JACQUES SALOME

Voici  une belle lecture en ce conte  d'une famille loutre qui vivait sur le principe suivant : Ne jamais dire  ce qui n'allait pas et nier les différences .

    Il était une fois une famille loutre très unie,  et vous savez que dans les familles loutres très unies  il est très important  de nier et de cacher  ce qui pourrait désunir .

   Cette famille  " Tout va bien "  était constituée  d'un papa, d'une maman, d'un fils aîné , d'une fille cadette  et d'une benjamine.

    Dans cette famille , la règle de vie  qui s'était installée  au fil des ans était " de ne jamais dire  ce qui n'allait pas , et de masquer les différences qui pourraient apparaître entre eux " .

   Avec un prix à payer :  le fait de nier les différences annulait l'unicité  et la spécificité de chacun .

   Une nuit , puisque les différences étaient niées , le père loutre  avait confondu sa fille  et sa femme . Oui, ce père  avait donc eu des relations sexuelles  avec sa fille . Les autres membres de la famille n'avaient rien vu , rien entendu .

   Quelques mois plus tard , ce fut le frère qui eut une relation sexuelle avec sa soeur et, là aussi personne n'en parla .

   Les années passèrent . Un dimanche , un jeune loutre étranger arriva dans cette famille , il vit, lui, les différences et apprit ce qui s'était passé entre le père et sa fille , entre le frère et sa soeur . Il invita la jeune fille  loutre à parler car il l'aimait réelement . Et s'est ainsi  qu'elle osa parler à sa mère .

   Celle-ci fut boulversée  de découvrir  ce qui s'était  passé. Elle tenta de nier , de refuser  cette révélation.
Puis elle s'enferma dans un silence  blessé, refusant de dormir avec son mari . Le silence  lui semblait la seule issue , car elle était épouvantée  à l'idée d'avoir à dénoncer son mari. Ensuite  elle s'inquiéta  pour sa deuxième fille, devenant méfiante, agressive à son égard, mais comme la règle  de cette famille, je vous l'ai dit  était " de ne pas dire ce qui n'allait pas ! "  elle préféra s'enfermer  dans une dépression nerveuse . Ce fut sa façon à elle d'appeler à l'aide .

   D'autres années passèrent. Il faut dire que dans cette famille loutre, tous s'aimaient réelement. Ils avaient un amour profond  les uns pour les autres, mais l'insupportable était là, présent . Comme un poison  au milieux d'eux . Et personne ne prenait le risque de le révéler, de le montrer au grand jour ...  en mettant des mots dessus .

   C'est le propre des familles loutres  de garder le silence , en espérant que le temps arrangera les choses  !

   Un jour, la mère loutre  eut un énorme courage , et il lui en fallait du courage , pour faire quelque chose qui ne correspondait pas  aux règles de la famille . Elle décida de parler  à chacun, de rappeler  qu'il y a des différences  entre les membres d'une même famille . Elle se positionna vis-à-vis de sa fille , de son fils  et de son mari .

 - Je te vois bien, ma fille, comme ma fille, comme la soeur de ton frère  et de ta soeur, je te vois comme la fille de mon mari  qui est aussi ton père .

À son fils , elle dit :

- Je te vois, mon fils, comme le frère  de tes soeurs  et comme le fils de mon mari , qui est ton père .

Le plus difficile  fut de dire à son mari :

- Je te vois  comme mon mari  et comme le père de mes enfants .

C'est vrai  que j'ai été blessée par les transgressions  que tu as faites en osant vivre des relations qui ne t'appartenaient pas avec ta fille .

- C'est vrai , dit-elle encore à son fils, que je me suis sentie en danger  quand j'ai découvert que toi, mon fils,  tu avais eu des rapports avec ta soeur, rapports qui auraient dû être réservés à une femme étrangère à la famille .
Je veux dire aussi aujourd'hui à chacun  quelque chose  que j'aurais dû énoncer il y a longtemps :

- Chez les loutres il existe un interdit spécial, particulier et commun à toutes les familles loutres, l'interdit  de L'INCESTE ! Aujourd'hui, par ma parole, je voudrais rappeler les liens  que nous avons entre nous  et je souhaite  qu'en aucun cas à l'avenir ces liens ne soient transgressés.

En disant cela , elle sentait bien qu'elle disait l'essentiel ,  qu'elle retrouvait une parole structurante .

    Une parole qui avait tant manqué à cette famille.

La plus étonnée  fut la plus petite des filles,  qui avait des difficultés  de sommeil (alors que les loutres doivent dormir beaucoup). Elle retrouva un sommeil profond, sans médicaments  et fit même des rêves  bleus  !

 C'est vrai  qu'il faut beaucoup de courage  pour montrer les différences, pour sortir d'un système  dans lequel  on a vécu si longtemps. Il faut du courage pour rappeler les liens qui peuvent unir ou diviser une famille .

Ainsi se termine le conte de la famille loutre qui avait voulu nier les différences .

  Jacques Salomé

Les loutres de mer se tiennent la main pour dormir   l-anecdote.com

Un très beau conte pour aborder un sujet toujours d'actualité et qui reste encore trop tabou malgré sa gravité. Les blessures profondes qui en découlent marquent des vies et les victimes restent traumatisées à jamais, d'une façon ou d'une autre.

Brigitisis