, ce n'est pas le plus grave. En Lettonie, des manifs encadrées par la police le plus officiellement du monde rendent hommage aux vétérans nazis qui, pendant la dernière guerre, ont lutté contre les Soviétiques. La haine du Russe est telle qu'elle semble tout laver, même les pogroms et les atrocités commises à l'époque par les joyeux vétérans présentés aujourd'hui comme des héros.
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16 mars 2017. Commémoration de la Légion SS de Lituanie à Riga. |
La presse française évacuent prudemment le sujet, sauf
le Figaro qui glisse une allusion timide, l'
Huma (dont l'article est excellent) et
Médiapart. L'antisoviétisme est promu là-bas comme une valeur indiscutable sous peine de sanctions et quiconque ne parle pas le letton est considéré comme un non-citoyen: il n'a pas d'existence légale et ne vote pas. Alors d'accord, on ne rigolait pas du temps de Soviets, mais de là à légitimer les nazis...
On en est grosso modo au même point en
Lituanie et en
Estonie: glorification d'ex-nazis, interdiction de toute contestation, peines d'emprisonnement jusqu'à cinq ans) contre quiconque remettrait en cause la version officielle de l'état dans sa vision de l'holocauste (génocide nazi= génocide soviétique. Zéro nuance).
La Lettonie et l'Estonie font partie de l'UE et de l'OTAN. Ce sont des pays respectables.
La Lituanie contribue avec succès aux missions de l'OTAN. C'est aussi un pays respectable.
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Lituanie: insigne nationaliste en usage pendant les commémorations de 2016. Source: Defending History |
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Maintenant, parlons un peu de la Croatie.
Le coeur politique du pays pendant la dernière guerre balançait côté nazi et on ne faisait pas dans la dentelle. Il existait là-bas un camp d'extermination tenu par les Croates eux-mêmes: Jasenovac. On y trucidait avant tout du Serbe, mais aussi du Juif, du Tzigane et du résistant. L'arme blanche était préférée aux chambres à gaz, telle le charmant sbrosjek ou "coupe-serbe":
Bon, ça, vous me direz, c'est de l'histoire ancienne. C'est vrai. Les Croates d'aujourd'hui ne sont pour rien. C'est vrai aussi. Mais comme les Baltes, ils ont subi le joug socialiste en la personne du petit père Tito, qui était certes plus sympa que Staline, mais tout de même. Donc Tito disparu et la guerre d'ex-Yougoslavie par là-dessus, les vieilles rancoeurs mal cuites ont ressurgi et les Croates sont retombés dans de fâcheux excès que notre chère UE ne veut surtout pas voir. La période titiste, puis la guerre leur confère le statut de victimes et tout est permis. Même de redevenir nazis.
Les mémoires d'Ante Pavelic, créateur du camp de concentration précité, promulgateur des lois anti-juives et chef des
oustachis de triste mémoire, sont publiées le plus officiellement de monde dans les vitrines des librairies, aux côtés de Mein Kampf et une messe est dite à sa mémoire chaque année. L'
opération tempête, vaste nettoyage ethnique de la région de la Krajlina, d'où les 250 000 Serbes furent chassés et tués en nombre, fut commanditée par un homme: Franjo Tudjman, ex président de la république de Croatie et négationniste virulent. Son bras armé admirateur des oustachis,
Ante Gotovina, considéré comme un héros par las Croates, après une première condamnation en 2011 pour crimes de guerre, a été finalement acquitté en appel en 2012 par le tribunal de la Haye. Le juge italien Fausto Pocar commente: "Le jugement de la Cour d'appel contredit tout sens de justice".
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Commémoration du 20ème anniversaire de l'opération "Tempête"à Zagreb, en août 2015 |
Et que faut-il penser de l'annulation, le 22 juillet 2016, du jugement condamnant le
cardinal Stepinac pour sa collaboration avec les nazis? Jean-Paul II avait même envisagé sa canonisation!! La haine du Russe mène décidément très loin.
Dans la rue, à l'occasion des festivals ou des matches de football, la foule se laisse aller sans honte à scander:"Prêts pour la patrie!" cri de ralliement des oustachis. Lors du Mondial de football 2014, on entendit avec horreur les supporters croates hurler "
Tue, tue le Serbe!"
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La Croatie s'est imposée face à la Serbie 2 à 0 lors du premier match
entre les deux anciens ennemis depuis la guerre d'indépendance croate
(1991-95), vendredi sur fonds de chants des supporteurs croates clamant
"tue le Serbe" — Dimitar Dilkoff AFP |
Ces excès sont encouragés par le pouvoir en place. La présidente Madame Grabar-Kitarovic laisse faire et le ministre de la culture, Monsieur Hasanbegovic considère que l’héritage de l’antifascisme n'est pas à prendre en compte. A l'appui de sa réflexion: celui-ci serait
un «concept vide de sens», avancé par les «dictatures bolchéviques». Les politiques d’extermination des
Serbes, des Roms et des Juifs mises en place par le régime oustachi sont révisées à la sauce de ce monsieur.
Bien entendu, le sentiment anti-serbe grandit et saute aux yeux de quiconque les ouvre un peu.
Même les Italiens commencent à être mal vus.
Mais la Croatie fait partie de l'UE et de l'OTAN. C'est un pays respectable.
Il est de bon ton de s'émouvoir de la politique de fermeture des frontières aux migrants de la Hongrie ou d'autres pays d'Europe de l'est. J'ai entendu des commentaires fort condescendants à ce sujet sur France Inter le soir des attentats au Bataclan: ils étaient jugés "immatures". Mais qui dénonce le retour sans masque d'un nazisme affiché au sein même de l'UE? L'UE ferait bien de relire un peu l'histoire de l'Europe. Avant la venue au pouvoir d'Hitler, personne n'a voulu comprendre ni osé intervenir pour le stopper dans son élan. On sait où ça nous a menés.