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vendredi 4 février 2011

Des revenants au Louvre

Daniel Rabel, Première entrée des fantômes, quatre figures, 1632, cliché RMN.

Du 13 janvier au 28 mars a lieu une drôle de programmation culturelle au musée du Louvre. Non ce n'est pas une suite de conférences d'histoire de l'art ou de théorie muséographique, mais bien un cycle de conférences et de projections de films autour des revenants, et de la figure du retour des morts. Accompagnant une exposition du département des arts graphiques sur le même sujet (qui elle-même accompagne en partie l'expo block-buster “L'Antiquité rêvée”, dont j'espère pouvoir reparler), qui dure du 13 janvier au 14 mars, et qui a l'air absolument passionnante.
Que l'on ne s'attende pas à du film de zombi* bien gras, bien sûr, Louvre oblige, mais bien à un Dreyer, un Fritz Lang, des films de Kiyoshi Kurosawa, le Dead Man de Jarmusch (qui est désormais, depuis l'expo Blake du Petit Palais, admis au musée), Aux frontières de l'aube de Bingelow à la rigueur, etc. Je note personnellement surtout une reconstitution des fantasmagories de Robertson, sorte de spectacle à la lanterne magique de la fin du 18e siècle, qui fait partie des ancêtres du cinéma.

Côté conférences, il y a également de quoi faire: je retiens notamment celle de Jean Wirth sur le macabre médiéval, le 21 février, et celle de Clément Chéroux sur la photographie spirite, le 28 février. Sinon, Didi-Huberman, Olivier Schefer, Philippe-Alain Michaud... du beau monde.

Girodet, Le Songe d'Enée, lavis brun et gris, rehauts de blanc sur traits de crayon, Paris, musée du Louvre, cliché RMN.


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*On a quand même droit au Jour des morts-vivants de Romero, pas aussi incontournable que La Nuit, du même, mais bon... pour une fois qu'il y a des zombis au Louvre!

dimanche 9 janvier 2011

Film pour une révolution et six percussionnistes

Peut-être se souvient-on encore de "Music for one apartment and six drummers", un morceau en 4 mouvements dont la représentation avait été filmée il y a déjà quelques années (2001 visiblement), et qui montrait des percussionnistes s'emparer l'espace de quelques minutes d'un appartement pour y faire de la musique avec les objets de la vie quotidienne: interrupteurs, brosses à dent, atomiseurs de parfum, verres...
Les percussionnistes viennent de remettre le pied à l'étrier, pour un long-métrage cette fois-ci, qui est sorti fin décembre (un extrait ici). C'est du jamais vu, sorte de polar délirant où des musiciens terroristes tentent de faire d'une ville entière leur instrument de musique. Il n'y avait que des Suédois pour inventer cette sorte de Fight Club pour percussionnistes, tout à fait surréaliste, et en tout cas jouissif, surtout pour les batteurs cela va de soi, mais aussi pour les autres. Si le scénario reste peut-être un peu lâche, qui empêche de considérer le film comme un pur chef-d'œuvre, on ne peut qu'admirer l'inventivité des scénaristes.

vendredi 29 octobre 2010

Svankmajer

Jan Svankmajer

Hier soir aux Studios, à Tours, nous avons eu la chance d'assister à une projection des Conspirateurs du plaisir (1996) de Svankmajer, réalisateur tchèque surtout connu pour ses films d'animation, en sa présence. Non seulement le film était passionnant - je ne dirais pas “déroutant” parce qu'en fréquentant Lynch ou Gilliam les idées surréalistes, l'imaginaire sexuel ou la narration métaleptique sont devenus familiers au spectateur “exigeant” -, mais Svankmajer s'est également montré très aimable dans ses réponses aux questions, nombreuses et intéressantes, du public.


Alice de Jan Svankmajer (1988)

Ce qui déroute le plus, c'est de se rendre compte que des cinéastes de l'ampleur de Svankmajer ne sont pas mieux connus en France, qui se targue pourtant d'être l'un des hauts-lieux du 7e art. Une rétrospective complète de son œuvre (la première en France), animée par le sympathique et savant Pascal Vimenet, a néanmoins lieu en ce moment au Forum des images, à Paris. Ce soir, vous pourrez voir son adaptation d'Alice, qui est à mille lieues du médiocre long-métrage de Tim Burton dont on nous a bassiné les oreilles lors de sa sortie. Allez voir l'Alice de Svankmajer, vous comprendrez ce que c'est qu'une adaptation personnelle et réellement troublante du chef-d'œuvre de Lewis Carroll.

vendredi 12 février 2010

Et in Arcadia ego

Le Temps des Grâces, de Dominique Marchais

Lundi dernier, je lisais cet article dans le Monde : Pour la première fois depuis 150 ans, la forêt ne gagne plus de terrain en France. La raison principale en est qu'un terrain vide consacré à la culture prend de la valeur avec la construction, valeur qui peut en être multipliée par 50, voire 300 en région parisienne. Par un heureux hasard, un film exemplaire est sorti cette semaine sur un sujet connexe : "Le Temps des Grâces", ou comment la France a saboté plus de 2000 ans d'héritage agricole en l'espace de 50 ans . Un documentaire efficace qui dresse le portrait effrayant de la course aux gains de productivité agricole, et la mort programmée d'une richesse ancestrale inestimable. Il ne s'agit pas du tout d'un documentaire "artistique", comme Raymond Depardon avec sa série des Profils Paysans, mais bien d'une démonstration classique, avec paroles de paysans et discours d'experts, et même quelques interventions lyriques de Pierre Bergounioux, qui permet de comprendre comment on en est arrivé là, et comment on peut s'en sortir - ou non. Si le film n'évoque pas directement le sujet traité par Le Monde, il en est question en filigrane, de manière très éclairante. Vous comprendrez le titre de ce billet en allant voir le film, que je vous conseille vivement.

samedi 16 janvier 2010

Bright Star

Suprême ravissement du dernier film de Jane Campion qui m'interdit d'en parler plus avant.


I had such a dream last night.
I was floating above the trees, with my lips connected with those of a beautiful figure.


Allez le voir, c'est tout.

mercredi 23 décembre 2009

L'autre

La couverture du dvd alive de Meshuggah, dont la sortie est prévue en février prochain, est très réussie... elle reprend et détourne de manière à la fois habile et amusante le design de l'affiche du premier Alien réalisé par Ridley Scott et sorti l'année de ma naissance, en 1979.

Trente ans après, et alors que les films de science-fiction continuent à interroger de manière plus ou moins réussie l'altérité humaine, la réutilisation de l'affiche cinématographique par le groupe de death métal suédois est intéressante de deux points de vue. D'une part elle fait allusion à une icône de la contre-culture, à travers ce qu'on peut véritablement appeler un "clin-d'oeil", un signe de connivence culturelle avec son public d'adolescents et de jeunes adultes bercés par la musique alternative et les films de série B d'origine américaine. Le détournement facétieux de l'image originelle est de plus caractéristique de l'esprit de la formation qui, malgré la teneur réputée difficile de son message musical, est connue pour son sens de l'auto-dérision: en témoigne même la reprise de la phrase d'appel originale, “In space no one can hear you”, avec l'ajout précisant “unless you scream”, et qui fait allusion au faciès hurlant de Jens Kidman au centre de l'image, en lieu et place de l'œuf en éclosion de la créature extra-terrestre. Ces deux aspects alimentent l'aspect proprement amusant de la citation iconographique.

Mais d'autre part, et de manière plus profonde, la reprise d'une icône de la contre-culture est aussi l'occasion d'établir un lien symbolique important avec l'œuvre première, celui de l'altérité. Si une constante de la recherche musicale de Meshuggah est la recherche de la dissymétrie rythmique, une constante de son univers symbolique, perceptible dans son imagerie mais surtout dans les paroles des morceaux rédigées par Tomas Haake, le batteur du groupe, est la schizophrénie. Le nom du groupe même, “meshuggah” qui signifie “fou” en yiddish, témoigne de l'intérêt du groupe pour la déréliction des mécanismes de la psyché humaine. Cliniquement, la schizophrénie est généralement définie comme une désagrégation de la personnalité, de la psyché humaine qui, en état normal, fonctionne de manière relativement unitaire, ce qui permet à l'individu de se construire et de maintenir son identité psychique. La schizophrénie, donc, sans être un équivalent à proprement parler d'un “dédoublement de personnalité”, introduit en tout cas la multiplicité là où il y avait unité, elle désagrège et fragmente ce qui était un. Ce qui fait que l'un devient étranger à lui-même, il se confronte à sa propre altérité. Un des symptômes généralement invoqués pour caractériser l'état schizophrène est la sensation d'être étranger à son propre corps.

I'm in the stranger: me (lost in corporeal inanity), the user of my face
(Meshuggah, “Concatenation”, in Chaosphere, 1998)

On assiste donc, à travers ce qui pourrait sembler une simple citation culturelle destinée à mieux “cibler” la clientèle d'un point de vue marketing, à une réappropriation d'un symbole, qui s'effectue selon la modalité d'une intériorisation de ce que représentait la race de l'Alien: l'autre de l'homme. L'autre extérieur à l'homme, l'autre race, devient l'étranger intérieur à l'homme même. La peur se mue en folie. Meshuggah psychologise ce qui était en 1979 vécu sur le mode du récit semi-fantastique, semi-épique, avec toutes les résonances post-coloniales que l'on peut y trouver. Avec Meshuggah, l'alien devient aliéné, l'œuf extra-humain de Ridley Scott devient le fou hurlant d'une humanité qui se cherche en elle-même mais ne se trouve pas.

samedi 7 novembre 2009

Jean Rouch à la BNF


Rina Sherman - Que la danse continue - 2007 - 78'

J'avais dit que j'en reparlerais. Cinq ans après sa disparition, l'héritage de Jean Rouch prend corps. A l'occasion du mois du film documentaire, la BNF, les archives françaises du film du CNC et le Comité du Film Ethnographique se sont associés pour présenter une grande rétrospective consacrée au "sorcier blanc de l'Afrique". L'évènement a commencé le 3 novembre et se poursuivra jusqu'au 3 décembre, avec notamment deux rendez-vous importants : un colloque international du 14 au 20 novembre, et surtout des séances spéciales de projection les 14 et 15 novembre.


Jean Rouch - La Chasse au lion - 1965 - 80'
J'ai eu l'occasion de voir trois ou quatre de ses films dans le coffret que les Editions Montparnasse lui ont consacré, dont Les Maîtres fous, Moi, un noir, ou bien La Chasse au Lion , et je dois dire qu'ils ont laissé sur moi une très forte impression. Si Lévi-Strauss, qui vient de nous quitter, a choisi le Brésil comme terrain de prédilection, Jean Rouch a investi l'Afrique, et il en a tiré un oeuvre hors du commun, à la croisée de l'ethnographie et du cinéma. Et comme il a pénétré l'âme africaine, comme il a saisi l'expérience de l'homme face à l'homme, de la nature en l'homme, et de l'homme dans la nature ! Une œuvre pour l'éternité.
Dans un registre tout-à-fait différent, je profite de ce billet pour évoquer rapidement la sortie de l'album d' Héloïse Combes, une chanteuse que j'ai découverte sur myspace (elle a aussi un blog de dessin). En fait son album ne sort que dans un mois apparemment, mais il est déjà disponible en la contactant sur son myspace. C'est tout-à-fait charmant, elle fait de la chanson pour enfants, accompagnée par des instruments anciens... une bonne manière d'amener les petits enfants à la musique avec goût et bonne humeur, il me semble. Un tout petit évènement à côté de Jean Rouch, mais je voulais en parler car je crois que cette initiative "baroque-enfants" est judicieuse. A vous de voir !

vendredi 2 octobre 2009

Barbe Bleue sur Arte

Cranach l'Ancien - Judith et Holopherne

Mardi prochain, Arte diffuse le téléfilm Barbe Bleue réalisé par Catherine Breillat. Pour l'anecdote, c'est le groupe corrézien pseudo-médiéval Sikinis - dont on peut écouter la musique ici (la Danse des Satyres me fait beaucoup rire personnellement) - qui signe la bande-son. Télérama a l'air assez emballé par le casting et les costumes. Le personnage de Barbe bleue a déjà été incarné plusieurs fois au cinéma (Gary Cooper, Richard Burton, Pierre Brasseur...), et il peut être intéressant d'en voir une nouvelle version. Les puristes auront peut-être des allergies, et retourneront en courant relire les Contes de ma mère l'Oye. Pour ma part je resterai probablement fidèle à mon cher Bartok.

mardi 7 juillet 2009

Géographies du merveilleux à Fontevraud

Encore une fois, la programmation culturelle de Fontevraud se révèle particulièrement alléchante. Après l'exposition sur les rapports entre Miyazaki, Takahata et Paul Grimault, le thème du cycle de conférences de cet été se trouve être Géographie et merveilleux au Moyen-Âge.

Marco Polo

Le programme a été conçu avec la collaboration de Jacques Le Goff, et comprend des interventions de Philippe Walter, François Bon, André Miquel, et bien d'autres universitaires spécialistes de la littérature de voyage ou de la littérature médiévale. On regrettera sans doute que les interventions portent presque exclusivement sur la littérature, et peu sur les arts plastiques, mais ce serait bouder son plaisir que de ne pas aller entendre une conférence sur l'Autre Monde dans les odyssées irlandaises (Philippe Walter, vendredi 31 juillet), sur Le Devisement du monde de Marco Polo (Michèle Guéret-Laferté, vendredi 24 juillet), ou sur les Monstres, hallucinations et peurs dans les voyages anciens (François Moureau, vendredi 21 août).

Les conférences ont lieu le vendredi, et le samedi ont lieu des lectures de grands classiques de la littérature merveilleuse, comme le Voyage au centre de la Terre et 20000 Lieues sous les mers de Jules verne, ou le Gulliver de Swift, mais aussi de textes moins connus comme Le Voyage souterrain de Niels Klim, de Ludwig Holberg, ou, plus proche de nous, Le Mont analogue de René Daumal.


Gulliver par Arthur Rackham

En marge de tout cela, et toujours dans un programme axé sur les voyages et les mondes imaginaires, on a droit, le samedi 15 août, à une représentation du Chant de l'Odyssée par le célèbre conteur Bruno de la Salle, ainsi qu'à toute une série de projections en plein air de films et dessins animés avec pour thème le voyage merveilleux : Méliès, Miyasaki, Lotte Reiniger, Terry Gilliam...

Les Aventures du prince Ahmed de Lotte Reiniger, l'un des premiers chefs-d'oeuvre du cinéma de silhouettes.

Franchement, vous êtes sûr que vous n'avez pas envie d'aller faire un tour du côté de Fontevraud cet été ?

jeudi 9 octobre 2008

Jackson, Del Toro, Rackham, Tenniel au pays des merveilles

Très amusant compte-rendu d'interview de Guillermo Del Toro, le réalisateur des deux Hellboy et du Labyrinthe de Pan, où l'auteur du billet développe les liens entre ce dernier et Peter Jackson, réalisateur de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Où l'on apprend notamment que Guillermo Del Toro va tourner prochainement Bilbo le Hobbit en Nouvelle-Zélande, que les deux réalisateurs collectionnent les jouets, et que Del Toro est particulièrement amateur... des livres illustrés par Arthur Rackham et Edmond Dulac. Qui ne sont que très rarement, n'en déplaise à Aurélien Ferenczi, l'auteur du billet, des "romans victoriens", mais plutôt, en général, des classiques de la littérature mondiale, et en particulier de la littérature merveilleuse et légendaire.

Quand on voit certaines images de Del Toro, surtout dans Le Labyrinthe de Pan, il est évident qu'elles rappellent les images de Rackham, et les illustrations victoriennes en général. Comment ne pas penser aux illustrations de Tenniel pour Alice au Pays des Merveilles en voyant le costume bien apprêté de cette petite fille, et à celles de Rackham quand on voit cet arbre tordu, aux formes évocatrices? De même, dans l'image ci-dessous, l'héritage d'Alice au Pays des Merveilles est flagrant, avec son imagerie de petite fille rentrant dans un terrier et arrivant dans un long couloir souterrain qui l'achemine vers l'Autre Monde. A la différence que la version de Del Toro de l'Autre Monde est bien plus terrifiante que celle de Carroll, et qu'elle doit autant à Lovecraft ou à Clive Barker qu'à l'auteur d'Alice.


Pour information, Alice est représentée par John Tenniel, selon les injonctions de Lewis Carroll lui-même, comme une petite fille aux cheveux longs et blonds.
John Tenniel, illustration pour Alice, 1865.

Mais la véritable Alice, Alice Liddell, dont Lewis Carroll s'inspire pour écrire Alice au Pays des Merveilles, est connue par des photographies (toujours de Lewis Carroll) où elle porte ses cheveux bruns dans une coupe courte, au carré.
Lewis Carroll, portrait d'Alice Liddell, années 1860.

Quand Rackham illustrera à nouveau Alice au Pays des Merveilles en 1907, il suivra le parti de John Tenniel, qui avait été, sous les injonctions de Lewis Carroll, de dissimuler l'identité d'Alice Liddell sous une perruque blonde.
Arthur Rackham, illustration pour Alice, 1906.

C'est sous cette forme de petite fille aux longs cheveux blonds que l'on connaît généralement le personnage d'Alice, mais tous les illustrateurs ne l'ont pas représentée comme telle. Ainsi Charles Robinson, toujours en 1907, représente Alice les cheveux bruns, au carré... La très intéressante version en album, illustrée récemment par Jong Romano, représente encore une fois Alice brune avec une coupe mi-longue, mais avec des couettes cette fois-ci, histoire de la moderniser un peu. Tout se passe comme si nous n'avions que deux représentations possibles du personnage d'Alice: les cheveux courts (ou plutôt mi-longs) et bruns, ou longs et blonds. Le parti de Guillermo Del Toro, pour faire allusion au personnage de Carroll, a été de faire référence au type, sinon le moins fréquent, du moins le moins connu: celui aux cheveux bruns et mi-longs. Justement pour que sa référence au personnage de Carroll reste une simple allusion, et ne relève pas de l'évidence absolue.

Jong Romano, couverture pour Alice au Pays du Merveilleux Ailleurs, Au Bord des Continents, 2000.

Quant à l'influence des images de Rackham sur ce film, c'est une autre histoire. On a déjà vu les formes d'arbres tordus, qui doivent peut-être autant à l'univers de Tim Burton qu'à celui de Rackham (mais Tim Burton connaît très probablement lui-même très bien l'oeuvre de Rackham). Qu'il nous soit juste permis de faire allusion au livre que tient Ofélia au tout début du film (mes excuses si je n'ai pas d'image à montrer): c'est un livre de conte de fées illustré en silhouettes, genre de représentation dans lequel s'est particulièrement illustré Arthur Rackham...

vendredi 18 juillet 2008

Metropolis

Pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, on a très récemment retrouvé, à Buenos Aires, une version ancienne, et plus longue, de Metropolis, le chef d'œuvre de Fritz Lang. L'article du Monde en parlera mieux que moi. En espérant que cette version quasi intégrale soit visionnable un jour...

mardi 1 juillet 2008

Plongée au coeur de l'Afrique

Je suis plongé en ce moment, entre autre choses, dans le visionnage du premier volume de la collection "Cinéastes Africains" éditée par Arte Video. Ce premier volume propose des œuvres emblématiques de la naissance, dans les années 1960, du plus jeune cinéma du monde. On y trouve des films de quatre réalisateurs : Ousmane Sembène, Oumarou Ganda, Moustapha Alassane et Jean-Pierre Dikongué-Pipa.

Ousmane Sembène

Le sénégalais Ousmane Sembène (ou Sembène Ousmane) a réalisé le premier long métrage africain, la Noire de..., en 1966. A l'origine écrivain, Sembène s'est tourné vers le cinéma pour pouvoir toucher véritablement le public africain, en grande partie illettré. Ses films ont une résonance essentiellement politique, et réfléchit beaucoup sur la situation africaine. Il a aujourd'hui plus de 80 ans et continue de tourner. C'est incontestablement le grand maître du cinéma africain. Un des attraits du coffret est de présenter son tout premier court-métrage réalisé en 1963 (qui n'est pas le premier court-métrage africain) : Borom Sarret, en français "Bonhomme charrette".

"Borom Sarret" et ses passagers

Ce court est un petit bijou qui nous montre la journée d'un jeune homme faisant le taxi avec une charrette tirée par un cheval, à Dakar. Un riche client lui demande de le mener jusqu'aux quartiers résidentiels, où les charrettes sont interdites. Interpellé par un policier, sa charrette lui est confisquée et il doit payer une contravention. Le "bonhomme charrette" rentre chez lui plus pauvre encore qu'il n'en est parti. Sa femme sort alors et dit "Nous mangerons ce soir...". Une manière très douce de faire comprendre qu'elle va devoir se prostituer pour nourrir ses enfants. Au delà du message qui nous est délivré, le film est surtout l'occasion d'embarquer le spectateur pour une visite guidée du Sénégal populaire. Le jeune taxi promène ses clients un peu partout, et l'on découvre à la fois la ville et ses habitants. Il n'est pas fortuit que Sembène soit d'abord un écrivain, car il règne sur ce film une poésie toute primitive qui vous enveloppe et vous saisit. Un beau voyage pour des yeux d'occidentaux comme les nôtres. Je dois dire aussi que l'utilisation de la voix off à la première personne est sans doute le secret de l'envoûtement que produit ce film. Projeté à l'intérieur des pensées du personnage, rustiques et spontanées, on est comme bercé par le son de sa voix, mêlé au rythme de la petite carriole et du bruit de ses roues usées. De la pure poésie, vous dis-je.

Ce procédé de la voix off à la première personne, qui n'est autre qu'une sorte de post-doublage où l'acteur redit son texte sur les images en style direct, et parfois en faisant parler d'autres personnages à la manière de certains griots et conteurs, ne m'était pas inconnu. Je l'avais déjà superlativement apprécié dans le long métrage absolument essentiel de Jean Rouch Moi, un noir. La bande son brute du film pouvait quasiment se suffire à elle-même, tellement elle recréait idéalement les images.

Oumarou Ganda dans "Moi, un Noir" de Jean Rouch (1959)

Jean Rouch, le "sorcier blanc de l'Afrique" (je vous en parlerai un jour si vous êtes sages), révélait, grâce à ce film, la personnalité éclatante du futur cinéaste Oumarou Ganda (1935-1981). Auprès de Rouch, Oumarou Ganda va comprendre la capacité du cinéma à refléter la vie. En 1969 ce cinéaste autodidacte signe un film culte du septième art, intitulé Cabascabo (le "dur à cuire").

Ce film de 45 minutes en langue djerma, résultat d'un an de stage au Club Culture et Cinéma constitué par Serge Moati à Niamey au Niger, retrace l'histoire d'un ancien combattant d'Indochine qui rentre dans son pays natal. Au bar des anciens combattants, Cabascabo raconte ses souvenirs. Oumarou Ganda construit son film à partir de flashbacks. D'abord, les combats forcenés dans les rizières, où Cabascabo se montre très valeureux. Mais une altercation (liée à l'idéologie colonialiste) avec un de ses chefs lui vaut 8 jours de mitard pour insubordination, une tache sur son livret militaire. A noter, dans cette séquence, une scène magnifique où deux soldats bien noirs se saoûlent à la bière chez une jeune indochinoise absolument craquante, qui les regarde faire d'un œil amusé. D'autres flashbacks suivent, dans lesquels on retrouve Cabascabo à son retour au pays, qui dilapide sa coquette fortune par générosité envers ses amis (qui l'exploitent) et pour obtenir les faveurs d'un ravissante jeune femme incarnée par une des actrices les plus mémorables du cinéma africain : Zelika Souley. Complètement démuni, il se retire dans la brousse cultiver le jardin aux côtés de son père.

Un film saisissant, projeté à Cannes à sa sortie, à la fois universel et profondément humain, où transparaît avant tout la sincérité et l'authenticité des émotions. Ce dur à cuire se battant pour la France mais investi tout entier pour l'Afrique, dépensant l'argent sans compter comme pour se débarrasser d'un fardeau, prompt à vouloir s'en sortir mais rattrapé par les vices du système colonial, finalement libéré quand il se tourne vers les femmes de sa famille sans être repoussé par elles ; un personnage hautement intéressant pour un film que je qualifierais d'exceptionnel, tant au regard de l'histoire du cinéma que de sa dynamique cinématographique propre.

Abreuvons-nous de ce cinéma africain qui décidément, a tant à nous apprendre - euh... moi je replonge !

lundi 2 juin 2008

Traces du Sacré

S'il y a une exposition à voir en 2008, c'est Traces du sacré, à Beaubourg. Je n'ai jamais vu autant d'œuvres rares et inédites rassemblées en un seul endroit. C'est une exposition d'interprétation qui essaye de retrouver, dans l'art du XXe siècle, des rapports inattendus entre l'art et le sacré. Je dis "inattendus", car l'historiographie de l'art contemporain néglige en général - excepté les quelques travaux importants qui existent sur l'art abstrait et la spiritualité - volontiers les notions de sacré ou de spiritualité, qui alimentent cette fois-ci entièrement la perspective de l'exposition. Bien sûr, on trouve ça et là des études concernant les rapports de tel ou tel artiste ou groupe d'artistes avec la religion, le mythe, la spiritualité... mais en faire un fil conducteur de l'ensemble de la production artistique du XXe siècle, voilà une idée difficile à mettre en œuvre, et qui vient d'être réalisée par Jean de Loisy, commissaire d'exposition, assisté d'Angela Lampe.


Le parti pris est donc passionnant. Le point de départ théorique en semble néanmoins discutable, qui consiste à estimer que le XIXe siècle, avec la figure de Nietzsche, aurait porté un coup fatal à la spiritualité et la religion, et qu'on n'en retrouverait ainsi que des "traces" dans l'art du XXe siècle. Si le désenchantement du monde est un phénomène relativement évident dans les sociétés occidentales du XIXe siècle, pourquoi penser les spiritualités des artistes du XXe siècle uniquement comme des "traces"? Le terme semble bien faible quand on voit l'ambition des œuvres exposées, et l'impact esthétique de certaines d'entre elles.

Certes, il n'y a souvent pas de continuité entre les traditions desquelles se réclament les artistes et les artistes eux-mêmes, et on ne peut ainsi que rarement parler d'art religieux au sens institutionnel du terme. Mais si les artistes construisent leurs spiritualités de manière hétéroclite, pourquoi ne pas parler alors de "constructions du sacré", ou de "quêtes du sacré"? L'implication spirituelle de certains artistes dans leur pratique artistique semble souvent trop importante pour qu'on parle seulement de "traces", qu'on fasse comme si le sacré n'était qu'une influence parmi d'autres, alors que vraisemblablement elle joue un rôle central dans la création de beaucoup des œuvres exposées.


Tous les angles de vue possibles entre art et sacré semblent en tout cas avoir été adoptés, du blasphème de certaines œuvres contemporaines à l'architecture religieuse du Corbusier, en passant par l'art extatique de l'expressionnisme abstrait, la photographie spirite de la fin du XIXe siècle, la mythologie surréaliste et les réflexions théosophiques des membres du Bauhaus.

Aleister Crowley & Lady Frieda Harris, The Aeon (arcane majeure n°20, tirée du Tarot de Thoth, 1943)

Parmi les raretés inattendues, une sculpture de Rudolf Steiner, une splendide esquisse de Munch, un autoportrait d'Aleister Crowley, ainsi que des originaux de son tarot de Thoth, conservés au Warburg Institute de Londres. Un pont inattendu, parce que très peu étudié, est également fait entre l'œuvre de Crowley et les artistes de la beat generation, avec la projection notamment du film Lucifer Rising de Kenneth Anger (1972, avec une musique psychédélico-expérimentale de Jimmy Page). Un grand moment de bonheur devant ce délire satanico-égyptien. Je me suis même demandé si ce film n'avait pas inspiré le scénariste de L'exorciste... mais c'est une autre histoire. En attendant, vous avez jusqu'au 11 août pour aller voir cette exposition, qu'on peut à mon humble avis qualifier d'historique.

lundi 19 mai 2008

Méliès le magicien

On ira voir avec grand profit l'exposition Méliès qui a pris place à la cinémathèque de Paris depuis le 16 avril. Je n'ai pas vu l'exposition qui avait eu lieu il y a quelques années à l'espace EDF-Electra, mais celle-ci est très bien. Elle met notamment en valeur un aspect relativement méconnu de l'oeuvre d'un des premiers cinéastes à avoir travaillé la fiction: ses rapports avec le monde de la magie. Méliès est d'abord un magicien, qui veut se situer dans la lignée de Robert Houdin, le plus célèbre des prestidigitateurs français du XIXe siècle, et dont il rachète le théâtre pour y faire ses spectacles et ses projections. Plus que l'idée de faire de la fiction là où la plupart des films de son époque exploraient la veine documentaire, l'idée principale de Méliès semble ainsi avoir été de créer un art de l'illusion, de la magie au sens spectaculaire du terme.


Ce qui explique son goût pour les machines et la technologie: le merveilleux n'est pas pour lui incompatible avec la modernité et la technique. Le merveilleux chez Méliès est de l'ordre de la féerie, au sens théâtral du terme: non pas le rêve surnaturel d'un monde où s'exercerait le pouvoir suprahumain des fées, mais un spectacle de théâtre où les effets spéciaux excèdent largement le sens des histoires, pour impressionner et faire illusion sur le spectateur. Grande machinerie baroque plutôt que poésie intimiste, la féerie de Méliès a le mérite de brasser tout un univers visuel, littéraire et musical, qui mêle les références au livre illustré romantique et au théâtre de marionnettes, les contes de fées et les romans de Jules Verne, le ballet et le piano-bar. Pour vraiment comprendre ce que le cinéma doit à la lanterne magique, l'exemple seul de Méliès suffit.


Personne n'a d'excuse pour rater cette exposition: l'entrée est gratuite le dimanche matin. Période pendant laquelle la cinémathèque, visiblement, est en plus peu fréquentée: raison de plus d'y aller. Un seul défaut: l'exposition est beaucoup trop courte. Trois salles, cela fait peu. Mais c'est beau, et c'est l'occasion de voir des dessins, des maquettes et quelques films de l'inventeur des effets spéciaux au cinéma, du premier à avoir raconté des merveilles par le biais de l'invention des frères Lumière.

Dans la même veine, je tiens à signaler que, en juin et en juillet, la cinémathèque organise un cycle sur "Les héritiers de Méliès", avec projection des Aventures du baron de Münchhausen de Terry Gilliam, Le Baron de Crac de Karel Zeman (à voir absolument! le mercredi 28 mai), L'histoire sans fin, La cité des enfants perdus, le Batman de Tim Burton, etc. Petit souci: tous les films de ce cycle sont projetés en semaine à 12h30... merci pour les grands enfants qui travaillent. On pourra toujours se consoler avec le site internet de la cinémathèque, qui propose un commentaire interactif d'un dessin de Méliès, et quelques autres animations.

mercredi 30 avril 2008

Reprendrez-vous un peu de viande ?

Hum Hum! Une fois n'est pas coutume, mettons nos tabliers, prenons nos couteaux de boucher, quelques litres d'hémoglobine, de beaux mâles et de belles femelles, et mettons tout cela dans un grand château équipé d'un laboratoire scientifique.

Juste après sa trilogie Flesh, Trash, Heat, (1968-73) et juste avant le très culte Blood for Dracula, Paul Morrissey et son ami Andy Warhol décident de faire un film en référence au mythe de Frankenstein. Oh la belle idée!

Aussi appelé Andy Warhol's Frankenstein, Flesh for Frankenstein raconte la jolie histoire d'un baron médecin qui, plein d'une charmante ambition dominatrice, s'est mis en quête de créer une race parfaite (ou supérieure, c'est selon...), grâce à l'union de deux créatures faites par lui et entièrement soumises à son commandement. C'est Udo Kier, habitué des rôles de vampires, qui joue le Baron, et Joe Dalessandro, le véritable sex symbol des films de ce genre (et surtout l'égérie de Morrissey), qui joue le fauteur de troubles.
Joe Dalessandro

Le spectateur chevronné retrouvera chez le baron les vices qu'il y cherche : membres découpés et recousus, viscères associés au plaisir sexuel, expériences sur la race humaine, corps soumis à un dominant etc. D'ailleurs sur le plan visuel le film est assez cru (interdit aux moins de 18 ans), et ne se refuse pas à montrer à peu à près tout ce qu'il y a montrer (têtes coupées, plaies béantes, viscères dégoulinants et j'en passe).


Mais au-delà de la barbarie complète à l'oeuvre dans ce film, se dégage une atmosphère très poétique, presque méditative. Le château aux allures gothiques, le laboratoire complètement circulaire et symétrique, les enfants qui observent tout en silence, tous ces éléments nous plongent dans une sorte de contemplation qui ne rend que plus effrayant ce qui se déroule sous nos yeux. Comme je ne regarde pas énormément de "films d'horreur", mes références vont plutôt vers les films d'auteur, et j'ai franchement pensé à Salo de Pasolini - même si bien évidemment il y a un gouffre entre les deux : Salo est absolument abject, alors qu'ici on rigole tout du long! - en ce sens que par-delà les images choquantes et perverses, ce film offre également une vision du monde.

La femelle du couple dans le laboratoire du baron

Ce qui fait de Flesh for Frankenstein un film essentiel, particulièrement aujourd'hui, c'est qu'il met en évidence les vices auxquelles notre société moderne est la plus sujette (et dont les effets se font de plus en plus voir depuis la seconde guerre mondiale), comme la chirurgie esthétique (opérer le corps en vue de le rendre conforme à l'idée de beauté) et l'idée de "fabriquer" des humains parfaits en recollant ensemble, comme notre cher Baron, des bouts de tissus, de viscères, et de cerveau. Le film vient nous rappeler que derrière chaque manipulation génétique, physique, mentale, sexuelle, se cachent la souffrance et l'aliénation, et à l'arrivée : la mort. Je ne veux pas pour autant dévoiler la fin du film - même si le dénouement ne fait pas l'objet d'un grand suspense - au cas où certains d'entre vous auraient la joyeuse idée de le regarder.

Pour les âmes sensibles, s'abstenir n'est pas nécessaire, sauf après un repas. Me ferez-vous quand même le plaisir de reprendre un peu de viande?

jeudi 24 avril 2008

Où va la musique de film?

Je me demande où va la musique de film. Je parle de musique originale, bien entendu. Il y a pourtant de très bons films qui sortent au cinéma, mais la qualité en est souvent fort dégradée par une musique strictement vide. Aucune oeuvre cinématographique digne de ce nom ne peut supporter l'épreuve du temps avec une musique d'emballage ou complètement creuse. Sans forcément se référer tout de suite à Kubrick (qui n'a d'ailleurs fait que réutiliser des musiques déjà existantes), qui à mon avis est celui qui a le mieux compris le sens de la musique au cinéma, constatons une chose : aucune musique de film composée aujourd'hui n'a d'intérêt. Ne parlons pas du Seigneur des Anneaux, c'est une catastrophe, Harry Potter, c'est moisi, etc. Il faut alors remonter dans le temps. Moi, je n'ai pas peur d'aller loin. Je reviens à mon cher Prokofiev, qui a fait vivre les films d'Eisenstein, à Chostakovitch dans La Nouvelle Babylone, en France on a eu aussi Auric qui a signé quelques musiques pour Cocteau, etc. Ce qui m'a fait avoir ce soudain soubresaut nostalgique, c'est que, étant blasé depuis longtemps par les musiques originales, il a fallu que ce soit un vieux film des années 40 qui réveille mes oreilles : ce n'est pas moins que William Walton (1902-1983), célèbre compositeur britannique (qui d'habitude ne m'emballe pas outre mesure), qui a composé la musique du film Hamlet de Laurence Olivier. Peu connue au demeurant (sauf au Royaume-Uni - Walton a d'ailleurs signé la "trilogie shakespearienne" de L. Olivier : Henri V, Hamlet, Richard III), voilà une musique de film qui donne un sens complet à ce genre si dévoyé aujourd'hui. Bien avant John Williams ou John Barry. Moi qui n'ai jamais souffert Hamlet autrement que par une lecture en langue originale (avec notes et traduction à côté tout de même!), voilà que je me suis senti happé dans les tréfonds psychologiques des personnages, grâce à cet alliage mystérieux des images et d'une musique appropriée. Je tiens à préciser notamment le travail sur les cuivres, qui donne un souffle épique à la pièce, notamment au moment du duel entre Hamlet et Laërte et de leurs morts respectives, moment qui d'ordinaire est très laborieux au théâtre. Des émotions que je n'avais pas ressenties depuis longtemps devant un écran. Mais en fait, et pour être tout à fait sincère, n'y a-t-il pas aussi un certain charme dans ce tapis sonore un peu craquant, qui rend le moindre coup de timbales annonciateur de mort? Ce son, propre à cette époque révolue du cinéma classique, nous envoûte toujours aujourd'hui. Le son, cette force motrice au service d'une musique de qualité en complète harmonie avec le film, voilà la force pour qu'un film résiste au temps. Cessons de penser qu'il y a les compositeurs de musiques de films et les autres. On est compositeur ou on ne l'est pas. Point. Le jour où les cinéastes feront de nouveau appel aux vrais compositeurs d'aujourd'hui, et pas à des pseudo-théoriciens du son au cinéma, leurs films seront peut-être un peu moins plats, et alors le cinéma redeviendra peut-être un art.

mercredi 23 avril 2008

D'après Wedekind

Frank Wedekind

Frank Wedekind (1864-1918) un des principaux auteurs de théâtre allemand au tournant du vingtième siècle, est peu représenté sur nos scènes, et c'est bien dommage. Personnellement, je connais son oeuvre surtout par l'opéra qu'Alban Berg a composé à partir des deux pièces que sont La Boîte de Pandore et L'esprit de la Terre. Cet opéra inachevé, Lulu, fait partie avec Wozzeck (du même auteur à partir du Woyzeck de Büchner, qui inspirera Wedekind), des opéras majeurs du début vingtième et du dodécaphonisme allemand.



Si Berg trouva dans Wedekind une forte source d'inpiration, faisant ainsi connaître au dramaturge une postérité au-delà du champ théâtral, il n'est pas le seul artiste à avoir senti les possibilités d'adaptation qu'offre l'oeuvre du maître. Récemment, une jeune cinéaste française s'est penché sur une nouvelle de 1903, Mine-Haha. Nul doute que si l'auteur eût été encore vivant, il n'aurait pas renié cette transposition de l'écrit à l'écran, car elle s'impose à nous comme une évidence. C'est Lucile Hadzihalilovic qui signe à partir de cette nouvelle son premier long métrage (à 45 ans il était temps), Innocence, avec une Marion Cotillard pas encore oscarisée, et Hélène de Fougerolles.


Le film nous plonge dans l'univers de l'enfance féminine, filant une métaphore poétique en trois volets, de la petite enfance jusqu'à la puberté, à travers trois personnalités, trois corps. Des petites filles sont enfermées dans un vaste domaine boisé avec l'interdiction d'en sortir, où elles sont logées, nourries, pratiquent la danse, et sont en partie livrées à elles-mêmes. Mais qu'y a-t-il à l'extérieur? Et pourquoi ne peut-on pas sortir? Et pourquoi sommes-nous là? Voilà le genre de questions autour desquelles vont se nouer trois destins, dans un parfum de mystère assez troublant, la cinéaste ayant décidé à l'évidence d'en révéler le moins possible.

Ce qui est beau dans ce film, c'est de voir à quel point le génie de Wedekind y transparaît. Wedekind est, à l'évidence, un des artistes dont l'oeuvre suscite moins des interprétations directes que des transpositions et des adaptations. Son oeuvre est en quelque sorte magnifiée par l'élan créateur qu'elle va susciter chez d'autres artistes. Berg, Hadzihalilovic en sont des illustrations parfaites : en s'inspirant de Wedekind, non seulement ils prouvent tout l'intérêt que contient sa dramaturgie propre, mais en plus la stimulation artistique ainsi provoquée donne naissance à de nouvelles oeuvres, dont Wedekind est pour ainsi dire le géniteur. Il faudrait faire un tour d'horizon des adaptations faites à partir d'oeuvres de Wedekind, mais gageons qu'à travers les deux exemples cité ci-dessus, il ne puisse guère y avoir de résultat médiocre.

lundi 10 mars 2008

Be Kind Rewind

D'abord, je voudrais présenter mes excuses: en ce moment je ne trouve vraiment pas le temps de me plonger dans mes sujets de prédilection (conte, illustration, etc.) et donc d'écrire ici sur ces sujets.

Ensuite, je voudrais encourager tout le monde à aller voir le dernier film de Michel Gondry, qui décidément est un excellent réalisateur, extrêmement atypique en tout cas. Be Kind Rewind est une comédie délirante, parfois proche du nonsense. Jerry, dont le corps a été magnétisé après le sabotage raté d'une centrale électrique, efface involontairement l'ensemble des cassettes d'un video-club. Ceci oblige son ami Mike, qui y travaille, à tourner des remakes maison des vidéos effacées, afin de contenter ses clients.
Ce qui est impressionnant dans ce film, c'est la quantité d'effets visuels employés par Gondry pour montrer des gens en train de tourner films d'action ou de science-fiction avec des effets spéciaux complètement loufoques. Comment tourner une scène de nuit en plein jour? En configurant la caméra en mode "négatif", et en photocopiant les visages des acteurs pour les scotcher sur leurs visages, et donner ainsi l'illusion grotesque d'un visage positif alors que l'ensemble de l'image est tournée en négatif.
Plaidoyer pour les effets spéciaux "maison", sauce bricolage, à l'heure du tout numérique? En tout cas le résultat est très bon, très efficace, et grouille de références au cinéma populaire (Ghostbusters, Robocop, The Lion King, etc.). Il affiche à la fois un amour du film petit budget (voire du Z) et une maîtrise parfaite de l'image et du son, caractéristique au contraire du cinéma professionnel, voire du cinéma d'auteur. Un film professionnel sur le cinéma amateur, un film d'auteur sur le cinéma populaire.
Beaucoup moins intelligent que son précédent long-métrage (La Science des Rêves, sorti récemment en DVD avec une "version B" du film), ce film reste à voir si l'on aime les comédies bien ficelées, le nonsense et le cinéma populaire.

lundi 28 janvier 2008

Peur(s) du Noir

Une splendide série de courts-métrages d'animation sort dans les salles le 13 février. Tous les films ont pour lien la peur du noir, et la réalisation graphique a été confiée à d'excellents dessinateurs de BD indépendante (Charles Burns, Blutch) et d'albums (Lorenzo Mattotti), de typographes (Pierre di Sciullo) et autres graphistes polyvalents (Marie Caillou, Richard McGuire). Un site est consacré à ce qui promet d'être un excellent concentré d'angoisses et d'inventions visuelles.
Le film se présente à la fois comme une série de court-métrages (avec graphistes et scénaristes distincts pour chaque histoire), et comme un long-métrage qui entrelace les différents récits. Le tout étant placé sous la direction artistique d'Etienne Robial, l'un des co-fondateurs de Futuropolis dont nous avons déjà très rapidement parlé.

On dirait que le long métrage d'animation se permet des libertés du point de vue graphique depuis quelque temps. Je pense à Persépolis (2007) bien sûr, mais aussi à Renaissance (2006), que je n'ai pas vu, mais qui d'un point de vue purement graphique avait l'air assez ambitieux (le scénario semble en revanche plus conventionnel).
Surtout, le retour au noir et blanc me paraît être le symptôme d'une volonté d'expérimentation graphique, et de donner une aura de "sérieux" au medium utilisé. La maison d'édition L'Association s'est bâtie durant les années 1990 une réputation de "bande dessinée d'auteur" en revenant au noir et blanc : le noir et blanc est en France, au moins depuis Futuropolis, synonyme d'exigence graphique, voire d'élitisme puisqu'il permet à la bande dessinée dite "indépendante" de trouver ses marques par rapport au reste de la production en couleur.

Assisterait-on à un phénomène similaire ces temps derniers avec le film d'animation? Si ce genre de films permet de véhiculer l'idée que les fims d'animation ne sont pas intrinsèquement destinés aux enfants, de la même manière que L'Association a considérablement redoré le blason de la BD adulte au cours des années 1990, je suis pour.

vendredi 21 septembre 2007

L'Astrée

J'ai récemment vu avec Charlotte le dernier film de Rohmer, qui est très joli et se regarde vraiment très bien. Il s'appelle Les amours d'Astrée et de Céladon, et est adapté de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, un long roman de plus de 5000 pages datant du début du XVIIe siècle, que l'auteur de ces lignes, vous vous en douterez, n'a pas lu avant de voir le film. Si ça vous intéresse, le texte intégral est numérisé ici, voilà à quoi ça sert les étudiants de lettres. Eric Rohmer s'était déjà commis dans un Perceval Le Gallois un peu... ridicule disons. Ou bien "vieilli" si on veut rester gentil. Je ne doute pas qu'il soit très drôle à regarder au second degré, mais personnellement je n'en ai jamais dépassé les dix premières minutes.Aussi avais-je un peu peur en allant voir l'adaptation de l'Astrée, et ai-je été très surpris de voir un film frais, très joyeux et léger, avec de plus, ce qui est toujours bon à prendre, plein de belles dames dans de grandes robes blanches diaphanes, aux épaules délicatement dénudées,
voire aux poitrines dévoilées, comble de l'érotisme pastoral (ici Astrée).
Un film qui est donc beaucoup mieux réalisé que Le genou de Claire ou Perceval le Gallois, et où les costumes ressemblent plus à ceux que rêvaient les écrivains du XVIIe siècle quand ils pensaient aux anciens gaulois, qu'aux habits de hippies de Perceval le Gallois. Par ailleurs, un cadre pastoral superbe, avec tout ce qu'il faut de bergers efféminés et de bergères avec des coiffures apprêtées et des bandeaux dans les cheveux.
Ce qui m'a beaucoup amusé, ce sont les druides avec leurs grandes robes blanches, qui expliquent qu'ils sont monothéistes et que ce sont les romains qui ont imposé le culte des idoles, que Belenus et Esus ne sont que différents visages donnés à une seule et unique divinité, Teutatès... Honoré d'Urfé essayait ainsi de donner à la France, au début du XVIIe siècle, des "ancêtres gaulois" qui ne soient pas incompatibles avec le christianisme, et ainsi de construire une continuité historique du royaume français.
Il est intéressant de constater que l'on a cherché à donner des ancêtres gaulois bien avant la période romantique. Et que Rohmer a donné aux druides les habits que les romantiques leur ont donné (ci-dessous une jolie image datant de 1790, toujours avec une grande robe et un capuchon),
et qui sont toujours utilisés aujourd'hui, dans certaines cérémonies néo-druidiques.Si cette image du druide est synonyme du XVIIe au XIXe siècle d'identité nationale, elle est aujourd'hui également synonyme de terroir, comme en témoigne cette magnifique boîte de camembert d'Ille-et-Vilaine, qui exploite la "matière de Bretagne" dans le registre du marketing alimentaire.
Comme quoi, d'Honoré d'Urfé au camembert, en passant par Rohmer, les beaux seins d'Astrée et les romantiques, tout est dans tout, et réciproquement.