La porte de juillet

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Félix accéléra le pas en donnant l'impression d'être ulcéré alors qu'il s'agissait plus d'un jeu de scène. Immédiatement, Marc le rattrapa par le bras.

« — Mais Félix, calme-toi, après tout c'est de leur âge. Qu'est-ce que tu vas faire ? Tu vas les rejoindre et faire subir à ta fille la honte de sa vie ? Tu veux quoi, qu'elle te déteste jusqu'à la fin de ton existence ?

— Mais, je...

— Arrête Félix, ne gâche pas une si belle journée, le raisonna son beau-frère.

— Mais oui, renchérit le grand-père en s’invitant dans la conversation, il n'y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. On dirait que tu n'as jamais été jeune.

— Si, justement, je l'ai été et je sais par expérience ce qu’il peut arriver à cet âge-là si personne n'intervient.

— Allons, reprit le vieux, il n'y a rien de méchant à se donner la main. Je crois plutôt que ton foutu orgueil de père en a pris un coup. Ravale ta colère Félix. Tu ne vas pas entrer en guerre contre la nature et ce qu'elle donne à vivre de plus beau. »

Oncle Félix sourit. Il savait que le vieil homme était dans la vérité et que Julia tôt ou tard en serait venue à avoir un petit ami. Sans  doute même n'était-ce pas son premier flirt. Mais c'était la première fois qu'il en était le témoin. Au fond de lui, il n'était pas irrité contre sa fille, ni contre le garçon, non, il était plutôt enragé contre la vie qui allait lui enlever sa petite Julia, son bébé tant aimé.

« — Qu'est-ce que tu en penses toi ? » demanda Oncle Félix à Victorin.

Le garçon haussa les épaules dans un mouvement visant à témoigner de son ignorance dans ce domaine et lui fit cette simple réponse passe-partout et fataliste :

« — C'est la vie...

— Ah bah oui, si c'est la vie... Peut-être vaut-il mieux que je regarde ailleurs donc. Bon, alors Grand-Père, on arrive bientôt, dit-il pour changer de conversation.

— Oh là ! Que non ! À deux cents mètres à peu près, il faudra tourner à gauche. Victorin, tu vois où se trouve le gros rocher en forme de poire.

— Oui.

— Le chemin que nous devons prendre est juste derrière. Tu veux bien aller en avertir les jeunes ?

— J'y vais, Grand-Père. »

Il partit en courant pour rattraper les grands qui avaient pris une cinquantaine de mètres d'avance. En arrivant au rocher, la troupe suivant les indications de Vic vira et entama une montée qui promettait d'être longue et assez pénible. Raphe qui marchait en tête avant cela avec les écouteurs de son lecteur mp3 dans les oreilles écoutait une musique saturée de basse. Il n'avait donc rien entendu des nouvelles instructions et avait continué tout droit en se dandinant sous l'effet des sons qui avaient envahi son champ auditif. Il fallut plusieurs appels et sifflements de ses amis pour qu'enfin, alors qu'il avait déjà parcouru une bonne distance dans la mauvaise direction, il réalise qu'il s'était fourvoyé. Il revint en râlant sous les rires et les quolibets que les notes qui sortaient de son appareil rendirent en partie inaudibles.

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Victorin, sa mission accomplie, attendit près du roc que les adultes le rejoignent. Puis en leur compagnie, il prit le chemin qui escaladait le flanc de la colline. Plus étroit, envahi par les herbes, on ne pouvait y marcher à plus de deux de front. Le train de la marche ralentit. Même les adolescents, sous l'effet du surcroit d'effort qu'ils devaient fournir pour grimper, étaient plongés dans le silence. Derrière eux, le petit Denzel peinait à suivre et commençait à geindre et à regretter de ne pas être resté avec sa maman. Yohan s'en aperçut le premier. Il l'attendit et lui offrit de se faire transporter sur une bonne paire d'épaules ce que le garçonnet joyeux et reconnaissant accepta immédiatement. Il se retrouva alors perché très haut au-dessus des plus grands qu'il toisait d'un regard dominateur avec un enivrant sentiment de supériorité tout nouveau pour lui. De temps à autre, Julia qui marchait à côté lui lançait un œil amusé et complice. Puis, émue et amoureuse, elle souriait langoureusement à son ami. Plus loin derrière, en queue, Félix qui avait suivi la scène, dit qu'il n'était pas dupe et que ce n'était pas ainsi que ce pauvre nilgaut l'amadouerait.

« — Oh, c'est tout de même bien gentil de prendre cette initiative, souligna Marc, comme ça, tu n'as pas à te coltiner le gosse. Enfin pas pour l'instant, car cela m'étonnerait fort que ce jeune homme, aussi costaud qu'il soit, puisse tenir le coup tout le long de la route. »

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