La comptine comptait dans sa voix. Sa voix courait sans compter. Courir vers toi en comptant sans compter ce que les mots ne disent pas quand tu me dis « j’accours », il écrit. Et voilà que je me sauve, il écrit encore encore, c'est comme ça que rien ne se répète. C’est le poème qui fuit et alors qui va l’attraper ? C’est impossible, ça appelle, ça échappe, ça vient, ça nous prend. Mais jamais on l’attrape. Ou alors à la trappe le poème : plus de rimes, plus de rencontres, plus de je-tu à rimes que veux-tu ! Mais le revoilà qui passe par ici sans qu’on prenne garde : il court derrière son nom, il perd la tête, il perd le nord, il tourne en rond, il finit par crier « voici ». Alors tous les oiseaux accourent et murmurent dans l’intensité du ciel à chacun qui écoute l’air du poème, n’importe quel vers du poème et le souffle et entre chaque syllabe : « il entend l’espace, il voit cette matière, il tremble d’être ». Exactement à ce moment-là, les enfants crient et courent dans le silence de la grande cour, dans le ciel de la récréation. Et ils embrassent avec leurs bras le silence qui sourd dans le murmure des oiseaux, le silence du poème qui crie « ça y est ! ».
La comptine comptait dans sa voix : c’était peut-être les syllabes, peut-être le silence, peut-être le souffle et il est arrivé au bord de l’enfance, au bord de l’amour dans le tremblement du compte, dans l’aveuglement de l’appel, au bord du gouffre, au bord du souffle. Et chacun a été touché au vif de la vie, de la vie à mort et il a dit qu’on ne pouvait pas comparer l’incomparable, la vie, le poème, un souffle entre les deux, entre les mains ouvertes. Il nous a laissé l’innombrable : son poème dans la voix des enfants, les enfants qui toujours courent quand je t'aime, quand tu cries, quand on se connaît, les enfants qui comptent encore et encore jusqu’à courir au bord du souffle, au bord du gouffre. Et tout ne fait qu’un, lui et les enfants et chacun de nous avec lui, avec son poème.
La comptine comptait dans sa voix: l’entaille de son cri.