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samedi 16 juin 2012

Al fin del Mundo y volver...

Afficher De Puerto Natales à Buenos Aires
Puerto Natales. Après une nuit dans un hostel avec Mira et Andreas, je pars à la recherche de la maison de Gloria et Oscar. C’est Simon, un français, le seul voyageur que j’ai croisé dans ma descente de la Carretera Austral, qui m’avait recommandé l’adresse. Coïncidence, j’y retrouve Maya et Lili, les deux françaises avec qui j’avais fait du stop sur la route de sept lacs, entre San Martin de Los Andes et Villa la Angostura, plus de mille kilomètres plus au nord… Bonne ambiance familiale dans la maison. Je me prends deux jours de repos avant de partir pour Torres Del Paine. Malgré le froid et l’hiver qui arrive, je pars camper quatre jours dans le Parc, une centaine de kilomètres au nord de Puerto Natales. Torres Del Paine, peut-être le parc le plus visité de Patagonie, quasiment désert en cette saison. En quatre jours je vais croiser une dizaine de personnes sur les chemins, pas plus. Tous les refuges et campings sont fermés. Je passerai quand même la deuxième nuit au chaud. Au refuge de Las Cuernos où j’étais venu demander si je pouvais planter ma tente à côté, le gardien très sympa me proposera de dormir à l’intérieur. La dernière nuit au campement Las Torres, elle, sera glaciale. Neige et glace tapisse le sol. Il me faudra faire la dernière ascension jusqu’aux "tours" dans la neige, avec mes vieilles chaussures trouées. Je fais deux fois l’ascension. La deuxième fois sera la bonne, le matin, le brouillard de la veille s’est dissipé, je peux admirer les torres seul face à la lagune.
Retour à Puerto Natales, un peu de repos et je reprends la route pour Punta Arenas. J’attends longtemps sous la pluie, à regarder les chiliens qui partent tous pour la frontière argentine, faire leurs courses à Rio Turbio. Puis une voiture s’arrête finalement. Encore un chilote, je ne comprends rien ou pas grand-chose... Je n’ai même plus besoin de demander, aux premiers mots je sais qu’il est de Chiloée. Ils sont très nombreux les chilotes dans le sud. Il me dépose gentiment à Punta Arenas. Le bout du monde côté chilien c’est ici, et accessoirement la ville la plus au sud du continent. Ushuaia est en Terre de Feu, une île. Géographiquement ce n’est déjà plus vraiment le continent. Une grande ville. Assez surprenant de trouver une si grande ville aussi isolée du reste du pays. Ville étape en ce qui me concerne, je n’ai pas prévu de m’éterniser. Je profite de la zone franche pour me racheter une paire de chaussure et je repars, destination Ushuaia. Compliqué de sortir de là, mais entre un colombiano et les pick-ups des petroleros je finis par traverser le détroit de Magellan et arriver au bout de la route pavée en Terre de Feu, à Cerro Sombrero. Petite ville de petroleros au milieu de nulle part, balayée par les vents. J’attends. Longtemps. Le soleil se couche bien tôt, vers 17h. Je suis à deux doigts de renoncer, d’attraper mon sac pour aller me poser au chaud à l’intérieur de la station un peu plus loin, quand un camion s’arrête enfin. Pas sûr qu’il se soit arrêté pour moi, mais je lui demande quand même. Pas de problème, il va me faire passer la frontière et m’amener à Rio Grande. Très sympa Omar, on traverse la Terre de Feu chilienne, lentement, sur une route dégueulasse, sur des airs de cumbia. Avant qu’il ne m’avoue être inconditionnel de chanson française et n’envoie tout ce qu’il a en stock, d’Edith Piaf à Caroline Loeb… On passe la frontière sans problème, il est tard les douaniers ne font pas de zèle. Omar peut s’arrêter quelques centaine de mettre plus loin pour aller chercher ce qu’il cachait derrière sa cabine. C’est pour ça qu’il s’était arrêté à Sombrero. Pas pour moi, mais pour planquer la viande de choique qu’il avait dans son frigo. On arrive dans la nuit à Rio Grande. Je vais passer dans la nuit dans un relais routier où travaille sa fille avant de reprendre la route le lendemain. On m’emmène à Tolhuin, puis jusqu’à Ushuaia sans trop de problème.
Me voilà au bout du monde, le bout du chemin, celui que je suis depuis deux mois, depuis Santiago, au sud, toujours plus au sud. Bien plus jolie que ce que j’en attendais Ushuaia. Mis à part le casino qui gâche un peu la perspective du front de mer, plein de petites maisons adossées aux montagnes, et par beau temps la vue sur le canal de Beagle est magnifique. C’est une ville. Même sous ces latitudes, une petite ville argentine tout ce qu’il y a de plus normale, avenues, supermarchés, transports publics, habitants qui font leur jogging le matin, en t-shirt pour certains… Une petite ville de province, de l’autre côté des montagnes, au bout du monde. Je vais y rester quelques temps. Cecilia va me faire faire le tour des environs. Muy argentina elle aussi, jurant en buvant son maté. Elle est de Cordoba. La plupart des habitants du coin viennent du nord chercher du travail au sud. Et du travail il y en a. En Terre de Feu il n’y a quasiment pas d’impôts, pas de TVA, de nombreuses entreprises ont installé leur production entre Rio Grande et Ushuaia. Du travail il y en a mais… mais pas cette semaine. Cecilia est au chômage technique. Les dernières mesures protectionnistes de Kirchner restreignent les importations. Assembler des pièces importées les entreprises du coin ne font que ça. En attendant que ne soient délivrées les autorisations d’importation, la production est stoppée ou ralentie. Ce qui laisse du temps à Cecilia pour me balader. Estancia Haberton, Cabo San Pablo, Parque de la Tierra del Fuego, Tolhuin on va aller un peu partout. Elle me laisse même conduire sur les routes gelées de Terres de Feu. Avec les pneus cloutés, ce qui était très amusant sur les routes de terre qui mène au lac Yehuin l'est beaucoup moins dans les montagnes enneigées. Je pars en tête à queue dans le paso Garibaldi… Plus de peur que de mal.
Il est temps de rentrer, temps de quitter le froid, la glace, la neige, de repartir au nord. Et vite, je ne compte pas m’arrêter avant Buenos Aires. Mais avant ça il faut quitter la Terre de Feu. On m’emmène jusqu’à Rio Grande, cette fois j’entre dans la ville pour constater que le seul hostel y est fermé. Je retourne en bord de route, je marche dans la nuit, jusqu’à trouver un endroit où camper. Et le lendemain c’est John, un sud-africain en vacances qui me fait traverser la frontière chilienne et me dépose à l’embranchement de l’autre côté du détroit de Magellan. Là, sous la pluie, un couple d’argentin me prend en pitié me refait passer la frontière jusqu’à Rio Gallegos. Le lendemain j’attends presque une journée entière qu’un camion m’embarque. Sous la neige, de nuit, on arrive tant bien que mal à San Julian. Toujours hors de question de m’arrêter, je passe la nuit dans la station-service en bord de route, dormant quelques heures sur une banquette. Et tôt le matin, le premier chauffeur à qui je demande m’embarque jusqu’à Trelew, 800 kilomètres plus au nord. Après Rio Grande, Rio Gallegos, je découvre en chemin Comodoro Rivadavia, encore une ville industrielle, pétrolière. Affreuse. ¡Qué horrrible, fea! Si vous cherchez un endroit où ne pas passer vos vacances, j’ai plein de bonnes adresses sur la côte atlantique argentine… De Trelew je rejoins l’intersection qui mène à Puerto Madryn. Ultime coup de chance, à la sortie d’une station-service je tombe sur Jorge et son fils Nicola. Ils me demandent où je vais. « Al norte, mas al norte que se puede… » Eux aussi rentrent à Buenos Aires, ils m'embarquent. Dans la soirée on s’arrête à Viedma. Pas pour dormir, non. Pour trouver un bar qui passe le match de Boca… Boca battra Rosario Central aux tirs aux buts. Tout va bien, on peut repartir. Jorge va conduire toute la nuit. On arrive à Buenos Aires en fin de matinée.
Je viens de faire 1400 kilomètre d’une traite. Il m’aura fallu cinq jours pour rallier Buenos Aires depuis Ushuaia, cinq jours pour faire dans l’autre sens le trajet qui m’avait pris deux mois depuis Santiago. Buenos Aires, c’est là que je dois m’occuper de mon passeport. Mes derniers passages de frontières en Terre de Feu ne m’ont laissé qu’une demi-page de libre. Juste ce qu’il faut. A Buenos Aires j’ai passé une semaine à attendre mon rendez-vous au consulat. Et maintenant c'est mon passeport que j’attends. J’en profite pour faire un petit tour dans le nord du pays. Ce matin je suis arrivé à Cordoba.

Cabo San Pablo

vendredi 18 mai 2012

Ruta 40

Afficher De Chile Chico à Puerto Natales
Chile Chico. Plusieurs campings, fermés, comme d'habitude. J’attends des heures devant l’un d’eux que quelqu'un vienne. Les gens du coin m’ont dit que la señora était en ville, qu'elle allait revenir. Je ne vois rien venir, j’ai froid, j’ai faim. Je m’installe. Je découvrirai au petit matin en voyant une voiture partir que la señora était bien rentré dans la nuit. Peu m’importe. Je ne me cache pas plus que je ne me montre, je la laisse partir, je plie la tente et je pars pour Los Antiguos. Deux chiliens très sympas me font passer la frontière. A Los Antiguos je trouve un camping ouvert. Une douche chaude, enfin, et un gardien qui m’amène du bois pour faire du feu. « Va hacer frio esta noche ! »
Le lendemain je me demande un peu comment je vais sortir de là. . J’attends à côté du poste de contrôle de la policia à la sortie de la ville. Pas la grande foule. Une voiture s’arrête quand même :
« A donde vas ?
- Perito Moreno o la Ruta 40...
- La ruta o la ciudad ? A donde ?
- Necesito ir al sur. Pero si no se puede, hasta Perito Moreno. Y tu donde vas?
- Oh no sé. Al sur tambien… »
C’est Marcia. Elle non plus ne sait pas où elle va, mais elle va au sud. Je crois qu’on va bien s’entendre, on a le même programme. Marcia est argentine, muy argentina comme elle le dit elle-même, une porteña qui me balance des "ché" à chaque phrase. On prend la route ensemble. Al sur, par la Ruta 40. On traverse la steppe. Rien de rien. Une ligne droite, quelques vallées, des canyons. Guanacos et choïque. Hermoso... On a déjà bien roulé, sans voir une maison, quand arrive une intersection. Un panneau. A droite à une trentaine de kilomètres, La Cueva de los manos, des peintures rupestres perdues au fond d’un canyon. Marcia me regarde : « Vamos a ver ? » C’est parti, on y va. On quitte la route encore à peu près pavée pour une belle piste en terre qui descend les canyons. Paysage grandiose sous le soleil. On finit par arriver jusqu’à l’entrée de la grotte. Surprenant. Au beau milieu de nulle part, sur les pentes du canyon du Rio Pinturas, une maison récente, en bois verni, à l’intérieur un guichet et des casques de chantiers alignés. On achète nos billets, on enfile un casque et on descend jusqu’à l’entrée de la grotte accompagnés d’un guide. Sur les roches des mains peintes, des scènes de chasses. Les peintures ont 13000 ans pour les plus anciennes. On reprend la route, direction Bajo Caracoles. Un gros point sur la carte Bajo Caracoles. En réalité cinq maisons et une station-service. Marcia en profite pour refaire le plein d’eau chaude pour le maté. Muy argentina... Et on repart à travers la steppe. Elle ne savait pas trop où elle allait Marcia, mais elle avait quand même une idée en tête, visiter le Parque Nacional Perito Moreno. Après un énième tronçon de route en cours de construction on arrive à l’intersection quand la nuit tombe. A l’ouest, le Parque Perito Moreno, encore une centaine de kilomètres de piste et un joli panneau prévenant les automobilistes que de mai à septembre les routes sont impraticables… Nous sommes le 28 avril. Marcia renonce, on reprend la route, on a encore le temps d’arriver à Gobernador Gregores. Cette fois la nuit est tombée, et bien tombée. Noire, pas une maison, pas une lumière. On enchaine les bouts de route pavée, de pierres, et les détours sur routes en terre, les desvios qui font râler Marcia. « Ché un desvio ! Hijo de puta ! » Muy argentina... On arrive finalement à Gregores, la "ville", la seule du coin. Un camping, évidemment fermé. J’ai l’habitude, et apparemment Marcia aussi. On va camper là. Mois sous la tente, elle dans sa voiture.
Le lendemain, Marcia repart vers la côte, et pour moi commence une journée que je ne suis pas près d’oublier. Marcia m’a posé en bord de route, a priori celle qui mène à la Ruta 40. On a suivi les instructions qu’on nous a données à la station-service. Mais dans le coin difficile de savoir. Il y a des bouts de routes en terre qui partent un peu de partout, sans un seul panneau. J’ai quand même de gros doutes. Je vais au sud-ouest et cette route me semble aller au sud-est. Je marche jusqu’à une intersection et je me mets au milieu de la route pour arrêter la première voiture que je vois. Effectivement, ce n’est pas par là. Je refais le chemin dans l’autre sens, mon sac sur le dos, quelques kilomètres de plus. Je vois deux véhicules qui au loin passent l’intersection que je dois prendre, je me dis que ma chance est peut-être passée. Mais non, dans la seconde où j’arrive au croisement un pick-up passe et s’arrête sans que je ne lui fasse signe. Des travailleurs de la Ruta 40 qui partent pêcher au Lago Cardiel. Ils me demandent où je vais, je leur explique que je veux rejoindre la Ruta 40. « Oh… Te gusta la aventura ?! » Ils me laissent cinquante kilomètres plus loin, me redemandent si je suis sûr de moi. Ils m’expliquent que 23 kilomètres plus au sud il y a une estancia, puis ils repartent, me laissent là, au milieu de nulle part. Deux routes en terres qui se croisent, et autour rien. Nada de nada.
Il est midi, 23 kilomètres, même avec mon paquetage sur le dos je peux y être avant la nuit. Pas sûr que je vois un véhicule de la journée, alors je me mets en route. Je marche, je marche à travers la steppe. Des kilomètres et des kilomètres de steppe, sans rien, pas même un guanaco perdu. Des véhicules je vais en voir, presque une dizaine en trois heures, ce qui me semble énorme sur cette route. Mais tous vont au nord. Des petits signes sympas, toujours. Certains s’arrêtent, me demandent ce que je fais là. Au premier j’explique la situation, que je vais au sud, jusqu’à Tres Lagos, mais que comme il n’y a pas de véhicules je marche jusqu’à la prochaine estancia. Il m’écoute sans sourciller, un petit signe de tête, et me répond : « Soy el dueño ». C’est le propriétaire de l’estancia La Siberia. Je peux y aller et dire que je viens de la part de Cristian, on s’occupera de moi. Le pick-up suivant s’arrête aussi. « Necessitas algo ? ». Sympas, ils me tendent une bouteille et repartent. Je continue ma route.
Je ne sais pas trop l'expliquer, mais je me sens bien ici. Perdu au milieu de nulle part, sur cette route sans fin, le vent qui souffle et siffle sur ma capuche. J’arrive en vue du Lago Cardiel, la route descend un peu. De l’eau, je pourrais camper là au besoin. Je fais une pause à un de ces endroits où se croise la route en construction et un desvio. J’hésite, je prends la route ou le détour ? On est dimanche, il n’y a pas de travailleurs sur la route, il est bien probable que les voitures en profitent pour emprunter la route, toujours pas pavée, mais plus directe. C’est assis en bord de route que je vois arriver le premier véhicule descendant au sud. Le pick-up s’arrête. On ne me pose même pas de questions, on m’aide à charger mon sac à l’arrière. Encore des travailleurs de la Ruta 40. Juan-Carlos le patron, Luciano, Nelson et Damian. Eux aussi sont allés pêcher au lac, ils vont à Tres Lagos. La voiture est enfumée, une brique de vino tinto assez infâme circule, ça plaisante, ça parle, ça dit du mal des brésiliens, les "conchas de tu madre" fusent. Des argentins. On s’arrête en cours de route là où ils dorment, des cabanes de chantiers en bord de route, pour prendre le maté. On est encore à une cinquantaine de kilomètres de Tres Lagos. Ils y vont faire quelques courses et terminer la journée par un asado en bord de rivière. On allume un feu pendant que d’autre essayent de pêcher dans la rivière. La nuit tombe, je suis arrivé à destination, asado de mouton à Tres Lagos. Espectacular !
Je me dis que je vais camper là. Mais la soirée n’est pas terminée, ils m’embarquent avec eux. On arrive devant une sorte de bar, le seul de Tres Lagos j’imagine. Un vieux néon qui clignote et Juan-Carlos qui se retourne vers moi : « Ché Francesito ! Como se dice en frances una casa de putas ?! » Il éclate de rire. Moi aussi d’ailleurs. Ils m’emmènent au bar à putes de Tres Lagos. Pas exactement un gogo bar thaïlandais. Un bar miteux, un jukebox, trois pauvres filles qui jouent au billard. Et les travailleurs de la Ruta 40. Damian m’explique qu’au nord, à Missiones leur région d’origine, ils ne payent pas pour les mujeres. Mais ici… des mujeres il n’y en a pas ! Non seulement des jeunes gars comme Damian, Luciano ou Nelson doivent payer, mais avec trois filles pour tous les travailleurs des environs de Tres Lagos, il faut même se battre. D’ailleurs c’est ce qui va finir par arriver. Début de bagarre entre Juan-Carlos et un autre gars. Il est un peu bedonnant Juancho, mais avec les trois autres taillés comme des bûches en garde rapprochée je ne m’amuserais pas à l’embêter trop longtemps. Les esprits tardent un peu à se calmer. Puis vient un mec, jogging, cheveux longs bouclés, il n’a l’air de rien comme ça. Mais avec sa tête d’indio, son regard d’acier et sa boule de coca calée dans la joue gauche, il a quelque chose qui en impose. Il ne dit pas un mot et en quelques minutes sépare tout le monde. C’est lui qui viendra me sauver un peu la mise plus tard dans la soirée. Un type qui me fixait du regard depuis un moment s’était décidé à venir me parler. Enfin essayer, je ne comprends rien et je vois bien que ça commence à l’énerver un peu. L’indio passe par là. Pas un mot, un regard et il l’écarte fermement d’une main. Le message est clair : tu le laisse tranquille.
On se décide quand même à partir. Juan-Carlos dort déjà dans la voiture. Je sors du bar avec Damian, les autres devraient suivre, mais non. Damian retourne les chercher et revient un quart d’heure plus tard : « Una mas ? » Sans moi, je suis cuit, je reste dormir dans la voiture. Bien plus tard, peut-être 4 heures du matin, je me réveille alors que tout le monte remonte dans le pick-up. On démarre, et on s’arrête quelques centaines de mètres plus loin devant… le commissariat. Je ne comprends rien. Qu’est-ce qu’on fait là ? Ça fait des heures qu’on enchaine les pichets de bière, on se prépare à reprendre la route jusqu’aux baraques, des dizaines de kilomètres au nord, et on va dire bonjour à la policia avant de partir ?! L’explication ? On a deux pneus crevés. Le type avec lequel Juan Carlos s’est battu nous a laissé un petit souvenir avant de partir. Les gars ont donc décidé d’aller demander un compresseur au commissariat. Rien de plus normal… Oui, rien de plus normal. Les deux policiers de garde n’ont pas l’air étonnés, ils ramènent la voiture près du pick-up et sortent le compresseur. Pendant ce temps Nelson ne se démonte pas et discute avec eux, se plaint que la soirée se termine comme ça alors qu’ils sont juste « allé boire quelques bières avec les collègues ». Évidemment le compresseur ne sert à rien. Les pneus sont lacérés au couteau. Pas de problème, les gars partent à pieds et reviennent avec deux roues sorties de nulle part. Le crick fonctionne mal. Là encore pas de problème, ils sortent un barre à mine du pick-up, font levier avec une des roues posée au sol et soulèvent la voiture pour changer la roue. On peut repartir. On reprend la route jusqu’aux baraques de chantier. Juan-Carlos me montre un lit où je peux dormir. La fin d'une mémorable journée sur la Ruta 40.
Le lendemain je ne suis pas bien frais. Les autres non plus d’ailleurs. Mais Juan-Carlos tient la promesse qu’il m’avait faite la veille. Il doit partir pour El Calafate, il va faire un détour de 200 kilomètres pour me poser à El Chalten. On va encore crever en route, cette fois pas de roue de secours qui traîne. Après avoir regonflé le pneu à la centrale électrique de Tres Lagos, on arrive de nuit, pneu presque à plat, à El Chalten. Ils trouvent une chambre à air sur place, démontent puis remontent la roue et repartent. Adios amigos !
El Chalten, maudit El Chalten. Dès l’arrivée dans le froid et la pluie j’ai compris que j’avais laissé passer ma chance, j’aurais dû saisir l’opportunité et aller directement à El Calafate avec Juan-Carlos. El Chalten n’est qu’un petit village, dédié au tourisme, aux randonneurs qui viennent explorer le Parque Nacional de los glaciares. Pluie, brouillard, fin de saison, le village se vide. L’hostel où je passe une première nuit ferme pour la saison le lendemain. Pas grand-chose à faire dans le coin par ce temps. Je décide quand même de rester une journée de plus, de voir si le temps s’arrange. Je campe devant l’office des guardaparque, et… je me réveille sous la neige. Cette fois c’est décidé, je me barre de là. Je vais attendre toute la journée en bord de route, en vain, avant de prendre le bus du soir. Une première depuis plus d'un mois je pense. Direction El Calafate.
Presque une ville El Calafate, très touristique, son casino, ses magasins de sports, souvenirs, chocolats… Étrange de se retrouver là après des semaines sur la Carretera Austral, la Ruta 40... La chance est revenue. Pour aller au glacier Perito Moreno j’attends un petit moment en bord de route avant que le propriétaire d’une estancia ne me pose à quelques kilomètres de l’entrée du Parc. De l’entrée au glacier il y a encore une trentaine de kilomètres. Mais à la minute où j’arrive à l’entrée une voiture passe, s’arrête prendre les billets, et j’entends le conducteur demander s’il y a un dépliant en français. J'en profite pour demander s'il n’y a pas une petite place pour moi à l’arrière avec les enfants ? Pas de problème. J’embarque avec Jérôme, Jannick, Leïla et Valentin une famille de suisses en voyage autour du monde. Très sympas, on va passer la journée ensemble autour du glacier. C’est la principale attraction de la région le glacier Perito Moreno. Très visité, très encadré, mais spectaculaire ce glacier posé sur l’eau. En fin d’après-midi, on a la chance de voir d’énormes blocs de glaces de dizaines de mètres de haut se fracturer, tomber et se fracasser dans la lagune.
Le temps passe, l’hiver avance, il me faut continuer ma route vers le sud, retourner au Chili, à Puerto Natales. A la sortie d’El Calafate, j’attends devant le poste de contrôle de police. Un vieux combi Volkswagen s’arrête, c’est Mira, une allemande qui parle espagnol avec un accent porteño. Elle va chercher son copain Andreas à l’aéroport. Ils doivent ensuite revenir faire réparer le combi mais après ils partent pour Puerto Natales. Coup de chance, j’embarque. La réparation sera plus longue que prévu, mais on finit par partir. On retrouve la Ruta 40, toujours elle. Le combi se traîne péniblement sur les côtes, face au vent. Pas de chauffage, j’ai sorti mon duvet, calé entre la porte arrière et les provisions de Mira et Andreas. A priori un souci toutes ces provisions. Au Chili on ne plaisante pas trop avec ça, ils fouillent les véhicules et balancent systématiquement, fruits, légumes, laitages, tout ce qui peut contaminer l’agriculture locale. Mais le passage de Rio Turbio est en fait une vraie passoire. Je le verrai plus tard, les chiliens de Natalaes font l’aller-retour en Argentine tous les week-ends et reviennent le coffre plein. Alors à 10 heures, le soir, l’officier ne fait pas de zèle. Andreas déclare seulement l’herbe à maté, le douanier jette un coup d’œil dans le combi plein à craquer et ça ira bien. On passe la frontière. Un dernier col enneigé et me voilà de retour au Chili. Puerto Natales.

Ruta 40

vendredi 4 mai 2012

Por la Carretera

Afficher De Puerto Montt à Chile Chico
Départ d’Achao sous un ciel gris. Alexis nous dépose au ferry. Encore un de ces chiens errant qui nous suit sur le bateau jusqu’à Dalacahue. On attend qu’un pick-up veuille bien nous poser jusqu’à la Ruta 5. En chemin la pluie commence à tomber, on arrive déjà trempé en bord de route. Mais la chance ne m’a toujours pas abandonné. David et Jenny, un gentil couple d’écossais, ont eu pitié de nous. Ils ont fait demi-tour pour venir nous chercher. Ils vont jusqu’à Puerto Montt, c’est parfait. En fait Jenny n’est pas écossaise, elle est de Liverpool. Ce sera donc Beatles all the way, et je vais garder Yellow submarine en tête pendant trois jours… On reprend le ferry dans l’autre sens, pour quitter Chiloe. Plus de ciel bleu, mais toujours quelques phoques dans les vagues. Et retour à Puerto Montt, où on va passer l’après-midi à courir les magasins. Abbey cherche un réchaud à gaz. On va faire toutes les ferreterias et supermarchés de la ville pour en trouver un. J’en profite pour m’acheter un deuxième sac de couchage, pas du luxe. Je suis paré pour le sud. On passe le temps dans un pub avant de marcher jusqu’à l’embarcadère. Une salle d’attente en fait. L’embarcadère, le vrai, se trouve à des kilomètres plus à l’ouest. C’est un bus qui nous emmène jusqu’au bateau. Assez bordélique l’organisation, pour une fois. Un premier bus se remplit, on ne sait pas trop où il va. Puis finalement on nous dit de revenir à 23h. Pour la première fois je vois les chiliens s’énerver un peu. « Que mala organizacion… No me lo dijo nada...» On prend finalement le bus suivant, je ne sais même pas si c’est le bon. On verra bien sur le bateau. On embarque sur le Don Baldo, c’est bien le bateau pour Chaiten. Suivant les conseils d’Alexis on a réservé deux fauteuils non contigus d’une rangée libre. Comme prévu personne n’a réservé les autres fauteuils, on a la rangée pour nous. On va pouvoir dormir couchés sur les fauteuils. En fait je vais dormir sur les fauteuils, Je m’apercevrai au milieu de la nuit en manquant de lui marcher dessus qu’Abbey a préféré dormir par terre. On arrive à Chaiten le matin. Paysage irréel. L’entrée dans le fjord sur une mer plate, un phoque perce la surface montre son museau et replonge. La brume découvre petit à petit les montagnes et au loin on voir les lumières de Chaiten. On avance lentement, le village se rapproche, et entre deux montagnes on aperçoit le volcan de Chaiten, fumant. La plage n’est qu’un champ de cendres, on distingue déjà quelques maisons ravagées. La dernière éruption du volcan de Chaiten a coupé la ville en deux.
Attente sous la pluie. Le volcan on ne le voit plus, il est dans la brume. On attend toute la matinée qu’une voiture passe et nous emmène quelques kilomètres plus loin à El Amarillo. Une vieille dame vient nous faire la causette, surprise de voir du monde descendre au sud par ce froid. « Qué valiente ! ». Elle nous propose de venir prendre le café un peu plus bas sur la route si aucune voiture ne passe. Je nous vois déjà camper dans son jardin. Mais une voiture passe. C’est Nicolas, il nous avait déjà accueilli à la sortie du ferry, il tient une petite agence de voyage, la seule de Chaiten. Il emmène un couple de suisses aux thermes d’El Amarillo, il propose de nous poser au village. Mais puisqu’on est là, on va nous aussi aller jusqu’aux Termas. Une piscine brûlante au milieu des montagnes et… sous la pluie. Je me laisse cuire, je ne sens plus mes doigts de pieds. Un peu après notre arrivée la piscine se remplit, c’est la sortie du dimanche pour la gens du coin. On finit par sortir de l’eau, cuits et recuits. Et on profite de l’affluence pour se faire déposer à l’entrée du Parc de Pumalin. On doit pouvoir y camper. On marche un ou deux kilomètres. Il y a bien des emplacements pour camper, mais le Parc est vide. On décide de laisser les tentes au sec et de dormir sous un abri pas trop loin de la rivière. L’occasion de tester mon nouveau sac de couchage. C’est parfait, je suis bien au chaud. Je m’endors par terre. Quelques minutes plus tard je sens quelque chose me passer dessus. Une petite souris ou un énorme cafard, je ne sais pas. Plus probablement une souris, dans le quart d’heure qui suit je suis réveillé par Abbey qui semble se battre avec son sac à dos. « Fucking chipmonks ! » Les souris ont attaqué la réserve de gâteaux… On se réveille le lendemain, sans trop de fatigue. Assez tard, avec le soleil, qui tarde à se montrer. La pluie ne s’est pas arrêtée. Bord de route, à nouveau. On attend une matinée. Puis après le repas un gars nous embarque dans son 4x4 sous une pluie battante. Il ne va que jusqu’à Villa Santa Lucia. Il pleut des cordes. Ce n’est que le milieu d’après-midi, mais on décide d’en rester là. On cherche un endroit où camper. Pas de camping, tout est détrempé. On nous dit d’aller quand même demander aux propriétaires de cabañas. Une dame nous ouvre. Non, il n’y a pas d’emplacement où camper, avec la pluie la rivière déborde, tout est inondé. Mais elle nous propose de dormir dans l’abri de jardin. Ça fera l’affaire. On y passe la fin d’après-midi à écouter la pluie, j’en profite pour réparer mes chaussures. Il fait froid, on se couche tôt. Le lendemain la pluie a cessé. Bord de route, comme d’habitude. Un autre habitant attend comme nous, alors que les camions remplis de terre défilent. Cette portion de la Carretera est en cours d’aménagement. Rapidement un pick-up s’arrête, il va jusqu’à Coyhaique, on va pouvoir aller directement à Puyuhuapi. Je crois reconnaître le conducteur. Et... lui aussi m’a reconnu. « Setanta y uno ! No te recuerdas ?!». Soixante et onze, le numéro de mon siège dans le ferry pour Chaiten. Je reconnais son visage et son manteau. Celui que j’ai dû dégager de mon fauteuil pour pouvoir m’asseoir. Il me fait encore la gueule, je crois. Mais on finit quand même par en plaisanter quand je lui fais remarquer qu’il s’est bien foutu de ma gueule en essayant de me faire croire que mon siège était le 24 et non le 71. 24:00, l’heure de départ du bateau. Il nous pose à Puyuhuapi, on a toute la journée devant nous. Cette fois on trouve un vrai camping, avec une cuisine, un poêle à bois, et une gentille vieille dame qui vient nous apporter du bois et nous demander si on a froid toutes les demi-heures. Ce n’est pas encore le grand beau temps annoncé, mais la pluie s’est calmée. On se balade sur les bords du fjord. Brume, bateaux couchés sur la rive, et la route, la carretera qui serpente en bord de mer. On repart dès le lendemain. Pas loin, à une vingtaine de kilomètres se trouve le Parque Nacional de Queulat, c’est là qu’on a prévu de passer la nuit. On bat notre record d’auto-stop, j’ai posé mon sac depuis deux minutes, une voiture sort de la maison d’en face. On lui fait signe, il nous embarque. Come together … Encore les Beatles. Comme tous les locaux il conduit son 4x4 comme une brute, on bondit de nos sièges au passages des ponts. Il nous pose un peu plus loin, on pensait marcher jusqu’au Parc, mais cinq minutes plus tard un camion passe et nous pose jusqu’à l’entrée. Une fois de plus le Parc est désert, personne au poste de garde, personne sur les chemins. On s’installe. La pluie est de retour. On part quand même sur les sentiers jusqu’au mirador du glacier du Ventisquero. Ça valait bien quelques kilomètres de plus dans la boue. A la fin du chemin, sur la colline, on a la chance de découvrir le glacier libéré de son manteau de brume. Sous la pluie, comme un bruit de tonnerre permanent, le glacier qui fond et qui s’écoule en cascades jusque dans la vallée. De retour au camp on découvre que les toilettes fonctionnent et… qu’il y a encore du gaz ! Douche chaude, brûlante même.
Le lendemain je laisse Abbey en bord de route. C’est de son côté que passe le premier véhicule qui s’arrête, le même camion qu’à l’aller. Elle repart au nord, je continue au sud. Je vais attendre toute la matinée sous une fine pluie. Puis après le déjeuner un couple d’argentins m’amènent jusqu’à l’intersection pour Puerto Cisnes, et cinq minutes après un pick-up m’amène au bout de la route. Il pleut toujours, en chemin des cascades tous les vingt mètres, la montagne déborde. Pas de camping ou d’endroit où planter la tente à Puerto Cisnes, c’est ce que me dit la bibliothécaire qui fait aussi office du tourisme. Je vais aller me trouver une chambre, après quatre jours dehors je l’ai bien méritée. Étrangement les quelques hospedaje du village sont presque toutes pleines ou fermées. Je n’ai pourtant croisé aucun voyageur depuis Puerto Montt. On me propose un lit dans une cabaña, inoccupée. C’est finalement un appartement pour moi seul que je vais avoir. Je pensais ne rester qu’une nuit, mais le lendemain, le soleil est de retour. J’en profite pour découvrir un peu le village et la baie, que je n’avais vus que dans le brouillard la veille. Sur le retour on me prend en stop sans que j’aie à lever le pouce. Puis je pars pour Coyhaique, la "grande ville". Je me lève tôt, dans le froid. Le soleil tarde à apparaître, il y a du vent, je suis transi de froid. Finalement un pick-up s’arrête et propose de me poser à la prochaine intersection, là où les deux routes sortant de la baie se croise. Je pousse la tronçonneuse pour me faire une place sur la banquette, et quelques kilomètres plus loin j’attends de nouveau, au soleil cette fois. Les camions du chantier de la route défilent. J’ai finalement de la chance. Une voiture s’arrête, à l’intérieur sur le siège passager le même vieux bonhomme qui faisait du stop avec moi le matin et avait finalement décidé d’aller attendre ailleurs. On traverse les montagnes. Le paysage a changé. Moins vert, plus sec, les arbres ont pris leurs couleurs d’automne, rouge, jaune. Magnifique. La bande son a également changé. Plus de Beatles ou Supertramp. Des valses de Strauss.
Coyhaique est bien la ville de la région, la seule. Pas bien grand, mais des commerces. On est samedi, tout le monde afflue des villages alentours pour faire des courses. Je trouve un camping à l’entrée de la ville. Personne. J’attends quand même un peu, j’en profite pour manger un bout. Puis une voiture arrive. La propriétaire et ses deux filles, surprise de trouver quelqu’un en cette saison. Je peux camper, mais il n’y a plus de gaz en bas au bord de la rivière pour cuisiner ou se doucher. Elle va m’ouvrir l’eau et me propose de venir me doucher dans leur maison. Il y a quand même de quoi allumer un feu. Pas un luxe compte tenu du froid. Polaire. Quand je rejoins ma tente le soir, elle a déjà givré. Le matin sera glacial. Du givre de partout sur la pelouse. Sur et à l’intérieur de ma tente. Je plie tout ça comme je peux et je remonte à la maison. Je réveille plus ou moins le mari. On discute un peu. Je lui tends les 3000 pour la nuit, il m’en rend 2000. « Que te vaya bien !». Je traverse Coyhaique jusqu’au sud. Quand j’arrive près de la sortie de la ville, je commence à me dire qu’il va être temps de me poser en bord de route. Je marche encore quand j’entends une voiture qui arrive dans mon dos. Machinalement, sans me retourner, je tends le pouce. La voiture s’arrête devant moi. Juan le conducteur me demande où je vais. « Villa Cerro Castillo y tu ? » Lui va à Cochrane, tout au sud. Il va me faire faire tout le trajet d’une traite. Qué suerte… On repart dans les montagnes. Toujours ces couleurs d’automne à travers le pare-brise fêlé, à la radio des balades mexicaines. On passe un col et je découvre le Cerro Castillo, enneigé. Juan me dépose dans la vallée. Un camping, comme d’habitude je suis seul. J’ai le terrain et le comedor pour moi seul. Un bon feu dans la cheminée, je cuisine sur le poêle. L’occasion de me rendre compte que j’ai malgré moi trouvé un moyen sûr de transporter mon huile d’olive sans risque d’en mettre plein le sac : elle a gelé la nuit dernière et n’a toujours pas dégelé… La prochaine fois pour cuisiner j'achète de l’huile de moteur pour camions transsibériens. Je me réveille le matin, dans le froid comme toujours. L’herbe, ma tente, du givre partout. Un beau rayon de soleil qui illumine la campagne. J’ai trente-deux ans. Seul au milieu des montagnes, encore un anniversaire dont je me souviendrai longtemps. Je repars pour Rio Tranquillo, dans un camion sur une Carretera Austral de nouveau faite de pierres et de terre. On descend les montagnes jusqu’à une intersection au milieu de nulle part, mais avec comme souvent au Chili un arrêt de bus, incongru. Je repars en pick-up. Comme dans le camion on me parle des élections de la veille. Et je découvre finalement le Lago General Carrera en début d’après-midi. Un bleu incroyable, au milieu de ces montagnes vertes, oranges, jaunes. Rio Tranquillo, c’était la destination du jour. Pas vraiment un coup de cœur. Il y a des grottes à visiter dans le coin, des formations rocheuses sur le lac. Et pour la première fois depuis que je suis cette route, bien qu'étant seul sur la route je sens qu’on me traite en touriste. Il n’y a plus la chaleur, la solidarité, cette volonté d’aider l’étranger qui descend au sud que j’ai pu ressentir les jours précédents. Ça ne me gâchera pas mon plaisir, je vais même le prolonger et m’arrêter dans tous les villages qui suivent jusqu’à Chile Chico. Puerto Guadal, que j’atteins difficilement après avoir beaucoup marché et attendu. Difficilement, mais quel plaisir. Marcher seul sur la route. Attendre au soleil, seul au monde, entre lac et montagnes. Puis ce sera Mallin Grande, qui n’a de Grande que le nom, où je campe dans un jardin public, entre un toboggan et deux balançoires. Et enfin Chile Chico, le bout de la route, une "presque ville". De l’autre côté, 10 km plus à l’est, l’Argentine, Los Antiguos.
J’en ai terminé de ma descente de la Carretera Austral. Deux semaines pour descendre en stop ces quelques 800 kilomètres de route et de piste. Deux semaines que je ne suis pas près d’oublier. Il est des noms, des lieux aux consonances magiques. On en prononce les quelques syllabes et dans la seconde les images défilent. Des rêves d’enfant, l’aventures, les paysages. Bien souvent la réalité vient abimer, si ce n’est briser le rêve. Pas ici. Pas en cette saison. Seul dans la campagne, seul dans les montagnes, seul face au Lago, seul assis en bord de route. Sur la Carretera, j’ai vécu mon rêve de Patagonie. Inoubliable.

La Carretera près de Mallin Grande

samedi 14 avril 2012

De Bariloche à Chiloe

Afficher De San Martin de Los Andes à Puerto Montt
Réussir à rallier San Martin en une après-midi c’est bien, mais encore me faut-il retrouver Lili. Pas le temps, ni l’envie, d’entreprendre quoi que ce soit le soir même. Je monte la tente dans la pénombre, me prépare à manger, et je m’endors dans le froid. Ce n’est que le matin que je réalise qu’il y a du wifi dans ma tente. Lili m’a laissé plusieurs mails dans la journée d’hier. Je me dirige vers son auberge où on me dit qu’elle est partie le matin même. Ça ne m’étonne pas, elle ne tient pas en place. Je passe à la station de bus. Il y a deux bus pour Villa la Angostura dans la journée. Un le matin à 10h30, probablement celui que Lili a pris, et un autre le soir. Je ne vais pas attendre toute la journée. Je me dirige vers la sortie de la ville, sur la route qui surplombe le lac. Je vais tenter de faire la route en stop. C’est long. Les argentins dans leurs gros 4x4 ne s’arrêtent pas pour moi. Seuls les habitants du coin me proposent de faire un bout de chemin avec eux. Tout en buvant leur maté ils me posent un peu plus loin sur la route, une fois arrivés à leur village. Entre temps je marche des kilomètres mon sac sur le dos. La route des sept lacs est superbe, mais quand le soleil commence à baisser je n’ai pas beaucoup avancé, une trentaine de kilomètres tout au plus. Je m’arrête près d’un lac, je commence à regarder les berges un peu plus bas, je vais sûrement camper là. L’idée me plaît bien. Finalement une voiture s’arrête. A l’intérieur un égyptien et trois israéliens, ils ont loué une voiture pour faire la route dans la journée, ils rentrent à Bariloche. Très sympas, ils me déposent au dernier croisement avant Villa la Angostura. Deux françaises attendent déjà en bord de route. Deux jeunes filles qui tendent le pouce, c’est de suite plus simple. On attend une petite demi-heure en discutant. Je me baisse prendre quelque chose dans mon sac. Coïncidence sans doute… une voiture s’arrête juste à ce moment-là. Une nouvelle fois j’arrive dans la nuit et le froid. Et ce n’est que le lendemain que je comprends que j’ai en fait doublé Lili dans la journée d'hier, elle m’attendait à San Martin, elle a pris le bus du soir. On se retrouve dans l’après-midi et le lendemain on part se promener sur la péninsule. Les lagunes turquoise du lac Nahuel Huapi au milieu des montagnes. Comme dirait un(e) québécois(e) « Hostie qu’c’est beau ! » Le soir même on part pour Bariloche. J’ai converti Lili à l’auto-stop. Les sacs dans la benne du camion et une heure plus tard on y est. Lili devait y retrouver Phil, un français installé en Argentine depuis sept ans. Il a une place pour moi et mon tapis de sol dans le salon. Le temps de poser les sacs et on sort en ville. Avant la fin de la soirée Phil a invité Léa et Sylvain, un autre couple de français à la recherche d’un coin où dormir, à passer la nuit chez lui. Le soir on est six à camper dans l’appartement. Et le lendemain Phil part pour une dizaine de jours à Mendoza en nous laissant les clés… Idéal pour profiter de la région, et du beau temps. Une première randonnée de deux jours jusqu’à la Laguna negra. Une nuit sur place sous ma tente, et on redescend par le Cerro Lopez. Une difficile ascension dans la pierraille et au pied du Lopez on domine le Nahuel Huapi. Le lendemain ceux qui ne tiennent pas en place repartent en vadrouille. Journée de repos à ne surtout rien faire en ce qui me concerne. Puis avec Lili on repart pour deux jours dans les montagnes. Ascension du Freire jusqu’au Cerro Catedral. On était partis pour passer la nuit au refuge du Frey. Mais on a fait l’ascension en trois heures, déjeuner compris. On décide de continuer en direction du Lago Jakob. Peu de chance qu’on l’atteigne avant la nuit, mais on doit pouvoir camper en route. Pas besoin de tente, c’est ce que nous ont dit les argentins, il ne fait pas froid. Hum… Heureusement que je l’avais la tente. La vallée est magnifique, mais il fait un froid polaire. On campe dans la forêt, près d’un ruisseau. Je n’ai pas pris la gamelle, mais on fait quand même un feu pour se réchauffer. Le matin au réveil le sol est gelé. On atteint le lac pour le déjeuner avant de redescendre tranquillement jusqu’à la route où on fait du stop pour rentrer à Bariloche. Une semaine en Argentine qui s’achève. Lili repart au nord, vers Cordoba, moi je retourne au Chili. Pas vraiment stressé, comme d’habitude, je me mets en route lentement, sans trop savoir jusqu’où je vais arriver ce soir. Je trouve assez facilement une voiture pour Villa, ou plutôt pour « Vicha la Angostura » comme disent les "che". Puis une très gentille argentine parlant un peu de français me dépose à la dernière intersection avant le Chili. Là il va falloir attendre. Peu ou pas de trafic. Fin d’après-midi froide et brumeuse sur les bords d’une route encore couverte des cendres de la dernière éruption du Puyehue. Puis un camion s’arrête. C’est Vicente. Il est sur la route depuis trois jours, quinze heures par jour, il rentre de Punta Arenas. Première fois qu’il va au sud et en Argentine. « Nunca mas !» Il n’est pas près d’y retourner. Tout heureux de revenir à la maison et de passer la frontière, il plaisante avec les douaniers et les chargés du contrôle de l’entrée de matières agricoles qui fouillent pourtant chaque recoin du camion. Ça prend du temps, on reprend la route. Il devait aller jusqu’à Osorno, mais son patron lui a demandé de s’arrêter avant. Une épicerie avec un champ attenant sert de relai. Il y gare le semi. Il fait nuit, je n’ai pas trop envie de continuer à faire du stop, je demande à Vicente où je peux camper dans le coin. On va demander ensemble à l’épicerie si je peux m’installer sur le terrain où il a garé son camion. Je y mettre ma tente, mais il faut que je décampe avant 9h. On se prend un café ensemble, Vicente partage son pain et sa mortadelle, j’ai quelques gâteaux. Je plante ma tente entre le camion et un champ. Des chevaux, des cochons. Moi aussi je suis heureux de rentrer au Chili. Je passe une très bonne nuit au chaud dans la plaine et le lendemain je repars avec mon nouvel ami. On s’arrête sur la Ruta 5. Lui repart au nord jusqu’à Santiago, je continue au sud. On prend le petit déjeuner, on échange nos adresses. Promis, Vicente m’enverra une carte postale. J’aime l’auto-stop.
Encore un bout de route et j’arrive à Puerto Varas. Une étape dispensable, compte tenu du temps qui s’est sérieusement dégradé. Je vais quand même jusqu’au Parc Vicente Perez Rosalez. Pluie et brouillard, je distingue à peine les pentes du volcan Osorno. Deux jours à Puerto Varas c’était au moins un de trop dans ces conditions. J’étais mieux dans mon camion à traverser les Andes. Je reprends la route. Pas bien loin, jusqu’à Puerto Montt, dernière ville avant le grand Sud. Une côté escarpée dans la brume, l’odeur et les bruits de l’océan, la pluie, ça commence à ressembler à la Bretagne… Une petite maison d’hôte où je campe dans le jardin. Un petit salon, de vieux fauteuils au coin du feu, parfaite petite pause avant de prendre le bateau pour Chiloe. Chiloe où je dois retrouver Alexis, le frère d’une collègue de Nancy qui m’avait hébergé à Los Angeles. J’embarque Abbey avec moi, une australienne rencontrée sur place qui ne savait pas trop où aller. Un chauffeur de camion nous fait traverser le bras de mer qui sépare l’ile de Chiloe du continent. Le soleil est de retour, les phoques viennent nager autour du ferry. A Ancud dans le froid face à la baie, on attend Alexis et Alejandra qui passent Pâques en famille. Plus de phoques mais quelques dauphins. Alexis nous rejoins sur la plaza. Il attaque de suite en espagnol… Doucement, doucement, je ne comprends rien. Je lui avais envoyé quelques sms en espagnol, avec même un peu d’argot chilenos. Mais là ça va trop vite. Heureusement, contrairement à ce qu’il disait, il parle très bien anglais. On part pour Achao sur Quinchao, toujours avec Abbey qu’Alexis a proposé d’héberger également. Quinchao, une jolie petite île, paisible, la campagne, les petites maisons chiltoes en bois. Alejandra elle ne parle pas anglais, mais elle fait l’effort de parler lentement. Et je fais l’effort d’essayer de faire des phrases à peu près construites, je progresse un peu. On se débrouille.
Après une journée de balade dans l’île, avec Abbey on se décide à partir trois jours dans le Parc National de Chiloe, profiter du beau temps qui…ne devrait pas durer. Quelques courses à Castro et on arrive à Cucao, au sud du Parc puis on se met en route. On suit la carretera sur quelques kilomètres avant de longer la plage, déserte. Quelques vaches quand même. Puis on continue vers le nord sur le sentier qui longe le Pacifique, de falaise en falaise. Au sommet d’une côte, une pancarte "Mirador de ballenas". Pas de baleines, ce n’est plus vraiment la saison je crois. Mais quelques dauphins dans les vagues. Fin d’après-midi, une dernière falaise nous offre une vue imprenable sur la plage de Cole Cole. C’est là que doit se trouver un refuge, fermé d’après un caballero rencontré en chemin, et un coin où camper. Sur la plage on rejoint un groupe de randonneurs qui semblent chercher la même chose que nous : de l’eau ! Un couple d’américains, Eliott et Michelle, deux chiliennes, Eli et Ita, et un français, Patrice. On fait le tour du refuge. Il y a bien un tuyau d’eau bouché qu’on pourrait rouvrir. Mais il y a aussi une échelle étalée sur le sol et… plus haut la fenêtre des toilettes. Ouverte. Abbey se faufile à l’intérieur et vient nous ouvrir une des fenêtres de la cuisine. On était venu pour l’eau. Mais le refuge est là, ouvert ou presque. Des matelas, quelques chaises. Pourquoi dormir dehors ? J’enfume la maison en allumant un feu dans le poêle. Apparemment l’entretien de la cheminée a été reporté à la saison suivante. On fera le feu et la cuisine dehors. Pâtes, Arros con leche, pop-corn, on mange comme si on venait de marcher quarante kilomètres. Et le lendemain on repart, avec Michelle et Eliott, jusqu’au Rio Anay. Ce qui semblait être une gentille petite balade sur la carte se révèlera être une lente progression dans la forêt, sur un sentier qui n’en est plus un, dans la boue. Plus de deux heures pour rejoindre l’ultime plage du parcours, totalement déserte. Le retour est tout aussi difficile, on cherche le chemin plus d’une fois. Un dernier feu de camp, une bonne nuit, le réveil est plus rude. Comme prévu le beau temps s’en est allé. Il va falloir rentrer sous la pluie. Des kilomètres sur le sable humide, dans le vent, la pluie qui tombe à l’horizontale, puis sur la route. On attrape finalement un bus jusqu’à Castro, puis on rentre chez Alexis, sales et trempés. Une bonne journée de repos, à ne rien faire d’autre qu’aller au village acheter du pain et je suis prêt à repartir. On a raté l’unique ferry hebdomadaire qui quitte Quellon au sud de Chiloe pour Chaiten. Il va falloir revenir à Puerto Montt. C’est de là que je prendrai le bateau, ce soir dans la nuit, pour rejoindre Chaiten et la Carretera Australe. Une longue piste de quelques huit-cents kilomètres m’attend. Un peu d’aventure, toujours plus au sud.

Le Tronador, depuis le Cerro Lopez

dimanche 1 avril 2012

Détour en Argentine

Afficher De Los Angeles à San Martín de los Andes
Je cherchais un endroit calme où faire étape sur ma route vers le sud. Ce sera donc Los Angeles. Ni au sud ni au nord. Ce n’est plus la région des vins, mais pas encore celle des lacs. Nancy y enseigne le français dans un institut technique. En section gastronomie le français est obligatoire. Le vendredi elle m’embarque avec elle pour son cours du matin. Une vingtaine de paires d’yeux rivés sur moi. Ça me manquait presque. Depuis que je suis au Chili, plus personne ne me regarde. Plus d’un an sur la route, en Afrique, en Asie, j’avais fini par m’habituer à être une "rockstar" partout où je passe... C’est vendredi, le weekend arrive. Anita, la chef de Nancy, s’est proposé de me sortir un peu le soir. Elle passe me prendre en début de soirée et on se retrouve chez une de ses amies. Cecilia, Marita, une autre Anita, Angelica, "soirée fille"… Mais ça va, je ne suis pas trop perdu. Anita et Marita parlent anglais. Les autres font l’effort de parler espagnol suffisamment lentement. Je m’aperçois d’ailleurs que plus je tombe les piscolas mieux je parle espagnol ! On traine jusqu’à 2h et on part en ville. Un pub, une piste de danse et… un karaoké. Ça me poursuit, je pensais qu’en quittant l’Asie j’en avais terminé avec ça. On fait la fermeture. S’en suit un samedi paresseux et nuageux. Nancy m’emmène chez ses parents, à la campagne à une vingtaine de kilomètres de la ville. Je reste encore deux jours à Los Angeles, le temps de passer par Ralco, de m’équiper un peu pour les nuits de camping qui m’attendent au sud, et de profiter de la l’ambiance familiale de la maison de Nancy et Gregorio. Puis je pars. Au sud, "al sur" comme c’est écrit sur ma petite pancarte. Gregorio me dépose au bord de la Ruta 5, dans le brouillard. Comme d’habitude je n’attends pas très longtemps. Un camion m’emmène jusqu’à l’intersection avec la route de Villarica et Pucon. Je traverse la route et un quart d’heure plus tard c’est Jaime qui m’embarque dans son pick-up. Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, mais je crois bien qu’en fait il n’allait pas jusqu’à Villarica. Il m’emmène chez lui, me montre son jardin avec vue sur le volcan de Villarica, ses plantations de noisetiers. Puis on reprend la voiture et il m’emmène jusqu’au centre de Villarica. Je ne savais pas trop si j’allais rester ici ou continuer jusqu'à Pucon, mais le beau temps, la vue sur le lac, le volcan… je décide de passer la nuit à Villarica. Je trouve un camping. Un gars accoudé à la balustrade du café me confirme que le camping est ouvert. Pas évident à première vue. Je peux me mettre où je veux, je suis seul. Le lendemain je suis réveillé par le froid. Le temps s’est couvert. Je décide de partir à Pucon. Je plie mes affaires, sac sur le dos je passe à la réception. Personne. Je cherche un peu partout, désert. J’appelle le numéro inscrit sur la porte de la réception. Arturo, le gars de la veille, me dit que je peux laisser l’argent dans une boite à l’entrée. Je cherche, je ne trouve rien. Et après quelques minutes il me dit de laisser tomber « No importa. Buen viaje ! ». Un petit coup de stop et je suis à Pucon. Le temps est toujours couvert, ce n’est qu’en début de soirée que je découvre le volcan qui sort de la brume, dominant la ville et le lac. Un peu de fumée s’échappe du sommet.
Le lendemain je pars explorer les alentours. Je prends un chemin au nord de la plage. Un allemand croisé la veille sur cette même plage m’a dit que je devrais pouvoir rejoindre le Rio Trancura. Je ne sais pas à quel moment je me suis planté, mais bien avant la Trancura il m’a fallu un moment avant de pouvoir traverser une autre petite rivière. Je finis par balancer une planche par-dessus le cours d’eau. Je traverse en me mouillant les pieds. Une fois de l’autre côté j’aperçois une passerelle à 500 mètres en amont. Classique. Je continue mon chemin, qui n’en est plus vraiment un, dans la forêt au milieu des ronces et j’arrive finalement à la Trancura que je longe jusqu’à son embouchure dans le lac. Je prends mon repas face au lac, au milieu des oiseaux, le volcan qui fume derrière moi. Je n’ai croisé personne de la journée, des vaches et des oiseaux.
Avant de partir au sud j’avais essayé de trouver quelqu’un voulant faire la route en stop avec moi. Lili, une québécoise, m’avait contacté et on avait plus ou moins convenu de se retrouver à Pucon ou dans les environs. Elle débarque le lendemain matin à mon camping, sur le VTT qu’elle vient de louer, prête à partir. On n’est pas exactement sur le même rythme. Elle vient de monter au volcan la veille, a son programme de vélo pour la journée et sûrement tout un planning pour les jours à venir. Je suis là, à attendre que mon linge sèche, me demandant si je pars dans l’après-midi ou si j’attends le lendemain. Elle a repéré son parcours, celui de l’épreuve VTT d’un triathlon... Elle me propose de partir avec elle. J’ai un problème, je ne dis jamais non… C’est donc parti pour l’après-midi VTT, dans la campagne, sur les chemins jusqu’au lac de Caburgua en passant par la cascade de Ojos de Caburgua. Puis on grimpe, à la recherche de lagunes dans les montagnes. La pente est raide, très raide. D’abord sur route puis sur des chemins de terre. On finit par trouver une lagune. On traîne un peu. Lili me demande l’heure. Il est 18h. On doit rendre les vélos à 19h. Mais avant ça on doit grimper au sommet de la montagne, trouver l’antenne pour boucler le circuit et refaire les 25 kilomètres de route qui doivent nous ramener à Pucon… On grimpe encore, on porte les vélos quand il faut, on trouve finalement l’antenne et on descend à fond sur les chemins humides. Sur la route, mauvaise surprise, un bon vent de face et rien pour s’abriter. Enfin si, moi je m’abrite derrière Lili… Autant j’ai l’habitude de marcher, des kilomètres tous les jours, parfois avec mes 25 kg sur le dos. Autant le vélo ça fait bien longtemps que je n’en ai pas fait sérieusement. Après l’épreuve du jour je n’ai plus de jambes. Rien. Je laisse Lili prendre tout le vent et me ramener à Pucon.
Lili pensait partir dès le lendemain vers l’Argentine, et moi reprendre la route toujours plus au sud. Mais un groupe d’italiens part pour le Parc National de Huerquehue. Finalement on décide de rester un jour de plus pour se joindre au groupe. Le matin le bus nous pose à l’entrée du Parc. On fait l’ascension dans la brume. On passe un "mirador", puis un deuxième. Rien, du brouillard. C’est à peine si on distingue un bout de forêt. Puis arrivés au sommet, le miracle. Le soleil perce les nuages, nous réchauffe enfin, et illumine la Laguna Verde qu’on découvre au bout du chemin. On voit encore les nappes de brouillard descendre les flancs de montagne et venir s’échouer dans l’eau. Merveilleux. De lagune en lagune, sur les chemins de terre à travers la forêt, entourés de carpinteros qui pilonnent les arbres, on passe une très belle journée. Sur le chemin du retour on laisse Barbara et les autres italiens filer devant, avec Lili on fait un détour par la cascade, puis on se fait le retour en courant. Le soir Barbara s’est mise en tête de préparer des gnocchis pour tout le monde. Pour dix, puis quinze, puis vingt personnes. Toujours plus de monde qui arrive chez Anita, l’amie chilienne de Lili. On prépare les bruschettas, on improvise un pesto à la chilienne. Le repas est prêt vers minuit. Il y a à manger pour quarante… Dans la soirée je me décide à accompagner Lili en Argentine. On m’a beaucoup parlé de Bariloche, je ne suis pas encore pressé par le temps, alors pourquoi pas. Mais j’ai passé la nuit chez Anita. Le lendemain matin quand Lili prend le bus pour San Martin de Los Andes, il me faut encore aller démonter ma tente te plier le campement. J’avoue que je prends mon temps. Je n’arrive sur la bord de route qu’en début d’après-midi. C’est dimanche, ce n’est plus la Ruta 5 mais une route de campagne. Il n'y a pas foule sur la route. J’ai prévenu Lili avant qu’elle ne parte, je ne suis vraiment pas sûr de pouvoir arriver à San Martin en une journée. Un pick-up s’arrête quand même. Sans ouvrir la fenêtre il me fait signe de monter derrière. Ce n’est qu’une fois arrivé chez lui le long de la route qu’il me demande où je vais. « Argentina ! » Il a l’air bien embêté, il était persuadé que j’allais à Caburgua. On a passé l’intersection, une dizaine de kilomètres plus tôt selon lui. Il va me falloir refaire la route dans l’autre sens, ça s’annonce de plus en plus compliqué ce trajet pour San Martin. Il y avait un peu moins de dix kilomètres, je pense. Je les ai faits à pieds, sac sur le dos. Personne ne m’a pris en chemin. Mais une fois sur la bonne route tout va mieux. Deux petites vieilles s’arrêtent presque immédiatement et me dépose une vingtaine de kilomètres plus loin. Puis deux gars dans leur pick-up m’emmène jusqu’à Curarrehue, le dernier village avant la frontière. Ils tombent en panne juste devant le panneau « Bienvenidos a Curarrehue ». Je traverse le village à pied et un jeune couple m’embarque jusqu’au poste frontière. Une belle piste de cailloux qui serpente dans la montagne jusqu’au pied du volcan Lanin. Après un passage éclair par l’immigration chilienne je traverse la frontière à pieds. J’arrive au poste argentin. Les argentins, des italiens qui parlent espagnols à ce qu’on m’a dit. J’arrive au comptoir de douane. Grand sourire, cheveux gominés, le poste crachant un fond de musique latino, un douanier bronzé prend mon passeport en rigolant. Un coup de tampon et un sonore « au revoir ». Italianos que hablan español... Je suis en Argentine ! C’est bien, mais je ne vais pas camper là. Assez facile de trouver une voiture pour me sortir de là. Il y a quand même quelques véhicules qui passent par cette route, et tous doivent s’arrêter au poste. Un couple d’argentins veut bien m’emmener jusqu’à Junin de Los Andes. Le paysage a complètement changé d’un côté à l’autre de la frontière, des vertes montagnes chiliennes on se retrouve dans une pampa argentine, ocre, au soleil couchant. Superbe. A Junin je dois encore traverser la ville. Il ne me reste plus que 40 kilomètres avant San Martin. Je suis près du but. A la sortie de la ville une voiture finit par s’arrêter.

Pause : Chère maman, ne lis pas les lignes qui suivent, je suis en Argentine, tout va bien, le soleil brillent, les lacs sont bleus et les montagnes sont belles.

Une voiture s’arrête donc. A l’intérieur trois gars. Le chauffeur descend m’ouvrir le coffre. Il présente plutôt bien, chemise propre, rasé de près. Je monte à l’arrière, mon voisin de banquette, très sympathique, m’accueille avec un sourire et une grande bouteille de bière à la main. Quieres ? On part. Le conducteur remet la musique, à fond. Sur le siège passager le troisième collègue se retourne, lui aussi veut faire un bout de conversation. Le pauvre, il est complètement défoncé. Déjà que je comprends à peine l’espagnol, mais lui il pourrait me parler jusqu’à demain que ça ne changerait rien. Enfin si, j’ai quand même compris à un moment qu’il me proposait (ou me demandait) de la cocaïne, la blanca… Pendant ce temps mon voisin de gauche continue d’ouvrir les bouteilles de Quilmes. Je ne sais pas trop comment il fait, il n’a pas de décapsuleur et j’ai remarqué qu’il lui manquait un pouce à une main. Ce qui est sûr c’est qu’il les ouvre, et qu’il en met plein la banquette. Le chauffeur refuse toutes les bières qu’il lui tend, c’est plutôt rassurant. Il reste sobre, mais il conduit comme une brute. « No te preoccupes de la velocidad ». Je crois qu'il a remarqué que je regardais fréquemment le compteur. Je regarde l’horloge aussi. C’est long 40 kilomètres.
Ils me déposent finalement à l’entrée de la ville. Après une journée épique j’ai fini par rallier San Martin de Los Andes. Première étape en Argentine, premier zig d’un parcours en zigzag entre Chili et Argentine qui devrait m’emmener jusqu’à Ushuaïa.

Parque Nacional Huerquehue

mardi 20 mars 2012

Me gusta el Chile !


Afficher De Santiago à Los Ángeles
Un passage à Toronto, encore une nuit dans l’avion et j’arrive au Chili. Passage éclair à l’immigration. « Habla espanol ? » Non, pas grave. Un coup de tampon et « Bienvenido a Chile ! » Ça change de l’immigration américaine. A San Francisco, avec mon passeport aux milles tampons j’avais eu droit à un petit traitement personnalisé. Tout le monde tourne à droite après le comptoir, sauf moi. Non, vous c’est à gauche dans la petite salle au bout. Interrogatoire et passage en revue de chaque pays où je suis passé. Heureusement je n’ai quasiment pas mis les pieds au Moyen-Orient... Très polis et plutôt sympas ceci dit les officiers de l’immigration américaine. Au Chili c’est différent, c’est portes ouvertes !
Je prends le bus pour Santiago. J’ai encore une bonne partie de l’après-midi à tuer avant de retrouver Francisco plus tard en début de soirée. Je me pose sur l’avenida O’Higgins, envie de dormir. Je rencontre Denisse et Francisca qui prennent leur pause déjeuner. Elles parlent aussi bien l’anglais que moi l’espagnol, autant dire pas du tout. On se débrouille, toujours à faire des dessins sur mon petit carnet. Je les laisse repartir travailler, et je fais comme les chiliens : je me prends à manger et à boire et je m’étale sur la pelouse. Le lendemain visite de la ville. Une ambiance très européenne. Santiago c'est Madrid, avec des chiliens et la Cordillère derrière la brume. L’heure du déjeuner sur la Plaza de Armas. Qu’est-ce qu’on peut bien manger au Chili ? Déjà la veille en regardant passer la foule dans l’herbe j’avais trouvé les chiliens plutôt "bien portant". Je comprends un peu mieux pourquoi en cherchant à manger dans Santiago. Des fastfoods un peu partout. Je me mets au régime local. C’est peut-être bien en Amérique du Sud que je vais finalement reprendre du poids... « Dos completos y una cerveza ». Le completo c’est un hot-dog avec une sauce de nature indéfinie et… beaucoup de mayonnaise. Pas particulièrement délicieux mais ça cale. Le soir on sort à Bellavista avec Francisco. Un petit bar avec un groupe de musiciens. Ça fait un petit moment que je n’ai pas bu un peu sérieusement. Une bonne soirée, mais les Pisco sour m’ont mis par terre en un rien de temps. Le lendemain après sa journée de travail Francisco voudrait remettre ça. Moi qui n’ai quasiment rien fait de la journée je suis plus fatigué que lui. On part finalement acheter de quoi se faire un barbecue et… du Pisco. Soirée piscolas sur le balcon. A ce rythme la traversée de l’Amérique du Sud va être une succession de cuites… Il va falloir freiner un peu.
Arrive le weekend. Je pensais partir pour Valparaiso. Mais finalement j’ai accepté l’invitation de Pato, dans sa famille à Limache, près de Valparaiso et Viña del Mar. Valparaiso, "Valpo", mignonne petite ville en bord de mer, des collines, des ascenseurs, des petites maisons colorées et des fresques plein les murs. Viña, beaucoup moins de charme, une station balnéaire qui se remplit d’argentins durant l’été. Pato m’emmène au sommet de la Campana, le plus haut sommet de la région. A 1900 mètres on devrait voir la mer et les Andes. Après trois heures d’ascension on voit bien la Cordillère. Mais le temps s’est couvert sur la côte, le Pacifique est dans la brume. Quelques jours dans le coin et je rentre à Santiago, en bus depuis Limache. Rien à voir avec le bus de luxe que j’avais pris à l'aller. Plus rustique, embarquant et déposant les passagers un peu partout, même sur l’autoroute. Passage express à Santiago, une nuit. Et le lendemain je prends la route, la vraie. La Ruta 5 pour le sud. Pas de bus. Il est temps d’aller vérifier si ce qu’on dit du Chili est vrai. L’eldorado de l’autostop, la Mecque des leveurs de pouce… Je me lève tôt. Je prends le métro jusqu’au terminus et je cherche une station Copec avant l’entrée sur l’autoroute. J’attends cinq minutes avec ma pancarte « El Sur » et je monte dans la voiture de Marcelo. Il part à Rancagua avec sa mère, et il parle un peu d’anglais, ça commence en douceur. A Rancagua il me pose en bord de route. Là encore j’attends à peine cinq minutes, et ce n’est même pas moi qui fais signe au conducteur, c’est Julio dans son pick-up qui klaxonne et s’arrête alors qu’il s’engage sur la bretelle derrière moi. Très sympa Julio. Lui ne parle qu’espagnol, mais doucement. Je comprends un peu et avec lui je commence à apprendre. Il passe par la campagne visiter ses ouvriers avant de me conduire jusqu’à Talca, toujours plus au sud où il m’emmène manger à Las viejas cochinas (littéralement "les vieilles sales"), un restaurant populaire de Talca. Puis il me dépose sur la Ruta 5. Là je vais attendre un petit moment, en plein soleil. C’est l’autopista, les voitures et camions vont vite, difficile de s’arrêter. Un pick-up s’arrête, pas pour moi. Mais je leur demande si je peux monter à l’arrière. Pas de problème, je saute dans la remorque. Un saut jusqu’à Maule, où je n’ai pas vu la station Copec un peu plus sur la route. Un paysan dans son champ me fait comprendre qu’il vaudrait mieux que j’aille jusque là-bas. Il a bien raison. Cinq minutes d’attente à la station et j’embarque dans la voiture d’Angel jusqu’à Linares. Comme les autres, Angel me laisse son numéro de téléphone et même de carte d’identité, « si tu as un problème au Chili...». Comme les autres il connait le Chili d’Arica à Punta Arenas... Avec Marcelo puis Alexis je fais encore quelques dizaines de kilomètres et je me fais déposer à un péage. Au milieu de nulle part je dirais, une cinquantaine de kilomètres de Chillian. Bientôt 19h, un soleil rasant, les camions et les voitures se font plus rares. Je ne suis pas inquiet, j’ai la tente dans le sac, je commence à rassembler mes quelques mots d’espagnol pour demander où camper. Je n’ai plus d’eau, ça m’ennuie un peu. Mais finalement un camion passe le péage, un petit signe de tête au conducteur quand je vois qu'il me regarde. Il hoche la tête, allez c’est bon. Il arrête son semi sur la bande d’arrêt d’urgence. C’est Juan, un vieux routier qui parle un espagnol difficilement compréhensible pour moi, mais on se débrouille. Quelques dizaines de kilomètres après la bifurcation pour Conception lui aussi doit quitter la Ruta 5. Je le laisse aller décharger sa cargaison. Et aller aux putes aussi accessoirement, si j’ai bien compris. Même pour quelqu’un ne parlant pas espagnol c’était assez explicite, je pense que j’ai très bien compris. Je me retrouve en bord de route de nuit, à cinquante kilomètres de Los Angeles, la destination que je pensais atteindre en plus d’une journée. Ce serait trop bête de camper là. Je vais prendre un bus. Prendre le bus au Chili c'est d’une simplicité. Il s'en trouve des  centaines qui sillonnent les routes nuits et jours, et il y a des arrêts de bus partout, y compris sur l’autopista. Il me suffit d’attendre un petit quart d’heure et de faire signe au premier que je vois. J’arrive le soir, à l’heure du diner, chez Nancy et Gregorio. Nancy parle parfaitement français. La journée parfaite, du matin au soir. Des rencontres, la Ruta 5 sous le soleil, des chiliens adorables, partout. Me gusta el Chile !

Valparaiso