Alfred Jarry.
A son habitude Francis Bacon aura fait le portrait d'un ami (en situation). Comme c'est moins la ressemblance immédiate (celle qui donne une identité) qu'une approche par la peinture des rapports entretenus par le peintre avec son modèle, on peut lui substituer une toute autre figure, en conformité avec la mise en scène qui devient le sujet du tableau.
Un cycliste donc, dans une vision vertigineuse et un jeu de diagonale qui le fait "dégringoler" sur la toile, comme un flash qui retient les prémices d'un accident.
Il serait tentant d'identifier le personnage (si étroitement lié à son cycle) avec Alfred Jarry dont on connaît la passion qu'exerçait sur lui la bicyclette qui entre en fanfare dans son oeuvre et qu'il pratiquait avec application. Son portrait en cycliste (du côté de Corbeil) est sans doute l'image la plus connue qui donne un juste idée du personnage entre humour et sérieux dérisoire.
La bicyclette est plus un instrument qui prolonge le corps, décuple ses pouvoirs, et une certaine connotation érotique n'est pas exclue (qui reste allusive).
photo extraite du blog de Robert Rapilly.
Publié le 10/09/2009 à 11:50 par soleildanslatete
La poussée des "gens d'esprit" vers la campagne s'accélère à la fin du XIX° siècle avec l'expansion du chemin de fer. A quoi s'ajoute la modicité des prix dans les établissements liés au tourisme qui en est encore à ses balbutiements. On peut dresser toute une cartographie des lieux choisis par peintres, écrivains, journalistes, éditeurs qui se retrouvent au vert, et en chemise, pour jouir en toute impunité, des plaisirs de la nature.
Aux bords de la Seine, ce sera la ruée des impressionnistes, plutôt en son aval (Bougival), alors que les écrivains iront plutôt à l'amont (Mallarmé à Valvins, les Nathason, la colonie de Bouron Marlotte, l'équipe de Barbizon, Daudet à Champrosay)). Corbeil, déjà ville, n'est pas négligée et Jarry en fut l'un des familiers. Faisant équipe avec Valette son éditeur et Rachilde sa confidente, il loue une maison (elle existe encore), se fait construire un "tripode" (c'est lui qui le dit) et fait du vélo, tant sur les bords de la Seine que dans les rues d'Essonnes lieu de villégiature privilégié. Il a du rencontrer ce type de personnages qui alimentent sa verve et qu'il transforme par un excès de l'imaginaire dans le superlatif des aventures qu'il imagine, des situations qu'il invente, d'un monde qu'il confectionne avec une sorte de lucidité rageuse, comme s'il avait franchi le miroir et retrouvait "l'autre", le vrai Jarry.
Publié le 27/08/2009 à 15:11 par soleildanslatete
Sur les pas de Jarry.
On connaît la célèbre photographie de Jarry sur sa bicyclette "du côté de Corbeil". Voici, déniché du côté des archives de Louise Faure-Favier (une amie d'Apollinaire), la photographie de la maison du couple Vallette-Rachilde où Jarry venait passer ses dimanches (ayant par ailleurs une manière de baraque construite sur la Seine, aux abords).
La villa de Corbeil était l'annexe du Mercure de France, et avait des allures de phalanstère. Jarry venait y faire ses facéties, quelques unes des aventures les plus légendaires avaient Corbeil pour cadre.
Il était de l'ordre des usages bourgeois de l'époque de posséder une propriété proche de Paris mais offrant tous les avantages de la campagne. Les bords de la Seine, célébrés par les Impressionnistes, sont en faveur (les Nathanson à la Grangette et Mallarmé, du côté de Valvins). Editeur des symbolistes, Vallette ne pouvaient échapper à cette mode.
Publié le 20/07/2009 à 15:53 par soleildanslatete
17h50 - Le père Ubu, il y a cent ans. - Général
De retour de Laval, où il avait été chercher le soutien de sa soeur, Alfred Jarry revient à Paris le 7 octobre (nous sommes en 1907). Il s'installe dans sa "chasublerie" du 7 de la rue Casette. Il ne sort plus de sa chambre (un hibou empaillé veille la couche) il agonise, épuisé d'alcool. Alfred Valette, son éditeur au Mercure de France et le docteur Saltas, avec lequel il avait entrepris la rédaction de "La papesse Jeanne" (un personnage sur lequel il faudra revenir) doivent faire défoncer la porte pour le recueillir, à demi mort. On le transporte à l'hôpital de la Charité. Ce sont ses derniers jours.
On peut déplorer que les instances culturelles n'aient pas cru opportun de célébrer le souvenir de cet instant qui marque la fin d'une vie mémorable et d'honorer aussi, comme c'est l'usage pour un centenaire, la carrière d'un de nos écrivains les plus singuliers et sans doute un de ceux qui a le plus catégoriquement annoncé l'émergence de la littérature moderne.
Souvenons-nous d'Ubu, pierre angulaire de cette oeuvre à nulle autre semblable.
Publié le 18/07/2009 à 15:15 par soleildanslatete
17h03 - Célébration Jarry - Général
Jarry ne l'a pas fait exprès, mais on pourrait le croire, il meurt, sur un lit d'hôpital, le 1 novembre (1907). Esprit farceur, on pourrait y voir une manière frondeuse de se faufiler parmi les saints que l'on célèbre, en bloc, ce jour là. On le fêtera (modestement), et pourquoi ne pas avoir programmé une grande exposition dans un espace public pour ce jour là, ce mois là, cette année là où les amoureux de Jarry auront une pensée pour l'homme le plus libre qui soit ( il l'a payé fort cher) et reliront tout Ubu, cette saine rigolade un peu sinistre à y bien réfléchir. C'est Shakespeare au Grand Guignol. La farce camoufle la douleur.
Une grande part du théâtre contemporain lui doit beaucoup. Son esprit, sa désinvolture, sa liberté de ton, sa truculence. Un esprit qu'il a généré, une flamme allumée et ne s'est plus jamais éteinte.
Publié le 08/07/2009 à 16:03 par soleildanslatete
Les Minutes d'Alfred Jarry.
Il est mort, il y juste cent ans. Je viens de trouver sur une brocante son Ubu, préfacé par Jean-Hughes Sainmont, (le grand spécialiste de Jarry devant le seigneur), qui fréquentait assidûment le Soleil dans la tête. J'y vois un signe, peut-être un appel. C'est décidé, on va cohabiter avec Jarry pendant quelques séquences. Histoire de retrouver le sens vrai des choses : derrière l'humour, la grimace, les provocations. Une quête pathétique.
Publié le 08/07/2009 à 15:35 par soleildanslatete
Tout comme Marcel Duchamp est la référence absolue de la création plastique contemporaine, Alfred Jarry est celle du théâtre et par glissement progressif celle de la littérature comme instrument de perversion des traditions et remise en place des idées-forces. Ils sont quelques uns comme cela, au fronton d'une nouvelle manière de penser : Rimbaud en figure d'ange fatal, Lautréamont, passant considérable pour reprendre les termes d'André Breton, et Alfred Jarry qui conservera jusqu'à sa mort son "âme d'enfant". Et si le point commun à tous ces créateurs était justement d'avoir préservé, en dépit des agressions de la réalité et de la banalité du quotidien, cette force première qui suscite les découvertes et les colères, les passions et les refus.
Publié le 01/07/2009 à 16:13 par soleildanslatete
16h31 - UBU Jarry, un voisin - Général
Alfred Jarry au coeur du labyrinthe.
Evoquant le labyrinthe, je ne pouvais imaginer trouver meilleur Minotaure que le fameux, farceur, prodigieux, insolite, inquiétant, pathétique, volubile, savant enfant de Laval (il y est né an 1873). Non qu'il faille tuer ce Minotaure là, mais s'affronter à lui "pour ne pas mourir idiot". On le dénichait d'abord dans des trouvailles de vieilles éditions avant que le Collège de Pataphysique dynamise les recherches savantes ( et souvent pointilleuses) qui devaient participer à sa réhabilitation.
Naturellement le père UBU était dans notre placard, avec les balais (qu'il manipulait avec une telle vélocité) mais on connaissait mal pour ne pas dire totalement ses autres oeuvres (nombreuses). Le Soleil dans la tête se trouvait dans un voisinage relativement proche des hauts lieux de la virée parisienne de Jarry (rue de l'Echaudée pour le Mercure de France, rue Cassette pour le logis coincé entre deux étages). On aimait beaucoup jouer sur les voisinages
qui entretiennent les bonnes relations, mêmes avec les morts. On rencontrera ainsi en vol, Apollinaire et Man Ray, Verlaine et Jules Laforgue.
Jarry, donc, agitant les oripeaux d'une salubre colère contre la sottise. On ira lui serrer la main de temps à autres et trinquer au nom de la terrible fée verte qui a tué Verlaine avant de le jeter dans la légende.
Publié le 08/04/2009 à 12:00 par soleildanslatete
Jarry est partout et c'est le destin de ceux qui ont créé autour d'eux une légende. On le prétend "sur la Butte" (la Butte Montmartre) sans doute parce qu'elle est le lieu des plaisirs et de l'art et que Jarry est au coeur de l'animation qui génère les idées neuves. Le caractère pittoresque du personnage aura occulté en partie l'oeuvre elle-même, et n'aura retenu pour le plus grand public que ce fameux Ubu dans lequel il avait fini par se reconnaître. Ou qu'il se plaisait à faire vivre par ses attitudes, l'étrangeté de son comportement et les facéties multiples qui scandent sa vie de misère et de folie.
C'est bien aussi la particularité de son aventure d'homme lancé dans une société prompte à applaudir et renier ceux qui se lancent sur la scène publique ; il est connu (et reconnu) par des facettes d'un personnage multiple et parfois déconcertant, mais toujours fascinant. On feuillette sa vie comme un album d'Histoires farfelues, d'une originalité qui tenait moins d'une faille de sa personnalité que d'une stratégie artistique, annonçant ces artistes qui le sont par le geste plus que par les oeuvres. Encore que lui ait aussi laissé une oeuvre chatoyante et proche d'une philosophie du désespoir.
Publié le 01/06/2008 à 12:00 par soleildanslatete
Le Jarry de Rachilde.
Seule femme, ou presque, à avoir été appréciée par Alfred Jarry qui aurait plutôt tendance à les mépriser (ou les craindre) Rachilde, elle-même personnage singulier, tenait salon au nom du Mercure de France. A en croire les souvenirs (nombreux) rapportant la vie sociale de cette digne maison d'édition, il jouxtait le bureau de Vallette capitaine de ce prestigieux navire. Paul Léautaud ne tarissant pas de cancants plus ou moins acidulés sur ce petit monde, a laissé quelques beaux clichés de ce couple et de son action conjugée pour mener à bien l'immense tâche de donner à lire la littérature de leur temps.
Quand le Mercure allait à la campagne, c'est à Corbeil, sur les bords de la Seine, où fut créé une sorte de phalanstère où Jarry tint son rôle. Toujours en marge d'un groupe dont il faisait parti, mais sans adopter pour autant la totalité de ses titres de gloire et ses rites. Créant les siens, chaloupant du côté de l'insolite, avec une âme de provocateur né. Ubu à la base de cette aventure. Personnage créé mais créant sa propre mythologie. Il y a du docteur Frankenstein chez Jarry. Un inventeur qui ne maîtrise plus la machine qu'il invente. Nombreux sont ceux qui se sont penché sur la naissance de ce monstre plantureux ( un rappel de Rabelais ?) souvent odieux mais nécessaire pour dénoncer la bêtise humaine. Alfred Jarry au microscope. A savourer.