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mercredi 20 novembre 2013

Crane et Greenaway chez MeMo

Je viens de recevoir mes exemplaires de deux rééditions absolument splendides chez MeMo, auxquelles j'ai modestement contribué. Il s'agit de trois contes tirés de toy books de Walter Crane, qui ont été assemblés en un seul ouvrage pour l'occasion, et du Petit Livre des souvenirs de Kate Greenaway, paru à l'origine sous le titre The Little Birthday Book en 1880.



Pour le premier, j'ai adapté les textes d'après Perrault (pour “Cendrillon” et “Le chat botté”) et d'après la version anglaise d'origine (pour “Les trois ours”). La difficulté a été d'arriver à adapter le texte pour qu'il rentre dans les espaces blancs laissés libres par l'illustrateur : c'est un album, et pas un livre illustré, la mise en pages du texte doit donc s'adapter à celle de l'image, et non l'inverse.
Pour le second, MeMo souhaitant reprendre la traduction d'époque (1882), j'ai simplement été amené à en réviser la transcription, ainsi qu'à rédiger une courte postface pour remettre en contexte l'ouvrage.
Je tiens à souligner que rarement j'ai eu affaire à une réédition aussi splendide: la qualité de papier est impeccable, idem pour la qualité d'impression, qui fait honneur aux éditions originales imprimées par Edmund Evans au XIXe siècle. Je me réjouis d'avoir travaillé avec Christine Morault et Yves Mestrallet, qui sont de vrais amateurs de beaux livres et font un excellent travail, qui évite les deux écueils du tape-à-l'œil et de l'expéditif. Que l'on aime ou pas les illustrations, force est de reconnaître que ce sont de beaux livres. Si vous vous posez encore la question de savoir ce que vous pouvez offrir à votre neveu ou votre tante en décembre, allez voir ces livres en librairie.

jeudi 14 novembre 2013

Conte, illustration et humanités numériques

Je viens d'être recruté à la MSH Val de Loire pour un an en qualité d'ingénieur de recherches en humanités numériques, et aussi je m'intéresse beaucoup en ce moment à tout ce que les outils numériques peuvent apporter à la recherche sur le conte ou l'illustration. Je travaille actuellement à une édition numérique de livres illustrés qui exploite au mieux le caractère multimédia et la souplesse de structuration formelle du support numérique, pour faire ce que le papier n'arrive que difficilement à faire, en l'espèce une édition critique d'album pour enfants qui comporte également un appareil critique pour l'image, à la manière d'une exposition virtuelle. J'espère avoir l'occasion d'en reparler ici.

Walter Crane, illustration pour Little Red Riding Hood, xylographie.

Mais je vois également d'autres utilisations possibles du support numérique, par exemple, tel que cela a été développé par l'anthropologue Jamshid Tehrani (je remercie Catherine Velay-Vallantin pour m'avoir fait connaître cet article), une base de données permettant de cartographier la diffusion géographico-historique d'un conte-type donné (ou plus exactement ici de deux contes-types jugés proches), à travers le renseignement de toutes ses variantes. Cela pose des problèmes méthodologiques intéressants, notamment le fait d'accepter que le conte-type soit une catégorie pertinente, ce qui suppose d'accorder une réalité à “la tradition orale” et une certaine utilité aux travaux d'Aarne-Thompson, ce qui ne fait pas consensus, au moins en France, parmi les chercheurs sur le conte. (Et si l'on veut connaître mon avis sur la question, oui la catégorie de conte-type est utile, de même que la typologie d'Aarne-Thompson, du moment qu'elle ne soit pas mal utilisée, et donc que les contes-types ne soient pas réifiés et érigés en modèles esthétiques à l'aune desquels on viendrait juger de la perfection de ses variantes.)

J'apprends dans l'article mis en lien ci-dessus que les algorithmes utilisés pour sa démonstration sont issus de technologies développées par des biologistes pour des analyses phylogénétiques, et qui ont déjà par ailleurs été utilisées par des philologues pour analyser l'évolution des textes bibliques, ou celle de l'intertextualité des contes de Canterbury. Ce qui appelle deux remarques. La apremière est qu'il est frappant de voir que ce sont les mêmes modèles méthodologiques qui ont été utilisés en biologie et en folkloristique pour arriver à retracer l'évolution, d'un côté du vivant, de l'autre de la tradition orale. Ce qui amène à considérer que l'intuition des Grimm selon laquelle les contes sont des organismes vivants n'est peut-être pas si idéologique que ça, ou du moins qu'il y a dans cette intuition un fond de vérité qu'il est difficile de refouler comme la simple marque d'une esthétique romantique complètement dépassée. Certes, les contes de tradition orale ne sont sans doute pas vivants au même titre que peuvent l'être des algues, des fourmis, des oiseaux ou des fougères. Mais du moins il faut considérer sérieusement l'analogie entre art et vie, comme a pu le faire notamment le philosophe Alain Séguy-Duclot à travers plusieurs de ses ouvrages, notamment Définir l'art et Penser la vie. Les deux relèveraient d'une dissémination et d'une évolution par types, ce qui est abordé plus avant dans Culture et Civilisation, et qui rendrait d'autant plue pertinente la notion de “conte-type”. Mais cette question demanderait évidemment des développements plus importants.
Deuxième chose, les mêmes modèles méthodologiques ont été utilisés pour retracer l'histoire de textes, ce qui tend à montrer 1/ que les approches folkloristiques et philologiques ne sont a priori pas incompatibles, 2/ qu'il y aurait une voie, peut-être, à suivre, qui combine histoire philologique des contes et histoire anthropologique. Cette voie est à construire, je ne le ferai pas tout seul, d'autant plus que tout ça n'est pas ma spécialité (je reste un historien de l'art et du livre illustré), mais peut-être pourrait-on y voir une voie de réconciliation entre approches littéraire et anthropologique du conte. Tout en gardant toutefois bien en tête que la poétique du conte de tradition orale diffère en profondeur des logiques mises en œuvre par la culture lettrée pour en rendre compte, et que pister des contes ne se fait donc pas de la même manière que pister des textes, ou du moins que cela ne veut pas forcément dire la même chose : l'un est un genre littéraire, l'autre une manifestation écrite de ce genre.

(Plus de renseignements sur Jamshid Tehrani.)

mardi 12 novembre 2013

Grimm et l'Angleterre : nouveau livre

Un bref billet simplement pour signaler la parution de mon nouveau livre, Le Conte et l'Image, publié aux Presses universitaires François Rabelais, dans la collection Iconotextes. Cet ouvrage est issu de mon travail de doctorat sur l'illustration anglaise des contes de Grimm au XIXe siècle.

Plus de renseignements (sommaire, prix, etc.) sur le site des PUFR. Et surtout ne l'achetez pas sur Amazon (même s'il s'y trouve): privilégiez votre librairie de quartier. Ou la Fnac si vraiment vous n'avez aucune librairie de proximité à proximité, mais pas Amazon.

lundi 25 février 2013

Surplace dans un jardin : mea culpa sur un détail d'érudition historique

En janvier 2012, j'ai publié un article au sujet de l'interprétation par Arthur Rackham de Peter Pan in Kensington Gardens de J. M. Barrie, dans la revue en ligne Belphégor. J'y disais dans la note de bas de page n° 5 que « rien ne semble montrer que celui-ci [Barrie] ait vu les aquarelles de Rackham pour Rip Van Winkle, contrairement à ce que moi ou Céline-Albin Faivre (« Le péan de Pan », in James Matthew Barrie, Peter Pan dans les Jardins de Kensington, trad. Céline-Albin Faivre, Rennes, Terre de Brume, 2010, p. 10) avons pu noter sur le sujet, ni a fortiori que ce soit lui qui ait eu l’initiative de cette collaboration. »



The Fairies have their tiffs with the birds,
illustration de Rackham pour Peter Pan in Kensington Gardens de Barrie, 1906.

Mme Faivre, qui avait par ailleurs contribué à ce numéro de revue entièrement consacré à Peter Pan, m'avait alors écrit pour me reprendre en me disant qu'il y avait bien des traces historiques de la présence de J. M. Barrie à l'exposition de Rackham consacrée à ses illustrations pour Rip van Winkle au printemps 1905. Il s'en est suivi une petite polémique aussi vive que stérile, comme souvent entre gens qui ne se connaissent que par contact épistolaire – qui plus est numérique, moyen de communication dont la rapidité ne permet pas aux esprits échauffés de se refroidir par la lenteur qu'impose le papier.
Toujours est-il qu'après avoir récemment fait l'acquisition de la monographie de Derek Hudson sur Rackham, qui me faisait défaut et que j'hésitais encore à acheter à cause de son caractère onéreux (et qui est par ailleurs introuvable en bibliothèque excepté à la BNF ou à Sainte-Geneviève), j'ai enfin retrouvé l'élément dont j'avais moi-même pris connaissance il y a des années de cela, et qui m'avait dans un premier temps fait dire que Barrie avait été à l'origine du projet (dans un précédent article paru dans la revue de la BNF, « Arthur Rackham dans les jardins de Kensington », la Revue des livres pour enfants, n° 247, juin 2009, p. 105-114), et qui en effet, comme l'avait également relevé Mme Faivre, pouvait accréditer cette idée d'une origine barrienne du projet. Il s'agit comme Mme Faivre l'indique d'une lettre de l'écrivain Edward Verrall Lucas à Rackham, citée p. 58 de l'ouvrage de Derek Hudson, que je reproduis ici:

2 Gordon Place, Campden Hill, W.
March 29, 1905

Dear M. Rackham,

I have at last been able to get to your exhibition; which I enjoyed immensely. Hiteherto one has had to go to the Continent for so much mingled grace & grotesque as you have given us. The drawings seem to me extraordinary successful & charming. The only thing I quarrel with is the prevalence of "sold" tickets – one on every picture that I liked best. Barrie tells me he has the same grievance. I am glad to hear that you think of treating Peter Pan in the same vein. Believe me yours sincerely.

E. V. Lucas 

Mea culpa, donc. Je retire ce que j'ai dit, et reviens à ce que j'avais moi-même écrit auparavant en 2009. Et pourtant pas complètement… Après un aller (l'article de 2009), un retour (l'article de 2012), et un nouvel aller (le présent billet), j'ai un peu l'impression de faire du surplace, mais cela a au moins eu le mérite de me faire lire avec un peu plus d'attention cette missive de Lucas à Rackham. La lettre de Lucas corrobore tout à fait le fait que Barrie se soit rendu à l'expo de Rackham, cela est un point acquis, et mon mea culpa ici est entier: j'y reconnais mes torts entièrement. Mais l'origine barrienne du projet reste en revanche encore à démontrer: le fait que Barrie ait apprécié au printemps 1905 l'exposition des aquarelles pour Rip van Winkle, et que Lucas parle dans la même lettre d'une prochaine illustration de Peter Pan par Rackham ne font pas nécessairement de l'auteur de Peter Pan l'instigateur du projet. Derek Hudson dit même exactement l'inverse trois pages plus loin (p. 61-62) : « The initiative in commissionning these [Peter Pan] drawings came from Messrs Ernest Brown and Phillips of the Leicester Galleries, who arranged a meeting between Rackham and barrie for a preliminary discussion in June 1905. » Cette entrevue de juin 1905 prend pourtant place trois mois après la lettre de Lucas à Rackham mentionnant l'idée d'illustrer Peter Pan.
D'où vient donc alors cette idée? « I am glad to hear that you think of treating Peter Pan in the same vein » renvoie à une parole entendue par Lucas, peut-être prononcée par Barrie dont il vient de parler, mais peut-être aussi par ses éditeurs, Hodder & Stoughton, qui en voyant l'exposition de Rackham en auraient parlé à Barrie, le même Barrie visitant l'exposition à un moment où beaucoup d’œuvres sont déjà vendues, soit donc relativement tard après le début de la manifestation artistique. Ce dernier enchaînement des faits n'est toutefois bien sûr qu'une hypothèse, et il est difficile d'arriver à reconstituer exactement le cours des événements de ce printemps 1905 sans autres éléments à ajouter au dossier. On insistera néanmoins sur une chose, à savoir le fait que Lucas parle en mars 1905 du projet comme s'il émanait de l'artiste, non de l'écrivain : « I am glad to hear that you think of treating Peter Pan… » S'agirait-il d'une allusion à une réponse positive de l'artiste à une demande émanant de l'auteur ou de son éditeur? Rien ne l'indique dans les pièces que j'ai pour l'instant à ma disposition, mais je serais ravi d'en découvrir d'autres pour éclaircir les choses.

On me permettra en attendant de continuer à douter du fait que Barrie soit à l'origine du projet. Ce qui ne veut pas dire que je juge que cette origine barrienne soit fausse, ni vraie d'ailleurs, je la juge simplement douteuse. Plus probable qu'avant, certes, du fait avéré de la prise de connaissance par Barrie de l'art de Rackham dès mars 1905. Mais l'opération artistique étant dans la publication de Peter Pan in Kensington Gardens au moins aussi importante que l'opération littéraire, on nous permettra de continuer de pencher pour la théorie d'une idée émergeant dans la galerie Leicester plutôt que dans les locaux de Hodder & Stoughton. J'espère au final que l'on me pardonnera mon inconséquence de la note de bas de pages n° 5 en se rappelant que cette dernière n'était que marginale par rapport à mon propos, et que son contenu ne remettait pas en cause le fond de mon article.


mercredi 23 janvier 2013

Les contes de Grimm et leur réception

Je signale un beau cycle de conférences à Bordeaux sur le conte dans la littérature jeunesse, organisé par Christiane Connan-Pintado, et auquel j'ai participé en décembre dernier, on s'en doutera, à propos des contes de Grimm.
Le programme ici.
Walter Crane, pleine page pour Rapunzel, dans Household Stories, Macmillan, 1882.

L'IUFM d'Aquitaine a eu la bonne idée de filmer ces conférences, qui sont donc retransmises au fur et à mesure sur Internet. On a ici la série de conférences filmées, celles des cycles de conférences des années précédentes et celles de l'année en cours, sur le thème du conte. Dont la mienne, qui dure deux heures, et est émaillée d'imprécisions, je m'en excuse : qui veut trop embrasser mal étreint.

mercredi 14 novembre 2012

Pour une histoire socio-politique du graphisme

Hier soir, j'ai pu assister à l'intervention de Benoit Buquet dans le cadre du séminaire de l'Intru. Sa conférence s'intéressait à l'histoire du design graphique des années 1950 aux années 1970, sujet sur lequel portait son travail de doctorat. Le cadre du séminaire de l'Intru, ouvert aux étudiants en doctorat et de Master, étant essentiellement méthodologique, Benoit Buquet a organisé son propos en deux temps: tout d'abord un rapide panorama historiographique de l'histoire du design graphique, et ensuite quelques études de cas qui s'intéressaient plus particulièrement aux interactions entre graphisme et art contemporain dans la période considérée. Propos très stimulant car relevant d'une approche tout à fait originale (me semble-t-il, n'étant pas spécialiste) pour la période considérée, où art contemporain et graphisme ne sont jamais, ou trop rarement, étudiés dans leur interaction, mais toujours de manière séparée: il y a une histoire de l'art contemporain, rédigée par des historiens d'art, et une histoire du graphisme, le plus souvent rédigée… par des graphistes.
Franco Grignani, logo de Woolmark, 1964. Franco Grignani est l'un des principaux acteurs de l'art optique ou "op art" des années 1960.

Je ne veux pas faire le compte-rendu du propos de Benoit Buquet, mais simplement revenir sur l'intervention que je me suis permis de faire après une heure et demie de conférence, au moment de la discussion avec la salle. J'ai peur d'avoir été un peu confus, ou si cela n'a pas été le cas je pense qu'il est toujours utile de mettre par écrit ses idées afin qu'elles n'échappent pas, mais aussi afin de les repréciser.
J'étais intervenu sur la citation, faite par Benoit Buquet, de Dario Gamboni affirmant que la notion bourdieusienne de "champ" était extrêmement féconde dans les études intermédiales: en effet, celle-ci est dotée d'une dimension agonistique qui permet bien de rendre compte des rapports sociaux entre les arts. J'ai alors voulu insister sur la dimension politique impliquée dans cette notion de "champ", en rappelant que beaucoup d'acteurs historiques du graphisme, ou du moins les acteurs qu'on a le plus eu lieu de trouver marquants du point de vue de l'histoire de l'art traditionnelle, comme ceux des Arts and Crafts, du Bauhaus ou encore du constructivisme, étaient très engagés politiquement. Et, ce n'est sans doute pas une coïncidence, engagés à gauche. Par ailleurs, la notion de hiérarchie des arts, absolument indispensable dès que l'on parle des rapports entre graphisme et beaux-arts, est indéniablement marquée, politiquement, au sceau d'une inégalité sociale de leurs acteurs. Le propos de Benoit Buquet étant large, il avait même étendu sa réflexion sur les rapports entre graphisme et beaux-arts au problème du catalogue et des affiches d'exposition utilisés par l'institution muséale ou les galeries, qui sont encore une fois l'enjeu de rapports de forces, cette fois-ci entre trois instances: les graphistes et autres exécutants éditoriaux, les artistes, et l'institution organisatrice.
Ma question était donc celle-ci: à la difficulté remarquée par Benoit Buquet d'arriver à écrire un "grand récit" de l'histoire du graphisme qui ne passe pas par l'écueil d'une perspective progressiste ou positiviste, et surtout qui ne passe pas à côté des relations nombreuses que les graphistes (et ce même à l'époque où on ne les appelait pas comme tels) ont entretenu avec les artistes, ne pourrait-on pas envisager une histoire agonistique du graphisme, qui fasse du positionnement socio-politique des typographes, affichistes, illustrateurs, etc., vis-à-vis des beaux-arts, son fil conducteur?

L'un des avantages de cette perspective socio-politique de l'histoire du graphisme est qu'elle éviterait l'écueil, selon moi, de l'inscription dans la nouvelle discipline de la "culture visuelle", qui à mon sens, mais je peux me tromper, n'en est pas vraiment une justement car elle manque de véritables outils méthodologiques pour cerner un objet par ailleurs trop vaste pour être appréhendé sans l'aide des outils traditionnels de la sociologie ou de l'histoire. Qui veut trop embrasser mal étreint: W.J.T. Mitchell, dans son Iconology (1986), donne l'impression de perdre de vue les objets concrets, tout pris qu'il est dans son méta-discours sur le positionnement de sa méthode par rapport aux approches traditionnelles de l'histoire de l'art. L'autre avantage serait qu'elle éviterait l'autre inconvénient de considérer le graphisme de manière monolithique, sans envisager ses liens pourtant étroits avec les autres arts (la peinture, bien sûr, mais aussi l'architecture, comme l'a souligné Jean-Baptiste Minnaert lors de la discussion, ou la littérature, la musique, etc.): pas une histoire du graphisme en tant que tel, donc, mais une histoire du graphisme dans ses relations avec les autres arts. 
Si une telle histoire socio-politique du graphisme doit exister, elle ne saurait donc faire l'impasse de l'étude ni des objets concrets, ni de celle de ses rapports, souvent conflictuels, parfois amicaux, avec les autres arts, et en ce sens saurait s'affranchir à la fois d'une approche de "culture visuelle" par trop théorique et déconnectée de la réalité matérielle des images, et de l'approche hiérarchisée de l'histoire de l'art traditionnelle, "à la André Chastel", pour aller vite.

La notion bourdieusienne et sociologique de champ n'est pour cela pas le seul outil à notre disposition. Une certaine histoire d'inspiration marxiste peut également nous aider à comprendre ces relations entre graphisme et art, ou entre "arts appliqués" et "beaux-arts", à travers la notion de lutte des classes, d'une part, mais surtout d'autre part à travers le fondement du matérialisme historique, qui est la considération de la société à l’aune de ses moyens matériels de production. Réenvisager l'histoire du graphisme dans sa matérialité et dans sa conflictualité avec les autres arts, c'est en ce sens s'inspirer d'un modèle marxiste. Modèle d'autant plus intéressant que les grands mouvements anglais, allemand et russe du graphisme de l'époque contemporaine, à savoir les Arts and Crafts, le Bauhaus et le constructivisme, étaient en grande partie d'inspiration socialiste. Reste le problème du futurisme, bien sûr, dont l'implication de certains de ses acteurs au sein du fascisme mussolinien trouble tout à fait l'idée d'un graphisme univocément voué à la défense du socialisme. Toutefois, ce n'est évidemment pas cette idée qu'il s'agit de défendre. Il ne s'agit pas de faire une histoire partisane du graphisme, mais d'utiliser les outils du matérialisme historique ou de la sociologie bourdieusienne pour faire une histoire du graphisme qui restitue celui-ci dans toute sa complexité sociale et politique, et qui ne se contente pas de faire le récit muséal d'une évolution des formes et des modèles en fonction des progrès techniques (invention de l'écriture, puis de l'imprimerie, puis de la lithographie, etc.).

Le futurisme a cela de commun avec le constructivisme, le Bauhaus et les Arts and Crafts qu'il prétendait abolir la distinction entre beaux-arts et arts appliqués, sortir l'art dans la rue, faire un art du peuple, etc. Que cette volonté ait pris un tour populiste plutôt que socialiste est une autre histoire, mais la question de la gestion du problème de la hiérarchie des arts trouve une réponse similaire, qui est à interroger dans le contexte global, depuis le XVIIIe siècle, des mutations profondes de la société, et de l'art avec elle, à l'heure de ce qu'on a appelé la révolution industrielle. Que cette histoire soit elle-même difficile à écrire, tant son objet est vaste et ses problématiques complexes, je veux bien en convenir. Mais il me semble qu'elle vaudrait le coup d'être écrite, si l'on veut échapper à la fois au jeu des perles de verre des "cultural studies" et à la hiérarchisation des objets de l'histoire de l'art traditionnelle.

Agence M/M, Tree of Signs, statue en bronze, 2008, Urriðaholt, Islande.

Le Tree of Signs de l'agence M/M, grande statue en bronze réalisée par un atelier de graphistes dans la suite de leur travail sur l'album Medúlla de Björk (2004), et que Benoit Buquet désignait justement comme une sorte de "revanche" d'une corporation contre une autre, entre tout à fait dans cette perspective. Signe d'un conflit larvé entre une corporation "délégitimée", les graphistes, dont les œuvres n'ont que très peu accès à l'institution muséale — mais dont le travail est pourtant indispensable au fonctionnement de celle-ci —, et celle, "légitimée", des artistes, qui dépendent eux aussi presque exclusivement du musée pour leur carrière, mais dont les œuvres en constituent le centre et non la périphérie, c'est aussi, par la question du support matériel, celle des conditions de production qui est posée: pour forcer le trait, les graphistes sont déligitimés car ils travaillent dans le reproductible et sur du papier, les artistes, eux, trouvent au contraire leur légitimation en travaillant sur de l'unique, dans le bronze, le marbre ou sur des toiles peintes. La question du support est indispensable à la compréhension des enjeux socio-politiques de l'histoire d'une œuvre d'art, et pourtant souvent laissée de côté au profit de la question de la signification, du sens, etc. Non que cette dernière soit inintéressante en soi: l'herméneutique des œuvres, qu'elles soient de papier ou de bronze, doit continuer. Mais si une nouvelle histoire du graphisme doit être écrite, elle ne saurait faire l'impasse des conditions matérielles de production, qui seule est à même de fournir les éléments d'une analyse précise des enjeux politiques des rapports entre graphisme et beaux-arts.

Pour finir de manière plus légère, pourquoi le geste artistique de M/M semble-t-il "insupportable" du point de vue humain, et contre-productif du point de vue politique? Il s'agit semble-t-il pour M/M, avec cette statue en bronze, de se hisser au rang des beaux-arts. Il ne s'agit donc absolument pas de remettre en cause la hiérarchie des arts: bien au contraire il s'agit de la valider en écrasant de tout le poids du bronze l'idée selon laquelle M/M ne seraient que des graphistes au service d'une chanteuse populaire. Non, non, M/M sont aussi des artistes, voyez-vous, ils font œuvre unique, inscrite dans l'espace public au même titre que de "grands artistes" comme Zadkine, César, Buren, etc. Si c'est bien là le raisonnement de M/M, il me semble pour le coup d'arrière-garde: les différents acteurs des Arts and Crafts, du Bauhaus ou du constructivisme participent d'un mouvement d'avant-garde justement dans la mesure où ils essayent, tant bien que mal, de se débarrasser de cette structuration hiérarchique des arts et des statuts artistiques.
On retrouve probablement un problème similaire dans le débat actuel sur le mariage homosexuel: Jean-Luc Mélenchon (question abordée à 20'10 environ) a raison de souligner que c'est une institution bourgeoise qui ne vaut sans doute pas le coup que l'on s'y intéresse outre mesure, et que les véritables combats sont ailleurs: les homosexuels ne font, en se mariant, que mimer le système hétérosexuel sans le remettre en cause, alors que c'est ce système qui est pourtant à l'origine des inégalités et des discriminations dont ils sont les victimes.
Aussi, pour revenir à notre objet initial, pourquoi vouloir faire rentrer le graphisme au musée? Le jeu en vaut-il la chandelle? Si c'est pour des raisons de conservation et de légitimation scientifique, oui, certainement. Si c'est pour des raisons de légitimation culturelle, j'ai des doutes: le graphisme, dans ses différentes formes, n'a pas besoin du musée pour exister. Tout au contraire, c'est le musée qui, à travers catalogues, affiches et scénographies, a besoin des graphistes pour exister. De la même manière que c'est le patron qui a besoin de ses ouvriers, et non les ouvriers qui ont besoin de leur patron pour faire vivre l'entreprise.

jeudi 5 janvier 2012

Peter Pan, anatomie d'un mythe

Dans la série des centenaires internationaux, celui de la première publication du roman Peter and Wendy de Jales Matthew Barrie, en 1911, aura fait bien peu de bruit... Le manque est réparé depuis peu, avec un peu de retard, par la revue en ligne Belphégor, qui vient de publier dans son nouveau numéro un dossier sur Peter Pan. Votre blogueur préféré y tient un modeste article (encore et toujours) sur Arthur Rackham et son interprétation du texte de Barrie.

Illustration d'Arthur Rackham pour Peter Pan in Kensington Gardens, 1906.

L'introduction de Franck Thibault, qui est d'une clarté exemplaire, vous parlera du dossier mieux que je ne saurais le faire. Tout au plus peut-on repréciser que celui-ci est consacré aux différentes réécritures et métamorphoses du personnage inventé par James Matthew Barrie, à la fois dans l’œuvre de son créateur et dans la postérité. Il manquera sans doute des choses dans ce dossier - et notamment une analyse poussée de l'interprétation du roman par Walt Disney -, mais il y a suffisamment de choses pour réjouir les amateurs de Barrie, comme du mythe qu'il a créé. Anatomies d'un personnage, d'un ensemble de textes et d'images, en somme d'un mythe qui a dépassé le strict état littéraire.

lundi 31 octobre 2011

Alice et les fantômes

Deux expositions à aller voir ab-so-lu-ment. Et pour une fois c’est en province.

Alice Liddell, qui a inspiré Lewis Carroll pour la création de son célèbre roman.
Archives Charmet Bridgeman Giraudon.

Tout d’abord “Images d’Alice, au pays des merveilles”, à la médiathèque de Rennes, qui est avant tout une exposition de livres illustrés qui explore la fortune iconographique de cette œuvre formidable qu’est Alice’s Adventures in Wonderland de Lewis Carroll. Je ne désespère pas de pouvoir m’y rendre: elle ne ferme qu’en mars de l’année prochaine. Et c’est un sujet tout à fait inédit d’exposition, le genre de choses qu’aurait pu faire Orsay si... j’allais dire “si les conservateurs de grands musées parisiens avaient de l’imagination”, mais c’est probablement à la fois faux et surtout gratuitement méchant: le fait est en tout cas que beaucoup d’expositions réellement originales (plutôt que d’énièmes rétrospectives sur Manet ou Mondrian) se font en province, et ne bénéficient pas pour autant de la même couverture médiatique. Ceci dit, moins de moi l’idée de vouloir attaquer les grandes expositions fondamentales sur les grands artistes ou les grands courants, mais simplement de souligner l’originalité d’une telle exposition, qui aurait de la peine à s’inscrire dans la ligne de grandes institutions parisiennes... et qui pourtant ramènerait énormément de monde, à Paris y compris je pense.

Goya, La Conjuration (Les Sorcières), 1797-1798
Huile sur toile - 43 x 30 cm
Madrid, Fundación Lázaro Galdiano
Photo : Fundación Lázaro Galdiano

L'autre expo à aller voir cet automne, donc, est, à Strasbourg, “L’Europe des esprits, ou la fascination de l'occulte, 1750-1950”, qui poursuit la voie ouverte par l’expo “Traces du Sacré” à Pompidou en 2008, dans une veine moins centrée sur les beaux-arts, plus axée sur une histoire culturelle prise au sens large. Une histoire de la fascination qu’ont connu les arts et la littérature pour le monde des fantômes et des esprits nocturnes, de Fuseli à Brauner en passant par Novalis, Breton ou Conan Doyle, donc, mais aussi des tables tournantes, et également de toutes les pseudo-sciences qui ont pu graviter autour des rêveries occultistes. De quoi aiguiser l’appétit pour tous les amateurs d’ombre! Je ne pourrai pas me rendre à Strasbourg, mais si quelqu’un y va et se sent l’humeur (et le temps) de rédiger un petit compte-rendu critique, ce blog lui est ouvert (sous réserves, bien sûr, d’acceptation du contenu par son principal auteur/éditeur). Le risque de ce genre d’expositions étant de noyer le visiteur sous un flot d’objets divers sans lien entre eux, comme ç’avait par exemple été en partie le cas pour l’exposition “Mélancolie” dirigée par Jean Clair il y a quelques années, il est à attendre une hauteur de vue qui permette véritablement de faire le tour du sujet sur deux siècles autrement que de manière superficielle.
Autant dire, ici, un véritable défi, vu l’ampleur tant chronologique que thématique. Mais si celui-ci est relevé avec succès, autant dire qu’il s’agira ici d’une exposition très importante, et encore une fois très originale: si le rapport entre beaux-arts et occultisme a déjà été en partie traité entre autres, récemment, à l’occasion de “Traces du Sacré” déjà mentionné, une bonne histoire de l’occultisme et de ses rapports à la fois avec la science et les arts (c'est-à-dire en tant que phénomène culturel global) reste à faire. Tout le monde (les heureux élus se reconnaîtront) connaît le Sâr Péladan, mais peu connaissent Éliphas Lévi ou Stanislas de Guaita, et leur lien, s’il existe, avec la pensée, la science et les arts de leur époque reste à établir.
Mais il est impossible d’être exhaustif, et La Tribune de l’art estime que ce ne sont pas les manques qu’il faudrait souligner dans cette expo, mais au contraire, davantage, un fourre-tout parfois un peu obscur. On ne doute pas néanmoins que les initiés sauront s’y reconnaître. En attendant, le catalogue est très beau et semble très pointu... mais n’est pas un vrai catalogue dans la mesure où il ne répertorie ni n’explique les œuvres exposées, et donc ne dispense pas d’aller voir ces dernières. C’est jusqu’en février 2012.

lundi 10 octobre 2011

Grande exposition sur les jouets au Grand Palais

Les articles du Monde et du Figaro sont assez élogieux, mais on pourra lire un compte-rendu plus critique de cette exposition “Des jouets et des hommes” sur Le Magasin des Enfants, dans un billet rédigé par Mathilde Lévêque. Les partis pris scénographiques ne semblent ni d’une grande clarté théorique, ni d’une grande originalité dans les thèmes choisis (les animaux qui mêlent l’Arche de Noé et les animaux du cirque, la différence filles/garçons qui continue visiblement de nourrir les préjugés sexistes, etc.): un beau sujet comme celui-ci aurait sans doute mérité une meilleure architecture. On a l’impression que les commissaires ont davantage fait une exposition sur l’imaginaire du jouet que sur le jouet en lui-même, ses fonctions, son histoire, son esthétique, etc.

Cela reste néanmoins bien sûr une exposition à voir pour la beauté et la rareté de ses pièces, certaines uniques, à l’histoire particulière, etc. Signe des temps, comme très souvent on fabrique de l’événement au lieu d’expliciter une histoire, un objet: c’est visiblement une très grande et belle expo, mais sans doute pas la plus pédagogique ni la plus intelligente qu’on aurait pu rêver sur le sujet.

L'illustration des contes de Grimm au 19e siècle


Samedi prochain, au séminaire de l’AFRELOCE, je présenterai quelques résultats de mon sujet de thèse. Ça se déroule à l’ENS Ulm, à partir de 10h00.
Plus d’informations sur Le Magasin des Enfants.

On parlera notamment de l’influence de l’illustration sur le statut littéraire des contes: non seulement ce dernier est modifié du fait même que les textes soient illustrés, mais la nature même des images (leur style, leur parti pris iconographique, etc.) influe sur leur réception, et partant sur le genre littéraire qui leur est reconnu.

mardi 20 septembre 2011

État des lieux

Cela fait très longtemps que je ne suis pas venu alimenter ce blog, à tel point que j'ai pensé à un moment le désactiver: manque de temps et de motivation pour écrire. Je me donne néanmoins une petite chance pour essayer de recommencer à écrire régulièrement, mettons une fois par mois.

Quoi de neuf depuis plus de six mois (du moins dans ce qui peut intéresser Ombres vertes, rien de privé ici)?

L'exposition que je préparais sur le sujet de la maison Mame s'est très bien déroulée, on peut en voir quelques photos sur le blog du projet de recherches afférent. L'exposition a connu un très vif succès, non seulement de la part des amateurs d'art et du livre, mais aussi de toute une partie de la population, de Tours ou des environs, qui ont travaillé à la maison Mame, ou dont des membres de la famille ont travaillé chez Mame, etc. Seul défaut à mon sens: la durée de l'exposition, qui n'a pas été au-delà de 6 semaines, et n'a pas permis à tous ceux qui voulaient aller la voir de s'y rendre. Question de calendrier... mais le catalogue d'exposition (au sens strict un livret d'exposition dans la mesure où les œuvres exposées n'y sont pas répertoriées), édité par Silvana, est disponible en librairie. Demandez-le à votre libraire (plutôt que de l'acheter sur Amazon, mais il y est aussi disponible).
C'est mon premier livre publié. Au passage, donc, à nouveau un énorme remerciement à Michèle Prévost, Bérangère Rouchon-Borie, et surtout Cécile Boulaire pour leur aide et leurs relectures, aussi bien concernant le livre que l'expo. Le tout vient un peu tard ici, mais je suis très satisfait du résultat, et il est juste de mentionner que je ne suis pas le seul à y avoir contribué.
Le volume du colloque Mame, beaucoup plus érudit et important en taille que le livret d'exposition, est en route, et devrait être publié si tout se passe bien l'année prochaine aux Presses universitaires de Rennes. J'y dirige un chapitre et y ai un article.

William Blake, The Marriage of Heaven and Hell, page de titre, version C (Morgan Library and Museum)

Par ailleurs, une intervention au colloque “Hybridations texte et image”, à l'université de Tours, sur William Blake et son Mariage du Ciel et de l'Enfer. De quoi renouer, après beaucoup de recherches souvent érudites en histoire du livre, avec plusieurs de mes marottes: la période romantique, l'art visionnaire, la symbolique du livre, etc. Normalement l'article devrait être publié dans les actes du colloque, toujours l'année prochaine (enfin, on verra...), aux Presses universitaires François Rabelais, dans une collection dont j'aurai sans doute l'occasion de reparler à l'avenir.
Au passage, j'aimerais adresser mes remerciements aux éditeurs et à toute l'équipe du site internet The William Blake Archive, Morris Eaves, Robert Essick et Joseph Viscomi, pour le formidable travail qu'ils ont pu faire sur l'artiste, et gracieusement mettre à disposition. Ce site est une banque de données impressionnante, où l'on peut voir notamment tous les livres enluminés de Blake, les comparer dans leurs différentes versions, etc. Du travail à la fois précis et intelligent, qui m'a beaucoup facilité la tâche. Merci encore.

Et maintenant, en attendant la suite, en cette période de rentrée, reprise de mon métier de correcteur. Mais on n'abandonne ni la recherche, ni les lectures, ni peut-être le plus important: la contemplation.

vendredi 4 février 2011

Le Cauchemar de Fuseli au Louvre, un imbroglio sémantique

Cela me faisait tiquer depuis longtemps, de voir ces grandes affiches avec Le Cauchemar de Fuseli pour une exposition du Louvre intitulée l'Antiquité rêvée... Je ne suis pas toujours pas allé la voir, cela ne devrait tarder, mais cette vidéo réalisée par Télérama a néanmoins achevé de me convaincre de deux ou trois choses.

Fuseli, Le Cauchemar, 1782, Detroit, Institute of Arts

Guillaume Faroult, commissaire scientifique de l'exposition, nous y explique dans un premier temps qu'il “n'y a aucune clé, dans la littérature, le folklore ou la mythologie qui puissent nous aider à comprendre tout de suite l'identité des personnages”. Gasp. Dans la littérature et la mythologie, passe encore, mais la figure du cauchemar dans le folklore, qu'en fait-on? Je me permets ici de renvoyer à mes trois billets au sujet de ce tableau. Le cauchemar est quand même une figure folklorique relativement connue à l'époque, et même si ce n'est pas un sujet des plus populaires, il ne faut pas oublier que Fuseli s'adresse essentiellement à un public choisi, capable de comprendre ses allusions à Shakespeare (qui lui-même réutilise le folklore dans ses pièces, mais bref) ou même à l'essai médical de John Bond sur le sujet (mais de cela, M. Faroult n'en parle pas, sans doute n'en a-t-il pas eu le temps). Mais bizarrement, un peu après, M. Faroult ajoute que le démon avait pu être interprété comme étant un incube, figure du folklore démoniaque occidental (“septentrional”, ajoute-t-il, alors que l'auteur du principal traité connu sur les incubes, Ludovico Sinstrari, est un inquisiteur italien, mais passons). Il faudrait savoir, folklore ou pas folklore? Possibilité d'interprétation ou non?
Ne soyons pas injuste envers M. Faroult, je pense que nous pouvons tomber d'accord sur le fait que la clef du tableau de Fuseli n'est pas d'accès aisé et demande une certaine érudition. De là à dire qu'il n'y en a pas, c'est aller un peu loin, et revenir à dire que le tableau est incompréhensible... ce qu'il n'est pas: il est tout au plus mystérieux parce que plusieurs clés empruntées à plusieurs domaines (littérature, folklore, médecine...) y donnent accès sans véritablement se contredire. Ce qui est la marque du fait que ce n'est pas un tableau simplement allégorique, mais peut-être bien “symbolique” au sens où l'entendront plus tard les symbolistes: Fuseli manierait des “symboles” ouverts, aux sens non fixés par des conventions préétablies, qui du coup (contrairement par exemple à La Justice et La Vengeance divine poursuivant le Crime de Prud'hon, un peu plus tard, mais toujours dans l'ère néoclassique) laisserait une interprétation relativement ouverte. Le débat est long et passionnant, mais je pense qu'on peut à peu près tomber d'accord sur pas mal de choses concernant ce point.

Prud'hon, La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime, 1808, huile sur toile, 2,44 x 2,94 m, Paris, musée du Louvre.


Là où j'ai bien peur que l'on ne soit absolument pas d'accord, en revanche, c'est sur le fait, pourtant d'importance centrale pour l'exposition, que le tableau de Fuseli constituerait un très bon exemple d'une “réaction” à l'anticomanie de la fin du 18e siècle. C'est-à-dire? Je sais que c'est justement le propos de l'exposition que de montrer cette réaction au néoclassicisme (qui est le véritable sujet de l'exposition du Louvre, mais le mot reste bizarrement absent des descriptions officielles...), et que je n'ai pas encore vu l'exposition et suis donc mal placé pour juger. Soit.
Mais si on nous dit que Le Cauchemar de Fuseli en est le meilleur exemple, là je ne comprends vraiment pas. Il n'y a absolument aucun rapport de sens entre cette œuvre et l'Antiquité, ce qui m'avait fait tiquer en voyant l'affiche. On vient m'expliquer ensuite que c'est justement parce que c'est une œuvre en réaction contre le modèle antique. Je veux bien, mais il ne faut pas non plus prendre les gens pour des idiots: ce n'est pas parce qu'une œuvre n'a pas de rapport sémantique avec un domaine qu'elle s'inscrit nécessairement contre lui. Elle peut aussi tout simplement s'inscrire ailleurs, ici dans un autre imaginaire que celui de l'antique, celui du folklore médiéval et de Shakespeare. Si elle devait s'inscrire contre l'Antiquité, on verrait peut-être au moins une allusion à l'Antiquité quelque part, mais ce n'est pas le cas. A moins de supposer que l'irrationalité du cauchemar aille directement à l'encontre de l'idée d'une rationalité antique?... Je veux bien, cela se discute, mais mériterait au moins que l'on parle du rôle que joue l'imagination dans le romantisme, un terme qui est aussi évité que celui de néoclassicisme, dans le discours de M. Faroult comme dans le synopsis de l'expo lisible sur le site du Louvre. Plutôt que de parler de romantisme, on préfère parler du “courant dit gothique ou sublime”. Le courant gothique, passe encore, mais le “courant sublime”, je ne vois pas ce que c'est à part une impropriété syntaxique (à moins qu'on ne veuille parler d'un grandiose cours d'eau?...) qui n'a pas lieu d'être quand le terme “romantisme” permettrait d'englober goût gothique et sens du sublime.

Une autre théorie beaucoup plus plausible me vient alors à l'esprit. Le Louvre voulant faire une exposition avec des pièces sensationnelles prend un sujet fourre-tout, l'interprétation de l'Antiquité par les artistes du 18e siècle, et en plus se permet d'y ajouter de très belles pièces qui n'ont absolument rien à voir avec un sujet pourtant vaste. Pourquoi? Parce que le but, comme dans beaucoup trop de grosses expos, c'est d'avoir des pièces sensationnelles, pas de faire des expos cohérentes qui se tiennent intellectuellement d'un bout à l'autre de l'accrochage.
Pour quelle raison ne pas vouloir d'expos cohérentes? Parce que (principe marketing n°1) : “De toute façon les gens ne vont rien y comprendre”. Et puis c'est de l'art, c'est fait pour être admiré, pas pour être compris. Ensuite, pourquoi utiliser, pour l'affiche, une œuvre contradictoire avec le thème de l'exposition? Principe marketing n°2: “La culture, c'est pas sexy, il faut la rendre sexy”, alors pour une fois qu'on a un tableau avec une femme pâmée et un kobold, on va le placer coûte que coûte, plutôt qu'une vieillerie qui imite l'antique de manière un peu austère. Enfin, pourquoi ne pas appeler un chat un chat, et ne pas parler 1/ de néoclassicisme, 2/ de réaction romantique? Foin d'un remaniement des concepts historiographiques, la réponse est tout autre (principe marketing n°3): “Il ne faut pas effrayer les gens par des mots compliqués ou rébarbatifs”.
Si ma théorie est vraie, merci Le Louvre®, vous jouez vraiment bien votre rôle de modèle, national, et donnez visiblement vraiment la voie à suivre à l'ensemble de la muséographie française. Quand il y aura un peu moins de marketing et un peu plus d'histoire de l'art dans les expositions des gros musées nationaux, les œuvres, je pense, ne s'en porteront que mieux.

Voilà mes préventions, à l'exposition désormais de me montrer qu'elles sont infondées. Mais au niveau de la communication, déjà, un beau cafouillage intellectuel. Qui a dit que culture et communication faisaient bon ménage?

Des revenants au Louvre

Daniel Rabel, Première entrée des fantômes, quatre figures, 1632, cliché RMN.

Du 13 janvier au 28 mars a lieu une drôle de programmation culturelle au musée du Louvre. Non ce n'est pas une suite de conférences d'histoire de l'art ou de théorie muséographique, mais bien un cycle de conférences et de projections de films autour des revenants, et de la figure du retour des morts. Accompagnant une exposition du département des arts graphiques sur le même sujet (qui elle-même accompagne en partie l'expo block-buster “L'Antiquité rêvée”, dont j'espère pouvoir reparler), qui dure du 13 janvier au 14 mars, et qui a l'air absolument passionnante.
Que l'on ne s'attende pas à du film de zombi* bien gras, bien sûr, Louvre oblige, mais bien à un Dreyer, un Fritz Lang, des films de Kiyoshi Kurosawa, le Dead Man de Jarmusch (qui est désormais, depuis l'expo Blake du Petit Palais, admis au musée), Aux frontières de l'aube de Bingelow à la rigueur, etc. Je note personnellement surtout une reconstitution des fantasmagories de Robertson, sorte de spectacle à la lanterne magique de la fin du 18e siècle, qui fait partie des ancêtres du cinéma.

Côté conférences, il y a également de quoi faire: je retiens notamment celle de Jean Wirth sur le macabre médiéval, le 21 février, et celle de Clément Chéroux sur la photographie spirite, le 28 février. Sinon, Didi-Huberman, Olivier Schefer, Philippe-Alain Michaud... du beau monde.

Girodet, Le Songe d'Enée, lavis brun et gris, rehauts de blanc sur traits de crayon, Paris, musée du Louvre, cliché RMN.


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*On a quand même droit au Jour des morts-vivants de Romero, pas aussi incontournable que La Nuit, du même, mais bon... pour une fois qu'il y a des zombis au Louvre!

vendredi 29 octobre 2010

Svankmajer

Jan Svankmajer

Hier soir aux Studios, à Tours, nous avons eu la chance d'assister à une projection des Conspirateurs du plaisir (1996) de Svankmajer, réalisateur tchèque surtout connu pour ses films d'animation, en sa présence. Non seulement le film était passionnant - je ne dirais pas “déroutant” parce qu'en fréquentant Lynch ou Gilliam les idées surréalistes, l'imaginaire sexuel ou la narration métaleptique sont devenus familiers au spectateur “exigeant” -, mais Svankmajer s'est également montré très aimable dans ses réponses aux questions, nombreuses et intéressantes, du public.


Alice de Jan Svankmajer (1988)

Ce qui déroute le plus, c'est de se rendre compte que des cinéastes de l'ampleur de Svankmajer ne sont pas mieux connus en France, qui se targue pourtant d'être l'un des hauts-lieux du 7e art. Une rétrospective complète de son œuvre (la première en France), animée par le sympathique et savant Pascal Vimenet, a néanmoins lieu en ce moment au Forum des images, à Paris. Ce soir, vous pourrez voir son adaptation d'Alice, qui est à mille lieues du médiocre long-métrage de Tim Burton dont on nous a bassiné les oreilles lors de sa sortie. Allez voir l'Alice de Svankmajer, vous comprendrez ce que c'est qu'une adaptation personnelle et réellement troublante du chef-d'œuvre de Lewis Carroll.

lundi 11 octobre 2010

Naissance de l'album

Walter Crane, The Frog Prince (original en couleurs), Routledge, 1874.

Avis aux amateurs : je donnerai vendredi une conférence organisée dans le cadre des Matinées du Patrimoine, cycle de conférence sur l'histoire du livre et de la littérature de jeunesse proposé par La BnF, Centre national de la littérature pour la jeunesse / La Joie par les livres:

* “Walter Crane, Kate Greenaway et Randolph Caldecott, ou la naissance de l’album moderne pour enfants
Par François Fièvre, chercheur en histoire de l'art associé à l'université de Tours.

* PRÉSENTATION : Le travail de Walter Crane, Kate Greenaway et Randolph Caldecott représente, dans les années 1870 en Grande-Bretagne, un moment important de l’histoire du livre pour enfants : pour la première fois peut-être, l’espace de la double-page, et du livre dans son intégralité, est organisé selon une logique imposée par l’image et non plus par le texte, consacrant ainsi la naissance de l’album moderne pour enfants. La conférence se propose d’examiner en détail quelques-uns de ces albums anglais, souvent peu connus et en tout cas peu étudiés en France, ainsi que d’engager à une réflexion à la fois lexicale et historiographique sur les limites à poser entre album et livre illustré.

Kate Greenaway, illustration pour Under the Window, Routledge, 1878.


* INFORMATIONS PRATIQUES : vendredi 15 octobre, 9h30-12h30, dans les locaux du Crédit muutuel, 88 rue Cardinet, 75017 Paris.

* LES MATINEES DU PATRIMOINE
Conférences sur l’histoire du livre et de la littérature de jeunesse:
des spécialistes, universitaires ou professionnels du livre, évoquent
l’évolution de l’édition jeunesse et des différents genres et thèmes de
la littérature enfantine, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Avec le soutien de la Fondation du Crédit Mutuel pour la Lecture
www.cmutuel.com/fondation .

Randolph Caldecott, The Diverting History of John Gilpin, Routledge, 1878.


GRATUIT sur inscription

* RENSEIGNEMENTS / INSCRIPTIONS
Marion Caliyannis
Bibliothèque nationale de France
Centre national de la littérature pour la jeunesse – La Joie par les livres
Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13
Tel : 01 53 79 57 06 / Fax 01 53 79 41 80
Courriel : prénom.nom@bnf.fr (et remplacer par marion.caliyannis)

dimanche 26 septembre 2010

Le bois et le jardin

Thoreau

Les nouvelles traductions sont à la mode... Autant je doute de la pertinence de celles du genre des Confessions de saint Augustin, dont le titre avait de manière polémique été transformé en les Aveux en 2008, autant Walden, de Thoreau, souffrait dans la précédente traduction de G. Landré-Augier d'avoir été retranscrite dans un français très lourd, voire poussif (j'ignore ce qu'il en est de la trad. de Fabulet chez Gallimard), et nécessitait sans doute une retraduction. Même si l'original est très digressif et parfois assez long, le style de Thoreau est loin d'être chargé, et je pense que la nouvelle traduction de Brice Matthieussent, parue ce mois-ci chez Le Mot et le Reste, sera très bonne. Je dis "je pense" parce que je n'ai pas encore eu le temps d'aller la voir, mais vu l'expérience du traducteur, qui s'est déjà confronté à la plupart des grands noms de la littérature américaine, je pense que l'on peut y aller les yeux fermés.

Arthur Rackham pour James Matthew Barrie, Peter Pan in Kensington Gardens, 1906
(pour célébrer la venue de l'automne)


En revanche, n'allez pas acheter les yeux fermés la nouvelle traduction par Céline-Albin Faivre de Peter Pan in Kensington Gardens de James Matthew Barrie, illustré par Rackham, parue il y a quelques jours. Autant il faut remercier les éditions Terre de Brume pour avoir accepté de rééditer un tel chef-d'oeuvre de la littérature enfantine avec l'intégralité des illustrations de Rackham, ce qui ne s'était pas fait en France depuis... 1907, autant on peut reprocher à cette nouvelle traduction d'être émaillée de lourdeurs, et surtout de contresens, comme ce "little persons" de la première ou deuxième page, je ne sais plus, qui est traduit par "petit peuple", faisant ainsi allusion aux fées alors qu'il n'est ici question, dans le texte de Barrie, que d'enfants (dans ce passage tout du moins, les fées apparaissant ultérieurement*)... Pour le reste, les illustrations couleur de Rackham sont superbement reproduites - j'ai plus de réserve pour les illustrations noir et blanc reproduites à l'encre violette, ce qui est très laid**. Et bien sûr le texte de Barrie est à lire (en anglais de préférence).

Dans la veine du romantisme écologique, il convient également de signaler la sortie, aux éditions Finitude, de la Vie dans les bois de Charles Lane, un livre auquel Thoreau a visiblement beaucoup pensé quand il a écrit Walden. C'est visiblement la première traduction française de ce court essai. L'automne se passera donc dans les bois ou les jardins, selon les goûts...

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* Au passage : l'expression consacrée en anglais pour le "petit peuple", c'est-à-dire les fées, est "little people", pas "little persons"...
** Décidément j'aime énormément la ligne éditoriale de Terre de brume, mais pas leurs maquettes (ni leur site en flash, d'ailleurs)...

vendredi 17 septembre 2010

Une bataille de chiffres

Marion Bataille, designer célèbre pour avoir réalisé un magnifique abécédaire pop-up, vient de sortir, chez Albin Michel, un magnifique livre sur les chiffres, dont la caractéristique est que les chiffres, de 1 à 10, se déplient et se retournent de manière à laisser apparaître un autre chiffre qui, additionné au premier, donnera systématiquement la somme de 11 : ainsi le 2 laisse apparaître un 9, le 9 un 2, le 3 un 8 et le 8 un 3, etc. Le livre joue ici sur la particularité des chiffres qui est qu'ils peuvent se combiner entre eux par des opérations mathématiques (ce qui n'est pas le cas des lettres de l'alphabet, qui s'agrègent, s'accumulent en mots, mais ne s'additionnent pas), mais c'est surtout une formidable expérience visuelle qui permet de mieux voir des formes devant lesquelles on passe habituellement de manière indifférente.



Quoi de commun entre un 9 et un 2 ? Tout, sauf la barre horizontale inférieure: tout dépend de la manière dont on le dessine, et c'est là que résident le travail et la réflexion de Marion Bataille.

Merci à Jean Véronis d'avoir signalé cette publication.

dimanche 29 août 2010

Russie éternelle

Entre 1909 et 1912, Sergüeï Prokoudin-Gorski (1863-1944) entreprit, avec le soutient du tsar Nicolas II, de photographier les territoires et les habitants de l'Empire Russe. Grâce à un appareil spécial permettant de prendre des séries de trois photos en noir et blanc, successivement avec des filtres rouge, vert et bleu, puis en les superposant et les projetant sur un écran, il pouvait obtenir des couleurs de qualité exceptionnelle.
Le Boston "Big Picture" propose quelque 34 clichés parmi les centaines que contient cette collection de la Bibiothèque du Congrès (voir l'exposition en ligne "The Empire that was Russia"). Les images, exhumées en 2003 et restaurées à l'aide du numérique, défient le temps par la vérité des couleurs, et l'éloignement de plus d'un siècle fascine, tant la facture des photos semble moderne. Et pourtant c'est d'une époque reculée que nous parviennent ces clichés, où ni la Première Guerre Mondiale ni la Révolution Russe n'avaient encore eu lieu.
Les images d'un empire immensément vaste, passant par l'Arménie, la Géorgie, le Turkménistan, le Daguestan, la Turquie, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, ou encore l'Abkhazie, sont tout simplement d'une beauté à couper le souffle, mais surtout elles redonnent vie à ces visages et à ces paysages de manière absolument saisissante. C'est au présent que ces clichés nous parlent. Une présence éternelle, un présent pour l'humanité.

lundi 21 juin 2010

Le livre au corps

Cette semaine j'interviendrai au cours d'une des deux journées d'études organisée par Alain Milon et Marc Perelman (Paris 10) à l'INHA, journées d'études réunies sous le titre Le livre au corps.
C'est là le dernier volet d'un triptyque organisé autour de l'esthétique du livre; les deux premiers, Le Livre et ses espaces et L'Esthétique du livre, ont déjà été publiés par les presses de Paris Ouest.


Voilà le programme. J'interviens personnellement le jeudi en début d'après-midi. Avis aux amateurs...

JEUDI 24 JUIN 2010

- 10h00-10h30 : Accueil et présentation du colloque et de l'ouvrage L'Esthétique du livre aux presses universitaires de Paris Ouest par Alain Milon et Marc Perelman

APPROCHE PHENOMENOLOGIQUE DU LIVRE
- 10h30-11h00 : Le livre comme « objet investi d'esprit » : chair et sens du texte, Anne Coignard (CREA, Ecole polytechnique)

APPROCHE HISTORIQUE DU CORPS DE LIVRE
- 11h00-11h30 : La Femme livre : fragmentation du corps féminin dans les recueils de blasons anatomiques à la Renaissance, Irène Salas (EHESS, Paris)
- 11h30-12h00 : Discussion

- 14h00-14h30 : Les Reliures armoriées, métaphore corporelle du temps de Louis XVI, Peggy Manard (BNF)
- 14h30-15h00 : Les Trois Corps du livre : vocabulaire et mise en page du livre illustré au XIXe siècle, François Fièvre (Université de Tours)
- 15h00-15h30 : Discussion

CORPS VIVANT ET CORPS DE LIVRE
- 16h00-16h30 : Écriture des troubles alimentaires : du corps-livre au livre-corps, Karin Bernfeld (écrivain)
- 16h30-17h00 : Du journal intime au corps de la femme chorégraphe : une forme singulière de la créativité, Billana Vassileva-Fouilhoux (Université de Paris III)
- 17h00-17h30 : Ceci est mon livre : quelques stratégies opératoires du livre d'artiste au Québec, Danielle Blouin (Université du Quebec à Montréal)
- 17h30-18h : Discussion

VENDREDI 25 JUIN 2010

METAMORPHOSES DE LIVRE, METAMORPHOSES D'ECRITURE
- 10h-10h30 : Le livre de Mallarmé : Texture et performance, Peter Krilles (Université de Paris III)
- 10h30-11h : Le corporel et le incorporel chez Henri Michaux (« Par des traits »), Serge Chamchinov (chercheur, artiste peintre, concepteur de livres d'artiste)
- 11h30-12h00 : Autour de Poésie pour pouvoir de Michaux, Lorraine Dumenil (Paris VII)
- 12h00-12h30 : Discussion

- 14h00-14h30 : Pétrole de Pasolini : corps du verbe, Marie-Françoise Buresi-Collard (Université Paris I)

DISPARITION DU CORPS DU LIVRE
- 15h00-15h30 : Le Livre, un corps luminescent : modernisme et dématérialisation graphi-que de l'imprimé, Victor Guegan
- 15h30-16h00 : Artiste chirurgien du livre, Anna Rykunova (EHESS, Université Humboldt, Berlin)
- 16h00-16h30 : DISCUSSION et SYNTHESE

Colloque organisé par Alain Milon et Marc Perelman, Professeurs à l'Université de Paris Ouest-Nanterre La Défense

jeudi 6 mai 2010

Le conte et l'oiseau, une histoire naturelle

Ce fut un grand moment d'échange et de bouillonnement d'idées que la rencontre avec Fabienne Raphoz à la librairie Le Livre, à Tours, ce 23 avril dernier. Fabienne Raphoz, par ailleurs éditrice chez José Corti et auteur de livres de poésie chez Héros-Limite, présentait une anthologie de sa composition autour de la présence de l'oiseau dans les contes... et dans les contes populaires de tradition orale en particulier. Je renvoie à la page consacrée à l'ouvrage sur le site des éditions Corti pour une plus ample description de ce projet passionnant qui a consisté à débusquer des oiseaux — tous types d'oiseaux, imaginaires (l'oiseau de feu) et réels, génériques («un oiseau» dont l'espèce n'est pas nommée) et spécifiques (les corbeaux, cygnes, martinets, rossignols, poules, etc.) — dans les contes de tradition orale recueillis dans le monde entier, et parmi quelques mythes des «nations premières».
Les textes sont rangés dans l'ordre de la classification Aarne-Thompson, ordre canonique pour les folkloristes qui permet de classifier les contes en fonction de leur proximité avec un «conte-type», entité abstraite qui n'a pas pour autre fonction épistomologique que d'autoriser le rapprochement entre différentes versions d'un même conte.

Quelques illustrations d'Ianna Andréadis pour l'Aile bleue des contes, photographie que j'ai empruntée à son site internet.

L'ouvrage est magnifiquement illustrés de dessins en silhouettes d'Ianna Andréadis, artiste peintre qui a magnifiquement représenté les oiseaux selon leurs espèces, dans une sobriété de noir et de blanc qui ne peut que rappeler le noir de la typographie sur le blanc du papier. Mallarmé n'avait-il pas comparé la poésie à la grâce du vol d'un oiseau dans le ciel?
Les illustrations d'Ianna Andréadis sont, elles, classées selon un autre ordre canonique, celui du Handbook of the Birds of the World (HBW), qui classe les oiseaux selon leur espèce et leur famille, dans la plus stricte tradition taxinomique de la biologie animale, nommée du temps de Linné «histoire naturelle».
L'improbable Froba, ou oiseau bleu des contes, inventé par Ianna Andrédais pour l'occasion

Cette coexistence de deux classifications au sein d'un même ouvrage, celle d'Aarne-Thompson pour les textes, et celle du HBW pour les images, m'a laissé songeur. Il m'a semblé que nous avions comme deux histoires naturelles qui se rencontraient et s'entrelaçaient, celle des textes et celle des images, celle des contes et celle des oiseaux. Le conte, dont personne n'a pu jusqu'ici décrire l'origine et raconter l'apparition, ne serait-il pas au sens strict une histoire naturelle, au sens où les Grimm parlaient, justement à leur propos, de «poésie de nature» ? Sans vouloir dire que les contes sont nés de la nature comme les oiseaux (ils restent des objets de culture), le rapprochement entre les deux ordres, ici magnifiquement entrelacés, méritait d'être souligné. Splendide et magnifique rencontre, en tout cas, et absolument poétique, de l'art de raconter des histoires et de l'animal au chant divin qui parcourt l'azur des cieux.