Fabienne Raphoz, Terre
sentinelle, Editions Héros-Limite, 2014.
Ce livre est un mélange heureux et puissant d’expériences
vives. Il faut prendre cette notion au sens que John Dewey lui donnait :
une subjectivation qui inclut tout ce qui dans la vie participe à l’écoute du
vivant et les oiseaux chantent « l’évolution »… pas « La
Poésie » ; même si s’entend ici tout du long le poème de connaissance
partagée – on entendra Claudel (la quatrième séquence a pour titre « Tête
d’or ») mais aussi Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, en exergue à la première partie,
« Ur », « lieu de naissance » d’une genèse poétique. La versification (l'écriture des lignes du poème) est d’abord par ce poème, à chaque page, à chaque mot, à chaque silence, un « vers » comme « La question, l’adresse, puis au-delà de l’adresse, / la
question ». Ce « vers » est une écoute de tout ce qui augmente « le
milieu ».
Il y a dans ce livre de la genèse à refaire chaque jour :
« Etre est d’origine davantage que survivre ». Aussi le poème tient
sa documentation à hauteur de voix et donc d’abeilles parce que le merveilleux
(« la merveille / ne sait / la merveille / qu’elle est ») des unes
est aussi celui des autres : « un trait d’union » ou alors
« mort / mot rouge ». Ce livre trouve le langage du
poème : « Je parle Mozambique ». On recommence avec
« l’oiseau », son « chant » le « précède »… et la main suit : celle de Ianna
Andréadis qui accompagne Fabienne Raphoz mais aussi « l’oiseau
tremblant » ou « la rangée d’hirondelles », un corps-langage qui
vole.
Alors nous n’irons « plus au bois » ! Si la mère
(« Yvette R., née Panissod, est enterrée à Haute-Bonne le 8 juillet
2010 ») peut s’écrire « deep mother » en prélude à tout le livre, c’est aussi dans et par une
(si)« gnature » par le « fleuve » des lieux d el'enfance, l’Arve (affluent du
Rhône avec sa Haute et sa Basse-Vallée), que la voix continue les vivants en
passant tous les ponts qui relient. Cette tentative de surgissement
(renaissance ? ou plutôt naissance continuée) trouve son lit, sa lecture
et sa voix haute, dans la (mise en) page (typographiée) avec des accents
nostalgiques de pipit spinelle et toujours « le là » de la fauvette…
On touche l’hymne (Hölderlin) tout en
rejoignant « le merle-de-mon-jardin »
car ça (le poème) « divague / à / son gré ». Et le poème fait ce que
disait la « Mère » : « par beau temps, ne reste pas
dedans ». Le formulaire passe par l’énumération même si on se mord la
queue avec l’ouroboros (Calaferte ou le groupe français de brutal crushing death metal ?) pour sortir l’enfer du paradis
ou l’inverse avec le « formidable
bagage » d’Alfred Grandidier (1836-1921), explorateur de Madagascar, entre
autres…
Et tout le livre fait « un poème simple » avec sa « syntaxe de bête ».
On entend alors le conte, la comptine, et surtout « l’endémie » et
« l’eurycère ». Et le poème n’arrête pas de dire
« offre » : il peut écrire « le poème c’est / le rêve même
vrai » pour ouvrir « le grenier » et rejoindre « l’élégie
/ du je / commun ».
C’est fort, très fort, parce que les morts, les amis et les bêtes (et tous les lecteurs) font avec le poème un ressouvenir en avant ! Ils sentinellent notre terre, nos
errances tues et, ici en poème, entendues pour la faire commune.
I a n n a . A n d r é a d i s - Terres, 1985/1986