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mercredi 25 juillet 2012

En route pour l'Altiplano

Afficher De Buenos Aires à Tupiza
A Tucumán, je reste quelques jours avec Daniela et sa famille. Des italiens qui parlent espagnols, les argentins. Les parents de Daniela sont eux des siciliens qui parlent espagnols. Chaleureux et plutôt… démonstratifs. La ville et les proches environs ne me laisseront pas un grand souvenir. Mais à une centaine de kilomètres de Tucumán on rejoint en voiture Tafi del Valle. On traverse la forêt humide dans le brouillard sur une route sinueuse avec de découvrir dans les hauteurs une vallée aride, ocre, magnifique. Au bout de la lagune Tafi. Autrefois un pueblito, aujourd’hui un grand village touristique, retraite de fin de semaines des tucumanos. Daniela n’y était plus venue depuis cinq ans, elle ne reconnait pas grand-chose, des villas se sont construites un peu partout, des cabañas poussent sur le flanc de montagne. Je prends le volant, un petit tour du lago en sirotant un maté, cubanitos trempés dans le dulce de leche. Puis on redescend. Pas de neige, pas de glace, pas de tête à queue.
Au départ de Tucuman je retente l’autostop, une trentaine de kilomètres en une après-midi. Ce sera ma dernière tentative argentine. Trop difficile dans le nord. Je rejoins Salta en bus. Très touristique Salta, c’est peut-être la seconde fois en Argentine qu’on vient me proposer un hostel à la sortie du bus, la dernière fois c’était à El Calafate, tout au sud. Très touristique mais agréable. Une ville de 500000 habitants qui en paraît 100000. Camila, une salteña me guide à travers la ville. Le musée d’archéologie vaut le détour. Pour célébrer les évènements majeurs de la vie de l’empire Inca, des enfants de chaque village important de l’empire étaient amenés à Cuzco pour la cérémonie rituelle de la Capacoha . Avant d’être ramenés chez eux où… ils étaient enterrés vivants dans la montagne. Charmante coutume. Au musée de Salta sont exposées les trois momies retrouvées au sommet du volcan Llullaillaco, à 6700 mètres d’altitude. Congelés pendant des siècles, parfaitement conservés.
Changement de décor, changement d’ambiance, Camila me traîne un soir à la Balcarce. La rue est fermée à la circulation pendant le week-end. Bars, peñas, discothèques sans discontinuer sur cinq cuadras. A 5h quand tous ferment leurs portes, il y a un bon millier de personnes dans la rue. Bien alcoolisés, borachos, des bagarres, et la police qui remontent la rue en rang serré. Un rituel aussi, pas de momies, mais des zombies qui remontent la Balcarce chaque semaine le vendredi et le samedi.
Je traine encore à Salta jusqu’au mardi, le temps de me refaire vacciner contre la fièvre jaune, et je repars plus nord. Je ne m’arrête pas Jujuy. Une pause à Purmamarca, son Cerro de siete colores et ses siete mil boutiques d’artisanat et j’arrive à Humahuaca. Depuis  Tucumán, l’ambiance change graduellement. De moins en moins "argentine", plus indigène. Plus de nourriture dans la rue, les mamitas avec leurs fardeaux colorés, des gares routières plus chaotiques, des bus plus "normaux". Comme un avant-goût de Bolivie. Je grimpe vers l’altiplano. Ceci dit, pas besoin de chercher bien loin si je veux retrouver "d’authentiques argentins". C’est semaine de vacances à Córdoba, la région est pleine de cordobes. Toujours très sympas. Après qu’ils m’aient demandé d’où j’étais, je leur retourne poliment la question. Mais je connais déjà la réponse. L’accent de Córdoba Capiiitaal… Inimitable. A Humahuaca, David me laisse gentiment dormir dans une des pièces de sa maison en construction. Il fait un peu frais le soir, mais il y a un matelas et de l’eau (froide) ça fera bien l’affaire. Un argentin atypique David. Il n’aime pas le football, ne bois pas de maté, pense que les Malouines sont anglaises… Qu’il ne le crie pas trop fort, on va lui retirer son passeport. Mais très sympa, intéressant. Je profite du point de chute qu’il me laisse à Humahuaca pour faire un aller-retour à Iruya. Un petit village dont on m’avait parlé à Salta. 70 kilomètres, trois heures de route… A Humahuaca on est déjà à quelques 3000 mètres d’altitude. Pour arriver à Iruya il faut passer un col à 4000 mètres avant de redescendre, le tout sur une route en terre. Le trajet en lui-même vaut le détour. La descente vers Iruya est extraordinaire, une route en lacets serrés qui descend dans la vallée. Je passe la nuit au village et le lendemain je vais à pieds jusqu’à San Isidro. 200 habitants, un terrain de football. Puis je refais la route dans l’autre sens.
Retour à Humahuaca et le lendemain j’attrape un bus pour la Quiaca, la frontière. Une longue file d’attente au poste argentin. Apparemment ils sont partis faire la sieste. C’est maintenant la pleine saison touristique. Plein de français, qui râlent. Des argentins, qui râlent aussi. On a beaucoup de points communs je crois. Finalement on vient collecter les passeports. Un premier tampon de sortie du territoire sur mon passeport tout neuf, puis un deuxième à l’immigration bolivienne. Ça y est, j’ai quitté l’Argentine ! Occupé à changer de l’argent, trouver un bus pour Tupiza, je n’y pense pas tout de suite. Mais plus tard, sur la route, j’éprouve un peu de nostalgie. J’ai passé deux moins et demi dans ce pays, plus que dans n’importe quel autre depuis que je suis parti. Et je crois que ça va me manquer. Les argentins vont me manquer. Ils parlent, ils parlent beaucoup, ils parlent beaucoup d’eux. Nosotros argentinos… Ils parlent mal, ils jurent à chaque phrase. Parfois arrogants, râleurs, sur le reste continent je crois bien que personne n’aiment les argentins (ça ne vous rappelle rien ?). Mais moi je les aime, ils ont bon cœur. Je les aime et ils vont me manquer.

San Isidro

mercredi 4 juillet 2012

En attendant mon passeport...

Afficher De Buenos Aires à Buenos Aires
Buenos Aires, le choc est un peu rude après deux mois de descente au sud. Métropole gigantesque, des autoroutes qui traversent la ville, banlieues grises, les beaux quartiers du centre. Si Santiago me rappelait Madrid, Buenos Aires c’est plutôt Paris.
Il y a bien le spectacle des porteñas qui sillonnent le microcentro pour me retenir quelques jours. Bottines noires ou beiges, leggings ou jeans moulants, petite veste cintrée, une écharpe pour l’unique touche de couleur, cheveux lisses et éventuellement lunettes de soleil. Facultatif, il ne faut pas cacher le maquillage qu’elles réajustent face aux vitrines tous les quarts d’heure. Un défilé ! Divertissant, mais j’ai besoin de sortir de là. Une fois passé le rendez-vous au consulat, je reprends la route, à l’ouest. Je ne sais pas encore trop jusqu’où je vais aller, je rentrerai quand mon passeport sera prêt. Première étape Rosario. Deuxième ou troisième ville du pays, infiniment plus tranquille que Buenos Aires. C’est paraît-il ici que fut créé le drapeau argentin, ce qui vaut à la ville un monument d’inspiration soviétique face au fleuve Parana. Un bateau, c’est qu’est supposé représenter le monumente a la bandera argentina. C’est ce que m’explique Raquel, pas vraiment convaincue. Comme souvent je reste bien plus longtemps que prévu. Raquel sèche une journée de travail pour m’emmener à Victoria, de l’autre côté du fleuve. Un delta intérieur le Parana, les méandres s’étendent sur des dizaines de kilomètres, et les moustiques pullulent… Je me décide quand même a reprendre la route jusqu’à Córdoba. Je poursuis la tournée des villes et... des accents. D’Ushuaia à Buenos Aires, les argentins aiment se moquer de l’accent cordobes. Mais il me faudra attendre de quitter la ville pour enfin entendre le plus pur accent de Córdoba Capitaaaaal… Chantant, inimitable. Celui d'un des conducteurs qui me prendra en stop plus tard sur la route de La Rioja.
Depuis La Cumbre au nord Córdoba Capital je me suis décidé de reprendre le stop. Mauvaise inspiration, je comprendrai un peu tard en voyant les files d’attentes aux stations-service que ce n’était pas vraiment le moment. Les dépôts sont bloqués, la nafta arrive au compte-goutte dans les villes du nord. Pas de carburant, pas de véhicules sur les routes, et des heures d’attente à la sortie des pueblos. L’occasion de voir qu’ici même la police fait du stop (avec beaucoup plus de succès que moi d’ailleurs). Parti le matin de La Cumbre, j’arrive en fin d’après-midi à Villa de Soto, j’ai fait une petite centaine de kilomètre en une journée et j’ai raté le dernier bus pour la Rioja. A Soto je consulte mes mails au chaud dans la station YPF. Un mail du consulat, mon passeport est arrivé. J’avance comme une tortue dans la direction opposée alors que mon passeport m’attend à Buenos Aires à plus de mille kilomètres plus à l'est. Un jour parfait. J’avoue que j'ai un peu perdu la notion des distances en Argentine, faire cinq-cents kilomètres dans la journée me paraît presque normal. Je suis sur la route, je ne vais certainement pas faire demi-tour maintenant. Un bus doit passer vers 3h du matin. Je m’installe dans la gare routière. Avant de fermer la gare un des employés m’a gentiment tiré un banc dans un coin à l’abri du vent. Je sors mon duvet et je dors quelques heures dehors en attendant le bus. Le matin je suis à la Rioja. La « Chioja » comme le dit Victoria. Je continue ma tournée des villes et... des accents. Finalement une bonne idée que d’avoir poussé le voyage jusque-là. Une jolie petite ville, plus tranquille encore que les précédentes, La Rioja. Les montagnes, les cactus, la nature sont à portée de bus. Je reste quelques jours en compagnie de Victoria et de ses deux enfants. Assez terribles les deux petits monstres. Puis je rebrousse chemin. Je renonce à l’autostop, je sens bien que ça me prendrait une semaine pour rentrer à Buenos Aires. Un bus de nuit et dix-sept heures plus tard je suis de retour dans la Capitale Fédérale.
Retour en enfer, trafic insensé, grèves et manifestations, l’accent porteño ponctué de « ché » et de jurons...
« ¡Ché boludo! ¿Como andas? 
- ¡Muy bien ché! Lindo el dia la puta madre, ¿no? »
Je récupère mon passeport dans la foulée au consulat. Un beau passeport tout neuf, plein de belles pages vides, valable pour une nouvelle décennie si je ne le remplis pas avant terme. Et presque tout seul comme un grand dans l’indéchiffrable réseau de bus de la capitale, je retrouve le chemin d’Avellaneda . C’est là que je retrouve Luisina que j’avais rencontrée lors de mon premier passage. Un personnage de bande-dessinée Lulu ! Petit bout de femme, cheveux bruns, maquillée, tatouée un peu partout, des tenues à mi-chemin entre la pin-up coca-cola années cinquante et du rock métal fin des années quatre-vingts. Infirmière, elle occupe le reste de son temps à jouer de la basse, animer une émission de radio, aller aux entraînement de son équipe de roller derby…
Impossible de s’ennuyer. Mais je suis encore en phase de décompression. Cette vie urbaine, tous ces jours entre Buenos Aires, Rosario, Cordoba, le confort, la vie urbaine… Malgré tous ces gens si gentils, qui s’occupent de moi comme d’un enfant, le sud me manque. Le bord de route, les nuits sous la tente, la solitude et les rencontres improbables, la nature, ces paysages sans fin. Tout ça me manque. Je ne sais pas si je retrouverai ces sensations en chemin. Mais j’ai mon passeport en poche, il est temps de partir ! Je prends un bus pour Tucuman, dix-sept heures de route. Cap au nord. Tucuman, Salta, Jujuy, la Bolivie...

Chilecito, La Rioja

samedi 16 juin 2012

Al fin del Mundo y volver...

Afficher De Puerto Natales à Buenos Aires
Puerto Natales. Après une nuit dans un hostel avec Mira et Andreas, je pars à la recherche de la maison de Gloria et Oscar. C’est Simon, un français, le seul voyageur que j’ai croisé dans ma descente de la Carretera Austral, qui m’avait recommandé l’adresse. Coïncidence, j’y retrouve Maya et Lili, les deux françaises avec qui j’avais fait du stop sur la route de sept lacs, entre San Martin de Los Andes et Villa la Angostura, plus de mille kilomètres plus au nord… Bonne ambiance familiale dans la maison. Je me prends deux jours de repos avant de partir pour Torres Del Paine. Malgré le froid et l’hiver qui arrive, je pars camper quatre jours dans le Parc, une centaine de kilomètres au nord de Puerto Natales. Torres Del Paine, peut-être le parc le plus visité de Patagonie, quasiment désert en cette saison. En quatre jours je vais croiser une dizaine de personnes sur les chemins, pas plus. Tous les refuges et campings sont fermés. Je passerai quand même la deuxième nuit au chaud. Au refuge de Las Cuernos où j’étais venu demander si je pouvais planter ma tente à côté, le gardien très sympa me proposera de dormir à l’intérieur. La dernière nuit au campement Las Torres, elle, sera glaciale. Neige et glace tapisse le sol. Il me faudra faire la dernière ascension jusqu’aux "tours" dans la neige, avec mes vieilles chaussures trouées. Je fais deux fois l’ascension. La deuxième fois sera la bonne, le matin, le brouillard de la veille s’est dissipé, je peux admirer les torres seul face à la lagune.
Retour à Puerto Natales, un peu de repos et je reprends la route pour Punta Arenas. J’attends longtemps sous la pluie, à regarder les chiliens qui partent tous pour la frontière argentine, faire leurs courses à Rio Turbio. Puis une voiture s’arrête finalement. Encore un chilote, je ne comprends rien ou pas grand-chose... Je n’ai même plus besoin de demander, aux premiers mots je sais qu’il est de Chiloée. Ils sont très nombreux les chilotes dans le sud. Il me dépose gentiment à Punta Arenas. Le bout du monde côté chilien c’est ici, et accessoirement la ville la plus au sud du continent. Ushuaia est en Terre de Feu, une île. Géographiquement ce n’est déjà plus vraiment le continent. Une grande ville. Assez surprenant de trouver une si grande ville aussi isolée du reste du pays. Ville étape en ce qui me concerne, je n’ai pas prévu de m’éterniser. Je profite de la zone franche pour me racheter une paire de chaussure et je repars, destination Ushuaia. Compliqué de sortir de là, mais entre un colombiano et les pick-ups des petroleros je finis par traverser le détroit de Magellan et arriver au bout de la route pavée en Terre de Feu, à Cerro Sombrero. Petite ville de petroleros au milieu de nulle part, balayée par les vents. J’attends. Longtemps. Le soleil se couche bien tôt, vers 17h. Je suis à deux doigts de renoncer, d’attraper mon sac pour aller me poser au chaud à l’intérieur de la station un peu plus loin, quand un camion s’arrête enfin. Pas sûr qu’il se soit arrêté pour moi, mais je lui demande quand même. Pas de problème, il va me faire passer la frontière et m’amener à Rio Grande. Très sympa Omar, on traverse la Terre de Feu chilienne, lentement, sur une route dégueulasse, sur des airs de cumbia. Avant qu’il ne m’avoue être inconditionnel de chanson française et n’envoie tout ce qu’il a en stock, d’Edith Piaf à Caroline Loeb… On passe la frontière sans problème, il est tard les douaniers ne font pas de zèle. Omar peut s’arrêter quelques centaine de mettre plus loin pour aller chercher ce qu’il cachait derrière sa cabine. C’est pour ça qu’il s’était arrêté à Sombrero. Pas pour moi, mais pour planquer la viande de choique qu’il avait dans son frigo. On arrive dans la nuit à Rio Grande. Je vais passer dans la nuit dans un relais routier où travaille sa fille avant de reprendre la route le lendemain. On m’emmène à Tolhuin, puis jusqu’à Ushuaia sans trop de problème.
Me voilà au bout du monde, le bout du chemin, celui que je suis depuis deux mois, depuis Santiago, au sud, toujours plus au sud. Bien plus jolie que ce que j’en attendais Ushuaia. Mis à part le casino qui gâche un peu la perspective du front de mer, plein de petites maisons adossées aux montagnes, et par beau temps la vue sur le canal de Beagle est magnifique. C’est une ville. Même sous ces latitudes, une petite ville argentine tout ce qu’il y a de plus normale, avenues, supermarchés, transports publics, habitants qui font leur jogging le matin, en t-shirt pour certains… Une petite ville de province, de l’autre côté des montagnes, au bout du monde. Je vais y rester quelques temps. Cecilia va me faire faire le tour des environs. Muy argentina elle aussi, jurant en buvant son maté. Elle est de Cordoba. La plupart des habitants du coin viennent du nord chercher du travail au sud. Et du travail il y en a. En Terre de Feu il n’y a quasiment pas d’impôts, pas de TVA, de nombreuses entreprises ont installé leur production entre Rio Grande et Ushuaia. Du travail il y en a mais… mais pas cette semaine. Cecilia est au chômage technique. Les dernières mesures protectionnistes de Kirchner restreignent les importations. Assembler des pièces importées les entreprises du coin ne font que ça. En attendant que ne soient délivrées les autorisations d’importation, la production est stoppée ou ralentie. Ce qui laisse du temps à Cecilia pour me balader. Estancia Haberton, Cabo San Pablo, Parque de la Tierra del Fuego, Tolhuin on va aller un peu partout. Elle me laisse même conduire sur les routes gelées de Terres de Feu. Avec les pneus cloutés, ce qui était très amusant sur les routes de terre qui mène au lac Yehuin l'est beaucoup moins dans les montagnes enneigées. Je pars en tête à queue dans le paso Garibaldi… Plus de peur que de mal.
Il est temps de rentrer, temps de quitter le froid, la glace, la neige, de repartir au nord. Et vite, je ne compte pas m’arrêter avant Buenos Aires. Mais avant ça il faut quitter la Terre de Feu. On m’emmène jusqu’à Rio Grande, cette fois j’entre dans la ville pour constater que le seul hostel y est fermé. Je retourne en bord de route, je marche dans la nuit, jusqu’à trouver un endroit où camper. Et le lendemain c’est John, un sud-africain en vacances qui me fait traverser la frontière chilienne et me dépose à l’embranchement de l’autre côté du détroit de Magellan. Là, sous la pluie, un couple d’argentin me prend en pitié me refait passer la frontière jusqu’à Rio Gallegos. Le lendemain j’attends presque une journée entière qu’un camion m’embarque. Sous la neige, de nuit, on arrive tant bien que mal à San Julian. Toujours hors de question de m’arrêter, je passe la nuit dans la station-service en bord de route, dormant quelques heures sur une banquette. Et tôt le matin, le premier chauffeur à qui je demande m’embarque jusqu’à Trelew, 800 kilomètres plus au nord. Après Rio Grande, Rio Gallegos, je découvre en chemin Comodoro Rivadavia, encore une ville industrielle, pétrolière. Affreuse. ¡Qué horrrible, fea! Si vous cherchez un endroit où ne pas passer vos vacances, j’ai plein de bonnes adresses sur la côte atlantique argentine… De Trelew je rejoins l’intersection qui mène à Puerto Madryn. Ultime coup de chance, à la sortie d’une station-service je tombe sur Jorge et son fils Nicola. Ils me demandent où je vais. « Al norte, mas al norte que se puede… » Eux aussi rentrent à Buenos Aires, ils m'embarquent. Dans la soirée on s’arrête à Viedma. Pas pour dormir, non. Pour trouver un bar qui passe le match de Boca… Boca battra Rosario Central aux tirs aux buts. Tout va bien, on peut repartir. Jorge va conduire toute la nuit. On arrive à Buenos Aires en fin de matinée.
Je viens de faire 1400 kilomètre d’une traite. Il m’aura fallu cinq jours pour rallier Buenos Aires depuis Ushuaia, cinq jours pour faire dans l’autre sens le trajet qui m’avait pris deux mois depuis Santiago. Buenos Aires, c’est là que je dois m’occuper de mon passeport. Mes derniers passages de frontières en Terre de Feu ne m’ont laissé qu’une demi-page de libre. Juste ce qu’il faut. A Buenos Aires j’ai passé une semaine à attendre mon rendez-vous au consulat. Et maintenant c'est mon passeport que j’attends. J’en profite pour faire un petit tour dans le nord du pays. Ce matin je suis arrivé à Cordoba.

Cabo San Pablo

vendredi 18 mai 2012

Ruta 40

Afficher De Chile Chico à Puerto Natales
Chile Chico. Plusieurs campings, fermés, comme d'habitude. J’attends des heures devant l’un d’eux que quelqu'un vienne. Les gens du coin m’ont dit que la señora était en ville, qu'elle allait revenir. Je ne vois rien venir, j’ai froid, j’ai faim. Je m’installe. Je découvrirai au petit matin en voyant une voiture partir que la señora était bien rentré dans la nuit. Peu m’importe. Je ne me cache pas plus que je ne me montre, je la laisse partir, je plie la tente et je pars pour Los Antiguos. Deux chiliens très sympas me font passer la frontière. A Los Antiguos je trouve un camping ouvert. Une douche chaude, enfin, et un gardien qui m’amène du bois pour faire du feu. « Va hacer frio esta noche ! »
Le lendemain je me demande un peu comment je vais sortir de là. . J’attends à côté du poste de contrôle de la policia à la sortie de la ville. Pas la grande foule. Une voiture s’arrête quand même :
« A donde vas ?
- Perito Moreno o la Ruta 40...
- La ruta o la ciudad ? A donde ?
- Necesito ir al sur. Pero si no se puede, hasta Perito Moreno. Y tu donde vas?
- Oh no sé. Al sur tambien… »
C’est Marcia. Elle non plus ne sait pas où elle va, mais elle va au sud. Je crois qu’on va bien s’entendre, on a le même programme. Marcia est argentine, muy argentina comme elle le dit elle-même, une porteña qui me balance des "ché" à chaque phrase. On prend la route ensemble. Al sur, par la Ruta 40. On traverse la steppe. Rien de rien. Une ligne droite, quelques vallées, des canyons. Guanacos et choïque. Hermoso... On a déjà bien roulé, sans voir une maison, quand arrive une intersection. Un panneau. A droite à une trentaine de kilomètres, La Cueva de los manos, des peintures rupestres perdues au fond d’un canyon. Marcia me regarde : « Vamos a ver ? » C’est parti, on y va. On quitte la route encore à peu près pavée pour une belle piste en terre qui descend les canyons. Paysage grandiose sous le soleil. On finit par arriver jusqu’à l’entrée de la grotte. Surprenant. Au beau milieu de nulle part, sur les pentes du canyon du Rio Pinturas, une maison récente, en bois verni, à l’intérieur un guichet et des casques de chantiers alignés. On achète nos billets, on enfile un casque et on descend jusqu’à l’entrée de la grotte accompagnés d’un guide. Sur les roches des mains peintes, des scènes de chasses. Les peintures ont 13000 ans pour les plus anciennes. On reprend la route, direction Bajo Caracoles. Un gros point sur la carte Bajo Caracoles. En réalité cinq maisons et une station-service. Marcia en profite pour refaire le plein d’eau chaude pour le maté. Muy argentina... Et on repart à travers la steppe. Elle ne savait pas trop où elle allait Marcia, mais elle avait quand même une idée en tête, visiter le Parque Nacional Perito Moreno. Après un énième tronçon de route en cours de construction on arrive à l’intersection quand la nuit tombe. A l’ouest, le Parque Perito Moreno, encore une centaine de kilomètres de piste et un joli panneau prévenant les automobilistes que de mai à septembre les routes sont impraticables… Nous sommes le 28 avril. Marcia renonce, on reprend la route, on a encore le temps d’arriver à Gobernador Gregores. Cette fois la nuit est tombée, et bien tombée. Noire, pas une maison, pas une lumière. On enchaine les bouts de route pavée, de pierres, et les détours sur routes en terre, les desvios qui font râler Marcia. « Ché un desvio ! Hijo de puta ! » Muy argentina... On arrive finalement à Gregores, la "ville", la seule du coin. Un camping, évidemment fermé. J’ai l’habitude, et apparemment Marcia aussi. On va camper là. Mois sous la tente, elle dans sa voiture.
Le lendemain, Marcia repart vers la côte, et pour moi commence une journée que je ne suis pas près d’oublier. Marcia m’a posé en bord de route, a priori celle qui mène à la Ruta 40. On a suivi les instructions qu’on nous a données à la station-service. Mais dans le coin difficile de savoir. Il y a des bouts de routes en terre qui partent un peu de partout, sans un seul panneau. J’ai quand même de gros doutes. Je vais au sud-ouest et cette route me semble aller au sud-est. Je marche jusqu’à une intersection et je me mets au milieu de la route pour arrêter la première voiture que je vois. Effectivement, ce n’est pas par là. Je refais le chemin dans l’autre sens, mon sac sur le dos, quelques kilomètres de plus. Je vois deux véhicules qui au loin passent l’intersection que je dois prendre, je me dis que ma chance est peut-être passée. Mais non, dans la seconde où j’arrive au croisement un pick-up passe et s’arrête sans que je ne lui fasse signe. Des travailleurs de la Ruta 40 qui partent pêcher au Lago Cardiel. Ils me demandent où je vais, je leur explique que je veux rejoindre la Ruta 40. « Oh… Te gusta la aventura ?! » Ils me laissent cinquante kilomètres plus loin, me redemandent si je suis sûr de moi. Ils m’expliquent que 23 kilomètres plus au sud il y a une estancia, puis ils repartent, me laissent là, au milieu de nulle part. Deux routes en terres qui se croisent, et autour rien. Nada de nada.
Il est midi, 23 kilomètres, même avec mon paquetage sur le dos je peux y être avant la nuit. Pas sûr que je vois un véhicule de la journée, alors je me mets en route. Je marche, je marche à travers la steppe. Des kilomètres et des kilomètres de steppe, sans rien, pas même un guanaco perdu. Des véhicules je vais en voir, presque une dizaine en trois heures, ce qui me semble énorme sur cette route. Mais tous vont au nord. Des petits signes sympas, toujours. Certains s’arrêtent, me demandent ce que je fais là. Au premier j’explique la situation, que je vais au sud, jusqu’à Tres Lagos, mais que comme il n’y a pas de véhicules je marche jusqu’à la prochaine estancia. Il m’écoute sans sourciller, un petit signe de tête, et me répond : « Soy el dueño ». C’est le propriétaire de l’estancia La Siberia. Je peux y aller et dire que je viens de la part de Cristian, on s’occupera de moi. Le pick-up suivant s’arrête aussi. « Necessitas algo ? ». Sympas, ils me tendent une bouteille et repartent. Je continue ma route.
Je ne sais pas trop l'expliquer, mais je me sens bien ici. Perdu au milieu de nulle part, sur cette route sans fin, le vent qui souffle et siffle sur ma capuche. J’arrive en vue du Lago Cardiel, la route descend un peu. De l’eau, je pourrais camper là au besoin. Je fais une pause à un de ces endroits où se croise la route en construction et un desvio. J’hésite, je prends la route ou le détour ? On est dimanche, il n’y a pas de travailleurs sur la route, il est bien probable que les voitures en profitent pour emprunter la route, toujours pas pavée, mais plus directe. C’est assis en bord de route que je vois arriver le premier véhicule descendant au sud. Le pick-up s’arrête. On ne me pose même pas de questions, on m’aide à charger mon sac à l’arrière. Encore des travailleurs de la Ruta 40. Juan-Carlos le patron, Luciano, Nelson et Damian. Eux aussi sont allés pêcher au lac, ils vont à Tres Lagos. La voiture est enfumée, une brique de vino tinto assez infâme circule, ça plaisante, ça parle, ça dit du mal des brésiliens, les "conchas de tu madre" fusent. Des argentins. On s’arrête en cours de route là où ils dorment, des cabanes de chantiers en bord de route, pour prendre le maté. On est encore à une cinquantaine de kilomètres de Tres Lagos. Ils y vont faire quelques courses et terminer la journée par un asado en bord de rivière. On allume un feu pendant que d’autre essayent de pêcher dans la rivière. La nuit tombe, je suis arrivé à destination, asado de mouton à Tres Lagos. Espectacular !
Je me dis que je vais camper là. Mais la soirée n’est pas terminée, ils m’embarquent avec eux. On arrive devant une sorte de bar, le seul de Tres Lagos j’imagine. Un vieux néon qui clignote et Juan-Carlos qui se retourne vers moi : « Ché Francesito ! Como se dice en frances una casa de putas ?! » Il éclate de rire. Moi aussi d’ailleurs. Ils m’emmènent au bar à putes de Tres Lagos. Pas exactement un gogo bar thaïlandais. Un bar miteux, un jukebox, trois pauvres filles qui jouent au billard. Et les travailleurs de la Ruta 40. Damian m’explique qu’au nord, à Missiones leur région d’origine, ils ne payent pas pour les mujeres. Mais ici… des mujeres il n’y en a pas ! Non seulement des jeunes gars comme Damian, Luciano ou Nelson doivent payer, mais avec trois filles pour tous les travailleurs des environs de Tres Lagos, il faut même se battre. D’ailleurs c’est ce qui va finir par arriver. Début de bagarre entre Juan-Carlos et un autre gars. Il est un peu bedonnant Juancho, mais avec les trois autres taillés comme des bûches en garde rapprochée je ne m’amuserais pas à l’embêter trop longtemps. Les esprits tardent un peu à se calmer. Puis vient un mec, jogging, cheveux longs bouclés, il n’a l’air de rien comme ça. Mais avec sa tête d’indio, son regard d’acier et sa boule de coca calée dans la joue gauche, il a quelque chose qui en impose. Il ne dit pas un mot et en quelques minutes sépare tout le monde. C’est lui qui viendra me sauver un peu la mise plus tard dans la soirée. Un type qui me fixait du regard depuis un moment s’était décidé à venir me parler. Enfin essayer, je ne comprends rien et je vois bien que ça commence à l’énerver un peu. L’indio passe par là. Pas un mot, un regard et il l’écarte fermement d’une main. Le message est clair : tu le laisse tranquille.
On se décide quand même à partir. Juan-Carlos dort déjà dans la voiture. Je sors du bar avec Damian, les autres devraient suivre, mais non. Damian retourne les chercher et revient un quart d’heure plus tard : « Una mas ? » Sans moi, je suis cuit, je reste dormir dans la voiture. Bien plus tard, peut-être 4 heures du matin, je me réveille alors que tout le monte remonte dans le pick-up. On démarre, et on s’arrête quelques centaines de mètres plus loin devant… le commissariat. Je ne comprends rien. Qu’est-ce qu’on fait là ? Ça fait des heures qu’on enchaine les pichets de bière, on se prépare à reprendre la route jusqu’aux baraques, des dizaines de kilomètres au nord, et on va dire bonjour à la policia avant de partir ?! L’explication ? On a deux pneus crevés. Le type avec lequel Juan Carlos s’est battu nous a laissé un petit souvenir avant de partir. Les gars ont donc décidé d’aller demander un compresseur au commissariat. Rien de plus normal… Oui, rien de plus normal. Les deux policiers de garde n’ont pas l’air étonnés, ils ramènent la voiture près du pick-up et sortent le compresseur. Pendant ce temps Nelson ne se démonte pas et discute avec eux, se plaint que la soirée se termine comme ça alors qu’ils sont juste « allé boire quelques bières avec les collègues ». Évidemment le compresseur ne sert à rien. Les pneus sont lacérés au couteau. Pas de problème, les gars partent à pieds et reviennent avec deux roues sorties de nulle part. Le crick fonctionne mal. Là encore pas de problème, ils sortent un barre à mine du pick-up, font levier avec une des roues posée au sol et soulèvent la voiture pour changer la roue. On peut repartir. On reprend la route jusqu’aux baraques de chantier. Juan-Carlos me montre un lit où je peux dormir. La fin d'une mémorable journée sur la Ruta 40.
Le lendemain je ne suis pas bien frais. Les autres non plus d’ailleurs. Mais Juan-Carlos tient la promesse qu’il m’avait faite la veille. Il doit partir pour El Calafate, il va faire un détour de 200 kilomètres pour me poser à El Chalten. On va encore crever en route, cette fois pas de roue de secours qui traîne. Après avoir regonflé le pneu à la centrale électrique de Tres Lagos, on arrive de nuit, pneu presque à plat, à El Chalten. Ils trouvent une chambre à air sur place, démontent puis remontent la roue et repartent. Adios amigos !
El Chalten, maudit El Chalten. Dès l’arrivée dans le froid et la pluie j’ai compris que j’avais laissé passer ma chance, j’aurais dû saisir l’opportunité et aller directement à El Calafate avec Juan-Carlos. El Chalten n’est qu’un petit village, dédié au tourisme, aux randonneurs qui viennent explorer le Parque Nacional de los glaciares. Pluie, brouillard, fin de saison, le village se vide. L’hostel où je passe une première nuit ferme pour la saison le lendemain. Pas grand-chose à faire dans le coin par ce temps. Je décide quand même de rester une journée de plus, de voir si le temps s’arrange. Je campe devant l’office des guardaparque, et… je me réveille sous la neige. Cette fois c’est décidé, je me barre de là. Je vais attendre toute la journée en bord de route, en vain, avant de prendre le bus du soir. Une première depuis plus d'un mois je pense. Direction El Calafate.
Presque une ville El Calafate, très touristique, son casino, ses magasins de sports, souvenirs, chocolats… Étrange de se retrouver là après des semaines sur la Carretera Austral, la Ruta 40... La chance est revenue. Pour aller au glacier Perito Moreno j’attends un petit moment en bord de route avant que le propriétaire d’une estancia ne me pose à quelques kilomètres de l’entrée du Parc. De l’entrée au glacier il y a encore une trentaine de kilomètres. Mais à la minute où j’arrive à l’entrée une voiture passe, s’arrête prendre les billets, et j’entends le conducteur demander s’il y a un dépliant en français. J'en profite pour demander s'il n’y a pas une petite place pour moi à l’arrière avec les enfants ? Pas de problème. J’embarque avec Jérôme, Jannick, Leïla et Valentin une famille de suisses en voyage autour du monde. Très sympas, on va passer la journée ensemble autour du glacier. C’est la principale attraction de la région le glacier Perito Moreno. Très visité, très encadré, mais spectaculaire ce glacier posé sur l’eau. En fin d’après-midi, on a la chance de voir d’énormes blocs de glaces de dizaines de mètres de haut se fracturer, tomber et se fracasser dans la lagune.
Le temps passe, l’hiver avance, il me faut continuer ma route vers le sud, retourner au Chili, à Puerto Natales. A la sortie d’El Calafate, j’attends devant le poste de contrôle de police. Un vieux combi Volkswagen s’arrête, c’est Mira, une allemande qui parle espagnol avec un accent porteño. Elle va chercher son copain Andreas à l’aéroport. Ils doivent ensuite revenir faire réparer le combi mais après ils partent pour Puerto Natales. Coup de chance, j’embarque. La réparation sera plus longue que prévu, mais on finit par partir. On retrouve la Ruta 40, toujours elle. Le combi se traîne péniblement sur les côtes, face au vent. Pas de chauffage, j’ai sorti mon duvet, calé entre la porte arrière et les provisions de Mira et Andreas. A priori un souci toutes ces provisions. Au Chili on ne plaisante pas trop avec ça, ils fouillent les véhicules et balancent systématiquement, fruits, légumes, laitages, tout ce qui peut contaminer l’agriculture locale. Mais le passage de Rio Turbio est en fait une vraie passoire. Je le verrai plus tard, les chiliens de Natalaes font l’aller-retour en Argentine tous les week-ends et reviennent le coffre plein. Alors à 10 heures, le soir, l’officier ne fait pas de zèle. Andreas déclare seulement l’herbe à maté, le douanier jette un coup d’œil dans le combi plein à craquer et ça ira bien. On passe la frontière. Un dernier col enneigé et me voilà de retour au Chili. Puerto Natales.

Ruta 40

samedi 14 avril 2012

De Bariloche à Chiloe

Afficher De San Martin de Los Andes à Puerto Montt
Réussir à rallier San Martin en une après-midi c’est bien, mais encore me faut-il retrouver Lili. Pas le temps, ni l’envie, d’entreprendre quoi que ce soit le soir même. Je monte la tente dans la pénombre, me prépare à manger, et je m’endors dans le froid. Ce n’est que le matin que je réalise qu’il y a du wifi dans ma tente. Lili m’a laissé plusieurs mails dans la journée d’hier. Je me dirige vers son auberge où on me dit qu’elle est partie le matin même. Ça ne m’étonne pas, elle ne tient pas en place. Je passe à la station de bus. Il y a deux bus pour Villa la Angostura dans la journée. Un le matin à 10h30, probablement celui que Lili a pris, et un autre le soir. Je ne vais pas attendre toute la journée. Je me dirige vers la sortie de la ville, sur la route qui surplombe le lac. Je vais tenter de faire la route en stop. C’est long. Les argentins dans leurs gros 4x4 ne s’arrêtent pas pour moi. Seuls les habitants du coin me proposent de faire un bout de chemin avec eux. Tout en buvant leur maté ils me posent un peu plus loin sur la route, une fois arrivés à leur village. Entre temps je marche des kilomètres mon sac sur le dos. La route des sept lacs est superbe, mais quand le soleil commence à baisser je n’ai pas beaucoup avancé, une trentaine de kilomètres tout au plus. Je m’arrête près d’un lac, je commence à regarder les berges un peu plus bas, je vais sûrement camper là. L’idée me plaît bien. Finalement une voiture s’arrête. A l’intérieur un égyptien et trois israéliens, ils ont loué une voiture pour faire la route dans la journée, ils rentrent à Bariloche. Très sympas, ils me déposent au dernier croisement avant Villa la Angostura. Deux françaises attendent déjà en bord de route. Deux jeunes filles qui tendent le pouce, c’est de suite plus simple. On attend une petite demi-heure en discutant. Je me baisse prendre quelque chose dans mon sac. Coïncidence sans doute… une voiture s’arrête juste à ce moment-là. Une nouvelle fois j’arrive dans la nuit et le froid. Et ce n’est que le lendemain que je comprends que j’ai en fait doublé Lili dans la journée d'hier, elle m’attendait à San Martin, elle a pris le bus du soir. On se retrouve dans l’après-midi et le lendemain on part se promener sur la péninsule. Les lagunes turquoise du lac Nahuel Huapi au milieu des montagnes. Comme dirait un(e) québécois(e) « Hostie qu’c’est beau ! » Le soir même on part pour Bariloche. J’ai converti Lili à l’auto-stop. Les sacs dans la benne du camion et une heure plus tard on y est. Lili devait y retrouver Phil, un français installé en Argentine depuis sept ans. Il a une place pour moi et mon tapis de sol dans le salon. Le temps de poser les sacs et on sort en ville. Avant la fin de la soirée Phil a invité Léa et Sylvain, un autre couple de français à la recherche d’un coin où dormir, à passer la nuit chez lui. Le soir on est six à camper dans l’appartement. Et le lendemain Phil part pour une dizaine de jours à Mendoza en nous laissant les clés… Idéal pour profiter de la région, et du beau temps. Une première randonnée de deux jours jusqu’à la Laguna negra. Une nuit sur place sous ma tente, et on redescend par le Cerro Lopez. Une difficile ascension dans la pierraille et au pied du Lopez on domine le Nahuel Huapi. Le lendemain ceux qui ne tiennent pas en place repartent en vadrouille. Journée de repos à ne surtout rien faire en ce qui me concerne. Puis avec Lili on repart pour deux jours dans les montagnes. Ascension du Freire jusqu’au Cerro Catedral. On était partis pour passer la nuit au refuge du Frey. Mais on a fait l’ascension en trois heures, déjeuner compris. On décide de continuer en direction du Lago Jakob. Peu de chance qu’on l’atteigne avant la nuit, mais on doit pouvoir camper en route. Pas besoin de tente, c’est ce que nous ont dit les argentins, il ne fait pas froid. Hum… Heureusement que je l’avais la tente. La vallée est magnifique, mais il fait un froid polaire. On campe dans la forêt, près d’un ruisseau. Je n’ai pas pris la gamelle, mais on fait quand même un feu pour se réchauffer. Le matin au réveil le sol est gelé. On atteint le lac pour le déjeuner avant de redescendre tranquillement jusqu’à la route où on fait du stop pour rentrer à Bariloche. Une semaine en Argentine qui s’achève. Lili repart au nord, vers Cordoba, moi je retourne au Chili. Pas vraiment stressé, comme d’habitude, je me mets en route lentement, sans trop savoir jusqu’où je vais arriver ce soir. Je trouve assez facilement une voiture pour Villa, ou plutôt pour « Vicha la Angostura » comme disent les "che". Puis une très gentille argentine parlant un peu de français me dépose à la dernière intersection avant le Chili. Là il va falloir attendre. Peu ou pas de trafic. Fin d’après-midi froide et brumeuse sur les bords d’une route encore couverte des cendres de la dernière éruption du Puyehue. Puis un camion s’arrête. C’est Vicente. Il est sur la route depuis trois jours, quinze heures par jour, il rentre de Punta Arenas. Première fois qu’il va au sud et en Argentine. « Nunca mas !» Il n’est pas près d’y retourner. Tout heureux de revenir à la maison et de passer la frontière, il plaisante avec les douaniers et les chargés du contrôle de l’entrée de matières agricoles qui fouillent pourtant chaque recoin du camion. Ça prend du temps, on reprend la route. Il devait aller jusqu’à Osorno, mais son patron lui a demandé de s’arrêter avant. Une épicerie avec un champ attenant sert de relai. Il y gare le semi. Il fait nuit, je n’ai pas trop envie de continuer à faire du stop, je demande à Vicente où je peux camper dans le coin. On va demander ensemble à l’épicerie si je peux m’installer sur le terrain où il a garé son camion. Je y mettre ma tente, mais il faut que je décampe avant 9h. On se prend un café ensemble, Vicente partage son pain et sa mortadelle, j’ai quelques gâteaux. Je plante ma tente entre le camion et un champ. Des chevaux, des cochons. Moi aussi je suis heureux de rentrer au Chili. Je passe une très bonne nuit au chaud dans la plaine et le lendemain je repars avec mon nouvel ami. On s’arrête sur la Ruta 5. Lui repart au nord jusqu’à Santiago, je continue au sud. On prend le petit déjeuner, on échange nos adresses. Promis, Vicente m’enverra une carte postale. J’aime l’auto-stop.
Encore un bout de route et j’arrive à Puerto Varas. Une étape dispensable, compte tenu du temps qui s’est sérieusement dégradé. Je vais quand même jusqu’au Parc Vicente Perez Rosalez. Pluie et brouillard, je distingue à peine les pentes du volcan Osorno. Deux jours à Puerto Varas c’était au moins un de trop dans ces conditions. J’étais mieux dans mon camion à traverser les Andes. Je reprends la route. Pas bien loin, jusqu’à Puerto Montt, dernière ville avant le grand Sud. Une côté escarpée dans la brume, l’odeur et les bruits de l’océan, la pluie, ça commence à ressembler à la Bretagne… Une petite maison d’hôte où je campe dans le jardin. Un petit salon, de vieux fauteuils au coin du feu, parfaite petite pause avant de prendre le bateau pour Chiloe. Chiloe où je dois retrouver Alexis, le frère d’une collègue de Nancy qui m’avait hébergé à Los Angeles. J’embarque Abbey avec moi, une australienne rencontrée sur place qui ne savait pas trop où aller. Un chauffeur de camion nous fait traverser le bras de mer qui sépare l’ile de Chiloe du continent. Le soleil est de retour, les phoques viennent nager autour du ferry. A Ancud dans le froid face à la baie, on attend Alexis et Alejandra qui passent Pâques en famille. Plus de phoques mais quelques dauphins. Alexis nous rejoins sur la plaza. Il attaque de suite en espagnol… Doucement, doucement, je ne comprends rien. Je lui avais envoyé quelques sms en espagnol, avec même un peu d’argot chilenos. Mais là ça va trop vite. Heureusement, contrairement à ce qu’il disait, il parle très bien anglais. On part pour Achao sur Quinchao, toujours avec Abbey qu’Alexis a proposé d’héberger également. Quinchao, une jolie petite île, paisible, la campagne, les petites maisons chiltoes en bois. Alejandra elle ne parle pas anglais, mais elle fait l’effort de parler lentement. Et je fais l’effort d’essayer de faire des phrases à peu près construites, je progresse un peu. On se débrouille.
Après une journée de balade dans l’île, avec Abbey on se décide à partir trois jours dans le Parc National de Chiloe, profiter du beau temps qui…ne devrait pas durer. Quelques courses à Castro et on arrive à Cucao, au sud du Parc puis on se met en route. On suit la carretera sur quelques kilomètres avant de longer la plage, déserte. Quelques vaches quand même. Puis on continue vers le nord sur le sentier qui longe le Pacifique, de falaise en falaise. Au sommet d’une côte, une pancarte "Mirador de ballenas". Pas de baleines, ce n’est plus vraiment la saison je crois. Mais quelques dauphins dans les vagues. Fin d’après-midi, une dernière falaise nous offre une vue imprenable sur la plage de Cole Cole. C’est là que doit se trouver un refuge, fermé d’après un caballero rencontré en chemin, et un coin où camper. Sur la plage on rejoint un groupe de randonneurs qui semblent chercher la même chose que nous : de l’eau ! Un couple d’américains, Eliott et Michelle, deux chiliennes, Eli et Ita, et un français, Patrice. On fait le tour du refuge. Il y a bien un tuyau d’eau bouché qu’on pourrait rouvrir. Mais il y a aussi une échelle étalée sur le sol et… plus haut la fenêtre des toilettes. Ouverte. Abbey se faufile à l’intérieur et vient nous ouvrir une des fenêtres de la cuisine. On était venu pour l’eau. Mais le refuge est là, ouvert ou presque. Des matelas, quelques chaises. Pourquoi dormir dehors ? J’enfume la maison en allumant un feu dans le poêle. Apparemment l’entretien de la cheminée a été reporté à la saison suivante. On fera le feu et la cuisine dehors. Pâtes, Arros con leche, pop-corn, on mange comme si on venait de marcher quarante kilomètres. Et le lendemain on repart, avec Michelle et Eliott, jusqu’au Rio Anay. Ce qui semblait être une gentille petite balade sur la carte se révèlera être une lente progression dans la forêt, sur un sentier qui n’en est plus un, dans la boue. Plus de deux heures pour rejoindre l’ultime plage du parcours, totalement déserte. Le retour est tout aussi difficile, on cherche le chemin plus d’une fois. Un dernier feu de camp, une bonne nuit, le réveil est plus rude. Comme prévu le beau temps s’en est allé. Il va falloir rentrer sous la pluie. Des kilomètres sur le sable humide, dans le vent, la pluie qui tombe à l’horizontale, puis sur la route. On attrape finalement un bus jusqu’à Castro, puis on rentre chez Alexis, sales et trempés. Une bonne journée de repos, à ne rien faire d’autre qu’aller au village acheter du pain et je suis prêt à repartir. On a raté l’unique ferry hebdomadaire qui quitte Quellon au sud de Chiloe pour Chaiten. Il va falloir revenir à Puerto Montt. C’est de là que je prendrai le bateau, ce soir dans la nuit, pour rejoindre Chaiten et la Carretera Australe. Une longue piste de quelques huit-cents kilomètres m’attend. Un peu d’aventure, toujours plus au sud.

Le Tronador, depuis le Cerro Lopez

dimanche 1 avril 2012

Détour en Argentine

Afficher De Los Angeles à San Martín de los Andes
Je cherchais un endroit calme où faire étape sur ma route vers le sud. Ce sera donc Los Angeles. Ni au sud ni au nord. Ce n’est plus la région des vins, mais pas encore celle des lacs. Nancy y enseigne le français dans un institut technique. En section gastronomie le français est obligatoire. Le vendredi elle m’embarque avec elle pour son cours du matin. Une vingtaine de paires d’yeux rivés sur moi. Ça me manquait presque. Depuis que je suis au Chili, plus personne ne me regarde. Plus d’un an sur la route, en Afrique, en Asie, j’avais fini par m’habituer à être une "rockstar" partout où je passe... C’est vendredi, le weekend arrive. Anita, la chef de Nancy, s’est proposé de me sortir un peu le soir. Elle passe me prendre en début de soirée et on se retrouve chez une de ses amies. Cecilia, Marita, une autre Anita, Angelica, "soirée fille"… Mais ça va, je ne suis pas trop perdu. Anita et Marita parlent anglais. Les autres font l’effort de parler espagnol suffisamment lentement. Je m’aperçois d’ailleurs que plus je tombe les piscolas mieux je parle espagnol ! On traine jusqu’à 2h et on part en ville. Un pub, une piste de danse et… un karaoké. Ça me poursuit, je pensais qu’en quittant l’Asie j’en avais terminé avec ça. On fait la fermeture. S’en suit un samedi paresseux et nuageux. Nancy m’emmène chez ses parents, à la campagne à une vingtaine de kilomètres de la ville. Je reste encore deux jours à Los Angeles, le temps de passer par Ralco, de m’équiper un peu pour les nuits de camping qui m’attendent au sud, et de profiter de la l’ambiance familiale de la maison de Nancy et Gregorio. Puis je pars. Au sud, "al sur" comme c’est écrit sur ma petite pancarte. Gregorio me dépose au bord de la Ruta 5, dans le brouillard. Comme d’habitude je n’attends pas très longtemps. Un camion m’emmène jusqu’à l’intersection avec la route de Villarica et Pucon. Je traverse la route et un quart d’heure plus tard c’est Jaime qui m’embarque dans son pick-up. Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, mais je crois bien qu’en fait il n’allait pas jusqu’à Villarica. Il m’emmène chez lui, me montre son jardin avec vue sur le volcan de Villarica, ses plantations de noisetiers. Puis on reprend la voiture et il m’emmène jusqu’au centre de Villarica. Je ne savais pas trop si j’allais rester ici ou continuer jusqu'à Pucon, mais le beau temps, la vue sur le lac, le volcan… je décide de passer la nuit à Villarica. Je trouve un camping. Un gars accoudé à la balustrade du café me confirme que le camping est ouvert. Pas évident à première vue. Je peux me mettre où je veux, je suis seul. Le lendemain je suis réveillé par le froid. Le temps s’est couvert. Je décide de partir à Pucon. Je plie mes affaires, sac sur le dos je passe à la réception. Personne. Je cherche un peu partout, désert. J’appelle le numéro inscrit sur la porte de la réception. Arturo, le gars de la veille, me dit que je peux laisser l’argent dans une boite à l’entrée. Je cherche, je ne trouve rien. Et après quelques minutes il me dit de laisser tomber « No importa. Buen viaje ! ». Un petit coup de stop et je suis à Pucon. Le temps est toujours couvert, ce n’est qu’en début de soirée que je découvre le volcan qui sort de la brume, dominant la ville et le lac. Un peu de fumée s’échappe du sommet.
Le lendemain je pars explorer les alentours. Je prends un chemin au nord de la plage. Un allemand croisé la veille sur cette même plage m’a dit que je devrais pouvoir rejoindre le Rio Trancura. Je ne sais pas à quel moment je me suis planté, mais bien avant la Trancura il m’a fallu un moment avant de pouvoir traverser une autre petite rivière. Je finis par balancer une planche par-dessus le cours d’eau. Je traverse en me mouillant les pieds. Une fois de l’autre côté j’aperçois une passerelle à 500 mètres en amont. Classique. Je continue mon chemin, qui n’en est plus vraiment un, dans la forêt au milieu des ronces et j’arrive finalement à la Trancura que je longe jusqu’à son embouchure dans le lac. Je prends mon repas face au lac, au milieu des oiseaux, le volcan qui fume derrière moi. Je n’ai croisé personne de la journée, des vaches et des oiseaux.
Avant de partir au sud j’avais essayé de trouver quelqu’un voulant faire la route en stop avec moi. Lili, une québécoise, m’avait contacté et on avait plus ou moins convenu de se retrouver à Pucon ou dans les environs. Elle débarque le lendemain matin à mon camping, sur le VTT qu’elle vient de louer, prête à partir. On n’est pas exactement sur le même rythme. Elle vient de monter au volcan la veille, a son programme de vélo pour la journée et sûrement tout un planning pour les jours à venir. Je suis là, à attendre que mon linge sèche, me demandant si je pars dans l’après-midi ou si j’attends le lendemain. Elle a repéré son parcours, celui de l’épreuve VTT d’un triathlon... Elle me propose de partir avec elle. J’ai un problème, je ne dis jamais non… C’est donc parti pour l’après-midi VTT, dans la campagne, sur les chemins jusqu’au lac de Caburgua en passant par la cascade de Ojos de Caburgua. Puis on grimpe, à la recherche de lagunes dans les montagnes. La pente est raide, très raide. D’abord sur route puis sur des chemins de terre. On finit par trouver une lagune. On traîne un peu. Lili me demande l’heure. Il est 18h. On doit rendre les vélos à 19h. Mais avant ça on doit grimper au sommet de la montagne, trouver l’antenne pour boucler le circuit et refaire les 25 kilomètres de route qui doivent nous ramener à Pucon… On grimpe encore, on porte les vélos quand il faut, on trouve finalement l’antenne et on descend à fond sur les chemins humides. Sur la route, mauvaise surprise, un bon vent de face et rien pour s’abriter. Enfin si, moi je m’abrite derrière Lili… Autant j’ai l’habitude de marcher, des kilomètres tous les jours, parfois avec mes 25 kg sur le dos. Autant le vélo ça fait bien longtemps que je n’en ai pas fait sérieusement. Après l’épreuve du jour je n’ai plus de jambes. Rien. Je laisse Lili prendre tout le vent et me ramener à Pucon.
Lili pensait partir dès le lendemain vers l’Argentine, et moi reprendre la route toujours plus au sud. Mais un groupe d’italiens part pour le Parc National de Huerquehue. Finalement on décide de rester un jour de plus pour se joindre au groupe. Le matin le bus nous pose à l’entrée du Parc. On fait l’ascension dans la brume. On passe un "mirador", puis un deuxième. Rien, du brouillard. C’est à peine si on distingue un bout de forêt. Puis arrivés au sommet, le miracle. Le soleil perce les nuages, nous réchauffe enfin, et illumine la Laguna Verde qu’on découvre au bout du chemin. On voit encore les nappes de brouillard descendre les flancs de montagne et venir s’échouer dans l’eau. Merveilleux. De lagune en lagune, sur les chemins de terre à travers la forêt, entourés de carpinteros qui pilonnent les arbres, on passe une très belle journée. Sur le chemin du retour on laisse Barbara et les autres italiens filer devant, avec Lili on fait un détour par la cascade, puis on se fait le retour en courant. Le soir Barbara s’est mise en tête de préparer des gnocchis pour tout le monde. Pour dix, puis quinze, puis vingt personnes. Toujours plus de monde qui arrive chez Anita, l’amie chilienne de Lili. On prépare les bruschettas, on improvise un pesto à la chilienne. Le repas est prêt vers minuit. Il y a à manger pour quarante… Dans la soirée je me décide à accompagner Lili en Argentine. On m’a beaucoup parlé de Bariloche, je ne suis pas encore pressé par le temps, alors pourquoi pas. Mais j’ai passé la nuit chez Anita. Le lendemain matin quand Lili prend le bus pour San Martin de Los Andes, il me faut encore aller démonter ma tente te plier le campement. J’avoue que je prends mon temps. Je n’arrive sur la bord de route qu’en début d’après-midi. C’est dimanche, ce n’est plus la Ruta 5 mais une route de campagne. Il n'y a pas foule sur la route. J’ai prévenu Lili avant qu’elle ne parte, je ne suis vraiment pas sûr de pouvoir arriver à San Martin en une journée. Un pick-up s’arrête quand même. Sans ouvrir la fenêtre il me fait signe de monter derrière. Ce n’est qu’une fois arrivé chez lui le long de la route qu’il me demande où je vais. « Argentina ! » Il a l’air bien embêté, il était persuadé que j’allais à Caburgua. On a passé l’intersection, une dizaine de kilomètres plus tôt selon lui. Il va me falloir refaire la route dans l’autre sens, ça s’annonce de plus en plus compliqué ce trajet pour San Martin. Il y avait un peu moins de dix kilomètres, je pense. Je les ai faits à pieds, sac sur le dos. Personne ne m’a pris en chemin. Mais une fois sur la bonne route tout va mieux. Deux petites vieilles s’arrêtent presque immédiatement et me dépose une vingtaine de kilomètres plus loin. Puis deux gars dans leur pick-up m’emmène jusqu’à Curarrehue, le dernier village avant la frontière. Ils tombent en panne juste devant le panneau « Bienvenidos a Curarrehue ». Je traverse le village à pied et un jeune couple m’embarque jusqu’au poste frontière. Une belle piste de cailloux qui serpente dans la montagne jusqu’au pied du volcan Lanin. Après un passage éclair par l’immigration chilienne je traverse la frontière à pieds. J’arrive au poste argentin. Les argentins, des italiens qui parlent espagnols à ce qu’on m’a dit. J’arrive au comptoir de douane. Grand sourire, cheveux gominés, le poste crachant un fond de musique latino, un douanier bronzé prend mon passeport en rigolant. Un coup de tampon et un sonore « au revoir ». Italianos que hablan español... Je suis en Argentine ! C’est bien, mais je ne vais pas camper là. Assez facile de trouver une voiture pour me sortir de là. Il y a quand même quelques véhicules qui passent par cette route, et tous doivent s’arrêter au poste. Un couple d’argentins veut bien m’emmener jusqu’à Junin de Los Andes. Le paysage a complètement changé d’un côté à l’autre de la frontière, des vertes montagnes chiliennes on se retrouve dans une pampa argentine, ocre, au soleil couchant. Superbe. A Junin je dois encore traverser la ville. Il ne me reste plus que 40 kilomètres avant San Martin. Je suis près du but. A la sortie de la ville une voiture finit par s’arrêter.

Pause : Chère maman, ne lis pas les lignes qui suivent, je suis en Argentine, tout va bien, le soleil brillent, les lacs sont bleus et les montagnes sont belles.

Une voiture s’arrête donc. A l’intérieur trois gars. Le chauffeur descend m’ouvrir le coffre. Il présente plutôt bien, chemise propre, rasé de près. Je monte à l’arrière, mon voisin de banquette, très sympathique, m’accueille avec un sourire et une grande bouteille de bière à la main. Quieres ? On part. Le conducteur remet la musique, à fond. Sur le siège passager le troisième collègue se retourne, lui aussi veut faire un bout de conversation. Le pauvre, il est complètement défoncé. Déjà que je comprends à peine l’espagnol, mais lui il pourrait me parler jusqu’à demain que ça ne changerait rien. Enfin si, j’ai quand même compris à un moment qu’il me proposait (ou me demandait) de la cocaïne, la blanca… Pendant ce temps mon voisin de gauche continue d’ouvrir les bouteilles de Quilmes. Je ne sais pas trop comment il fait, il n’a pas de décapsuleur et j’ai remarqué qu’il lui manquait un pouce à une main. Ce qui est sûr c’est qu’il les ouvre, et qu’il en met plein la banquette. Le chauffeur refuse toutes les bières qu’il lui tend, c’est plutôt rassurant. Il reste sobre, mais il conduit comme une brute. « No te preoccupes de la velocidad ». Je crois qu'il a remarqué que je regardais fréquemment le compteur. Je regarde l’horloge aussi. C’est long 40 kilomètres.
Ils me déposent finalement à l’entrée de la ville. Après une journée épique j’ai fini par rallier San Martin de Los Andes. Première étape en Argentine, premier zig d’un parcours en zigzag entre Chili et Argentine qui devrait m’emmener jusqu’à Ushuaïa.

Parque Nacional Huerquehue