Le roi de Thrace,Térée, est marié avec une princesse athénienne, Procné. Ils ont un fils, Itys. Procné veut revoir sa soeur Philomèle, elle demande à Térée d'aller la chercher à Athènes. Térée viole Philomèle sur le chemin du retour, et pour l'empêcher de parler il lui coupe la langue.
Ce qui est l'objet de l'article de Mme Frontisi, c'est essentiellement la question de la condition féminine dans l'antiquité, et du sens à accorder au viol dans les Métamorphoses. Elle prend sur ce point le contrepied d'un article féministe d'Amy Richlin, qui estime que le récit d'Ovide est un texte pornographique donnant une image de la femme dégradée à l'état d'objet sexuel, et asseyant ainsi un pouvoir androcentrique. Je ne reprendrais pas toute son argumentation, mais Mme Frontisi essaye au contraire de montrer que dans le récit d'Ovide, les hommes sont autant victimes que les femmes, et que le plus grand bourreau dans l'histoire, ce n'est pas l'homme mais le destin (ou les dieux).
Ce qui m'intéresse plus directement, c'est la parenté de cette histoire avec le Conte du Genévrier, tel qu'il est rapporté par les frères Grimm, dont j'ai déjà parlé ici. On retrouve le même motif de la mère qui assassine son fils (dans Grimm c'est une belle-mère, mais on sait que dans les contes la belle-mère est une figuration de la mauvaise mère, de sa partie "noire", négative), et du père qui mange son enfant (en ragoût chez les Grimm, en ragoût et en brochettes chez Ovide).
Sauf que le récit d'Ovide se termine mal: l'enfant est définitivement mort: nous sommes dans le domaine du récit mythique, et donc du tragique, où souvent (mais pas systématiquement) les histoires se terminent mal pour les hommes qui sont des jouets entre les mains des dieux. Alors que dans le conte de Grimm, l'enfant ressuscite après une métamorphose en oiseau de feu, et trois épreuves vécues sous cette forme, et qui lui permettent de rétablir justice en tuant sa belle-mère.
Tiens donc, une métamorphose en oiseau? Dans le récit d'Ovide, on a aussi une métamorphose en oiseau. Mais des deux soeurs et de Térée, pas de l'enfant. Ceci est dû, encore une fois, à la différence de genre des deux textes: l'un est un mythe, l'autre est un conte. Et dans les mythes, les métamorphoses sont rarement réversibles. Ne pourrait-on pas néanmoins conclure de tout ça, que derrière la métamorphose des trois adultes en oiseau, chez Ovide, se cacherait une mort symbolique? Ce qui est évident chez les Grimm l'est moins chez Ovide. Mais c'est une piste d'autant plus intéressante que l'oiseau est un symbole psychopompe très répandu.
Maurice Sendak a en tout cas très bien mis en valeur cette dimension morbide de la métamorphose, en rajoutant le détail du crâne au pied de l'enfant-oiseau, dans une illustration du Conte du Genévrier (The Juniper Tree) qui date de 1973.