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mardi 8 mars 2011

Parle-t-on trop de cuisine ?

C'est un thème qui est devenu récurrent récemment, probablement parce qu'il était temps que la question se pose. À la suite de la parution de cet article du Atlantic Magazine, Marie-Claude Lortie a écrit cette chronique où elle abordait la question de front, avant de participer cette semaine à une table ronde chez Christiane Charette, aux côtés de Marie-Soleil Michon et Jean-Pierre Lemasson. Et parce nous, forumeux, sommes des gens très à l'avant-garde, nous nous étions interrogés collectivement sur le sujet, dès le mois d'octobre (je vous laisse deviner qui je suis parmi les intervenants, ça ne devrait pas être difficile !). Manifestement, personne n'a encore fait le tour de la question, et je la pose à nouveau pour vous: parle-t-on trop de cuisine ? Accordons-nous, collectivement, trop d'importance à la gastronomie ? Corrélativement, est-ce que ça existe, le snobisme culinaire ?

Émotivement, je répondrais non aux deux premières questions et oui à la dernière, même si dans les faits, je pense que ce sont de fausses questions. La façon de poser le problème semble omettre la complexité du domaine culinaire et la diversité de ses applications, et il est par conséquent impossible de répondre seulement oui ou seulement non. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ça, mais il y a près d'un an et demi, je vous posais une autre question, à savoir si nous sommes, en tant que collectivité, cultivés. Et j'énonçais ce qui est pour moi la définition même de la culture, c'est-à-dire l'ensemble des gestes posés par une société qui sont fédérateurs de son identité culturelle. Selon cette définition, et selon bien d'autres, parler de cuisine, c'est aussi diffuser sa culture, et c'est, selon moi, une façon de rester vivants. Pour paraphraser Simone de Beauvoir qui disait que parler de l'Amérique, c'est parler de tout un éventail d'Américains, pour moi, parler de cuisine, c'est parler de tout un éventail de gens et de cultures différents, et c'est dans cet échange culturel que réside l'intérêt de la diffusion gastronomique.

Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'excès (d'où ma réponse affirmative à l'existence d'un certain snobisme culinaire), et il n'est pas impossible qu'il y ait une certaine dérape quelque part, mais je ne le constate pas ici, dans mon univers. Il y a bien sûr des gens qui ne sauront jamais où s'arrêter et qui, dans leur quête de perfection culinaire, en finiront par oublier le plaisir physique et affectif d'un bon repas partagé, mais ces gens sont pour moi des névrosés monomaniaques, pas des intervenants crédibles dans le domaine de la gastronomie. Il y a aussi, évidemment, tout un tas de produits culturels qui portent sur la cuisine dont nous n'avons pas besoin (rappelez-vous ma montée de lait lors de l'annonce d'une émission portant sur les travaux du Docteur Béliveau, je ne savais pas encore que ça allait être mauvais et je la détestais déjà), parce que personne n'a besoin d'un canal spécialisé où on parle de bouffe vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais personne n'a besoin d'un canal spécialisé diffusant des matchs de hockey vingt-quatre heures sur vingt-quatre et RDS existe quand même. C'est que l'offre répond à une certaine demande, où, à tout le moins, à la recherche incessante du créneau qui marche - et avec la cuisine, on en a certes trouvé un bon.

Est-ce que ça veut dire qu'on parle trop de cuisine ? Je ne pense pas. Pas, en tout cas, pour les raisons invoquées dans l'article du Atlantic Magazine. Pour moi, taxer de snobisme et d'élitisme les gourmets en tout genre, sous prétexte qu'il fut un temps (révolu, disons-le) où on jugeait un homme par l'opulence et la richesse de sa table, c'est porter un jugement qui relève de l'étroitesse d'esprit. Il y a DES snobs, mais les foodies ne sont pas snobs pour autant. Que le snobisme découlerait de la gourmandise me semble un syllogisme fallacieux. Maintenant, il y a assurément des foodies qui sont très snobs, mais il y en a aussi qui sont très cons, et on ne s'interroge pas sur l'existence d'une certaine connerie culinaire. Ce doit être parce que des cons, comme des snobs, il y en a partout, et ce n'est pas une raison de stigmatiser le reste des gens qui s'adonnent aux mêmes pratiques qu'eux. J'admets assez aisément qu'une personne qui ne s'intéresse pas à la gastronomie puisse considérer certaines pratiques gourmandes comme excessives (si on m'avait dit, il y a quelques années, que je fabriquerais mon propre yogourt ou mon tofu, j'aurais sûrement pensé que la personne devant était complètement tarée parce que je ne voyais pas l'intérêt de fabriquer ces choses quand on peut les acheter), mais je ne les autorise pas pour autant à considérer snob ce qui échappe à leur compréhension.

Tout comme je n'autorise pas B.R. Myers à traiter les foodies d'incultes invétérés qui ne s'intéressent à Proust que pour les madeleines (on voit bien que Myers a une connaissance approfondie de Proust lui-même, n'est-ce pas ?). C'est une argumentation circulaire, mais si certains foodies sont incultes sur tous les sujets qui ne s'approchent guère de la sphère culinaire, d'autres sont de véritables passionnés, égides d'un savoir encyclopédique qu'ils communiquent au rythme de leurs découvertes, qu'elles soient culinaires, littéraires, œnologiques, cinématographiques ou culturelles. S'agit de bien choisir ses amis. Je lui refuse aussi le droit de considérer comme une authentique forme de snobisme la tendance qu'ont les gourmets de remettre en question l'élevage industriel et le fast-food; ce n'est pas parce qu'on est foodie qu'on souffre d'une ablation du muscle du jugement, et si certains foodies remettent en question ces pratiques qui les dérangent pour des questions éthiques, la seule chose à pointer du doigt c'est leur conscience sociale, pas leur prétendu snobisme.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas remettre en question certaines pratiques dans le monde gastronomique. Oui, il est possible que considérer favorablement une dépense de près de deux cents dollars sur un repas au restaurant et prêcher notre non-snobisme équivaut un peu à parler des deux côtés de la bouche; c'est parce qu'il y a effectivement une portion du monde de la cuisine qui n'est pas accessible à tous. À mon avis, ce n'est pas nécessairement celui qui mérite le plus de diffusion, mais là n'est pas la question. Il est aussi possible que dans une prétendue plus grande ouverture d'esprit, le foodie se soit finalement enfermé dans un certain rigorisme moral qui les éloigne un peu du plaisir qu'il recherchait au départ. Je connais des blogueurs flexitariens qui auraient honte de partager leur recette de macaroni à la viande du dimanche, et c'est très triste. (Au passage, la mienne est disponible ici.) Il est aussi possible que la portion de la sphère gastronomique qui consiste en une recherche constante d'un plaisir sensuel et gustatif ait un petit quelque chose de superficiel et vain. Reste qu'on ne s'attaque ici qu'à des aspects spécifiques du foodie-isme qui, examinés ainsi, ne valent pas une réponse affirmative à la question qui sert d'introduction à ce billet.

Pour moi, la cuisine, c'est quelque chose d'excessivement globalisant. C'est d'abord pragmatique: c'est manger trois fois par jours, combler des besoins nutritionnels, avoir faim, n'avoir plus faim, avoir envie de quelque chose. C'est aussi physique: c'est toucher de la nourriture, la préparer avec plus ou moins de plaisir, selon l'heure de la journée et les circonstances, la mettre en forme, la préparer, la mettre dans ma bouche et y accorder plus ou moins d'intérêt, selon l'heure de la journée et les circonstances. C'est aussi affectif: c'est préparer quelque chose que Chéri aime et le regarder dévorer avec plaisir, c'est recevoir famille et amis dans notre petite cuisine surchauffée et leur servir des plats plus ou moins compliqués, selon l'heure de la journée et les circonstances, c'est obtenir un certain plaisir face à une réalisation, c'est obtenir une certaine sensation face à une exécution quelconque. C'est donc aussi quelque chose de concret qui me sort de ma vie intellectuelle et qui comble une autre dimension de ma vie. C'est aussi, malgré tout, intellectuel: c'est réfléchir aux implications de mes choix alimentaires, c'est concevoir ma démarche culinaire comme quelque chose de raisonné, c'est accorder beaucoup de mes pensées à la nourriture, aussi frivole cela peut-il être. C'est éthique aussi: c'est croire que mes choix en tant que consommatrice ont une influence, qu'acheter et manger, c'est politique, que le travail que je fais ici pour vous faire découvrir le flexitarisme, c'est une façon de contribuer à la préservation de l'environnement. Finalement, c'est divertissant: c'est un passe-temps, un vide-cerveau, un plaisir jouissif. C'est le temps que je passe à lire des livres de recettes signés par des cuisiniers avec un parcours hallucinant, que je raconte ensuite à Chéri avec tout l'émerveillement qui se doit. Bref, parler de cuisine, c'est bien des choses mais évidemment ce n'est pas du tout toute ma vie (dans les faits, je rêve bien plus souvent à Simone de Beauvoir qu'à mon souper du lendemain). C'est là que se trouve l'équilibre.

Si on revient à la question de départ, donc, je pense que non, on ne parle pas trop de cuisine. Je pense même qu'on n'en parle pas assez, puisqu'il y a des gens qui sont encore convaincus que manger de la malbouffe est moins dispendieux que de se faire à manger, puisque d'autres gens ne sont pas encore conscients que leurs choix alimentaires ont une portée presque directe sur leur environnement et sur l'économie de leur communauté, et encore parce que des gens sont inconscients des mécanismes déployés par leur corps et par leur environnement pour leur faire répondre à leur sensation de faim. On n'en parle pas assez parce qu'il y a encore plein de gens malheureux dans la vie qui pourraient peut-être trouver du réconfort dans le fait de faire quelque chose de leur deux mains qui réunirait des gens autour d'un plaisir partagé. On n'en parle pas assez non plus parce que des enfants ne mangent pas à leur faim alors que leurs parents ne savent pas que des initiatives comme Bonne boîte bonne bouffe existe. On n'en parle pas assez tout simplement parce que nous ne sommes pas encore rassasiés de toutes ces informations que nous avons sur le sujet et il n'y a, à mon avis, aucun sujet qui ne vaille pas la peine qu'on s'y intéresse.

Quand on sera rassasiés, et qu'on en aura assez parlé, les choses s'équilibreront d'elle-même. En attendant, cuisiner, je fais ça trois fois par jour et je vais continuer d'en parler aussi longtemps que j'éprouverai du plaisir à le faire.

mercredi 4 août 2010

Aperçu au Métro Square-Victoria

En fait, j'ai dû passer devant tout l'été sans m'en rendre compte, mais l'agencement de ces deux publicités me fait marrer.



On pourrait aussi mettre un béret basque à Wajdi et il aurait l'air d'un terroriste de l'IRA. So pomo.


jeudi 15 juillet 2010

Sur le cinéma et l'identité

Même si on pourrait le croire, je n'ai pas vraiment l'intention de réagir aux propos de Jacob Tierney sur l'absence des minorités culturelles dans le cinéma québécois. Je n'ai pas l'intention d'y réagir parce qu'à mon avis, des propos d'une telle simplicité ne mérite même pas qu'on s'y attarde tant on voit qu'ils ont été formulés sous le coup de l'émotion, sans prendre le temps de méditer son argumentaire. Je ne vois pas l'intérêt de réagir aux propos de Jacob Tierney quand je peux trouver, sans me forcer, au moins dix façons d'illustrer qu'il a tort.

La société québécoise est excessivement tournée sur elle-même ? Évidemment, sinon, comment survivre à l'assimilation en situation de double-diglossie à l'échelle continentale ? Les anglophones et les immigrants sont ignorés dans les arts et la culture québécoise ? Si on considère la culture au sens strict de production artistique, évidemment, dans une société majoritairement blanche et francophone, plus d'artistes blancs et francophones produisent des discours dans lesquels ils se projettent, ce qui donnent une plus grande présence aux réalités blanches et francophones. Est-ce que ça empêche les Kim Nguyen, Danny Laferrière et Wajdi Mouawad d'être présents sur la scène culturelle, et acclamés par le public ? Pas que je sache. Les jeunes haïtiens ne se sentent pas représentés par Luc Picard ? Évidemment, mais peut-être qu'ils ne se sentiraient guère plus en filiation avec Didier Lucien ou Rodney St-Éloi. On ne produit pas de films comme Un prophète au Québec ? Non, nos prisons ne sont pas remplies d'Arabes et de Corses qui s'y affrontent violemment. Par contre, on produit de très bons films comme Un ange de goudron, sur la réalité d'immigrants algériens tentant de s'adapter à la société québécoise.

Je n'oserais pas le dire, mais pourquoi pas l'écrire: à mon avis, Jacob Tierney manque probablement juste de culture. D'abord parce que la culture d'une société, ce n'est pas que sa production artistique, et que le Québec a montré aussi .dans sa façon de vivre, de manger, de se vêtir et de faire du sport, que les Québécois sont inclusifs. Peut-être pas autant qu'ils le devraient, mais certainement assez pour que je considère comme honteux d'entendre Jacob Tierney parler de l'invisibilité des minorités. Et aussi, parce que sa connaissance du cinéma québécois ne semble limitée qu'à celui qui présente l'histoire et la vie de la majorité, parce qu'il ne faut pas chercher bien loin pour trouver des exemples du contraire, ne serait-ce que dans la très riche et très diversifiée production documentaire québécoise.

Pour toutes ces raisons, je ne vois pas l'intérêt de réagir aux propos de Jacob Tierney sur la fermeture d'esprit de la société québécoise. Non. Ce qui me choque, ce sont des propos comme ceux de ce professeur de pensée politique (c'est quoi, seigneur, enseigner la pensée politique ? montrer à de jeunes personnes comment penser comme soi-même ?) qui prétend que Jacob Tierney énonce simplement une réalité (prémisse fausse, comme je l'ai démontré plus haut), et qui accuse Hugo Latulippe de donner dans la démagogie quand il dit que les immigrants qui ne comprennent pas en quoi Luc Picard représente la société québécoise sont: «coincé[s] dans une manière de voir la société qui tient du racisme ou du manque d'ouverture. Il y a aussi une responsabilité de l'immigrant, qui consiste à épouser le monde dans lequel il arrive.»

Est-ce que quelqu'un, s'il vous plaît, peut m'expliquer la démagogie là-dedans ? Qu'est-ce qu'il y a de mal dans le fait de constater que la société québécoise est aussi (et surtout) une société blanche et francophone et qu'il est normal que la majorité des réalités qui sont représentées au sein de la société soient blanches et francophones ? Revendiquer sa place, je suis pour. Exiger d'être représentés, d'avoir aussi des modèles culturels et poltiques, je suis pour. Oublier le fait que les francophones représentent 82% de la population du Québec au profit du multiculturalisme à tout prix ? Je suis contre. Je veux que les immigrants voient en Luc Picard ce qu'il est: un homme intelligent, cultivé, articulé, souverainiste et engagé, et je suis fière qu'il me représente à leurs yeux. Je trouverais ça normal qu'ils ne se sentent pas parfaitement représenté en la personne de Luc Picard, mais je voudrais au mois qu'ils y voient une partie de ce que peut-être leur société d'accueil, tout comme je voix une partie des cultures migrantes quand je rencontre l'un de leur représentant. Pour moi, Lucian Bute, c'est un peu la Roumanie, tout comme mon ami Cosmin et ma collègue Anca. Haïti, pour moi, c'est surtout les mots de Lionel Trouillot qui m'ont bouleversée dans Bicentenaire, mais c'est aussi Daphnée. C'est ainsi que je perçois le Québec: tissu social composite, paysage culturel diversifié.

J'ai vu récemment un très bon film japonais (Ten Ten ou Adrift in Tokyo) que j'ai adoré, et je n'y ai vu que des Japonais. J'ai aussi loué un film suédois, Tilsammans (Together) qui parlait des difficultés d'adaptation d'une banlieusarde divorcée dans la commune hippie de son frère. Je n'y ai vu que des Suédois. Je n'ai pas l'impression que le tissu social de ces deux nations est complètement uniforme. Je n'ai pas le sentiment que leurs communautés culturelles sont lésées par ces films qui les représentent pourtant à l'étranger. Je suppose tout simplement que, comme au Québec, la représentation des diverses communautés doit être relativement proportionnelle à leur présence dans la société. Je ne me sens pas non plus représentée par les films de Blaxploitation américains, mais je ne considère pas que ces films représentent une forme d'exclusion. Je trouve au contraire qu'ils représentent une façon ironique et décapante de démonter le racisme déductible des films Hollywoodiens.

Pourquoi diable est-ce qu'au Québec, et seulement au Québec, on se sent obligés de cacher ce qu'on est pour faire plaisir à des intellectuels avec des raisonnements douteux ? Que tout le monde ici prenne le crachoir et se sente libre de dire ce qu'il est, c'est tout !

lundi 10 août 2009

Sommes-nous cultivés ?

C'est du moins la question que posait Patrick Masbourian lors (de la probable reprise) de son émission Sommes-nous ? diffusée à Télé-Québec cette semaine. Parce qu'elle exige une réponse collective à une question d'ordre personnel ou individuel, cette émission pose un problème d'importance. Or, je doute qu'il existe au Québec une autorité légitime qui serait assez consensuelle pour résoudre le problème de la culture. Toutefois, je me demande s'il n'est pas nécessaire et absolu de se poser la question: sommes-nous, en tant qu'entité sociale et communautaire, cultivés ?

Ma maigre réponse ne vous intéresse pas, mais les problèmes que soulèvent la question sont intéressants.

D'abord, le problème que pose la définition même de culture: si la définition admise de la culture se rapporte à quelque chose comme "produit d'une société qui témoigne de sa distinction en tant que nation, notamment par les arts et le langage", il en existe une autre, à la base de tous les travaux des cultural studies: la culture, c'est l'ensemble des gestes posés par une société fédérateurs de son identité culturelle. C'est une définition complètement récusée par nos amis Français, pour qui la culture demeure la somme des connaissances fondamentales nécessaires au passage du bac (blague), mais qui trouve son écho en Scandinavie, là où la façon de faire la cuisine ou de faire du ski est une revendication culturelle. J'aurais tendance à croire que cette dernière définition colle mieux à l'état de la culture au Québec: malgré des institutions culturelles fortes et une offre diversifiée, le Québécois moyen revendique sa culture surtout à travers ses habitudes culinaires ou son attachement à l'espace québécois et à son folklore (sinon, pourquoi diable pulluleraient les festivals de la galette, de la babiche, ou de la gibelotte ?). Or, s'il nous est plus à propos de revendiquer nos habitudes culturelles comme culture propre, je pense que le raccourci est trop facile. Les Québécois ne sont pas nécessairement des gens cultivés, et le problème réside essentiellement que nous avons perdu notre modèle culturel.

Les différentes révolutions sociales des années soixante ont donné lieu à l'éclatement du socle de savoir fondamental qui était alors considéré comme la base de la culture. C'est arrivé à Paris et à Prague, mais c'est aussi arrivé au Québec: l'abolition du cours classique pour l'enseignement secondaire a donné lieu à une réforme totale de l'enseignement au Québec qui a résulté en l'abandon de l'enseignement de la culture classique. Or, là où je crois qu'on fait fausse route, c'est lorsque l'on considère que ce modèle n'a plus de valeur parce qu'il n'est plus enseigné. À mon avis, c'est le contraire: parce que nous ne produisons plus d'érudits "classiques", ce dernier savoir a une valeur considérable, pas parce qu'il est classique mais parce qu'il est utile pour comprendre là où se sont bâtis les références culturelles qui ont modelé notre culture, ou à l'encontre desquelles elle s'est appuyée.

Je pense que dans toute l'émission, c'est assurément le commentaire de François Parenteau qui m'a le plus fait sourcillé: ce dernier soutenait que quelqu'un qui cite à propos Jon Stewart ou SNL avait autant de culture que quelqu'un en mesure de citer Virgile. Que la culture était quelque chose d'actuel et qu'il fallait être de son temps. Je ne peux tellement pas être en accord ! J'estime que la culture de l'actuel est nécessaire, et peu m'importe que quelqu'un ne soit pas en mesure de citer ce très beau vers de Virgile qui ouvre l'Énéide et qui est pour moi l'essence de l'épopée ("Je chante les armes et je chante les hommes"), mais force m'est de constater qu'une culture limitée à celle du présent est une culture dont les frontières sont fermées, et entièrement ignorantes de leur passé. C'est pour moi un non-sens, et il m'est impossible de voir de la culture dans le manque de connaissance des bases et des fondements de la société.

Finalement, le sommes-nous cultivés ? Je pense que non. Pas trop. Mais est-ce que c'est irréversible ? Non ! Je cite très souvent cette phrase de Lucien Francoeur qui disait, lors de la grève étudiante de 2005, que nous sommes une petite nation et qu'il est facile pour nous d'éduquer tous nos enfants. Pourquoi diable est-ce qu'on baisse les bras devant la culture ?

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