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Date de création : 13.06.2011
Dernière mise à jour : 26.11.2024
11468 articles


L'HORIZON D'UNE NUIT CAMILLA GREBE

L'HORIZON D'UNE NUIT  CAMILLA GREBE

L'auteure :camilla_2

Née en 1968, Camilla Grebe est une romancière suédoise.
Elle est diplômée de la Stockholm School of Economics.
Elle est co-fondatrice de Storyside, une maison d’édition Suédoise de livres audio.
Elle possède également une maîtrise en gestion des politiques publiques de la New York University.

Elle commence sa carrière d’autrice en 2009 en sortant son 1er roman écrit à quatre mains avec sa sœur psychiatre.
Ça aurait pu être le paradis est un roman policier racontant les troubles psychotiques d’une femme et ses séances chez la psy.
Ce roman est d’autant plus authentique grâce à la minutie presque médicale dont font preuve les écrivaines afin de décrire les situations et les analyser tels des professionnelles.

À la suite du grand succès de son polar, Camilla Grebe publie d’autres polars.
Un cri sous la glace 2017
http://brigitisis.centerblog.net/10401

Le Journal de ma disparition. 2018  Prix des lecteurs du Livre de Poche en 2019 
http://brigitisis.centerblog.net/9326

Elle devient la Lauréate du Glass Key Award (qui récompense le meilleur polar scandinave) avec L’Ombre de la baleine. 2019 .
http://brigitisis.centerblog.net/10495

Ce polar se déroule à Stuvskär, dans l'archipel de Stockholm, où des cadavres de jeunes hommes sont repêchés.

L'auteure développe dans cet opus des thèmes très actuels comme l'addiction aux réseaux sociaux, qui donne l'impression d'exister et crée la confusion entre réel et virtuel.

L’Archipel des larmes 2020 lui vaut également le Glass Key Award. Ce roman raconte des crimes en séries concernant uniquement des femmes, dans un contexte où l'arrivée des femmes dans la police misogyne de l'époque est très mal acceptée. Camilla Grebe étudie avec son livre la double peine des femmes : le travail et la gestion de la maison.
http://brigitisis.centerblog.net/10419

L'horizon d'une nuit en 2022 captivant et bouleversant.

Elle sort en 2023 son roman, L’énigme de la Stuga, un polar qui nous met en haleine et à bout de souffle lors de sa lecture.

Ses ouvrages sont publiés chez la maison d’édition Calmann-Levy.
Ils sont traduits en plus de vingt-cinq langues et s’écoule à plus de 2,5 millions d’exemplaires partout dans le monde.

 


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L'Histoire :

CONNAÎT-ON VRAIMENT LES GENS QU’ON AIME ?


Dans sa grande maison aux abords de Stockholm, Maria aime sa famille recomposée avec son nouveau mari Samir, son petit Vincent, si fragile et attachant, et sa splendide belle-fille Yasmin, qui couvre ce dernier d’amour.


Par une terrible nuit d’hiver, Yasmin disparaît près de la falaise, mais aucun corps n’est jamais retrouvé.
Bientôt, tout accuse Samir. Après tout, n’avait-il pas une relation conflictuelle avec sa fille ?
Maria ne peut y croire, mais petit à petit, le doute l’envahit…

Les inspecteurs Gunnar Wijk et Ann-Britt Svensson sont chargés de l’enquête. Jamais faux-semblants et mensonges n’auront autant régné.


L’Horizon d’une nuit est un nouveau tour de force psychologique, aussi captivant que bouleversant, car chaque membre de la famille dévoile tour à tour sa version du drame, nous menant tout droit vers un rebondissement final qui laisse sans voix.

stockholm-archipelago

Stockholm Archipel

 

 

 

Critique :

LePoint  16 février 2022

On explore la nuit de cette disparition à travers les voix des protagonistes, dont Vincent, le petit frère trisomique, comme autant de sons de cloche, jusqu'à trouver celle, fêlée, qui nous livre la clé de l'énigme.

 

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Stockholm

 

 

Extraits :

MARIA

     " N’est-il pas étrange qu’un évènement, une seconde, puisse, avec une précision chirurgicale, couper une vie en deux, la mutiler, séparer à jamais le présent du passé ?
     Le samedi 16 décembre 2000, ma vie changea pour toujours.
Ce jour-là, ma famille fut projetée dans un maelström d’évènements incontrôlables, insoutenables.
     Voilà comment tout a commencé."

 

"Pour être tout à fait honnête, j’avais eu un peu de mal à le laisser tout seul avec Samir et Yasmin. Pendant presque toute sa vie, nous n’avions été que tous les deux, une communauté étroite et fonctionnelle dans laquelle je ne pensais laisser entrer personne."

     "Un coup d'œil à l'horloge de la cuisine. La peur m’a saisie pour de bon. Quelle que soit la raison de son appel, c’était de mauvais augure. On ne téléphone pas à quatre heures du matin pour prendre des nouvelles, on téléphone parce qu’il y a un gros, gros pépin.

      "Yasmin n’était pas ma fille, elle était ma belle-fille. Ou bien ma fille « en prime » comme on dit en Suède. Une expression sympathique. Un peu comme si on avait gagné un lot à la tombola.

"Pourtant, Dieu sait que Yasmin n’était pas un cadeau. Il n’y avait pas une once de méchanceté en elle, mais elle était irresponsable, impulsive, naïve au plus haut point et elle causait régulièrement toutes sortes de problèmes. Je ne pouvais pas vraiment lui jeter la pierre, elle n'avait que dix-huit ans, après tout.
     Peut-être qu’un adolescent n’est aimé inconditionnellement que par ses parents. Seul le lien du sang permettrait d’avoir de l’indulgence pour tous les caprices et les négligences."

      "Mon fils Vincent avait dix ans et j'aurai pu mourir pour lui.
Pour moi, être parent, c'est ça : faire passer le bien de son enfant avant le sien, dans toutes les situations. Simple, mais fascinant."

"Quand Vincent est né et qu'il s'est avéré que ce fils tant désiré avait reçu en partage non pas deux mais trois chromosomes au niveau de la paire 21, j'ai été renforcée dans ma certitude qu'il valait mieux se débrouiller sans Brian.
      La trisomie 21. Le syndrome de Down.


     "Bien sûr que la nouvelle m'a ébranlée. Il y avait tant de choses que j’ignorais, bien que j’aie rencontré des enfants touchés pendant ma formation d’enseignante. Je me croyais libérée des préjugés et informée sur tous les types de handicaps. Je pensais qu’il ne pourrait jamais parler, qu’il ne fréquenterait pas une école ordinaire, qu’il passerait toute sa vie adulte dans des institutions, qu’il ne pourrait pas travailler, qu’il ne connaîtrait pas l’amour."

"Il avait marché tard. Il avait suivi des séances d’orthophonie et pendant un temps j’avais même appris des rudiments de langue des signes pour simplifier la communication. Puis les mots sont arrivés, ont afflué, se sont déversés de ses lèvres, presque. Difficiles à comprendre au départ – lents, traînants, comme étrangers à sa petite bouche – puis de plus en plus clairs.
     Il a également appris à lire et à écrire, il lui a juste fallu un peu plus de temps que les autres. Il a même pu fréquenter une école ordinaire avec l'aide d'une accompagnante. 
Il avait des rêves, des peurs, des espoirs, mais surtout il était un individu à part entière, pas quelqu’un d’assimilable à toutes les personnes qui par hasard avaient reçu un petit chromosome en plus."

"Car le problème, ce n'était pas Vincent, mais la perception qu'on avait de lui. Les fois où je m'inquiétais pour son avenir, c'est à ça que je pensais : comment serait-il considéré par les autres – tous les gens porteurs d'un caryotype intact ? Les gens normaux qui le regardaient de travers et le traitaient de "mongol" dans son dos. Ou pis, devant lui.
     
Vincent avait par ailleurs une intuition étonnante. Comme s’il pouvait flairer les sentiments. Quelqu’un mentait ? Il le savait. Quelqu’un avait du chagrin ? Il le sentait. Quelqu’un allait se mettre en colère ? Il le devinait. J'ignore comment il faisait, ça ne pouvait pas être la conclusion d'un raisonnement. j'y pensais souvent comme une forme de sensibilité musicale, Il lisait les gens comme d’autres lisent une partition."

"Elle a trouvé cela très étrange, mais est rentrée chez elle. Pourtant, quelques heures plus tard, comme l’image ne la quittait pas, elle a décidé d’y retourner. Au sommet du rocher, elle a découvert une paire de bottes. Dans l’une d’elles, il y avait un papier. Elle l’a lu : il s’agissait d’une lettre d’adieu. Elle a appelé les secours."

        "Anna était suédoise ; elle était arrivée en France comme jeune fille au pair et n’était plus repartie. Au début des années quatre-vingt, elle avait épousé Samir et ils avaient eu deux filles, Yasmin et Sylvie. Mais l’année des quatorze ans de Yasmin, celle-ci, sa sœur et sa mère avaient eu un accident de voiture sur l’autoroute, juste au nord de Paris. Apparemment, il faisait froid et le sol était glissant ce jour-là. Sous un pont routier, une grande partie de la chaussée était couverte d’un verglas quasi invisible, la voiture avait dérapé, Anna avait perdu le contrôle du véhicule qui s’était déporté sur l’autre file, juste devant un camion.       Anna et Sylvie étaient mortes sur le coup, mais Yasmin avait survécu presque indemne, comme par miracle.
     D’ailleurs, Samir appelait Yasmin « ma petite miraculée ».
     Il parlait peu d’Anna, mais les rares fois où cela lui arrivait, ses yeux brillaient et sa voix tremblait.
     — Tu sais, elle était tellement belle qu’à Paris les gens s’arrêtaient dans la rue en la voyant. Mais elle n’avait pas la grosse tête.
Elle était gentille avec tout le monde.
     Bien sûr, mon cœur se serrait à ces mots, même si je savais qu’il était absurde et déplacé de jalouser une défunte."

"L’homme s’avéra aussi ennuyeux que son métier – gentil, mais barbant. Pas de chance, il en pinçait pour moi. J’avais passé la majeure partie de la soirée à l’éviter dans cet appartement enfumé et bruyant. Jusqu’à ce que le clou de la soirée fasse son entrée, guitare à la main, prenne place sur une chaise au milieu du salon et se mette à jouer et à chanter en français.
— Samir, chuchota Greta à mon oreille. Un ami de mon cousin. Médecin. Et excellent musicien aussi, tu ne trouves pas ?"

     J’avais toujours eu un faible pour les musiciens – ce qui explique en partie pourquoi je me suis éprise de Brian, le père de Vincent. Parfois je me demande si je suis tombée amoureuse de l’homme ou de sa musique. C’était peut-être la même chose. Quoi qu’il en soit, Brian était un blanc-bec, un garçon tout juste lancé dans la vie adulte, qui n’avait pas la moindre envie de s’engager.
     Samir était tout à fait différent.
     C'était un homme. "

     "À cet instant précis, la bataille était perdue, ou gagnée, selon le point de vue. Je suis tombée raide dingue de ce Français exubérant qui n’était pas seulement musicien, mais aussi père d’une fille de seize ans (Yasmin), médecin et chercheur en cancérologie à l’institut Karolinska de Stockholm. Il en avait bavé, il avait quitté son pays natal pour repartir à zéro après la mort tragique de son épouse et de sa benjamine  sur une autoroute verglacée de la banlieue parisienne.
Je me disais parfois qu'il avait vécu notre rencontre comme je l'avais vécue, moi. 
Il avait été marié à une Suédoise, il était tombé amoureux et avait plongé dans le caractère scandinave – la pâleur, la blondeur, la timidité. Peut-être reconnaissait-il cela en moi comme je reconnaissais en lui la musique et cette pointe d’exotisme ? Peut-être l’amour est-il ainsi – nous n’aimons jamais seulement une personne, mais aussi ce qu’elle éveille en nous : les souvenirs d’autres amours, une sensation vague mais rassurante de quelque chose de familier, même si nous nous croisons pour la première fois.
     Peut-être ne voit-on pas non plus les gens pour ce qu’ils sont vraiment, puisque l’amour est aveugle et rend aveugle. C’est un impératif. Sinon, pourquoi imposerions-nous à notre vie un virage à cent quatre-vingts degrés pour tout recommencer avec quelqu’un d’autre ? Pourquoi voudrions-nous nous installer ensemble, bousculer nos vieilles routines et accepter des compromis sur tout ce qui importe ?
     L’amour a besoin du changement et le changement fait souffrir.
     Ce soir-là, nous avons consolidé notre nouvel amour dans mon vieux canapé. Puis sur le sol de la salle de bains. Et dans mon lit le lendemain matin, au moment où l’aube chasse l’obscurité."

 

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     "Je n’ai pas corrigé sa faute de langue. On n’est pas Down, on a le syndrome de Down. On n’est jamais son diagnostic, on est un individu avec un éventail de caractéristiques, de qualités et de défauts."

     "Samir était un lion et Vincent une antilope ; Samir le cheval et Vincent le cavalier ; Vincent le cyclope et Samir le garçon qui devait rentrer chez lui à travers les bois. Sous la table de la cuisine, il y avait une grotte. Si l’on tendait des couvertures sur la table, c’était encore plus effrayant et une lampe de poche pouvait servir de feu de camp.
     Ensuite, j’avais passé une heure à tout ranger, mais qu’importe !
Mon fils semblait adorer l’homme que j’aimais, et réciproquement.
     Tout n’était pas aussi simple, bien sûr. Ça ne l’est jamais, n’est-ce pas ? Il n’y a que dans les films et dans les romans que deux personnes avec un passé se rencontrent et vivent heureuses jusqu’à la fin de leurs jours sans que ce qu’on appelle « la réalité » s’en mêle.
     La réalité a de nombreux visages.
     Prenez ma mère, par exemple. Elle se montrait très méfiante à l’égard de « mon Arabe »,comme elle l'appelait. J'avais beau lui répéter qu'il était français, pas arabe, qu'il était né et qu'il avait grandi à Paris, qu'il avait été marié à une suédoise et parlait la langue bien avant de s'installer ici, pour elle, il était arabe – le nom, la peau sombre, les gestes amples – , et avoir vécu dans un pays européen n'y changeait rien. Y être né non plus.
     C'est quelque chose qu'on a dans le sang."

     "Que Samir soit médecin était toutefois une circonstance atténuante pour ma mère : au moins, il ne vivait pas aux crochets de la société comme tous ces immigrés qui s’entassent dans la salle d’attente du centre de santé quand elle doit consulter son médecin traitant pour ses problèmes d’arthrose. Or, même le fait que Samir œuvre à l’éradication du cancer ne contrebalançait le fait qu’il soit né musulman, même s’il n’avait jamais mis les pieds dans une mosquée ni prononcé la moindre prière et qu’il se régalait de mes côtelettes de porc. Ma mère qui venait de lire Jamais sans ma fille, était convaincue que Samir pourrait se radicaliser spontanément, du jour au lendemain, avec des conséquences dramatiques.
     Je prenais sa réaction avec calme, je la laissai partager son inquiétude sans la contredire. C’est ainsi, quand on est heureux, non ? les petits soucis ne nous touchent pas. Nous sommes tolérants et patients."

"Tout paraissait tellement idyllique, les meubles peints en vert, la vieille cuisinière à bois qui avait survécu à la rénovation, le plan de travail en marbre que nous avions choisi malgré son incommodité, et les dessins de Vincent qui couvraient tous les murs."

     "Yasmin signifie « fleur » en arabe, mais Yasmin n’avait rien d’une fleur. Certes, elle était très belle : svelte avec de longs cheveux noirs et des yeux verts en amande. Une grande bouche et un sourire communicatif. Une traînée de taches de rousseur sur son gracieux petit nez."

     "Yasmin semblait gentille, douce, si vous voulez. Et puis, elle était si serviable, elle débarrassait après le repas et s’efforçait de discuter avec moi. Le dîner fini, elle avait disparu avec Vincent qui jubilait, bien sûr ! Il l’avait adoptée sur-le-champ, ce qui était inhabituel. Il se montrait toujours méfiant envers les inconnus. En même temps, il possédait cette intuition, cette drôle de capacité à identifier les personnes qui l’appréciaient, lesquelles étaient rapidement conviées dans son monde.
     Yasmin avait été choisie, c’était clair dès le début.
     Nous avons entendu des gloussements et des éclats de rire à l’étage, puis de la musique, et çà et là des petits cris et des bruits de chocs."

     "En plus, comme par miracle, ma mère n’a pas prononcé une seule fois le mot « Arabe », qui dans sa bouche n’est jamais neutre. Et le temps était radieux : le soleil dardait ses rayons, un vent doux susurrait dans les cimes des arbres et la mer s’étirait, lisse comme une étoffe de soie devant la petite maison de Greta. La nuit tombée et les invités partis, nous nous sommes assis sur la plage pour attendre le lever du jour.
     — Je suis heureuse !
     Samir m'a caressé le dos et son regard s'est dirigé vers le rai lumineux à l'horizon.
     — Le bonheur est fugace. Il est comme un été suédois. Soudain, il apparaît. Aussitôt il s'en va, sans prévenir.

     J'ai éclaté de rire, je crois, parce que sa formulation maladroite était à la fois juste et cocasse.
     Je n'imaginais pas qu'il puisse avoir raison."

        "Qui était Yasmin ?
     Je ne le savais pas alors, je ne le sais pas plus aujourd'hui. d'ailleurs, comment peut-on être sûr d'une chose pareille ?  
Nous ne savons que ce que nous voyons, la facette que les autres choisissent de nous montrer. Même nos proches peuvent nous cacher leur véritable personnalité."

     "En revanche, je trouvais cela étrange que Samir n'aborde pas ces questions avec elle. Je suis une féministe convaincue : je pense évidemment que les femmes doivent avoir les mêmes droits et les mêmes possibilités que les hommes, mais Je suis aussi réaliste, et dans notre société on ne peut pas faire abstraction de ce qu'on dégage.
     Yasmin dégageait une aura sensuelle."

 

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     "Ceux qui ont perdu un être cher savent que la peine fait mal, et pas seulement à l'âme. Votre corps est endolori, votre peau vous pique, votre respiration devient lourde, comme si une ceinture se serrait autour de votre poitrine. Le chagrin semble vous paralyser. Il se pose comme un filtre, une membrane sur votre conscience et entrave toute volonté d'action."

     "C'était tellement étrange de l'entendre parler ainsi, l'entendre parler d'elle comme d'un corps. Personne n'avait mis les mots sur cette réalité, n'avait osé reconnaître que Yasmin était probablement morte."

     "Les choses peuvent donc changer si vite ! Un jour, une famille tumultueuse mais heureuse, le lendemain une existence dévastée, un champ de ruines comme après un bombardement. Si je l’avais su avant, aurais-je vécu différemment ? Aurais-je davantage profité de chaque jour, de chaque instant, de ces moments qui ensemble composent la vie.
     On se laisse facilement leurrer jusqu'à croire que l'existence n'est qu'un présent qui se prolonge, s'étend, s'étire vers l'avenir. Que la vie est un indolent félin qui, inlassablement, se promène sur un sentier tout tracé. Puis tout à coup advient l'incompréhensible, l'indicible, ce que nous n'osons pas imaginer, ce que nous ne parvenons même pas à nous représenter. Nous ne marchons plus à côté du tigre. L'animal entoure notre cou de ses crocs, les pattes posées sur notre poitrine, les griffes plantées dans notre peau. 
    Nous l'entendons rugir, devinons que tout est bientôt terminé, comprenons que c'est bien vrai : la vie nous a trahis.
     Mon père avait l’habitude de dire que la vie est comme un arbre – rien d'étonnant venant de lui, d'ailleurs. Il était passionné par les plantes et les arbres, c'était tout pour lui. C'était plus important que les gens, que tout autre chose.
"Les racines sont ton enfance. Sans racines solides, tu n’emmagasineras pas assez d’énergie pur croître et te développer. Le tronc, ce sont tes actions, les choix que tu fais, l’existence que tu te fabriques – il peut être épais et puissant, ou grêle et faible, à toi de voir. Mais sur des troncs malingres ne poussent pas de branches fortes. Les branches sont les rêves que nous portons. Elles s’étirent vers le ciel, elles ne savent rien faire d’autre ».

     "Puis l’instant est passé, il a disparu comme le font tous les instants, s’est rangé parmi tous les autres terribles instants que contient notre passé."

     "Néanmoins, j'ai menti. Parce que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire."

 

VINCENT

     "La maîtresse nous a expliqué qu'il existe trois manières de mentir :
     Un : on dit quelque chose de faux. On appelle ça un mensonge.
     Deux : on dit quelque chose de faux parce qu'on veut être gentil. On appelle ça un pieux mensonge. Il y a aussi le mensonge officieux, c'est presque la même chose, sauf que c'est pour aider quelqu'un.
     Trois : on ne dit pas tout ce qu'on sait. C'est le mensonge par omission. Même si on ne dit rien, c'est quand même un mensonge, selon la maîtresse.
     Je ne suis pas d'accord avec elle. Moi, ke me tais très souvent, et ce n'est pas pareil que mentir, je trouve.
     J'en ai parlé avec Maja. Elle m'a dit que les maîtresses aussi peuvent se tromper. Elle a ajouté :
     — Tant qu'on n'est pas méchant, ce n'est pas grave de garder le silence."

     "Je me suis souvenu de ce que disait Maja quand je devenais muet :
     Tu te punis autant toi-même.
     À ce moment-là, j'ai su comment j'allais me punir. Je n'allais plus parler à personne. Plus jamais."

 

GUNNAR

Vingt ans plus tard

"Je me demande , comme souvent quand je rencontre des médecins légistes, pourquoi ils ont opté pour cette carrière au lieu de devenir ophtalmologues, pédiatre ou chirurgiens. Pourquoi ils ont choisi de côtoyer les morts plutôt que les vivants. J'ai posé la question à une autre légiste qui a répondu : « Les mystères, Gunnar. Ce sont les mystères. Nous en résolvons tous les jours et nous donnons une voix à ceux qui ne peuvent plus parler. s'il y a bien quelqu'un qui devrait pouvoir comprendre, c'est toi, non ?»"

     "C’est un enfer de vieillir, plus rien ne fonctionne comme il faut. Mon corps me fait souffrir et il est d'une lenteur agaçante. Il ne m’obéit plus. Il veut se reposer au lieu de faire de l'exercice, prendre la voiture au lieu de marcher, et il s'obstine à vouloir se lever pour uriner au milieu de la nuit."

     "Seul, on n'est peut-être pas fort, me dis-je. Mais bordel ce qu'on est tranquille !"

 

     "— Et voilà que ma mère avait raison. Elle qui disait toujours que la vision de bien et du mal diffère chez les gens qui ont leurs racines dans une autre culture. Qu'il nous a fallu des centaines d'années pour nous civiliser et qu'on ne peut pas s'attendre à ce qu'une personne venant d'un autre pays adopte nos valeurs, soit ainsi attachée à l'égalité, respecte autrui indépendamment de son sexe, son origine, sa religion. Etc..., etc.
     — Alors ta mère t'a convaincue que Samir était coupable ?
Maria secoue la tête, sourit tristement.
     — Ce n'est ni elle ni quelqu'un d'autre. c'est le temps..."

    "Je sens les larmes monter. Je suis sincère. Je trouve les femmes mûres splendides. Peut-être pas aussi lisses et musclées que leurs cadettes, mais j'aime les rondeurs, c'est tellement excitants. Et surtout j'aime les femmes expérimentées qui savent ce qu'elles veulent."

     "Toutes les familles de Kungsudd ont au moins une aide-ménagère et une nounou.
     Comme nos vies sont différentes. 
Comme nous sommes gâtés – moi aussi – avec tout ce que nous prenons pour acquis : notre liberté de choisir notre voie dans la vie, notre sécurité, notre survie et notre droit évident à vivre à proximité des êtres que nous aimons."

     "Nous mentons pour nous protéger et protéger ceux que nous aimons. Nous mentons par paresse, parce que c'est plus facile que de raconter la vérité – comme l'a dit quelqu'un, un mensonge peut faire le tour de la Terre le temps que la vérité mette ses chaussures.
     Nous mentons pour nous grandir, pour paraître plus intéressants, parce que la vérité est souvent tellement prosaïque. Nous mentons par bêtise, par peur, et pour mille autres raisons. Le plus souvent, ça n'a aucune importance : qu'est-ce qu'une goutte de fausseté dans un océan de franchise?
     Le mensonge est comme un adorable petit lapereau – il semble innocent,  inoffensif. Mais nous n'avons pas le temps de dire ouf qu'il nous a échappé des mains, s'est reproduit, et la forêt est pleine de mammifères à longues oreilles. Le premier mensonge conduit à un deuxième, le suivant à un autre. A la fin, nous sommes envahis.
     Nous ne pensions pas, ne voulions pas, ne croyions pas, que notre mensonge allait mener à la catastrophe.
     Pourtant, c'est parfois ce qui se passe."

     "Comme chaque fois que je me replonge dans de vieux documents cornés, tout ce qui sommeillait dans les recoins les plus sombres de ma mémoire revient avec violence. Je me rappelle Maria désespérée, Vincent bouleversé, Samir paniqué quand nous l’avons arrêté. Je vois la destruction progressive de la famille Foukara, comme un violent accident de voiture au ralenti.
     Un jour : une mère, un père, des enfants. Le lendemain : une scène d'accident, il ne reste que les débris de ce qui fut une famille."

     "J’ai relu tous les documents, souligné certains passages, griffonné dans mon bloc-notes en quête de la pièce de puzzle qui ne correspond pas. J’ai la forte impression de m’approcher d’un moment décisif, comme si une personne tapie derrière moi disparaissait dans l’ombre chaque fois que je me retournais."

 

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Archipel Stockholm

 

 

  YASMIN    
2000

     "Peut être qu'il avait raison, peut-être que maman et lui se démenaient aussi avec leurs divergences d'opinions. Peut-être qu'ils se sont érodés au contact l'un de l'autre, comme deux pierres sur la plage, jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune résistance.
     Si c'est comme ça, je ne veux jamais tomber amoureuse, jamais me marier.
     Qui veut devenir un vulgaire caillou tout lisse ?
     — C'est le prix à payer pour devenir une famille.
     Voilà ce qu'il disait."

     "Et j'ai eu envie de lui raconter, j'ai même essayé, mais j'en étais incapable, les mots restaient coincés dans ma gorge, la honte me bouchait l'œsophage et les empêchait de passer."

     "—Tu es si jeune, Yasmin. Si jeune et pourtant, c'est comme si tu avais la mort aux trousses."

 

465965.ori

 

Mon humble avis

Cinquième livre que je lis de cette auteure...
446 pages et encore une fois un plongeon dans l'histoire de ces personnages .
J'ai retrouvé avec plaisir l'écriture de Camilla Grebe qui a construit ici un récit à 4 voix, avec la vision des personnages principaux pour nous faire vivre ce thriller comme des pièces de puzzle à assembler au fil des chapitres.
Le suspens est complet et j'ai adoré l'histoire qui bascule en cold case vingt ans après ...
L'auteure traite encore de sujets graves : les familles recomposées, le handicap avec La trisomie 21 : le syndrome de Down qui est traitée là avec beaucoup de tendresse et de pudeur, le racisme avec sa peur de la différence, les jugements hâtifs et les préjugés liés à la religion et à la culture qui influencent les jugements, détruisant des vies.
"Elle qui disait toujours que la vision de bien et du mal diffère chez les gens qui ont leurs racines dans une autre culture" .

Mais c'est aussi une étude de la société suédoise avec les classes sociales
"mur infranchissable qui divisait les humains qui pouvait, devait être détruit un beau jour par les travailleurs du monde entier, unis dans leur lutte commune",

les "vieilles fortunes" les "nouveaux riches", le traitement indifférent et abusif de leurs employés d'origine étrangères .

On retrouve les thèmes de la famille, la difficulté de l'adolescence, les violences faites aux femmes.

Une grande part aux mensonges :
"Nous mentons pour nous protéger et protéger ceux que nous aimons"
"Néanmoins, j'ai menti. Parce que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire" d'où le titre suédois "Tout le monde ment »


Les non-dits, les faux semblants au fil des pages...
Un thème psychologique important tout au long de l'histoire :
"Connaît-on vraiment les gens qu’on aime? Ou des autres, d’ailleurs?"
Même nos proches peuvent nous cacher leur véritable personnalité".

Et puis la fragilité de l'amour
"Peut-être ne voit-on pas non plus les gens pour ce qu'ils sont vraiment, puisque l'amour est aveugle et rend aveugle."

"On se laisse facilement leurrer jusqu'à croire que l'existence n'est qu'un présent qui se prolonge, s'étend, s'étire vers l'avenir."

La fragilité du bonheur qui peut se transformer en une descente aux enfers.

"N’est-il pas étrange qu’un évènement, une seconde, puisse, avec une précision chirurgicale, couper une vie en deux, la mutiler, séparer à jamais le présent du passé." 

Dans ce thriller, on voit aussi tout ce que l'homme est capable de faire par amour ou par haine...

Et ce thème dominant, celui de la culpabilité et de l'aveuglement qui protège des gens qu'on idéalise : on ne doit pas faire confiance aveuglement à quelqu'un...

Et savourons nos moments de bonheur!
"Le bonheur est fugace. Il est comme un été suédois. Soudain, il apparaît. Aussitôt il s'en va, sans prévenir."

Captivant jusqu'à la dernière page, passionnant et émouvant...
J'ai adoré.

 

Avec ce livre, nous partons en Suède...
Les photos proviennent du Net, merci à leurs auteurs pour leurs partages.

 

 

 

brigitisislecture



Commentaires (1)

saperlipopette87 le 12/06/2023
super balade merci , passe une bonne journée gros bisous lysiane saperlipopette87centerblog.net
http://saperlipopette87.centerblog.net


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