Puis nous sommes allés voir, hier soir, la Duchesse de Malfi de John Webster, dans une traduction d'Anne-Laure Liégeois et Nigel Gearing, et une mise en scène d'Anne-Laure Liégeois. Rarement vu quelque chose d'aussi violent, noir, et en même temps grotesque, voire grand-guignolesque, surtout sur la fin. Nous avions déjà vu une pièce montée par A-L Liégeois: il s'agissait d'Edouard II de Christopher Marlowe, un dramaturge de la même veine : époque shakespearienne, théâtre jacobéen sulfureux où les scènes de violence se disputent celles de sexe, de malédictions et d'imprécations contre le destin.
Sauf que la trame historique, chez Webster, disparaît au profit d'un excès baroque assez stupéfiant, qui confine parfois au délire, comme dans cette scène où, pour la consoler de l'avoir enfermée dans une tour, un frère propose à sa sœur la duchesse de lui faire assister à un spectacle de fous racontant tous, simplement vêtus d'une chemise, des absurdités que n'auraient pas reniées un Rabelais ou un Lucien.
Et tout ça écrit au XVIIe siècle, dans ce XVIIe siècle synonyme pour nous, en France, de classicisme et de rationalité... Ne nous étonnons pas en tout cas que le roman noir soit né en Angleterre, à l'époque où les Lumières, en France, battaient leur plein. L'opposition de Shakespeare et de Racine est vieille comme les études littéraires, mais celle entre le grotesque noir et délirant de Webster et le comique bien sage de Molière laisse à réfléchir... Mais comment se fait-il, décidément, que les Anglais soient aussi doués en littérature? J'essaierai d'y repenser en retournant à mes livres illustrés catholiques pour la jeunesse du XIXe siècle...