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dimanche 20 octobre 2019

Les enfants d'Isadora Duncan : un film, des gestes dansés continués

Les Enfants d’Isadora est un film de Damien Manivel.

Ce film met en scène une recherche chorégraphique à partir des notations d’Isadora Duncan pour une courte variation chorégraphique sur une étude pour piano du très jeune Scriabine : La Mère, pièce composée après la mort tragique de ses deux enfants dans un accident automobile en 1913.
Comment vivre une œuvre, dont la brièveté fait toute la force mais dont on n’a qu’un « texte » avec une partition écrite en notation Laban, autrement qu’en organisant des passages d’expériences. Plus qu’à l’énoncé, la partition ou le rappel biographique, ce film tient à l’énonciation, le mouvement dansé d’une femme éprouvée. Plus qu’à la reconstitution historique ou/et artistique (au biopic !), ce film tient à la réénonciation située et plurielle.

Le film organise un rythme de reprises : il le fait simplement comme si les expériences se continuaient d’Isadora Duncan en 1921 à aujourd'hui avec Elsa Wolliaston – la troisième partie du film – en passant par Agathe Bonitzer – la première partie – puis Manon Carpentier, accompagnée par Marika Rizzi – la deuxième partie. Ces passages de gestes s’effectuent comme reprise d’expérience dansée au plus près de chaque situation-vie. 
Cela veut dire que le personnage principal du film, c’est cette danse initiée par Isadora, par sa douleur de mère et certainement par tout ce qui dans sa danse a précédé. Le personnage c’est ce poème dansé. Il mène la danse de corps en corps jusqu’à nous. Du corps gracile et lent, plutôt physiquement conforme à ce qu'on attend d'une danseuse contemporaine, de l’actrice Agathe Bonitzer à celui de la grande chorégraphe, au corps vieillissant et obèse, Elsa Wolliaston, en passant par le corps gauche et tellement touchant de Manon Carpentier, trisomique. Le film montre comment la danse passe par ces corps et par tous les mouvements de la vie – pas seulement ceux consacrés à la danse, y compris ceux de manger, marcher, se changer, se regarder, etc. 

Le film montre comment la danse met dans ses gestes jusqu’à la lumière de l’automne, de la mer, jusqu’aux regards des actrices et des spectateurs quand a lieu une soirée où danse Manon Carpentier qu’on ne voit pas et dont on a vu toute la préparation. Jusqu’à ce passage de geste où la douleur devient affection : déplacement qui ne se mesure à aucune performance mais à une relation éthique. Que la main d’Elsa Wolliaston inachève merveilleusement. 
Ce film fait une rime prolongée, de gestes, où la danse d’Isadora Duncan ne cesse de relancer des mouvements de vie même infimes, toujours touchants, ceux de ses enfants, dans ses gestes, vivants. 

Un entretien avec Damien Manivel : http://www.gncr.fr/films-soutenus/les-enfants-d-isadora
On peut lire :





mercredi 19 février 2014

ne vois-tu rien venir (avec Vivianne Perelmuter)


1.
tu entends intérieur extérieur et jour nuit et ici là-bas
je confonds tout dans un espace de rêves plus ces repères
comme tu m'attires sans savoir qui tu
es passage de voix elle parle dans mon film de tête
et là sur le bitume sa bande son file en dépassant
la ligne des phares et feux tout clignote
ou se recouvre en glissant vite lentement
tu entends c'est l'impossible de la bonne
distance indiscipinaire sans adresse et plus personne

sauf perdre le temps d'un café une cigarette
ne s'éteint jamais comme la petite lumière
au fond des bois ce carrefour des possibles
où tu croises toutes tes voix à la fois comme
en trop avec des légendes justes pour la nuit
des temps quand le monde s'use en routes
nocturnes une bienveillance des yeux
ils se ferment devant tant d'approches et touchent
l'attente

2.
si le poème marche dans sa chevelure il y a
des éclairs qui ressemblent à des idées tout à fait
un incendie la nuit les faits parlent eux-mêmes
et dans ce refus de tout commentaire la ville
ouverte dans ses fermetures qui bégaient sur
les murs tu lis ce qui n'a jamais été écrit et je
joues avec tes pertes de repères oui ça préfère
tous les points de vue sur la carte des vies en exil
intérieur allongé sous une lune combien cette nuit

là tu es toute démaquillée la ville inconsciente
tire nos langues dans la bouche d'un chiffonnier
de combien d'images déchirées au vent nous
rirons en Laponie les fabuleux voyages
sans un sous ni un trou pour les mannequins
de l'oubli au centre même de ma recherche
tu viens et on échange l'air d'une cigarette
l'autre aussitôt rallume l'aura la flamme des pas
de presque rien

3.
plus tu approches cette ville plus elle me regarde
de loin et multiplie les noms comme des appels
tu perds toutes les assignations pour des citations
elles tournent et forent la nuit d'explosantes un café
ou ta parole sous l'oreille d'un lit volant et cette voix
qui nous porte où sur le tapis roulant des saints
tunnels des saints feux rouges des saints écrans
je t'écris à la croisée des nuits défaites juste avant
les murs durs de l'aurore dans nos décombres

pour voir quelle apparition de corps vifs
dans l'air d'un racontage pour dire encore
la culture plus jamais dans sa barbarie je t'entre
choque sans aucune manière ni carnaval
tu as laissé à la maison le bonnet du docteur
de sociologie et les brèves ombres courent
jouer une partie combien d'autres de montage
ivre sans se prendre la tête pour voir surgir
l'aujourd'hui

4.
pas de ville sans se bobiner autour d'une femme
d'un nom de femme au moins ce fil rouge d'une main
à l'autre avec un recueil de matériaux les sols
les murs les ciels les graphes et les automobiles
pour augmenter mon asthme qui rentre dans ta vue
au souffle court d'une longue camarilla de rires
entre l'intériorité du souvenir et vieillir involontaire
dans les extérieurs nuits du rêve comme point
de passage et position contre tous les partis pris

dans une phrase proustienne son étrangèreté
dans les voix mêlées en une seule voix de bonne
heure beaucoup plus proche de l'oubli que
de ce que tu oses appeler mes souvenirs j'efface
l'inconstructible synthèse de ma théologie
prosaïque et de mon érudition satirique et trouée
par tous tes pessimismes sans communauté alors
ma dent creuse ébranle les poètes individualistes
sans gestes lyriques

5.
si s'accoupler à la nuit dans les rues avec la lumière
qui rase les entrées d'immeubles ou dans un café
la cordialité est enfin capable d'afficher le poète
travaille à la porte et si les signaux qui parlent
en profondeur ne remplacent rien d'autre alors
la distanciation est un rapprochement au coeur
de nos nuits d'amour et nos affinités électives
collectionnent les résolutions érotiques tout contre
ta métamorphose au plus près d'une peau vive

et plus on regarde le trottoir de près plus il vous
regarde de loin c'est comme l'amie chez qui tu
sonnes avant que l'aurore infernale du confort
bourgeois n'entre par la fenêtre j'ai juste le temps
des sentiments amoureux simultanément sans
argent ma carte bancaire s'échange dans l'oubli
des heures et j'apprends avec toi pour être fumées
les cigarettes s'abandonnent dans l'air j'inspire si
tu expires un trait de lumière

6.
la lune dort sur ses fesses à distance de clignotements
dans les beautés cachées des tours et détours quête
amoureuse sans savoir comme un athéisme du plan
où s'assimilent les points de vue qui bougent et des passés
devenus espaces tous ces passages du paysan de Paris
perdu en se cramponnant aux barres du métro un
reflet trouve dans les yeux toutes les migrations
de tes rêves et les clés de la ville en tête pour une
politisation de l'amour en me déshabituant de lire

je t'écris comme une lettre d'air nocturne ou plein
soleil avec cet empoisonnement intérieur qui étourdit
tous ces corps inassimilables à l'époque pour aller
vers l'inaccompli d'une traversée comme si les contes
rendaient invincibles cette femme qui marche
dans les creux du film un corps urbain la passante
met le feu aux poudres pour court-circuiter tout
scénario sans intensité où l'air se consume entièrement
en mouvement de pensée


(suite à venir)

Le Vertige des possibles

un film de Vivianne Perelmuter - Belgique, France - int : Christine Dory, François Barat, Vincent Dieutre... - 1h48
Anne est payée pour écrire des histoires mais elle n’y arrive plus. Pas du tout l’angoisse de la page blanche, tout le contraire. Et dans la vie c’est pareil : Anne n’arrive pas à choisir. Mais ce jour-là,et toute une nuit, entraînée bien malgré elle dans une errance à travers la ville, elle devra bien apprendre à s’orienter dans ce labyrinthe. Avant que le jour ne se lève, elle devra agir.


lundi 6 avril 2009

Nulle part Terre promise


Pendant que les « grands » passent les frontières sur des tapis rouges, s’embrassent comme des frères du même clan, de la même tribu avec l’aplomb qui sied à ceux qui maîtrisent la vie et la mort, le sourire et le mensonge…pendant que les TV et autres médias les couvrent de leurs images en toc, de leurs reportages au plus près des symboles qui sonnent monnaie et qui touchent les sens amollis… pendant que les grands et ceux qui les grandissent occupent les ondes en violant la vue et l’écoute de millions d’humains, un cinéaste montre dans de rares salles un travail qui a demandé à la fois le refus et le pas de côté, l’oubli et la mémoire du présent. Emmanuel Finkiel avec Nulle part, terre promise, invente une autre Europe, un autre regard, une écoute au plus près des vies. Il y a du Cendrars dans cette caméra qui suit les mouvements précis de trois errances multipliant des rencontres fulgurantes ou des lenteurs d’approche et alors n’importe quelle image, cadrage, coup d’œil, traversée de vitre, pluie, ombre, lune ou encore lumières clignotantes dans l’objectif d’une caméra, d’une fenêtre, d’un regard, nous rend à la vie, la vie de milliers d’êtres toujours singuliers non seulement par la solitude mais aussi par la relation qu’alors une telle image engage. Nous ne sommes pas seulement témoins, nous sommes interlocuteurs : nous devenons progressivement la main qui accompagne ce père et son enfant du Kurdistan à Calais, l’objectif qui fait voir à l’étudiante énamourée les pauvres des rues de Budapest, les lunettes du jeune cadre responsable de délocaliser les machines de France en Hongrie. Et nous devenons une écoute de toutes ces langues qui s’emmêlent jusqu’à faire entendre Charlie Chaplin chanter l’arc-en-ciel que l’on ne voit qu’en levant les yeux. Oui, avec Finkiel, j’ai vraiment l’impression de lever les yeux par-dessus le mur de la TV, de la réalité qu’on nous met au rose, au gris, c’est selon les besoins des assignations du jour. Oui, avec Finkiel, du détail à l’ensemble, chaque vue est un point de vue qui se dispense d'une morale mais qui invente un regard chaque fois, presque chaque seconde, un regard attentif, une attention à ce qu’on voit pour que ce qu’on voit nous grandisse et ne passe pas sans que du sujet n'advienne. Et la terre promise c’est tout ce qui met le regard dans la relation : un immense film où l'amour aujourd’hui dans des formes de vie multiples et le/la politique aujourd’hui dans des formes de vie également multiples, font l’interaction la plus forte, le poème du regard qui n’est ni compassionnel ni donneur de leçons… mais simplement vif, vivant, presque jubilatoire jusqu’aux larmes, jusqu’au regard éperdu d’un enfant kurde devant le ferry quand son avenir est d’abord son présent, au présent de ce regard, de ce plan qui lui fait toute sa place, toute notre attention. Ce regard, qui est aussi une distance proche, une proximité tenue dans la retenue, n’est-il pas le nôtre ? Finkiel nous l’a offert pour que nous en répondions chaque fois que nous (nous) regardons. 

Nulle part terre promise (France, 2008). Durée : 1h35. Réalisation et scénario : Emmanuel Finkiel. Montage : Anne Wiel et Saskia Berthod. Image : Hans Meier et Nicolas Guicheteau. Etalonnage numérique : Isabelle Laclau. Mixage : Emmanuel Croset. Costumes et décors : Virginie Noël. Productrices : Laetitia Gonzales et Yaël Fogiel. Interprétation : Elsa Amiel (l’étudiante), Nicolas Wanczycki (le cadre), Haci Aslan (le père), Haci Yusuf Aslan (l’enfant).

mercredi 21 janvier 2009

"L'Apprenti" de Samuel Collardey: un cinéma-relation


Filmer la relation c'est penser la relation et donc se situer, devenir avec ce qui vient dans et par la relation mais cela demande de changer les habitudes, de laisser l'intempestivité de la relation inventer ses formes de vie et de langage, son cinéma. C'est ce que fait Samuel Collardey avec ce film. Rien à voir avec Cantet et Bégaudeau (voir http://martinritman.blogspot.com/2008/09/une-soire-entre-les-murs.html).
Un seul exemple pour montrer l'enjeu : la "leçon" d'anglais à deux où le comique ne passe jamais par la moquerie ou la condescendance avec ceux qui ne "savent" pas l'anglais... C'est tout au contraire une leçon de langage avec le rire de la relation dans les mots qu'on se fait ensemble. Il faudrait mentionner l'écoute au plus juste que fait un tel cinéma : ni documentaire ethnologique comme on en connaît trop qui font de "l'autre" (avec beaucoup de majuscules pour ajouter à l'autruisme) en veux-tu en voilà, ni fiction au plus près du "Réel" comme on en voit qui s'y croient avec une vérité du monde au bout de leur caméra soumise aux philosophes ou aux idées qu'ils ont avant de voir ! Non ! Collardey  cherche une temporalité, une gestualité de l'attention dans sa prise de vue, dans son montage, dans tous ses moyens cinématographiques, au plus près des histoires d'écoute : celles que l'apprentissage oblige à construire, celles que l'adolescence défriche dans la douleur et l'allégresse, celles que les malheurs de la vie obligent à construire sous peine de perdre la vie, celles que la condition de ceux qui "cultivent" et non "exploitent" leur pays fait aux hommes qui peinent, à ceux qu'un ethnologue appelait "les gens de peu" et que le cinéma met vite dans le "popu" ou dans le "sauvage primitif" quand ici on touche au trésor de l'humanité vive dans son infinie pluralité et l'universalité d'une "condition humaine". Bref, celles que le cinéma sait inventer quand il oublie son savoir bien faire, ses intentions et ses maîtrises. Collardey a fait, avec L'apprenti, un poème de Matthieu Bulle et de Paul Barbier, les deux acteurs non-professionnels qui font le couple apprenti-maître de stage, avec leurs proches - je pense d'abord à la mère de Mathieu, leurs pays(ages) et leurs conditions, leurs histoires. Un poème parce qu'il nous change la relation chaque jour, chaque regard, chaque parole :
- cet accent du Jura c'est d'abord la volubilité d'être, la jouissance partagée d'un plaisir de vivre langage et non la note régionaliste d'un qui passe et n'y remettra plus les pieds: sortant de ce film, nous écoutons chacun chacune mon ton accent...
- cette voix de Mathieu qui ne se fixe pas puisqu'elle mue et surtout qu'elle est une aventure de chaque instant. 
Et je n'oublie pas que ce film est un film à voir pour changer la didactique avec la poétique puisque nous sommes tous des "apprentis" de la vie...