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lundi 21 juin 2010

Le livre au corps

Cette semaine j'interviendrai au cours d'une des deux journées d'études organisée par Alain Milon et Marc Perelman (Paris 10) à l'INHA, journées d'études réunies sous le titre Le livre au corps.
C'est là le dernier volet d'un triptyque organisé autour de l'esthétique du livre; les deux premiers, Le Livre et ses espaces et L'Esthétique du livre, ont déjà été publiés par les presses de Paris Ouest.


Voilà le programme. J'interviens personnellement le jeudi en début d'après-midi. Avis aux amateurs...

JEUDI 24 JUIN 2010

- 10h00-10h30 : Accueil et présentation du colloque et de l'ouvrage L'Esthétique du livre aux presses universitaires de Paris Ouest par Alain Milon et Marc Perelman

APPROCHE PHENOMENOLOGIQUE DU LIVRE
- 10h30-11h00 : Le livre comme « objet investi d'esprit » : chair et sens du texte, Anne Coignard (CREA, Ecole polytechnique)

APPROCHE HISTORIQUE DU CORPS DE LIVRE
- 11h00-11h30 : La Femme livre : fragmentation du corps féminin dans les recueils de blasons anatomiques à la Renaissance, Irène Salas (EHESS, Paris)
- 11h30-12h00 : Discussion

- 14h00-14h30 : Les Reliures armoriées, métaphore corporelle du temps de Louis XVI, Peggy Manard (BNF)
- 14h30-15h00 : Les Trois Corps du livre : vocabulaire et mise en page du livre illustré au XIXe siècle, François Fièvre (Université de Tours)
- 15h00-15h30 : Discussion

CORPS VIVANT ET CORPS DE LIVRE
- 16h00-16h30 : Écriture des troubles alimentaires : du corps-livre au livre-corps, Karin Bernfeld (écrivain)
- 16h30-17h00 : Du journal intime au corps de la femme chorégraphe : une forme singulière de la créativité, Billana Vassileva-Fouilhoux (Université de Paris III)
- 17h00-17h30 : Ceci est mon livre : quelques stratégies opératoires du livre d'artiste au Québec, Danielle Blouin (Université du Quebec à Montréal)
- 17h30-18h : Discussion

VENDREDI 25 JUIN 2010

METAMORPHOSES DE LIVRE, METAMORPHOSES D'ECRITURE
- 10h-10h30 : Le livre de Mallarmé : Texture et performance, Peter Krilles (Université de Paris III)
- 10h30-11h : Le corporel et le incorporel chez Henri Michaux (« Par des traits »), Serge Chamchinov (chercheur, artiste peintre, concepteur de livres d'artiste)
- 11h30-12h00 : Autour de Poésie pour pouvoir de Michaux, Lorraine Dumenil (Paris VII)
- 12h00-12h30 : Discussion

- 14h00-14h30 : Pétrole de Pasolini : corps du verbe, Marie-Françoise Buresi-Collard (Université Paris I)

DISPARITION DU CORPS DU LIVRE
- 15h00-15h30 : Le Livre, un corps luminescent : modernisme et dématérialisation graphi-que de l'imprimé, Victor Guegan
- 15h30-16h00 : Artiste chirurgien du livre, Anna Rykunova (EHESS, Université Humboldt, Berlin)
- 16h00-16h30 : DISCUSSION et SYNTHESE

Colloque organisé par Alain Milon et Marc Perelman, Professeurs à l'Université de Paris Ouest-Nanterre La Défense

mardi 11 mai 2010

Premières Pierres, une écologie de la littérature


Dernièrement je suis tombé sur les deux nouveautés d'un petit éditeur qui est à garder en tête, de même que Finitude, Héros-Limite et bien d'autres. Dans la forêt de Bavière est un récit autobiographique d'Adalbert Stifter, un écrivain autrichien du second (voire du troisième) romantisme, qui semble développer un sens aigu de la nature, dans la lignée de Friedrich et de l'ensemble du courant romantique allemand (et anglais).

Mais le livre sur lequel j'ai bondi est celui de William Gilpin, première traduction en français d'un essai peu connu de l'inventeur anglais de la notion esthétique de pittoresque, et qui nous livre ici ses réflexions sur la beauté du paysage naturel et la nécessité de le préserver à une époque, la fin du 18e siècle, où les effets de la révolution industrielle commencent pourtant à peine à se faire sentir. Comme si la notion de patrimoine naturel avait émergé à peu près en même temps que celle de patrimoine artistique (voir Dominique Poulot, Musée, Nation, Patrimoine, Gallimard). Décidément, cette fin du 18e siècle est une période absolument passionnante, et notre époque a toujours des leçons à tirer des idées développées durant la période romantique, qui avait dans bien des cas essayé de penser une conciliation possible entre les derniers idéaux humanistes hérités des Lumières et l'émergence de la société industrielle moderne.

Premières Pierres est donc un éditeur à surveiller de près, qui produit peu mais adopte une ligne éditoriale visiblement aussi exigeante qu'étroite, creusant le sillon d'une archéologie littéraire de l'écologie et du sentiment moderne de la nature, du romantisme jusqu'à nos jours. Dans leur catalogue, Goethe, Thoreau, John Burroughs, Carl Gustav Carus: toute une caisse de résonance de littérature «de plein air» qui apporte une bouffée d'air frais dans le paysage plus qu'asphyxié de l'édition contemporaine.

vendredi 11 septembre 2009

La Fabrique des Images

Philippe Descola

Le 16 février 2010 commencera la troisième exposition anthropologique au Musée du Quai Branly (détail ici, page 7). C'est Philippe Descola, spécialiste d'anthropologie de la figuration et professeur au Collège de France, qui en est le commissaire d'exposition. 150 oeuvres seront présentées selon les 4 modes d'identification au monde théorisés par Descola dans son dernier ouvrage Par-delà nature et culture.
Descola postule qu'il y a "différentes façons de distribuer des qualités aux existants [éléments du monde]", c'est-à-dire différentes façon de leur imputer "une physicalité et une intériorité analogues ou dissemblables à celle dont tout humain fait l'expérience".
Il distingue 4 formes :
- l'animisme : c'est "la généralisation aux non-humains d'une intériorité de type humain combinée à la discontinuité des physicalités corporelles".
Opposé
- le naturalisme : "Ce n'est pas par leur corps mais par leur esprit, que les humains se différencient des non-humains".

- le totémisme : "L'identification totémique est fondée sur le partage, au sein d'une classe d'existants regroupant des humains et diverses sortes de non-humains, d'un ensemble limitatif de qualités physiques et morales que l'entité éponyme est réputée incarner au plus haut degré".
Opposé
- l'analogisme : "L'identification analogique repose sur la reconnaissance d'une discontinuité générale des intériorités et des physicalités aboutissant à un monde peuplé de singularités". Il convient ensuite de trouver des correspondances stables.

Cette exposition figurative montrera des masques, sculptures, et tableaux de diverses origines, faisant se croiser les inuits, les aborigènes, les chinois mais aussi les maîtres flamands, sous un regard anthropologique. En bref, une exposition qui promet d'être passionnante !

Pour lire Philippe Descola
- sur la théorie de la Fabrique des images, voir ici.
- sur l'anthropologie de la nature et la figuration animiste, voir là.

mardi 21 avril 2009

Romantiques américains

Walt Whitman

On ne se refait pas, j'ai été, je suis, et je suppose que je serai encore longtemps fasciné par les romantiques. Aussi bien ceux d'hier que ceux d'aujourd'hui. Aussi, la découverte d'un pan pour moi totalement inconnu de ce mouvement a été ces dernières semaines un événement assez important.
Le premier pas a été franchi il y a environ un mois, quand j'ai découvert la poésie de Walt Whitman, dont j'ai lu quasi intégralement, d'une traite, les Feuilles d'herbe dans leur version de 1855. Je l'ai lu dans le Lot, en pleine nature, comme doit, à mon sens, être lue la poésie, et spécialement cette poésie-là. Totalement happé par le panthéisme de Whitman, qui veut tout inclure dans son éloge de la vie, j'ai néanmoins été légèrement déçu par le travail de la langue, qui, est-ce l'effet de la traduction?, fait un usage un peu trop abondant de l'anaphore, et ne se renouvelle pas assez à mon goût dans ses effets. L'aspect extatique de sa poésie en prose m'avait néanmoins convaincu qu'il y avait là quelque chose à fouiller, un os à venir ronger.

L'étape suivante, en revanche, a constitué un véritable événement. Je n'avais jamais lu Thoreau, et n'en avais entendu parler que très récemment, mais le petit livre édité très soigneusement par Finitude, une petite maison d'édition bordelaise, m'a vraiment... je ne sais comment dire. C'est vraiment le coup de foudre. Rarement un livre m'a autant, non véritablement impressionné par son envergure ou son intelligence, mais remué personnellement. J'y retrouve toutes mes obsessions, mais également celles du siècle. La prose de Thoreau est pétrie d'un rejet du monde moderne, dans ce qu'il a d'aliénant s'entend, et du désir de revenir au monde. De ne pas fuir le monde, mais de revenir à lui. L'éloge des pommes sauvages n'est évidemment qu'un prétexte pour l'auteur à parler d'autre chose: du plaisir de la marche, de la contemplation des espaces sauvages, de la cause écologique - voire de celle de la décroissance -, et même des légendes et des mythes, qu'ils soient antiques ou bibliques...

Du coup, c'est toute une généalogie d'écrivains américains qui se dessine, et qui m'ouvre de grands bras accueillants. Charlotte avait lu un article sur Rick Bass dans le Matricule des anges, et découvert la piste de John Muir entre les pages de l'écrivain. Par ailleurs, elle découvrait et me faisait lire les poèmes de Ralph Waldo Emerson, dont elle traduit quelques-unes des oeuvres pour un prochain numéro de la revue Mir (à paraître).

John Muir

Entre Emerson et Rick Bass, il y a Whitman, Muir, Thoreau, et bien d'autres. Toute une lignée, dont la découverte est d'autant plus enthousiasmante qu'elle s'est faite hors des bancs de l'université. Par ailleurs, je constate que les uns comme les autres sont publiés (entre autres, bien sûr) par l'une de mes maisons d'édition préférées. Décidément, tout se ligue pour m'amener à penser que non, tout espoir n'est pas mort de recueillir, partager et contempler la beauté du monde.

mercredi 2 juillet 2008

Texte et image

Gros colloque international sur les rapports entre texte et image, la semaine prochaine à l'INHA (IIe arrondissement, Paris). Comme d'habitude, je ne pourrais pas y assister, faute de temps... Ce genre de "grande messe" scientifique, avec 3 ateliers parallèles pendant toute une semaine, est en général assez assourdissant, mais je ne doute pas qu'on y trouve beaucoup de grain à moudre. Pour ceux qui ont un peu plus de temps que moi en ce moment, ça vaut le coup d'aller y glisser une oreille. Le programme se trouve ici, et le descriptif des conférences à cet endroit.
Je recommande notamment:
  • l'atelier 3, "Image et pédagogie",
  • l'atelier 8, "Oeuvre d'art et action rituelle, analyse des formes et des pratiques",
  • l'atelier 9, "Pouvoir de l'image, puissance de l'écriture: formes d'efficacité du sacré en Extrême-Orient",
  • l'atelier 10, "Les objets magiques, procédés rituels et visuels"
  • l'atelier 14, "Frontons et frontispices",
  • l'atelier 16, "Texte, image et censure",
  • l'atelier 20, "Efficacités du blanc, l'Occident et l'Extrême-Orient",
  • l'atelier 24, "Renfermements idélogiques: l'espace et la représentation des slogans politiques au XXe siècle",
  • l'atelier 25, "Le musée imaginaire de la caricature".
Par ailleurs, pour les amateurs de cinéma, l'atelier 17 sur les storyboards; pour les afficionados de génétique des textes, l'atelier 18 (avec une conférence sur Lewis Carroll); et pour les mélomanes, l'atelier 19 sur la question de l'écriture musicale. Il y en a pour tous les goûts, comme vous voyez. Ca m'embête vraiment de ne pas pouvoir assister à un ou deux ateliers...
Si quelqu'un va y faire un tour, pourrait-il publier un compte-rendu de ce à quoi il a assisté sur ombres vertes? Me faire signe par message personnel.

mercredi 28 mai 2008

A quoi servent les sciences humaines?

Le dernier numéro de la Revue internationale des livres et des idées fournit des éléments de réponse à cette épineuse question. Je viens de découvrir cette revue, qui me faisait de l'oeil dans le kiosque de mon marchand de journaux, et c'est une très bonne découverte. La formule est celle d'articles très poussés, à la limite de l'essai, commentant des ouvrages de sciences humaines (littérature, histoire, philosophie, anthropologie, politique...) récemment sortis. Avec une dimension internationale, qui reprend des recensions de livres faites par exemple dans la London Review of Books ou la New York Review of Books ; et avec un engagement politique nettement marqué à gauche, tendance Monde Diplomatique, c'est-à-dire gauche critique et intellectuelle, pas gauche populaire, caviar ou nécessairement revendicatrice. Une espèce de mélange audacieux, donc, entre la ligne internationale du Courrier International et la ligne politique (et esthétique, dans la maquette et l'iconographie) du Monde Diplomatique.
Au sommaire du n°5, je conseille entre autres (je n'ai pas tout lu!) l'article d'Alain de Libera qui concerne la récente polémique Gouguenheim sur la question de la réception d'Aristote dans l'Occident médiéval, et de la place de la civilisation arabe dans ce transfert culturel. Alain de Libera répond très intelligemment et très vigoureusement à Gouguenheim, qui l'avait directement attaqué dans un article du Monde ; Alain de Libera avait proposé un texte au quotidien en manière de droit de réponse, celui-ci l'a refusé, la RILI l'a publié.

Et puis tout un ensemble d'articles sur la question de l'utilité des études littéraires et la pertinence de leur orientation actuelle (par Yves Citton, sur Todorov, Bouveresse & alii., excellent article que je conseille à tous les étudiants et professeurs de lettres), sur la question des implications idéologiques des études post-coloniales (par François Cusset, sur Jean-Loup Amselle), sur la pléthore des récentes parutions sur mai 68 (par Xavier Vigna), etc. Des articles longs, très bien documentés, qui donnent envie de plonger plus avant dans le débat, de lire, de s'informer. L'abord n'est cependant pas aisé: les articles sont touffus, parfois techniques. On lit cette revue comme on lit le Monde Diplomatique, c'est-à-dire comme une revue, pas comme un magazine ou un journal qu'on jette après usage. Et même si on n'est pas d'accord avec la ligne politique adoptée, cette revue reste d'une excellente tenue intellectuelle. Même le Figaro y a vu un adversaire honorable, c'est dire!
***
(A ceux qui se demandent pourquoi j'ai mis un tableau de Rothko en illustration de cet éloge en règle de la RILI (qui en passant dispose également d'un blog), c'est pour faire comme eux : la RILI a pris le parti, emprunté visiblement au Monde Diplomatique, d'illustrer les articles par des images, souvent abstraites, qui n'ont rien à voir avec le contenu de l'article qui se trouve en vis-à-vis. Ca doit être un truc de la gauche critique qui veut déconstruire le rapport texte-image pour subvertir notre rapport politique et langagier au monde. C'est rigolo en tout cas. Et puis j'aime beaucoup Rothko.)

vendredi 9 mai 2008

Encore de la lecture...

Deux sujets assez intéressants piochés sur le blogue de Pierre Assouline.
Aristote (détail de L'école d'Athènes), Raphaël, 1511, fresque, Vatican.
1. Une polémique passionnante porte ces derniers temps sur un livre de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'ENS-Lyon, qui tend visiblement à minimiser de manière radicale l'apport de la civilisation arabe dans la transmission des textes d'Aristote en Occident au Moyen-Âge. Le sujet pourrait sembler anecdotique, tel celui sur les chevaliers du lac de Paladru, s'il ne touchait au problème, éminemment politique et contemporain, des "racines chrétiennes" de la culture occidentale: pour résumer, l'auteur du livre Aristote au Mont Saint-Michel est accusé, par une très grande partie des chercheurs français en histoire et en philosophie médiévale, de faire le jeu d'une idéologie conservatrice christiano-centriste, d'insister sur l'existence d'un foyer authentiquement chrétien de traduction des textes d'Aristote en minimisant les apports de la civilisation arabo-musulmane en la matière.
Les pièces du dossier sont difficiles à résumer, mais vous trouverez ici et une bonne partie des arguments et contre-arguments, avec des liens vers les articles des différents acteurs de la polémique. Tout ça peut paraître très éloigné de nos soucis de la vie quotidienne, mais ce qui se passe dans le monde des idées, et notamment dans la construction idéologique de l'histoire, a une influence certaine sur l'ordre politique de notre société. Non, ce n'est pas seulement une querelle de spécialistes. Les implications idéologiques semblent profondes.

2. Dans un autre genre, un billet intéressant sur l'histoire de la publication de Mein Kampf, qui tord le cou à une idée reçue assez répandue selon laquelle le livre serait interdit de vente en France. C'est le cas en Allemagne en revanche, et les historiens se posent la question de savoir s'il ne serait pas temps de publier une édition scientifique du livre d'Adolf Hitler, avec notes, commentaires et préface, avant 2015, date où le livre tombera dans le domaine public, et où risque donc de fleurir tout un nombre d'éditions néonazies. En somme, l'idée est de publier un ouvrage de référence avant qu'il ne soit noyé dans la masse des éditions courantes ou, pire, apologétiques.

Des goûts et des couleurs... on ne cesse de discuter

Pour faire suite à l'un de mes commentaires dans le billet précédent, je voudrais signaler un excellent article d'Alain Séguy-Duclot, qui s'intitule: "Les jugements esthétiques sont-ils irréductiblement subjectifs?"
A ne pas conseiller aux gens pressés: l'article est assez long. En revanche, il est extrêmement clair, et d'une rigueur de raisonnement implacable. Enfin, il n'est pas jargonnant, même si la partie sur l'esthétique de Kant reste assez technique. Le propos de M. Séguy-Duclot est de défendre la thèse d'une objectivité du goût, contre Gérard Genette qui prône un relativisme subjectif radical: des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Alors que si, on en discute, et que en se creusant la tête on peut arriver à trouver des critères objectifs d'évaluation des oeuvres. La difficulté étant ensuite d'arriver à les appliquer sans parti pris idéologique...

samedi 23 février 2008

Histoire et mémoire

Pour rebondir sur la distinction entre histoire et mémoire sur laquelle j'insistais récemment, je voudrais signaler le très bon article d'Eric Michaud intitulé "Le nazisme, un régime de la citation", toujours publié dans le Hors-Série n°1 de Images Re-vues, et qui analyse les présupposés idéologiques de l'historiographie national-socialiste, et notamment de son usage de la citation, que celle-ci soit historique ou artistique (architecturale en particulier).
Aussi, lorsqu'un idéologue ou un dignitaire du Troisième Reich cite l'un des « Grands Allemands » du passé, c'est toujours le même sang qui coule, c'est toujours la même substance qui parle, c'est la race qui se parle à elle-même, consciente d'elle-même et totalement présente à elle-même. C'est le même sang qui circule dans un grand corps éternel, dont le Führer est comme le coeur qui pompe et irrigue ce corps pour en renouveler constamment les cellules. Ainsi le Volkskörper, le corps du peuple allemand n'a-t-il pas d'histoire : il s'actualise continûment dans un présent éternel, qui contient son passé autant que son avenir. Mais si ce corps n'a pas d'histoire, il a par contre une mémoire. Celle-ci se présente comme un vaste magasin où se trouvent, pêle-mêle, toutes les Leistungen, toutes les « réalisations » de la race depuis ses origines, c'est-à-dire toutes les preuves de sa noble ascendance et de sa supériorité créatrice.

Une différence fondamentale entre l'histoire et la mémoire est en effet que la première est organisée, alors que la seconde est "pêle-mêle". Les événements n'y sont pas recontextualisés, parce qu'il n'y a pas la mise à distance chronologique, sinon scientifique, qu'autorise au contraire l'histoire. Quand on se souvient de quelque chose, on abolit les barrières temporelles pour revivre véritablement, en imagination mais de manière forte car intime, cette chose, cet événement.

Loin de moi l'idée de vouloir dépasser allègrement le point Godwin, et de laisser entendre que la mesure préconisée actuellement par certains membres du gouvernement relève du nazisme. Mais force est de constater qu'elle relève au minimum du totalitarisme, qui vise à abolir la distance critique de la discipline historique, pour "automatiser" à outrance la réaction des enfants à l'égard de la shoah. L'article d'Eric Michaud l'exprime très bien, à propos pourtant de tout autre chose:

[la citation] suscite le sentiment que l'expérience actuelle a déjà été « vécue », cette illusion de fausse reconnaissance que Bergson analysait plus justement comme « le souvenir du présent ». Parce que le présent, disait-il, se scinde nécessairement en même temps qu'il se pose, parce que la formation du souvenir est contemporaine à la perception actuelle, celui qui éprouve ce sentiment « devient plus ou moins étranger à lui-même et comme 'automatisé' ». Le caractère pour lui « inévitable » et prévisible de ce tout qui se fait et se dit alors, la conviction qu'il reconnaîtra aussitôt chacun des moments qui sont encore à venir font de lui un acteur jouant « automatiquement son rôle, s'écoutant et se regardant jouer. »

Là se joue l'un des enjeux fondamentaux de la propagande mémorielle: contrôler l'individu en abolissant la distinction entre le temps dont on se souvient et celui où l'on se souvient, tout en faisant passer cette remémoration pour un travail historique. Aucune mise à distance temporelle ou individuelle: ce qui est proposé est de "confier la mémoire d'un enfant juif déporté", pas d'enseigner comment des juifs, enfants ou adultes, ont été déportés et massacrés. Le fait même que l'on réduise l'acte "commémoratif" à l'histoire des enfants juifs est significatif: il induit une nécessaire identification de l'élève à la victime, censée garantir une "sensibilisation" à l'histoire de la shoah. Mais comment enseigner l'histoire et le nécessaire recul chronologique qu'elle présuppose, si l'on propose d'emblée de ne le faire que selon le mode de l'identification de l'élève à la personne historique? La citation des enfants juifs victimes de la déportation, défaite de son contexte et de tout recul chronologique, ne fait pas une histoire. Elle la défait, bien au contraire, car elle va à rebours du cours normal du temps: elle propose de faire revivre des individus qui devraient rester morts. Sans quoi, le deuil ne se fera jamais.

On pourrait croire à première vue que le nazisme ne mythifiait que ses héros vainqueurs, et non les vaincus de l'histoire, et que là réside une différence fondamentale entre les deux types de propagande mémorielle. Pourtant, le régime national-socialiste célébrait les victimes mortes pour le régime, et connaissait le culte des martyrs. Ce culte n'a rien à voir avec un travail de deuil destiné à donner de la distance à l'objet perdu, de manière à rendre possible une vie indépendante de celui-ci, mais il vise bien au contraire à faire revivre les morts, afin que la vie ne soit plus possible que dans le reflet de celle du martyr.

Comme le dit alors Baldur von Schirach, le chef des Jeunesses hitlériennes : « Il n'y a rien de plus vivant en Allemagne que nos morts ». L'immense travail de réalisation ou de Leistung qui emporte un peuple vers son Troisième Reich idéal est assurément tout le contraire d'un travail du deuil : c'est un travail d'anamnèse fondé sur la « foi » dans son propre pouvoir de redonner un corps et une vie à l'objet perdu. La citation aura donc été érigée par le nazisme tout à la fois en programme et en moyen de gouvernement par la persuasion contraignante. On peut la nommer propagande, à la condition toutefois de ne jamais entendre par là le camouflage d'une réalité sordide, mais bien plutôt la construction de cette réalité sous la forme du mythe.

Construire un mythe politique: celui des victimes, après que le nazisme a construit celui des vainqueurs. Mieux vaut que, dès leur plus jeune âge, les jeunes gens s'identifient à des victimes, vu que ce sera leur lot par la suite. Non, ce qui est proposé ne relève pas du national-socialisme: c'est une inversion complète de la ligne idéologique du troisième Reich, empreinte des valeurs de victoire et de conquête. C'est du national-socialisme à l'envers, qui prône le souvenir des vaincus, non plus de ceux qui sont morts pour la victoire du corps social. Le problème reste le même: la propagande mémorielle, qui fait disparaître l'histoire.

jeudi 17 janvier 2008

Comment savoir si l'on a péché?

En ce moment, je lis pour mes loisirs (je sais, ça peut paraître un peu étrange comme lecture, à côté d'Harry Potter) l'Histoire Ecclésiastique du Peuple Anglais de Bède le Vénérable, qui est la toute première histoire de l'Angleterre à être écrite, au tout début du VIIIe siècle.

Bède y raconte comment l'île de Bretagne fut investie par les bretons, qui furent tour à tour envahis par les pictes, les scots, les romains, les angles et les saxons. Surtout, il veut raconter l'histoire de l'évangélisation de la Bretagne, et comment Saint Augustin (pas lui, l'autre) s'y prend pour extirper le péché de ces méchants idolâtres que sont les Angles.
Le Pape Grégoire écrit ainsi à Augustin, évèque de Canterbury, pour répondre à une question que celui-ci s'était posée à propos des péchés commis dans les rêves (I, XXVII):

Nous devons nous demander si cette pensée n'était rien d'autre qu'une suggestion, la recherche d'une jouissance, ou, ce qui est plus criminel encore, un consentement au péché. Car tout péché s'accomplit de trois manières: par voie de suggestion, par délectation et par consentement. C'est le diable qui instille la suggestion; la délectation naît de la chair; et le consentement, de l'esprit. Le serpent a suggéré la première faute; Eve, comme si elle était la chair, a été charmée; mais Adam, comme s'il était l'intelligence, a consenti. Cependant, l'esprit doit faire appel à un grand discernement pour juger s'il s'agit de suggestion ou de délectation, de délectation ou de consentement. En effet, si le démon suggère un péché à l'intelligence et qu'il ne s'ensuive aucune délectation, alors il n'y a pas eu de péché. Mais quand la chair commence à s'en délecter, alors le péché commence à sourdre; mais si elle y consent délibérément, alors on doit tenir le péché pour accompli.

La source du péché est donc dans la suggestion, la croissance du péché se fait par délectation, et le péché s'avère dans le consentement. Il arrive souvent que le mal semé par le démon dans la pensée, la chair l'attire vers la délectation, à laquelle l'âme cependant ne consent pas. Et quoique la chair ne puisse pas se délecter sans l'accord de l'esprit, cependant l'esprit qui lutte contre le plaisir de la chair est, d'une certaine mesure, assujetti contre son gré au plaisir de la chair, de telle sorte qu'il s'y oppose de toute sa raison, de peur d'y céder; et cependant, le fait d'y être soumis avec délice le fait gémir de douleur à cause de son lien.

Les flagellants illustrent bien (ils arrivent bien plus tard, au XIe siècle semble-t-il) cette lutte d'une partie de l'homme contre soi-même, cette liberté de l'esprit qui ne consent pas au péché, et qui essaye tant bien que mal de sortir des rets du plaisir de la chair, en la punissant par d'autres rets, ceux de la souffrance. Merci Saint Paul...

Je me demande si le stade de la chair ne peut pas être "sauté", et si on ne peut pas passer directement de la suggestion diabolique au consentement intellectuel. Qu'en penserait Grégoire? Il dirait bien sûr que ce n'est pas possible, que l'esprit ne peut consentir à des chaînes qui ne sont pas ressenties. Mais il ne semble pas tenir compte de la possibilité d'une délectation intellectuelle... Après tout, la suggestion diabolique ne se fait-elle pas au niveau des pensées? C'est ce que l'on appelle aujourd'hui un fantasme, mais ce concept est un peu en dehors du cadre intellectuel de Grégoire et de Bède.

En tout cas, ce que dit Grégoire devrait vous rassurer: tant qu'on n'a pas vécu le péché dans la chair, on est tranquille, on peut continuer à rêver de ce que l'on veut sans que péché soit véritablement avéré. Méfiez-vous de vos songes, cependant, ils peuvent contenir des suggestions malencontreuses. Vous êtes prévenus!

vendredi 11 janvier 2008

Les voies du tao

Je viens de lire un excellent article d'un ami qui s'est expatrié pour une durée indéterminée en Chine. Ce article, disponible sur le net, concerne la philosophie taoïste. Je le trouve très bien écrit, malgré quelques fautes qui visiblement ne sont pas de lui, mais de la rédaction du magazine: vous les excuserez donc.

Ci-dessous le mont Fuji par Hokusai (xylographie, 1823-1829).
Je sais, c'est japonais et pas chinois, mais bon, le symbolisme de la montagne associé à la forme courbe de la vague qui rappelle le symbole du yin-yang me semble approprié à ce qui est développé dans l'article.