1940 – 2010. Pour les 90 ans du peintre, rétrospective Jean Labellie

L’élan d’une force vitale indéfiniment déployée

La rétrospective d’une œuvre, surtout lorsqu’elle s’étend sur soixante-dix années, comme c’est le cas pour Jean Labellie, c’est l’occasion d’y faire apparaître continuités et ruptures, d’en scander les rythmes, d’en noter les lignes de force. L’œuvre de Jean Labellie, c’est un élan qui jaillit continuellement, une force vitale qui ne l’a jamais quitté et qui le porte encore au temps de ses 90 ans. Il a deux constantes, remarquablement explorées : les courbes et la couleur. Les courbes, on les décèle déjà, naissantes, dans ses tableaux de jeunesse, aux temps encore marqués par le cubisme et l’abstraction géométrique, dans l’orbe du bateau du canal de Pantin ou les nuages surplombant le canal de la Villette. La courbe, c’est le mouvement naturel  d’un bras, le cercle décrit par le pied dansant, ce sont les formes végétales, indéfiniment déployées et renouvelées, le mouvement de la montagne, l’orbite céleste. La courbe c’est la vie, le monde, le terrestre et le sidéral. Tout au long de sa vie, Jean Labellie les a travaillées, explorées, enchevêtrées, transposant le réel  en abstractions lyriques. Le mouvement qui reste ouvert, les innombrables ovales, ceux des corps découpés en autant de lignes adoucies, ceux des prairies et des châtaigniers d’Auvergne qui firent naître la belle série du pays vert, ceux infiniment ténus de l’olivier déployant et recomposant ses multiples feuilles. Ce sont les cercles fermés des pavés de nos villages, formes dures jetées sur des toiles mouvantes, transition avant que le peintre s’élance, à l’étape suivante, dans les figurations ouvertes et lumineuses des cosmogonies qui n’en finissent pas d’exploser. Tout cela avec un sens de la couleur, une audace dans les juxtapositions et les contrastes, un déplacement des tons qui puise au réel pour mieux s’en affranchir. Tels ces oliviers bleus traversés par une saignée d’oranges. Tels ces nus se démultipliant dans un ruissellement de couleurs, du noir au blanc pour l’un, du violet à l’orange pour l’autre, avec des chevelures en cascades de points d’or. Tels ces autoportraits construits par leurs couleurs, ces pavés dont les teintes vives font des bonbons et cette puissance des tons purs où la forme des cosmogonies n’est plus que couleurs, s’engendrant aspirées vers le haut, vers la pensée et la spiritualité.

Jean Labellie et l’art sacré

On ne trouve à l’exposition du couvent des Minimes qu’une seule tapisserie de Jean Labellie, présentée avec ses travaux préparatoires. Il en a fait une trentaine, exposées en divers endroits et non des moindres. On peut voir par contre une vidéo présentant les vitraux que le peintre a réalisés pour deux petites églises d’Auvergne. L’église Sainte Thérèse du Rouget (le lieu où Jean a vécu son enfance) fut construite, de nos jours, à la suite de la partition de la commune. Pour la nouvelle commune, il fallait une église. Pour la faire construire le curé fit une souscription. Le cadeau de Jean Labellie à la nouvelle église ce sont les vitraux qu’il a conçus pour elle, en 1962 : le plus vaste vitrail, en abstractions bleues et jaunes, évoque « le Père » ; la série des autres, en harmonies de pures couleurs, illustre les fioretti de Sainte Thérèse de Lisieux. Jean sculpta, pour la même église, un chemin de croix fait de panneaux carrés en chêne du Japon, remarquable ensemble à la symbolique expressive. Il composa aussi pour le village voisin du Cayrol des vitraux aux superbes enchevêtrements évoquant l’Ancien et le Nouveau Testament

Le dédale de salles du 1^er étage du Couvent des Minimes est un cadre excellent pour cette rétrospective aux amples panneaux, témoignage d’une vie d’artiste faite de plénitude et de joie qui s’exalte jusqu’aux œuvres récentes dans un grand bonheur esthétique.

Yvette Lucas

Perpignan, Couvent des Minimes jusqu’au 31 Mai