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lundi 13 avril 2009

Henri Meschonnic traducteur du Livre de Jonas : une relation de voix

Le texte qui suit est à paraître dans la revue Graphè (Université d'Artois).
Il a été prononcé à Arras le 3 avril.

 

Nous nous moquons des histoires de la Bible, mais nous avalons sans sourciller les invraisemblables calembredaines que la science nous propose tous les jours. Nous rions de la baleine qui avale Jonas, mais nous trouvons tout naturel que Jonas avale la baleine. C’est le menu imposé à nos pauvres écoliers.

Paul Claudel, Le Poète et la Bible, I, Gallimard, 1998, p. 350.

 

Une traduction à part ?

La situation de Henri Meschonnic, traducteur de la Bible, n’a pas changé depuis au moins 1979, je veux dire depuis que Jean-Claude Margot publiant sa thèse, Traduire sans trahir[1] écrivait que « parmi tous les noms que nous sommes amené à citer dans ce rapide tour d’horizon, celui d’Henri Meschonnic doit être mis à part » (p. 22 – soulignement de l’auteur). Oui, sa situation est d’être « mis à part » avec toujours le même argument[2], celui du public concerné restreint à cet ensemble infime « des gens ayant quelque connaissance de l’hébreu pour ne pas dire des formes nouvelles de la poésie française (dont on sait qu’elles n’intéressent qu’une petite minorité de lecteurs) » (p. 23). Le « pour qui traduisez-vous ? » devient alors pour Margot le meilleur moyen d’éviter le « comment traduisez-vous ? ». Aussi sa conclusion est-elle imparable : « A ce point de vue, l’objectif visé par Meschonnic et par les spécialistes des Sociétés bibliques est bien différent » (p. 23[3]). Je remarque, en passant, l’allusion masquée maintes fois réitérée, qui oppose traduction solitaire et traduction collégiale ainsi que le répète Frédéric Boyer dans son introduction à la Bible dite des écrivains[4] usant du leitmotiv de la « diversité de voix nécessaire, (…), à la transmission et à la compréhension de ce qu’est la Bible dans notre culture » (p. 24). Le même conclut sur « une nouvelle réception dans notre culture » (p. 25), c’est-à-dire un peu comme Georges Mounin préfaçant Margot, qui percevait « une ecclesia de la recherche, un immense laboratoire avec son caractère organisé, collectif, communautaire, non concurrentiel, qui pourrait faire rêver beaucoup d’équipes de recherche scientifique dans beaucoup d’autres domaines[5] », oubliant un peu vite, ainsi que Boyer, non seulement la réalité plus que commerciale et idéologique mais également tout simplement l’opération effaçante d’une telle homogénéisation qui de la « langue sainte » ou « langue sacrée » se reporte sur l’idôlatrie de la langue (« lalangue » ?) en éliminant par là-même l’hébreu biblique comme écriture, comme discours au sens de Benveniste.Un tel point de vue a pour conséquences ce que pointe Meschonnic : « Aucune concordance interne. Disparition de la valeur allusive [6] ». Jouer la diversité oblige à la disparité et efface ce que Meschonnic caractérise comme « une pluralité qui est une unité, d’oralité et de rythme » (p. 110-111)[7]. Une telle diversité l’efface d’autant plus avec « l’alibi du pour tous » (p. 254) qui couvre alors un « mépris profond »  (p. 127) et une « démagogie convertisseuse » (p. 128) [8]. Car, voilà en fait peut-être la raison toujours masquée de cette « mise à part » : le refus par Meschonnic du théologico-politique dans la continuité de la pensée Spinoza[9].

 

Genèse de (la traduction de) Jona

Henri Meschonnic apprend l’hébreu pendant la guerre d’Algérie et il est très vite porté par une découverte majeure : l’inattention générale à la rythmique du texte hébreu et principalement à ses 18 accents disjonctifs et 9 accents conjonctifs. Un immense chantier est alors ouvert qui résonne avec les poèmes, les essais dans le domaine du langage et bien sûr du rythme avec toute une pensée en chaîne qui, il faut le redire, s’appuie fermement sur le travail de traduction non de la Bible mais des livres qui font la Bible hébraïque[10]. Jona vient après Les Cinq Rouleaux (Le Chant des chants, Ruth, Comme ou les lamentations, Paroles du Sage et Esther) publiés en 1970. Il précède les Psaumes (Gloires) et les Cinq Livres de la Torah dont les quatre premiers sont publiés à ce jour[11].

La traduction du livre de Jona est engagée parallèlement à un cours donné au centre Rachi en janvier-février 1979[12] ; elle a été achevée vers la fin de 1980 (le manuscrit donne la date d’achèvement de la traduction manuscrite : 27 novembre 1980) et c’est fin septembre 1981 que les épreuves de l’édition Gallimard sont corrigées. Il est à noter qu’un projet de prépublication a été envisagé dans la revue Esprit à l’initiative de Jean-Claude Eslin[13] dans le cadre d’un projet de numéro sur « la Bible dans la culture française » et un projet d’article comportant des commentaires de la traduction pour la revue Langue française[14]. Aussi faut-il tout de suite signaler ce que livre une note manuscrite non datée très significative quant à tout ce qu’engage une telle traduction :

Quelques remarques sur la traduction de Jona se sont amplifiées pour en laisser mettre à découvert l’enjeu. C’est pourquoi Jona mène conduit à cette tentative de parabole où s’approche et s’éloigne l’inévitable identification : je suis Jona, comme je suis l’autre. Je ne réponds pas. Je suis la non-réponse. Je (me) prolonge (dans) l’inconnu. (doc. IMEC)

C’est que Henri Meschonnic a effectivement non seulement rédigé quelques notes d’accompagnement à sa traduction mais décidé d’accompagner sa traduction d’une réflexion sur « Les enjeux de Jona » ainsi qu’affiche la bande rouge des éditions Gallimard sur la couverture à la sortie du livre[15]. Et la traduction se voit donc adjoindre des remarques sur la traduction, « Traduire la Bible, de Jonas à Jona » (JS, 29-76), puis un texte, « Le signifiant errant » (JS, 77-134), précédemment titré « Le Juif parabole » puis « Le Juif signifiant », texte rédigé fin décembre 1980 et achevé le 27 janvier 1981, revu le 24 mars 1981, et dédicacé à Jérôme Lindon (JS, 77)[16].

Mais d’emblée, je peux dire que ce qui caractérise ces accompagnements de la traduction, c’est non seulement une pensée de la traduction mais une pensée du langage et du rythme jusqu’à une pensée de la société, du politique et de l’éthique. Ce que telle formule vient comme resserrer en une seule visée : « C’est donc dans l’activité des signifiants que je verrais le rôle nouveau que la Bible, et son traduire, peuvent jouer, aujourd’hui » (JS, 86). Car, pour Meschonnic il n’y a pas à prétendre à une traduction meilleure que les autres mais à toujours poser que « à chaque mode de signifier son traduire » (JS, 76) : ainsi ce qu’on lit c’est non seulement une traduction mais un mode de signifier, un mode de se situer que Jona, le prophète et son histoire viendraient comme exemplifier. Jona est en effet, pour Meschonnic, la fable de ce que son grand œuvre, Critique du rythme, Anthropologie historique du langage[17], engage : « sans héros, sans gigantisme » (JS, 134), une épopée où « l’histoire qu’il contient se retrouve indéfiniment devant lui » (Ibid.). C’est qu’en effet l’enjeu de ses traductions comme de son œuvre poétique et théorique, les unes avec et par les autres, c’est très précisément « la postulation d’une anthropologie du rythme et du langage qu’occulte jusqu’ici la tradition grecque-chrétienne » (JS, 86) ou plus précisément, pour ce qui concerne la Bible, « le texte-vérité a masqué le texte-poème » (CR, 472). Car tout commence, recommence, devrions-nous dire, avec ce principe inaugural aux traductions de Meschonnic :

Une rythmique est inscrite dans la Bible sous tous les yeux. Elle a l’intérêt théorique de faire une rythmique de groupe dans une langue à accent de mot. Sans métrique. Une accentuation continue hiérarchise, sémantise, rythme le texte biblique et règle sa cantillation. Elle remonte à des signes de mains, à une cheironomie immémoriale. Les accents de cantillation sont la seule ponctuation du texte. Ils montrent l’inséparabilité du rythme et du sens. (CR, 473)

Et non seulement il s’agit de considérer « l’unicité du mode de signifier biblique, que seule peut situer la place de signifiants majeurs à donner aux te‘amim » comme « sémantique du rythme » mais également « comme anthropologie du corps-langage, et de l’oralité » (CR, 475). Ce que je vais essayer de montrer en me limitant à quelques exemples et en laissant de côté bien d’autres problèmes qui participent de ce traduire, du traduire Meschonnic – le nom propre étant ici un adverbe qui montre une direction d’orientation, une poétique du traduire en pratique et en théorie.

 

Lire Jona

Transcriptions :

Vayehi / devar-adonay // el-yona ven-amitay / lémor //

et fut / parole-adonay // vers-yona fils-amitay / pour dire[18]

Et fut – la parole – YHWH – à – Jonas – fils de – Amitaï – en disant :[19]

Traductions[20] :

TOB : La parole du Seigneur s’adressa à Jonas, fils d’Amittaï :

Bible en français courant[21] : Un jour, le Seigneur donna cet ordre à Jonas, fils d’Amittaï :

Bible Bayard (des écrivains[22]) : Voici / Parole de Yhwh à Yonah fils d’Amitaï / pour dire

Meschonnic : Et il y a eu    la parole d’Adonaï        vers Jona fils d’Amitaï    pour dire

Jona commence par « et » (vav) ! C’est par le plus infime que peut se montrer ce que fait une poétique de la traduction qui n’est pas qu’une linguistique de la traduction. Car ici, non seulement le sens veut que presque tous les versets de Jona[23] commencent par « et » mais c’est surtout la valeur de ce « et » qui compte et qui oblige à tenir la systématicité d’une oralité à l’œuvre dans tout le livre de Jona. Ce lanceur est un opérateur relationnel qui engage toujours plus le récit dans son récitatif. Ce qui va avec le choix du passé composé dont on connaît le rattachement aux temps du discours, « temps de celui qui relate les faits en témoin[24] ». Il est remarquable que la Bible des écrivains commence par l’introducteur « voici » dont la valeur de déictique fait système avec le présent de narration[25] (« Il se lève Yonah », 1,3) mais ce système est abandonné en 1,7 avec un « Ils dirent » ! Pareillement, le système du « et » lançant est évité au début de la « traduction » pour être repris à peu près à partir du chapitre 2 ! Toutefois, malgré ces inconséquences, les passages à la ligne qui ne correspondent à aucun système et donc font disparaître toute systématicité rythmique, aggravent la métamorphose du récit des « métamorphoses[26] » !

Donc le « et » non seulement a force prosodique mais également force renversive puisque, associé au verbe, il pose un accompli généralement traduit par un passé simple. Aussi, la traduction par le passé composé associé au « et » est la tenue du système de discours de Jona : et j’aime que Grévisse note que « il y a » soit « le moins figé des introducteurs[27] ». S’il évite une passivation de la forme verbale généralement suivie[28], il met surtout la parole à hauteur d’un événement quand le « s’adressa » de la TOB rejoue plus un passé qu’un devenir. Ce devenir comme dire toujours en cours que le discours et son rythme oblige à écouter. Ainsi qu’Erri de Luca le rappelle merveilleusement à sa façon :

Toutes les fois qu’on lit dans les traductions : « Et Dieu dit », on peut être sûr que l’hébreu dit : « Et dit Dieu. » Car, dans cette volonté de révélation, le dire est plus important et plus urgent que le fait même que c’est Dieu qui parle. […]  Voilà, écouter est la première urgence, la première requête[29].

C’est à ce point que le problème continue avec le choix de « parler vers » et non « à » comme paradigme discursif exemplaire de toute cette traduction. La préposition directive « ’el » associée à « dibber » est certes traduisible par « à » mais, comme précise Meschonnic en montrant la systématicité des livres de la Bible, « il y a là un effet spécifique », « le mode d’adresse de Dieu à ceux auprès de qui il se manifeste », « ceux qu’il appelle » (JS, 66). Ce que Meschonnic écrit dans son introduction à Et il a appelé (trad. du Lévitique) :

Ce livre est le livre de l’appel. Dans tous les sens du mot : inviter à venir à soi, dire un nom à haute voix en se tournant vers (« Et il a appelé / vers Moïse »), et qara a aussi le sens de « crier », invoquer, s’assurer d’une présence, convoquer. Et c’est en même temps une désignation pour Moïse[30].

Ce qui distingue tous les emplois-valeurs de la préposition « vers » (en I,1,6,7, 9, et 14 ; II, 2, 3) ou « El est un mot-valeur de la prophétie, qui ne fait pas double emploi avec le- : Adonaï a dit    au poisson (II, 11) » (JS, 67) parce que, comme dit Meschonnic, « ce dire vers n’est pas  un dire à. Il est Jona dans l’hébreu, et doit donc faire plus Jona que français » (JS, 68). Mais avec cet effet de Bible, Meschonnic met Jona à hauteur d’un poème-relation puisque, à contre-religion, Jona devient non un signe, ou un marqueur selon le modèle typologique[31], mais un passage c’est-à-dire une énonciation toujours vive que le mouvement relationnel (« vers ») engage jusque dans l’inconnu de ses termes car Jona et autant que celui qui l’appelle inassignable, insaisissable. C’est de ce point de vue que Meschonnic précise cette orientation pour la traduction de Psaumes :

J’ai tenu à garder la différence entre les prépositions utilisées, pour tenir leur caractère concret, et ne pas les noyer dans les constructions françaises familières de la vie courante. Je me suis donc fixé de dire – les ruptures rythmiques aidant au climat du divin, qui n’est pas la conversation du café du commerce – selon les cas, […][32].

Comme il écrira dans Nous le passage, « nous vivons de bouche en bouche[33] ». C’est que Jona non seulement est un conte dont le racontage[34] importe infiniment plus que son seul schéma narratif[35] mais également un conte de voix, une fable des voix, des passages de voix.  D’où l’importance du motif de la bouche du poisson avec les deux verbes de son activité  (« avaler », II,1 et « vomi », II,11) mais aussi des indications de régie de voix explicites ou implicites : « avec une voix de louange » (II,10) ou encore, par exemple, en III,7 l’emmêlement de ces indications que les traductions en général effacent (« Il fait crier et dire / dans tout Ninwéh / au nom du roi et de ses grands[36] ») : « Et il a proclamé                et il a dit    dans Ninive         de par le goût du roi    et de ses grands    pour dire » (je souligne).

Car tout Jona fait la fable du langage, la fable de la parole jusqu’au silence final de Jona qui est une parole inaccomplie dans l’oreille divine résonnant encore d’une brûlure (« ma brûlure est tellement forte    jusqu’à la mort », IV,9 – JS, 24) qui bien évidemment n’a pas le même poids ni la même force que : « Oui, j’ai de bonnes raisons d’être en colère au point de désirer la mort[37] » ! Faire passer l’affect entièrement dans les « bonnes raisons » efface la force de l’inconnu de même que la non-reprise de ce qui vient de la bouche de Dieu en IV,4 et 9 (« ta brûlure    est-elle tellement forte » – JS, 23 et 24) avec « As-tu raison d’être en colère[38] ? », efface ce passage de paroles de bouche en bouche. Tout le divin du langage dans Jona tient à cet infime de la traduction qui met les mêmes mots après les introducteurs :  « Et Adonaï a dit » (IV,4 et 9) et « Et il [Jona] a dit » (IV,9)[39]. C’est cette « brûlure », reprise quatre fois en Jona-IV, qui fait comme le motif de ce que fait le divin au langage et par le langage, que j’écoute pareillement dans un livre de poèmes de Meschonnic presque contemporain de cette traduction. Je me contente de citer le tout début du livre et son poème final[40] :

Ce que nous savons parle toutes les langues

nous communiquons par la chaleur avant de penser

tu me montres mes souvenirs je te donne mes oublis.

[…] 

Je n’ai pas de fin non pas parce que je ne connais pas ma fin

mais parce que chaque fin me recommence

ailleurs

vers des années où les pères sont les fils de leurs fils

j’introduis notre langage à venir

nous y sommes

ignorants comme l’ordre

le temps nous boit nos paroles dans la bouche

nous mettons des fleurs à notre sommeil

allant en inventant notre tour

suivis par ce qui nous précède

de nous vers nous

recommençant.

Toute l’orientation de la pratique et de la théorie de la traduction avec Meschonnic[41] dans et par Jona, c’est en fin de compte cette transformation qu’indique le manuscrit de l’article  écrit pour la revue de Georges Lambrichs, « D’une linguistique de la traduction à une poétique de la traduction[42] » : « La traduction est toujours interprétation ré-énonciation[43] ». Défaire la traduction de toute interprétation pour que seule la voix pleine de voix du texte biblique, Jona en l’occurrence, ne cesse de s’énoncer, voilà ce qu’opère une telle traduction : « suivis par ce qui nous précède », en inventant une relation pleine de « chaleur », de « brûlure » aussi. Car cette brûlure est toujours vive.

 

L’horizon herméneutique du sens ou l’épopée poétique des voix ?

Le livre de Marc Bochet sur les « réécritures littéraires » de Jonas[44] montre à l’envi combien la « réception » de Jona est prise dans une doxa théologique qui entretient depuis toujours un certain antijudaïsme. En effet, la pluralité-diversité[45] que Bochet met en valeur dans son ouvrage vient comme recouvrir l’unité de ce discours que l’auteur réitère tout au long de son ouvrage. Dès l’incipit du chapitre 1 (« La figure de Jonas »), l’auteur pose que  puisque « tout commence avec l’eau et la lumière » :

Sans doute faut-il déjà traduire symboliquement ce grand rythme cosmique des jours et des nuits en expérience intime de mort et de résurrection pour voir surgir à l’horizon biblique la figure du prophète et par la suite celle du Christ. (p. 19)

Il ajoute un peu plus loin que « le plus grand lecteur et promoteur du livre, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament, c’est le Christ lui-même qui renvoie ses contemporains au signe de Jonas » (p. 22). L’unité sous la diversité est posée depuis l’exergue de l’introduction jusqu’à la conclusion de l’ouvrage et leurs notes de bas de page :

La parabole la plus magnifique de la Bible hébraïque est le Livre de Jonas, véritable précurseur des paraboles de Jésus et l’ancêtre ancien du genre parabolique moderne[46].

[…]

Pour arriver à un tel comportement, il faut mourir à soi-même : « Il faut que Jonas devienne un « non-Jonas » […], Et mourir, pour Jonas, ne consiste pas à se faire avaler par un mammifère marin, mais naître à Ninive. » Comme un rideau de théâtre qui se referme sur les acteurs, à la fin de l’action dramatique, et laisse place au seul « écho » dans les consciences, de même, à la fin du conte, les derniers mots du Dieu du pardon et de la mansuétude résonnent en Jonas, désormais seul avec lui-même dans les coulisses. Combien d’autres baleines faudra-t-il, combien d’autres Ninives, pour qu’il sorte enfin de son silence, et passe à l’acte d’amour ?

Sans doute faudra-t-il attendre pour cela, que Jonas devienne le Christ[47].

Inutile d’analyser par le détail ces deux extraits – je me contente d’en souligner l’explicite. La thèse pose un « vrai Jonas » contre un faux[48] dans la continuité de la captation du Verus Israël[49]. Ce parcours paraphrastique dans la littérature n’a pour prétexte qu’un discours de convertisseur (« que Jonas devienne le Christ ») que les épigraphes[50] signent en retournant avec une ruse délibérée le discours des « juifs » eux-mêmes puisque l’extrait biblique, « Il leur répondit : "Je suis Hébreu…" » (Jon, 1,9), se trouve commenté par une citation de Daniel Sibony[51] (« … cette manière de se lover autour d’un nom »), prend très clairement le sens d’une généralisation (le nom fait l’élection) et d’une stigmatisation (l’élection est forcément auto-suffisance). Non seulement Bochet lit à contre-sens tel passage de Henri Meschonnic (« C’est une parabole de paraboles », JS, 77[52]), mais il ne cesse de déjudaïser en déshébraïsant puisqu’à aucun moment la question de la traduction et du comment traduire n’est évoquée autrement qu’en référant sans autre explication à « la traduction de la Bible de Jérusalem » (p. 7) quant il ne cesse d’évoquer « commentaires des exégètes » et « adaptations narratives » (p. 10). C’est le déni de l’énonciation, le déni d’une continuité de l’énonciation en hébreu que vise exemplairement Bochet en insinuant tout au long de l’ouvrage tout ce que porte l’opposition construite d’un Dieu d’amour face à un Dieu des armées, le Dieu des chrétiens que demanderaient les bons Juifs[53]. Quand, par exemple, le dramaturge Claude Régy voit dans « les traductions de Henri Meschonnic » ce qui n’en fait « plus un livre religieux. Encore moins un livre de morale ». Et il ajoute : « c’est d’abord de la poésie. Meschonnic ne francise pas l’hébreu, il hébraïse le français[54] ». Ce qui est une manière de toujours rappeler que, paradoxalement, « le travail même du caché et de l’inconnu impose à la théorie du langage de déborder l’étude de l’énoncé, et du sens, et même du symbolisme, qui n’est pas propre au seul domaine du divin, ou du sacré[55] » !

Aussi, pour paraphraser Henri Meschonnic, je dirais, à partir de sa traduction que Jona comme le rythme s’il est trop souvent le juif du signe, est aussi le juif du Juif comme « signifiant errant », énonciation toujours en cours, toujours à relancer, à recommencer, et qu’il partage ainsi l’utopie du poème en étant l’utopie du sens[56]. Aussi rejudaïser ne consiste pas à exclure mais à d’abord réhébraïser – y compris en français – et par conséquent à « rerythmiser la traduction de la Bible[57] ». C’est ce qui fait, beaucoup plus qu’un passé de Jona, son avenir comme tout poème fait l’avenir du langage : un sujet toujours en devenir, en devenir relation, de sujet à sujet, un poème-relation comme épopée d’une voix-relation. Oui, maintenant, « nous pouvons reprendre nous / écoutons une histoire /  nous en connaissons / la voix[58]. »

L’errance de Jona n’est donc pas celle du signe qui assigne le Juif à un horizon mais celle du signifiant qui ouvre toutes les identités aux altérités de la voix et de ses voix qui passent de bouche en bouche, à l’écoute comme ré-énonciation infinie par le goût du texte dans la bouche, par son rythme-relation[59]. Aussi conclurai-je par ce mot d’expérience d’Erri de Luca car c’est très exactement ce que me fais Jona de Henri Meschonnic, lesquels se sont merveilleusement rencontrés sur les ondes de France Culture le 14 février 2005 :

Lire les Saintes Écritures, c’est obéir à une priorité de l’écoute. J’inaugure mes réveils par une poignée de vers, et le cours de la journée prend ainsi un fil initiateur. Je peux ensuite déraper le reste du temps au fil des vétilles de mes occupations. En attendant, j’ai retenu pour moi un acompte de mots durs, un noyau d’olive à retourner dans ma bouche[60].

Jona est un noyau d’olive à retourner dans la bouche encore et encore : ce qui paradoxalement en augmente son écoute de lecture en lecture pour « vivre poème[61] ».

 

Bibliographie :

Biblia hebraica, éd. Rudolf Kittel, 11e éd., Privilegierte Württembergische Bibelanstalt, Stuttgart, s.d.

M. Bochet, Jonas palimpseste, Réécritures littéraires d’une figure biblique, éd. Lessius, Bruxelles, 2006.

E. de Luca, Noyau d’olive (2002), trad. de l’italien par Danièle Valin, « Arcades », Gallimard, 2004.

J.-Cl. Margot, Traduire sans trahir, La théorie de la traduction et son application aux textes bibliques, éd. de l’Age d’Homme, Lausanne, 1979.

S. Martin, « La traduction comme poème-relation avec Henri Meschonnic » dans B. Bonhomme et M. Symington (éds.), Le Rêve et la ruse dans la traduction de poésie, Honoré Champion, 2008, p. 131-143.

H. Meschonnic, Pour la poétique II, Épistémologie de l’écriture, Poétique de la traduction, Gallimard, 1973.

–, Dans nos recommencements, Gallimard, 1976.

–, Légendaire chaque jour, Gallimard, 1979.

–, Jona et le signifiant errant, Gallimard, 1981.

–,  Critique du rythme, Anthropologie historique du langage, Verdier, Lagrasse, 1982 (édition en poche, 2008).

–, Nous le passage, Verdier, Lagrasse, 1990.

–, Poétique du traduire, Verdier, Lagrasse, 1999.

–, Gloires, traduction des Psaumes, Desclée de Brouwer, 2001.

–, L’Utopie du Juif, Desclée de Brouwer, 2001.

–, Un Coup de Bible dans la philosophie, Bayard, 2004.

C. Régy, L’Ordre des morts, Les Solitaires intempestifs, Besançon, 1999.

 


[1] J.-Cl. Margot, Traduire sans trahir, La théorie de la traduction et son application aux textes bibliques, Thèse présentée le 11 juillet 1978 à la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne pour obtenir le grade de Docteur en théologie, Lausanne, Éditions de l’Age d’Homme, 1979.

[2] Il est repris, par exemple, par J. Delisle, note de lecture sur H. Meschonnic, Gloires. Traduction des psaumes, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, dans TTR, traduction, terminologie, rédaction, revue de l’ACT-association canadienne de traductologie, 2001, vol. 14, n° 1, p. 239-249 (accessible sur internet http://www.erudit.org/revue/ttr/2001/v14/n1/000536ar.pdf). J’en ai fait l’analyse dans « La traduction comme poème-relation avec Henri Meschonnic » dans B. Bonhomme et M. Symington (éds.), Le Rêve et la ruse dans la traduction de poésie, Paris : Honoré Champion, 2008, p. 131-143.

[3] Même remarque p. 305-306 (J.-Cl. Margot, Traduire sans trahir, op. cit.) avec un début de discussion sur un très court passage de « Paroles du Sage » (traduction de l’Ecclésiaste par H. Meschonnic, voir Les Cinq Rouleaux(5R), Gallimard, 1970, p. 129-184) mais sans aller au-delà d’une remarque non argumentée (« loin d’être évidente ») et d’un renvoi à un passage assez sibyllin de Georges Mounin…

[4] La Bible (des écrivains), Paris/Montréal, Bayard/Médiaspaul/Service biblique catholique Évangile et Vie, 2001. Au demeurant Boyer comme tous ceux qui utilisent cet argument ne fait jamais mention de la Vulgate comme traduction de Jérôme de Stridon et du seul Jérôme...

[5] G. Mounin, « Préface » dans J.-Cl. Margot, Traduire sans trahir, La théorie de la traduction et son application aux textes bibliques, op. cit., p. 10.

[6] H. Meschonnic, Un Coup de Bible dans la philosophie (CB), Bayard, 2004, p. 130.

[7] Il faut faire mention du commentaire d’Anne-Marie Pelletier qui fait exception, ce qui le rend remarquable : « cette traduction [celle de Meschonnic] s’attache à rendre la rythmique ancienne du texte […]. Pour cela Meschonnic use d’un jeu de blancs typographiques, qui invitent le lecteur à donner au texte sa véritable respiration, insolite certes, mais efficace et qui recompose le sens de manière neuve ». Et l’auteur donne à lire tout le chapitre II dans ses Lectures bibliques aux sources de la culture occidentale (1973), Nathan / Cerf, 1995, p. 244. Et dès 1977, la même participait au dossier de la revue Esprit  (n° 7 -8, « Henri Meschonnic : pour une poésie aussi quotidienne que la politique ») avec un article au titre fort pertinent : « Un procès du sémiotique », p. 11-19.

[8] La Société biblique française responsable de l’édition de la Bible en français courant indique exemplairement que « Veillant à formuler le contenu du texte biblique – tout le contenu et rien de plus – en phrases de structure simple et à présenter dans un ordre logique les informations contenues dans un verset ou un groupe de versets, ils proposent ainsi un texte qui devrait être accessible au public le plus large, composé non seulement des personnes dont la langue maternelle est le français mais aussi de toutes celles qui l’utilisent comme langue seconde. Enfin, les traducteurs se sont efforcés de rendre justice à la qualité littéraire du texte biblique, en particulier dans les passages poétiques ». Et plus loin : « Mais grâce au langage usuel adopté, la traduction en français courant sera particulièrement utile à ceux qu’on pourrait appeler les « nouveaux lecteurs », c’est-à-dire à tous ceux qui n’ont pas bénéficié d’une initiation biblique préalable. De même, grâce à une formulation étudiée à cette fin et à la chasse impitoyable qu’on a faite aux ambiguïtés susceptibles de se glisser dans le texte à la faveur de la traduction, la version en français courant conviendra tout particulièrement à la lecture publique ».  [J’ai souligné, SM ; inutile de commenter cette traduction faite pour le catéchisme en prenant les « nouveaux lecteurs » et le « public le plus large » pour des imbéciles puisqu’ils n’ont pas été initiés préalablement : c’est que le texte biblique ne s’écoute pas, on délivre son contenu et rien de plus où le paradoxe est terrible puisque le texte dit sacré est un instrument qui en tant que tel est ignoré pour sa force]. Voir le site : http://www.interbible.org/interBible/ecritures/bfc/index.htm

[9] « Le combat de Spinoza est une "lutte contre le dogmatisme religieux" [note de bas de page : Robert Misrahi, L’être et la joie, (texte de 1981), p. 215], et c’est le dogmatisme religieux qui fait de Spinoza un traître. En ce sens, la critique du théologico-politique prise pour un athéisme devient l’aveu que le religieux se veut théologico-politique » écrit H. Meschonnic dans son Spinoza, Poème de la pensée, Maisonneuve & Larose, 2002, p. 153.

[10] Les références de Meschonnic vont à Biblia hebraica, éd. Rudolf Kittel [texte masorétique établi par P. Kahle], 11e éd. [il s’agit de l’édition revue et augmentée par A. Alt et O. Eissfeldt], Stuttgart, Privilegierte Württembergische Bibelanstalt, s.d. [1929 à 1937]. Cette édition fait référence au manuscrit de Leningrad , aussi Meschonnic fait-il accessoirement référence à The Leningrad Codex, A Facsimile Edition, William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, Michigan / Cambridge, U.K. / Brill Academic Publisher, Leiden / New York / Köln, 1998. Meschonnic donne sa bibliographie de travail à la fin de Gloires, traduction des Psaumes, Desclée de Brouwer, 2001, p. 553-556.

[11] H. Meschonnic, Les Cinq Rouleaux, op. cit.; Jona et le signifiant errant (JS), Gallimard, 1981 ; Gloires, op. cit.; Au commencement, traduction de la Genèse, Desclée de Brouwer, 2002 ; Les Noms, traduction de l’Exode, Desclée de Brouwer, 2003 ; Et il a appelé, traduction du Lévitique, Desclée de Brouwer, 2005 ; Dans le Désert, traduction des Nombres, Desclée de Brouwer, 2008. Les abréviations référencent dorénavant les citations dans le texte, elles sont suivies de l’indication de page.

[12] Ce cours intitulé « Séminaire de langues et littérature / Théorie et pratique de la traduction. / Introduction théorique suivie d’une analyse critique et d’un atelier à partir du livre de Jonas » (Programme du centre Rachi, année 1978-1979) a compté une quinzaine de participants (Ms. IMEC).

[13] Voir lettres de J.-Cl. Eslin datées du 18/10 et 8/11/1980 – le numéro était prévu pour mai 1981. La publication chez Gallimard fin 1981 a dû arrêter le projet de prépublication de Jona ; c’est la traduction d’Ovadia qui paraîtra dans Esprit n° 9 (« La Bible dans tous ses états »), septembre 1982, p. 6-14 (Ms. IMEC).

[14] H. Meschonnic, « Traduire la Bible de Jonas à Jona » dans Langue française, n° 51, Larousse, 1981, p. 35-52.

[15] J’ai pu observer que Meschonnic avait proposé auparavant « La signifiance juive » et une citation de Victor Hugo : « Les poètes ont peur de devenir prophètes » (Ms. IMEC).

[16] Des mentions du livre de Jérôme Lindon (Jonas, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Aleph », 1955) apparaissent dans les feuillets manuscrits de la traduction de Meschonnic. Par exemple : « J. Lindon a dégagé avec bcp de force le sens que donne au livre de Jonas sa place d’office du jour de l’expiation (Kippour) / A propos des marins : citation p. 34 / et il fait de Jonas celui qui prend sur lui le mal de Ninive, p. 45 » (Ms. IMEC) ; Meschonnic reproche toutefois à Lindon de s’inscrire dans « une logique sacrificielle » : « La pensée est forte mais elle prête à un détournement. Peut-être plus proche du sacré que du divin. L’élection devient une théorie sacrificielle » (JS, 80).

[17] H. Meschonnic, Critique du rythme, Anthropologie historique du langage (CR), Lagrasse, Verdier, 1982 (édition en poche, 2008). Voir dans cet ouvrage monumental p. 395 et 466-475 ; et ailleurs : « Le goût du rythme » dans L’Utopie du Juif (UJ, Desclée de Brouwer, 2001, p. 156-171) ; « Le goût et le coupé » (CB, 237-240).

[18] Il s’agit de la transcription donnée par Henri Meschonnic et qui, on le voit, traduit les accents par des blancs indiqués ici par des barres (JS, 58).

[19] Ancien Testament interlinéaire hébreu-français avec le texte de la Traduction Œcuménique de la Bible et de la Bible en français courant, Alliance Biblique Universelle, Villiers-le-Bel, Société Biblique française, 2007, p. 1900-1906. Il est à remarquer que l’introduction qui mentionne le texte massorétique, puisque la traduction prend appui sur la Biblia Hebraica Stuttgartensia, ne mentionne nulle part le système accentuel pourtant présent dans le texte édité !

[20] H. Meschonnic ajoute d’autres traductions à la comparaison (JS, 57).

[21] La Société biblique française est responsable de cette édition que l’on trouve sur le site :  http://www.interbible.org/interBible/ecritures/bfc/index.htm

[22] La Bible (des écrivains), op. cit., p. 1016. Trad. Anne Dufourmantelle et Marc-Alain Ouknin.

[23] Chapitre I, tous sauf le 2 ; chapitre II, tous sauf 6,7,8,9 ; chapitre III, tous sauf 2 et 9 ; chapitre IV, tous. Donc 41 versets sur 48 sans compter les « et » lançants pour la seconde partie du verset (7 en chapitre I ; 4 en chapitre II ; 8 en chapitre III ; 5 en chapitre IV) ou en début de groupes… Donc 41+24=65 « et » lançants en ouverture de verset ou de seconde partie de versets… Jona demande d’entendre le « et » biblique pour le moins…

[24] Émile Benveniste, « Les relations de temps dans le verbe français », dans Problèmes de linguistique générale, Gallimard, p. 244 [cité par Meschonnic, JS, 63].

[25] Il semble toutefois que ce soit une reprise de Chouraqui dont le « présent perpétuel […] prétendument choisi pour actualiser et dynamiser le texte, […]  ne réussit qu’à installer une atemporalité qui se déplace avec le texte », ce qui, pour Meschonnic, « refait de l’énonciation un énoncé » (JS, 64).

[26] Je fais allusion à l’introduction de Marc-Alain Ouaknin (La Bible, op. cit., p. 2837-2838) qui parle d’« un processus de métaphorisation » réduisant ainsi le système rythmique de Jona à la seule « mémoire sémantique » oubliant ainsi délibérément sa mémoire prosodique...

[27] Grévisse, Le Bon Usage, 12e édition, Duculot, 1986, p. 1585.

[28] Par exemple par le Rabbinat (1899), Louis Segond (1877), la Bible de Jérusalem (1955) ainsi que Dhorme (1959).

[29] Erri de Luca, Noyau d’olive (2002), trad. de l’italien par Danièle Valin, « Arcades », Gallimard, 2004, p. 36.

[30] H. Meschonnic, Et il a appelé, op. cit., p. 7-8.

[31] Il s’agit même du modèle par excellence puisque non seulement il l’est dans la parole du Christ (Mathieu et Luc) mais il le serait lui-même si l’on en croit Harald Weinrich qui lit, après bien d’autres, sa « prière » comme réécriture du modèle typologique des Psaumes : « Jonas se comprend lui-même comme signe » (Conscience linguistique et lectures littéraires, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989, p. 31) ! Il me faudrait ici analyser également toute l’herméneutique qui place ce texte sous le sceau de l’ironie pour y retrouver par tous les moyens, qu’ils proviennent de l’analyse structurale ou stylistique, de l’herméneutique théologale ou même gadamérienne, un sens quand la signifiance est d’abord le fonctionnement de ce qu’on ne peut le plus souvent pas saisir.

[32] H. Meschonnic, Gloires, op. cit., p. 370, note (Psaume 4, 6) qui commente la traduction « et faites confiance / vers Adonaï » (Psaume 4, 6).

[33] H. Meschonnic, Nous le passage, Lagrasse, Verdier, 1990, p. 57.

[34] Sur cette notion, je me permets de renvoyer à Quelle littérature pour la jeunesse ?, Klincksieck, 2009.

[35] « Sa composition et l’agencement des personnages sont très conformes aux fonctions des personnages dans le conte telles que Propp les a définies. Et actuellement il est considéré unanimement comme tel », déclare Danièle Duval dans « Jonas et le jugement » dans Eberhard Bons (dir.), Le Jugement dans l’un et l’autre Testament, I Mélanges offerts à Raymond Kuntzmann,Cerf, 2004, p. 207-208. Et le même auteur dit que « les marins ont d’autant plus de mal à jeter Jonas à la mer qu’ils n’ont pas affaire à un hébreu mais à un prophète. Ils passent du plan ethnique au plan religieux » (p. 209) : comme si « moi je suis hébreu » et l’appel de Dieu fait à Jona ne pouvaient coïncider… quand, de plus, Duval y ajoute la confusion du divin et du religieux !

[36] Le Bible (des écrivains), op. cit., p. 1080.

[37] La Bible en français courant, op. cit.

[38] Ibid.

[39] Une étude plus précise permettrait d’observer la multiplicité de ces passages de voix qui ne sont pas des répétitions mais bien des reprises de voix comme en I,6 qui reprend I,1. C’est que l’énoncé est porté par l’énonciation : aussi faut-il renoncer à tout l’appareil narratologique puisque les notions de personnages et même d’actants se voient déjouées par ces passages de voix. Il ne faut pas attendre le Nouveau Roman ou Samuel Beckett pour écouter un roman de voix (voir sur cette notion : Jean-Pierre Martin, La Bande sonore, Corti, 1998) qui est aussi un poème de voix.

[40] H. Meschonnic, Dans nos recommencements, Gallimard, 1976, p. 7 et  81. Il s’agit du premier et du dernier poème du livre.

[41] Pour mémoire, il faut rappeler que Poétique du traduire (Lagrasse, Verdier, 1999) est composé en deux parties : « 1. La pratique, c’est la théorie » et « 2. La théorie, c’est la pratique ».

[42] « D’une linguistique de la traduction à une poétique de la traduction » dans Les Cahiers du chemin, n° 12, éd. Gallimard, avril 1971, p. 113-152. Repris dans Pour la poétique II, Épistémologie de l’écriture, Poétique de la traduction, Gallimard, 1973, p. 327-366.

[43] Ms. IMEC ; repris dans Pour la Poétique 2, op. cit., p. 359.

[44] Marc Bochet, Jonas palimpseste, Réécritures littéraires d’une figure biblique, éditions Lessius, Bruxelles, 2006.

[45] Voir par exemple : « La lecture des faits racontés s’ouvrira sur des interprétations religieuses, philosophiques, psychanalytiques, politiques, morales, diverses selon les sensibilités de chaque lecteur » et « La polysémie, dans un texte à la fois aussi simple et aussi complexe, s’insinue partout […] », Ibid., p. 14 et 15.

[46] J.-D. Crossan, The Dark Interval [Bochet omet le sous-titre de l’ouvrage : Towards a Theology of Story], Argus Communications, Niles, t. II, 1975, p. 66. Voir également ce que dit André Parrot du Livre de Jonas comme parabole, «l ’une des plus profondes dans son étrangeté et des plus évangéliques que renferme l’Ancien testament » (« Ninive et l’Ancien Testament », Cahiers d’archéologie biblique, 3, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 19(3, p. 63). [note de Bochet, op. cit., p. 9]

[47] Hilaire de Poitiers déclare : « Le vrai Jonas, c’est le Christ » Sur le Psaume 68,5 (Tractatus in LXVIII Psalmum), Patrologie latine de Migne, t ; IX, p. 473. Traduit dans M. Dulaey, Des forêts de symboles. L’initiation chrétienne et la Bible, Paris, Livre de Poche (coll. Références), 2001, p. 91). [note de Bochet],

[48] Voir, entre autres, « La figure de Jonas ne sera donc pas une figure stéréotypée, pétrifiée dans sa gangue biblique […] car une figure mythique, propre aux symboles, comme celle de Jonas, dépasse son contenu historique et sociologique d’origine […] » (p. 10) ; « « à combien de lectures renouvelées le Livre de Jonas a-t-il donné le jour depuis son "enfermement" dans le canon de l’Ancien Testament » (p. 11)

[49] Gérard Mordillat, Jérôme Prieur, Jésus contre Jésus, Seuil, 1999, p. 343. Voir également Maurice Olender (Les Langues du Paradis, Gallimard, 1989, p. 40) qui rappelle que , pour Renan, les juifs étaient des « faussaires de l’Écriture sainte » !

[50] M. Bochet, Jonas palimpseste, op. cit., p. 7.

[51] Dans Le racisme, une haine identitaire, Paris, Christian Bourgois, 1997, p. 119. [note de Bochet, op. cit., p. 7]

[52] Alors que Meschonnic vise l’instrumentalisation théologico-politique en montrant que Jona l’a toujours défiée : ce texte « fait d’emblée un au-delà du sens » (JS, 77), Bochet réitère toujours plus de sens puisque pour lui « le Livre de Jonas multiplie les clins d’œil herméneutiques » (p. 15). Oui, Meschonnic a raison de commencer avec humour : « Jona n’est pas à un plongeon près » ! Et avec Bochet, il ne cesse de plonger et de replonger dans l’herméneutique du signe… alors qu’il y a à voir dans cette multiplication le paradoxe que Jona ne tient pas par le sens mais par le rythme, par la fable du langage qui est aussi le poème d’une pensée du langage comme « signifiant errant » et non signifié coulé. Pour rire un peu de ce qui est grave, une coquille s’est glissé dans la citation que Bochet fait de Meschonnic : « Jona surgnifie » pour « sur-signifie » (JS, 77 et Bochet, p. 15. Quand le signifié devient un « surgnifié »… on ne voit plus le signifiant ! Je laisse de côté l’utilisation désormais classique de tel passage d’Emmanuel Levinas (« philosophe juif contemporain », p. 168) mais aussi Élie Wiesel ainsi qu’André Neher (ibid. note 24) qui viennent confirmer la thèse de Bochet – à leur insu mais forcément théologiquement correcte parce que politiquement correcte : « Le Livre de Jonas donne une message clair, anti-raciste, universaliste » proclame Bochet en citant l’abbé Jean Steinmann qui oppose Esdras à Jonas…

[53] H. Meschonnic a montré dans Gloires (op. cit.) que cet « adonaï tsevaot » n’était pas le « Dominus exercitum » de Jérôme quand et tseva désigne les corps célestes. D’où sa traduction par « Adonaï des multitudes d’étoiles » (dix-neuf fois dans Gloires avec la première occurrence en 24-10 (voir note que je résume ici, p. 394).

[54] Claude Régy, L’Ordre des morts, Les Solitaires intempestifs, Besançon, 1999, p. 43. Voir également dans cet ouvrage la lecture de La Mort de Tintagiles de Maeterlinck ainsi que celle de Chutes de Gregory Motton que fait Régy avec Jona (p. 81 à 83). Rappelons que Régy a mis en scène Paroles du Sage (traduction de l’Ecclésiaste) et Comme un chant de David (extraits de Gloires, traduction des Psaumes) ; je me permets de renvoyer à « Réécrire hors de toute représentation : avec Henri Meschonnic et Claude Régy » (journées d’études « Qu’est-ce qu’une réécriture ? », Université de Caen, 27 et 28 mars 2009), à paraître.

[55] H. Meschonnic, L’Utopie du Juif, op. cit, p. 190.

[56] Ibid., p. 171.

[57] Ibid., p. 262.

[58] H. Meschonnic, Légendaire chaque jour, Gallimard, 1979, p. 81. Ce sont les dernières lignes du livre.

[59] Sur ces notions de « rythme-relation » et de « poème-relation », je me permets de renvoyer à Langage et relation. Poétique de l’amour, L’Harmattan, 2005.

[60] E. de Luca, Noyau d’olive, op. cit., p. 36-37.

[61] H. Meschonnic, Vivre poème, Dumerchez, 2006.

mardi 31 mars 2009

Réécrire hors de toute représentation (avec Henri Meschonnic et Claude Régy)


(Marcial Di Fonzo Bo dans Paroles du sage, mise en scène de Claude Régy)

Le texte ci-dessous a été communiqué aux participants des journées d'étude interdisciplinaires organisées par le LASLAR sur le thème "Qu'est-ce qu'une réécriture?" à la MRSH de l'Université de Caen les 27 et 28 mars 2009. Merci aux organisateurs, Franck Bauer et Vincent Amiel ainsi qu'à tous les participants.

Il s’agit d’approcher, non d’atteindre » Claude Régy (EP, 115)

La poétique est le feu de joie qu’on fait avec la langue de bois. Le travail de la théorie est de veiller, y compris pour la poétique, à ne pas faire de bois » Henri Meschonnic (PDT, 22)

1. Traduire, mettre en scène : un rapport actif

Réécriture et traduction sembleraient ne pas faire bon ménage. Pour au moins deux raisons : tout d’abord les deux termes ne seraient pas fixées au point de pouvoir ajuster leur rapport[1], ensuite, « à l’exception de cas particuliers – et d’autant moins nombreux – tels que, peut-être, l’autotraduction ou les traductions réalisées par des poètes et des écrivains reconnus », les traductions seraient autant de « production(s) textuelle(s) effectuée(s) sous la contrainte d’un texte original par rapport auquel elle(s) doi(vent) nécessairement se situer » et donc dépendre quant à leur « littérarité ». Aussi, Christine Lombez conclut-elle sa tentative d’articulation des deux notions par un souhait :

Il faudrait donc poursuivre l’analyse et s’interroger également sur ce qui constitue la littérarité d’un texte en traduction, autrement dit ce qui est susceptible de le faire reconnaître comme écriture. Un vaste sujet qui mérite réflexion.

Ce « vaste sujet » semble effectivement l’impensé de tout ce qui précède à condition qu’on sorte également des deux écueils, « la poétisation » et « la récriture » que Henri Meschonnic signalait il y a déjà fort longtemps et dont le dernier est évoqué par Lombez sans apercevoir qu’il s’agit justement d’une « matérialisation du dualisme » équivalent au premier écueil puisqu’il se soumet à une idéologie linguistique, au culturel qui justement participe d’une « désécriture », telle que Jean-Louis Cordonnier la décrivait[2] :

On redistribue les phrases et les paragraphes. On rationalise ce qui heurte trop la raison française. On clarifie. On détruit les réseaux signifants. On désydtématise. On efface les connotations culturelles que le lecteur français ne « comprendrait pas, ou qui risqueraient de le choquer ». (…) En un mot donc : on désécrit.

Mais de là à poser, comme le suggère Lombez, que « toute réécriture, quelle qu’elle soit » serait « désécriture[3] », il y a un cliché qu’on ne peut admettre. Comme le cliché inverse, que toute traduction est écriture[4] car il y a bien traduire-écrire et traduire-désécrire tout comme il y a certainement des réécritures qui ne sont pas des écritures…Aussi, faut-il dire que pour la théorie de la réécriture, la théorie de la traduction est-elle décisive comme révélateur. Mais elle l’est exactement comme l’est tout ce qui participe ou pas à une pensée du passage exactement au sens que propose Claude Régy[5], quand il évoque Madeleine Renaud dans L’Amante anglaise, en 1968, à Gémier, prononçant « Je serais allée à l’hôtel Crystal » – faisant l’hypothèse d’un retour à Cahors, le lieu natal de son personnage, et qu’il écrit :

C’est la banalité. Et pourtant, la fraîcheur de la voix, la simplicité du ton, l’écho ouvert, la résonance de l’air, nous entrons soudain dans un hôtel modeste – solitude, amours sublimes, pauvres rencontres – mais par ce couloir, nous entrons dans l’apesanteur, le château de verre, résidence des âmes, la vastitude. La phrase est dite, s’est créée. Bien sûr c’était déjà précisément dans les mots écrits, mais nous entendons la phrase. Il nous semble que nous l’avons toujours entendue avec cette évidence, et pourtant, la sensation survient de l’entendre en nous pour la première fois, comme l’écrivain l’a entendue avant de l’écrire.

(…)

Ce qui importe, c’est ce passage, il ne faudrait jamais rien voir sur un théâtre que ça : l’invisible mouvement de ce passage mais sans cesse perpétué. (EP, 16-17)

L’hypothèse est donc la suivante : traduire, mettre en scène comme réécriture et donc comme écriture continuée c’est ce passage d’une écoute qui ne s’arrête pas, écoute d’une voix dans et par son continu, réénonciation qui n’en finit pas.

2. Deleuze et la « dramatisation »

C’est ainsi que je voudrais vous proposer le cheminement suivant : comment Paroles du Sage continue l’écriture dans la traduction comme dans le théâtre, avec Henri Meschonnic et Claude Régy parce que l’une avec l’autre, ces expériences continuent ce qu’on peut appeler une écriture qui n’en finit pas de nous écrire, de s’écrire, de faire poème[6]. Autrement dit et en reprenant les suggestions de Gilles Deleuze, ces Paroles du Sage « hors de la représentation » réaliseraient « l’univocité comme répétition dans l’éternel retour » (DR,388) dans une analytique plus intempestive qu’empiriste, du moins d’un empirisme poussé à bout (DR, 3), où « différence pure et répétition complexe » semblent « en toutes occasions se réunir et se confondre » (DR, 2)[7]. Mais, précise Deleuze, en vue de cette irréductibilité « à des genres ou à des catégories » (traduction, théâtre), il a fallu que les attributs « n’introduisent aucune division dans la substance qui s’exprime ou se dit à travers eux en un seul et même sens » (DR, 387), et que les modes se « rapportent immédiatement à l’être univoque » (DR, 388). Toutefois, cette « univocité de l’être » comme « seule Ontologie réalisée » (DR, 387) même défaite de toute « profondeur du même censé recueillir le différent », ainsi que Heidegger l’envisageait (DR, 384), reste prise chez Deleuze dans une ontologisation quand il s’agit d’une activité, d’une historicité toujours en cours. Toutefois Deleuze parle de « dramatisation », ce qui semble orienter l’écoute vers l’activité :

Le monde entier est un œuf. […] Ce sont les processus dynamiques qui déterminent l’actualisation de l’Idée ; Mais dans quel rapport sont-ils avec elle ? Ils sont exactement des drames, ils dramatisent l’Idée. D’une part, ils créent, ils tracent un espace correspondant aux rapports différentiels et aux singularités à actualiser. [ …] Le monde est un œuf, mais l’œuf est lui-même un théâtre : théâtre de mise en scène, où les rôles l’emportent sur les acteurs, les espaces sur les rôles, les Idées sur les espaces. […] Tout est encore plus compliqué […]. Partout une mise en scène à plusieurs niveaux.

D’autre part, les dynamismes ne sont pas moins temporels que spatiaux. […]. Mais la distinction est forcément relative ; il est évident que le dynamisme est simultanément temporel et spatial, spatio-temporel. […] Bref, la dramatisation, c’est la différenciation de la différenciation, à la fois qualitative et quantitative (DR, 279-283).

Malheureusement dans les développements qui suivent, Deleuze va dissocier les « rapports » et les « compositions », quantité et qualité, dialectique et esthétique : « La spécification incarne les rapports, comme la composition, les singularités » (DR, 285). Certes, il voit dans la « dramatisation » un potentiel antérieur à ce dualisme. Nous faut-il alors laisser l’écriture dans cette force potentielle primitive, dans un hors langage sans « rapports » et sans « compositions » vraiment actualisés ? Pure intensité ? Parce que « impliquante et impliquée », comme dit Deleuze (DR, 305). De ce point de vue, il faudrait continuer à suivre Deleuze car l’inaccompli de ce qui fait écriture n’est pas celui de « l’antinomie de la représentation » (DR, 339). Rien d’étonnant à ce que Deleuze fasse appel à Jean-Pierre Faye[8] pour ouvrir alors la répétition à un « sens distributif » (DR, 349) que néanmoins il aperçoit comme assurant « la distribution et le déplacement des termes, le transport de l’élément, mais seulement dans la représentation pour un spectateur encore extrinsèque » (ibid.). Deleuze propose alors de penser une fondation comme détermination de l’indéterminé, représentation infinie : « La répétition est la puissance du langage ; et loin de s’expliquer de manière négative, par un défaut des concepts nominaux, elle implique une Idée de la poésie toujours excessive » (DR, 373). Solution à la fois heuristique et aporétique : une véritable théorie du rythme est inaugurée dans certains passages (DR, 375 en particulier) et Deleuze montre les continuités des rythmes, n’oppose pas l’art et la vie quotidienne, lance une dynamique relationnelle (diaphora) du côté du multiple et du devenir sortant ainsi de la représentation afin d’instituer la force du rapport entre spécificité et unicité (DR, 388-389) ; mais le nietzschéisme de Deleuze ne voit pas qu’il tient encore le langage dans les catégories traditionnelles, « le mot = x dans le langage » (DR, 382), ce qui immanquablement met les arts du langage dans l’esthétique. D’où, malgré sa prise en considération du continu spinoziste (DR, 387) reversé dans l’ontologie, un maintien des termes, dans la recherche avec laquelle nous entrons en affinité continûment mais qu’on est bien obligé d’abandonner, puisqu’il y a « l’essence de la répétition » et « l’idée de la différence » (DR, 41, je souligne). Charles Péguy que Deleuze qualifie de « grand répétiteur de la littérature » (DR, 34) avait coupé le fil qui lie le rythme à la symétrie (DR, 32) en cherchant la « sonorité générale[9] ».

En cela alors, « le déplacement et le déguisement de ce qui se répète ne font que reproduire la divergence et le décentrement du différent, dans un seul mouvement qui est la diaphora comme transport. L’éternel retour affirme la dissemblance et le dispars, le hasard, le multiple et le devenir ». Cette élimination du « Même » et du « Semblable », de « l’Analogue » et du « Négatif », « comme présupposés de la représentation », cette construction de la « différence de différence » (DR, 383) constitueraient alors, semble-t-il, ce qui fait le continu de l’écrire, un écrire toujours inaccompli, en inaccomplissement. Il faudrait alors plus que d’un transport parler toujours d’un rapport entre ce qui diffère toujours dans la répétition même : la différence ne constituant pas seulement un déplacement qui réduirait trop vite la répétition au répété mais un rapport de la répétition à la répétition, une différence toujours relationnelle, ce que j’aime appeler une relation de la relation[10]. Par là, l’enjeu d’une théorie de la réécriture c’est, par la théorie de la traduction comme par celle du faire théâtral, de déplacer le fait que « ce qui se répète, c’est la répétition même » (DR, 377), que la différence n’est plus entre une première fois et les autres, entre le répété et la répétition mais bien entre ce qui achève et ce qui continue, entre ce qui représente et ce qui excède, entre ce qui borne et ce qui déborde, entre le connu et l’inconnu, la maîtrise et l’impossible, l’énigme toujours vive.

3. « La force du continu[11] »

J’essaie donc maintenant la lecture comme continu de l’écriture, de l’écriture continuée dans des histoires plus que différentes mais dans l’exigence toujours maintenue du continu comme écoute de ce qui fait un « ressassement » vers une lucidité plus qu’une vérité, vers du concret et non de l’abstrait, vers du corps et non de l’idée. Plus encore vers un rythme où syntaxe et prosodie font relation contre tout ce qui fait adaptation. Contre tout ce qui empêche que l’écriture soit toujours l’aventure d’une création. Alors la réécriture fait une écriture ou ne fait plus qu’une désécriture.

« Paroles » (1-1), qui fait l’incipit de Paroles du Sage, pose et surtout engage une oralité de l’écriture plus qu’un genre discursif apologétique voire prophétique : « une voix » plus qu’un prêche voire un savoir d’expérience que la traduction par « propos[12] » engage forcément. Une voix qui parle ! pas une déclamation. Comme écrit Régy :

Quand je dis que la voix, je ne sais pas ce que c’est, c’est vrai : la voix, c’est un son ? Une vibration dans l’air qui fait que les voix ont chacune leur caractère ? La vibration transmet énormément de l’être, et les voix que je peux utiliser au théâtre sont des voix qui mettent en relation avec le monde intérieur. Quand on parlait de belles voix de théâtre, on parlait d’une émission de texte qui était d’ordre déclamatoire. (OM, 45)

Arnaud Rykner souligne comment « au fil des mises en scène » - significativement il cite « les trois pièces de Nathalie Sarraute[13] » – « Régy explorera plus avant cette primauté de la diction sur l’action et la fiction[14] ». Mais plus que de diction qu’on pourrait confondre ou rapporter à une oralisation, c’est d’oralité qu’il est question. Et Rykner d’ailleurs signale que « l’acteur n’est plus censé ‘habiter’ l’espace théâtral avec son corps » mais « qu’il est condamné à se laisser traverser par une parole qui fait résonner son propre ego sans que ce même ego prétende être à l’origine de la parole[15] ».

Dans la traduction de Meschonnic c’est ce corps résonnant, c’est « du corps qui bouge[16] », qui rend au texte une oralité pleine : « Paroles de la bouche d’un sage » (10-12, PS, 174) n’est pas « ce que dit la bouche des sages » et, ailleurs, « Le début des paroles de sa bouche » (10-13) fait tout autre chose que « le début de ses propos ». Ce sont bien des paroles qui traversent, qui passent comme un corps se déplaçant. De ce point de vue, il est étonnant d’y voir un quelconque « texte archaïque » dont Régy montrerait « ce qui ‘d’une écriture n’est pas à lire’[17] » quand c’est, me semble-t-il, tout le contraire : ce qui d’une écriture est à lire et qu’on n’est pas habitué à lire… ou mieux encore, ce qui continue de s’écrire et qui nous oblige à l’accompagner, ce qui en français a enfin commencé à s’écrire. Car si effectivement Régy précise qu’il s’est « demandé ce que la parole était avant que la parole existe » (OM, 49), c’est plus pour penser et vivre le continu corps-langage qu’une quelconque antériorité ontologique voire historiographique, comme Régy décrit le travail de l’acteur :

Cette idée a provoqué chez Marcial une émotion très forte. Évidemment les larmes modifient la vibration de la voix, et, comme ce travail était dur, Marcial était couvert de sueur. Tout coulait, morve, larmes, sueur. Et donc, comment dire que le corps n’est pas impliqué dans la délivrance de la parole. Larmes, sueur, sécrétions, font partie de la parole 

Mais j’aime, quand narrant ce que lui fait Marcial Di Fonzo Bo venant lentement à la lumière et à la voix, Sabine Quiriconi écrit que :

La bouche se modèle au gré du texte. Elle reste ouverte entre les groupes sonores. Les mouvements des bras sont lents, eux aussi, constants et répétitifs, si l’on ne prenait garde, au fil du temps, à la façon dont ils accompagnent imperceptiblement les transformations de cette longue phrase qu’est le texte, étrangement suspendue, jamais interrompue[18].

Cette phrase ininterrompue n’a rien d’une prouesse syntaxique voire spectaculaire même si le corps de l’acteur tout comme la syntaxe en sont totalement bouleversés. L’ininterrompue et l’étrange suspension sont très précisément ce que Régy appelle « la fusion de la parole et du corps » (OM, 48) rendue « visible » : « La parole est du corps ». Et l’inverse, le corps est de la parole, faudrait-il ajouter. Avec ce paradoxe tenue jusqu’au bout : « l’immobilité n’est pas absence de mouvement » puisque, en l’occurrence, Marcial Di Fonzo Bo est ainsi décrit par le metteur en scène :

Son corps irradiait. Son visage, à force de fixité, produisait des hallucinations. Je le voyais vieillard, enfant, garçon demeuré, je voyais quelqu’un de brûlé, de blanchi dans un excès de lumière. La lumière était fixe. On croyait qu’elle bougeait. Donc, la vision se transforme  dans l’imaginaire. Dans ce visage tout le temps mobile, il y a le mouvement de la bouche, et la délivrance de la parole qui, en effet, traverse le corps. (OM, 48-49).

C’est que s’opère alors un vrai retournement : une œuvre n’a force que par son inaccompli, par son incréé, par « ce qui encore n’a pas été » (4-3, PS, 149, cité dans OM, 63). C’est à ce point qu’il faut préciser ce qui advient avec la traduction-écriture de Meschonnic : un « éblouissement », comme aime à dire Régy (RSP, 141). Ce que André Chouraqui pointait dans sa préface à sa traduction des Psaumes : « Dans ce pays où nulle traduction de la Bible n’a encore réussi à s’imposer, les traducteurs qui en accepteront la gageure, l’effort et le risque, devront s’orienter vers la création d’un langage nouveau qui permette – cela fut le cas de l’émouvante Vulgate et de l’Authorised Version – de pressentir les profondeurs de vie qui font de la Bible le livre de Dieu ». Mais Chouraqui a oublié qu’on ne peut séparer les mots du silence, de la prosodie et du rythme. Ce que Henri Meschonnic explicite à l’orée de ses premières traductions :

J’ai voulu rendre, et je crois qu’on ne l’avait jamais tenté, les accents et les pauses dont la hiérarchie complexe fait la modulation du texte biblique, son rythme et parfois même son sens. Le rythme est le sens profond d’un texte. La diction, notée en hébreu par un système d’accents, c’est ce que j’ai voulu recréer, par des blancs (dans une hiérarchie non arbitraire), recréer les silences du texte, rythme de page [… ], ce que Gerard Manley Hopkins appelle le “mouvement de la parole dans l’écriture[19]”. Ainsi sont pris avant tout, sinon totalement, les textes bibliques comme textes, moments d’une écriture, sans ignorer l’accumulation des sens qui s’y trouve incorporée (5R, 15).

C’est que la traduction comme pratique et comme théorie est d’abord de l’ordre d’une écoute, d’une écoute comme « principe de traduction » et comme « défi nouveau à un public nouveau » (PPII, 424). Exactement ce que fait Régy quand partant de cet « éblouissement », il pose qu’« il s’agit d’être en relation avec l’incréé et de le faire percevoir au spectateur au lieu de se satisfaire du créé, il y aurait un grand chemin parcouru – à la fois parmi les hommes de théâtre mais aussi parmi le public, qu’il faut faire aussi évoluer » (RSP, 141).

Je me contente de lire le début du chapitre IV que cite souvent Régy.

I

Et encore        et moi j’ai vu        toutes les oppressions                qui se font        sous le soleil

Et tenez le pleur des opprimés        et il n’est pas pour eux        de consolateur        et de main de leurs oppresseurs        violence                et il n’est pas pour eux        de consolateur

2

Et moi je loue        les morts        qui sont déjà morts 

Plus que les vivants                 qui        eux sont vivants        eux encore

3

Et mieux        que les deux                ce qui encore        n’a pas été

Qui n’a pas vu        l’œuvre mauvaise                qui se fait       sous le soleil

4

Et moi j’ai vu        que        tout l’effort        et        tout le succès de l’œuvre              est l’envie de l’un        pour l’autre

Cela aussi est buée        et pâture de vent

5

Le fou       se croise les mains              et mange        sa chair

6

Mieux vaut                plein une paume        de repos

Que plein deux poignées        d’effort        et pâture de vent

7

Et encore        et moi j’ai vu une buée        sous le soleil

8

C’est un qui est seul et pas de second        pas même un fils ni un frère        et pas de fin à tout son effort                même son œil       n’en aura pas assez        de richesse

Et pour qui je fais mon effort        et prive mon âme        d’abondance ?                      cela aussi est buée        et triste besogne

 

Inutile de développer ici le système proposé par Meschonnic pour répondre aux dix-huit accents disjonctifs et neuf conjonctifs de l’hébreu biblique retranscrits dans la version massorète. Il y a ainsi par les blancs et par les « et » lançants et par les reprises, par le rythme qui tient ensemble prosodie, syntaxe et sémantique un dire qui est à proprement parler une théâtralité de la parole ou, comme dit Régy, une mise en scène dans l’écriture : « Si un texte est un texte, il contient sa mise en scène, il faut écouter la mise en scène qui est dans l’écriture[20] ». Mais plus que d’une dramaturgie du texte, il faut parler d’un écriture oraculaire, c’est-à-dire d’une oralité dans et par l’écoute. Ici, par exemple, « et encore » puis « et tenez » engagent l’écoute par le dialogisme jusqu’au dialogal de l’échange : performativité de l’accumulation qui jamais ne donnera dans l’exagération mais cherchera toujours la force du vrai, le ton proverbial qui est plus que la sentence la force prosodique, l’emportement volubile que font les attaques de versets quasi anaphoriques (« et moi », « et mieux », « et moi », « mieux ») mais surtout  le plain-chant consonantique en /p/ du verset 6 ou le « plein » repris deux fois – et l’on compte (« une paume », « deux poignées ») passant par « paume », « repose » et « poignée », s’inachève dans « pâture de vent », donc dans un « cela aussi est buée » ! Bref, ce que Meschonnic appelle pour souligner ce qui s’écrit ailleurs (7, 1), « une paronomase chronique » (PS, 134). Cette persistance, n’est-ce pas exactement ce que pointe Régy dans son propre travail quand il commente le début du 3e verset (« ce qui encore n’a pas été ») :

C’est un appel à l’incréé. (…) J’ai essayé de penser que la seule chose qui compte quand on fait une image, qu’on écrit un texte, ou qu’on le retranscrit, c’est que ce qu’on voit ou qu’on entend nous renvoie à de l’incréé, rende compte de l’incréé. Ce qu’on montre n’a aucun intérêt. Beauté, laideur n’ont aucun sens. Dans le faire devrait se manifester le « ne pas faire », on devrait en même temps sentir l’impuissance à le faire. (OM, 64)

 

4. La ré-énonciation ou l’écriture continuée

Toute la différence entre « Vanité des vanités » et « Buées de buées ». L’examen des manuscrits déposés à l’IMEC par Meschonnic permet d’observer la recherche longue de cette trouvaille qui est passée par « fumée » puis « souffle » et enfin « buée » : c’est-à-dire par l’abandon dès les premiers essais de traduction de tout abstrait quand l’hébreu pose un concret. Mais il n’y a pas que le choix du mot, il y a aussi la relation des mots qui va vers le concret ou l’abstrait : « vanité des vanités » pose une essence des existants, vise même une totalité, quand « buée de buées » pose une pluralité qui jamais ne peut venir à bout d’un illimité qui est un « vivre langage ». Aussi, cette lucidité du ressassement (PS, 132) que le « maître mot », hevel, reste « un point de départ » et ne devient jamais un « point d’arrivée ». La buée ou « l’haleine qui se résout en rien dans l’air » est comme « ces arrêts » et autres ralentissements que demande Régy à ses acteurs pour que « le vrai plein de l’écriture s’entend(e) » (OM, 65). Et il ajoute « si on ne l’a pas dès le départ occulté » ! car c’est ce que fait « vanité » qui oblige à fixer la voix au sujet philosophique ou éthique quand « buée » fait su sujet, de la voix, des problèmes sans cesse au travail et surtout une activité faite matière, une suspension prolongée, une relation infinie.

C’est bien à un « la bouche dans la bouche[21] » que nous invitent les deux expériences dans leur continu : la traduction et la mise en scène jusqu’à la lecture « la bouche dans la bouche ». Oui, la relation est une connaissance en actes, en actes de langage, un faire l’amour comme le poème qui continue « le mouvement de la parole dans l’écriture » :

C’est une respiration, c’est un souffle. Il faut considérer comme une coulée. C’est ce que j’essaie de faire : que le rythme de cette respiration soit celle du texte et qu’elle s’échange entre les acteurs, c’est-à-dire que chacun n’incarne pas un personnage, ne joue pas un rôle ni ne dialogue, mais qu’ensemble les acteurs soient à l’écoute du texte et du souffle de l’écriture. (RSP, 146)

 Bref, il s’agit d’essayer de faire en sorte « de tous les participants, des poètes à part entière selon une ligne générale qui est évidemment suscitée par l’écriture première » (RSP, 138). Mais, comme disait Péguy, « quelle effrayante responsabilité pour nous » (106) car « nulle œuvre pourtant n’est temporellement si achevée » (107). Et alors il y a à choisir entre un devenir public et un devenir auteur (114)… Meschonnic et Régy, le premier parce qu’il commence avec Paroles du Sage un chantier toujours en cours et dont le caractère démesuré est à contre-époque, souvent ignoré, du moins évité, et Régy parce qu’avec Paroles du Sage il s’enfonce peut-être encore plus dans « une expérience transgressive dont l’absence d’applaudissement constitue l’un des symptômes[22] », re-commencent ou du moins nous mettent au commencement, dans ce que Péguy signale avec les Nénuphars  de Monet : contrairement au « mouvement logique » qui « serait de dire » que c’est « le dernier » qui a été le mieux peint, « au contraire, au fond », c’est « le premier, parce qu’il savait (le) moins » (126). C’est à ce moment que la théorie de la réécriture est exactement à son point crucial : entre la « misère des thésauriseurs » (127) avec leur « théorie de la caisse d’épargne » (128) ou « de l’escalier » et « la buée de buées » ou comme dit Régy « la beauté de l’éphémère, suspendu comme de la poussière » (OM, 97).

Aussi, il me semble que la traduction d’Henri Meschonnic est une écriture continuée comme le travail de Claude Régy que Valérie Dréville tient en une très belle hésitation prolongée :

Ça fait appel à la faculté qu’a tout homme d’être dans un… dans un état d’écrire et d’écriture… ça travaille beaucoup là-dessus… sur l’écriture… retrouver l’état qui préside à l’écriture… je pense que ça existe dans chaque homme… il fait entendre ça, Claude, au spectateur même[23].


[1] « Le périmètre respectif des deux concepts demeure, de fait, très malaisément définissable » écrit Christine Lombez dans « Réécriture et traduction » dans Jean-Paul Engélibert et Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), La littérature dépliée, Reprise, répétition, réécriture, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 78. Les citations qui suivent renvoient à cette page.

[2] Jean-Louis Cordonnier, Traduction et culture, Paris, Didier/Hatier, 1995, p. 162. Il faudrait comparer une telle conceptualisation avec celle de quand Jean-Claude Chevalier et Marie-Françoise Delport qui parlaient d’« orthonymie » dans Problèmes linguistiques de la traduction, L’Horlogerie de saint Jérôme, Paris, L’Harmattan, 1995.

[3] C. Lombez, « Réécriture et traduction », article cité, p. 77.

[4] Michaël Oustinoff, La Traduction, P.U.F., « Que sais-je ? », 2003, p. 19.

[5] Claude Régy, Espaces perdus (EP), Les Solitaires intempestifs, 1998 (reprise de l’édition Plon de 1988) ; L’Ordre des morts (OM), Les Solitaires intempestifs, 1999 et « Ralentir, suspendre, prolonger… » (RSP) dans Franck Smith et Christophe Fauchon, Zigzag Poésie, Formes et mouvements : l’effervescence », « Mutations » revue mensuelle, n° 203, Paris, éditions Autrement, avril 2001, p. 136-146.

[6] Henri Meschonnic, « Paroles du Sage » dans Les Cinq Rouleaux, Le Chant des chants, Ruth, Comme ou les Lamentations, Paroles du Sage, Esther, traduit de l’hébreu, Paris, Gallimard, 1970, p. 129-184. Dorénavant, les références seront indiquées par PS suivi de la page. Du même, déjà cité Poétique du traduire (PDT), Lagrasse, Verdier, 1999.

Paroles du sage, mise en scène de Claude Régy : Théâtre National de Bretagne, février 1994 ; Théâtre Garonne, Toulouse, du 12 au 22 janvier 1995 ; La Ménagerie de verre, Paris, 8 février-26 mars 1995
 ; Théâtre des Bernardines, Marseille, 1-6 mai 1995 ; Verbier festival & Academy, Suisse, juillet 1995.

[7] Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, P.U.F., 1968 (noté dorénavant, DR suivi de lapage).

[8] Jean-Pierre Faye, Analogues, Paris, Seuil, 1964. Deleuze note significativement que l’analogie est encore « pour un œil malgré tout extérieur ». Il ajoute : « et dans tout ce livre, le rôle d’instinct de mort, interprété de manière analogique » (DR, 349, n. 1).

[9]. «Sonorité générale. – Quel que soit le commandement de la rime sur le vers, quel que soit le gouvernement de la force et de l’ordre et de la nature du rythme, ce commandement et ce gouvernement ne sont eux-mêmes que des éléments, des composantes élémentaires, évidemment importantes, peut-être capitales, mais nullement épuisantes, et il s’en faut, de ce qu’on peut nommer la sonorité générale de toute œuvre, non seulement de tout poème et de toute prose, de tout texte, mais aussi bien de toute œuvre plastique, de toute œuvre contée, dessinée, peinte, de toute œuvre statuaire, enfin généralement de toute œuvre. Ce n’est pas la rime seulement et le commandement de la rime, ce n’est pas le rythme et seulement et le gouvernement du rythme, c’est tout qui concourt à l’opération de l’œuvre, toute syllabe, tout atome, et le mouvement surtout, et une sorte de sonorité générale, et ce qu’il y a entre les syllabes, et ce qu’il y a entre les atomes, et ce qu’il y a dans le mouvement même. C’est cette sonorité générale qui fait la réussite profonde d’une œuvre. », Charles Péguy Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne (texte resté inédit à la mort de Charles Péguy) Œuvres en prose 1909-1914, édition de Marcel Péguy, Paris, Bibliothèque de la Pléïade, Gallimard, 1961, p. 145.

[10] Voir Langage et relation, Paris, L’Harmattan, 2005 pour une critique de la notion de « ritournelle », p. 120 et suivantes ; et surtout p. 160 et suivantes pour une critique des conceptions du langage de Deleuze qui néanmoins ouvre de nombreux passages à une théorie du rythme dans et par le langage.

[11] C’est ainsi que titre Henri Meschonnic pour participer à l’ensemble Claude Régy, dirigé par Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Les voix de la création théâtrale, n° 23 », CNRS éditions, 2008, p. 270-275.

[12] C’est la traduction de l’école biblique de Jérusalem (éditions du Cerf, 1955) que je prends comme unique comparaison.

[13] « Isma » en 1973, « C’est beau » en 1975 et « Elle est là » en 1980.

[14] Arnaud Rykner, « L’inconnu dans la chambre noire, Claude Régy et les dispositifs » dans Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Claude Régy, op. cit., p. 56.

[15] Ibid., p. 57.

[16] H. Meschonnic, « La force du continu », article cité, p. 272.

[17] Sabine Quiriconi, « Visages du monologue » dans Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Claude Régy, op. cit., p. 156-157. La citation vient de Jean-Luc Nancy, Corpus, Métailié, 2000, p. 74.

[18] Ibid., p. 158.

[19] (Note de S. M.) Le rythme bondissant d’Hopkins auquel on peut comparer l’écriture de Meschonnic, traducteur comme poète, était « le plus proche du rythme de la prose, c’est-à-dire du rythme spontané et naturel de la parole » (cité par Geoffrey Hill » dans « Racheter les temps », in G. M. Hopkins, Le Naufrage du Deutschland, Orphée, La Différence, 1991, p. 7.

[20] C. Régy, « Un cinéma dans notre monde intérieur », entretien avec Sébastien derrey dans Théâtre/Public, 124-125, Gennevilliers, juillet-octobre 1995, p. 115.

[21] Claude Régy à Sabine Quiriconi, article cité, p. 162.

[22] Sabine Quiriconi, article cité, p. 158.

[23] Entretien avec Valérie Dréville dans Claude Régy, le passeur, film super 16 mm de Elisabeth Coronel et Arnaud de Mezamat, 1997, abacaris-film, la sept-arte (ma retranscription).