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Date de création : 25.11.2008
Dernière mise à jour :
15.12.2015
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Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues.
Un Envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l'Histoire, un jour chez l'Empereur,
Les forces de son Maître à celles de l'Empire.
Un Allemand se mit à dire :
Notre prince a des dépendants
Qui de leur chef sont si puissants
Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée.
Le Chiaoux, homme de sens,
Lui dit : Je sais par renommée
Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie.
Mon sang commence à se glacer ;
Et je crois qu'à moins on s'effraie.
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal.
Jamais le corps de l'animal
Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvais à cette aventure,
Quand un autre Dragon, qui n'avait qu'un seul chef
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef
D'étonnement et d'épouvante.
Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi.
Rien ne les empêcha ; l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi
De votre Empereur et du nôtre.
LA FONTAINE
Le Corbeau voulant imiter l'Aigle.
L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un Corbeau témoin de l'affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.
Il tourne à l'entour du troupeau,
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai Mouton de sacrifice :
On l'avait réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.
Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.
La Moutonnière créature
Pesait plus qu'un fromage, outre que sa toison
Etait d'une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème.
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau
Que le pauvre animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l'encage bien et beau,
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.
Il faut se mesurer, la conséquence est nette :
Mal prend aux Volereaux de faire les Voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre :
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs ;
Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure.
Jean de la Fontaine
L'Homme et son image.
Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde.
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il va se confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés ;
Il s'y voit ; il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau ;
Mais quoi, le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de Miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes ;
Et quant au Canal, c'est celui
Que chacun sait, le Livre des Maximes.
Jean de la Fontaine
La Chauve-souris et les deux Belettes.
Une Chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de Belette ; et sitôt qu'elle y fut,
L'autre, envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.
"Quoi ? Vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas Souris ? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas Belette.
- Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n'est pas ma profession.
Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l'Auteur de l'Univers,
Je suis Oiseau ; voyez mes ailes :
Vive la gent qui fend les airs! "
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer
Chez une autre Belette, aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.
La Dame du logis avec son long museau
S'en allait la croquer en qualité d'Oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage :
"Moi, pour telle passé! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'Oiseau ? C’est le plumage.
Je suis Souris : vivent les Rats !
Jupiter confonde les Chats ! "
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.
Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue.
Le Sage dit, selon les gens :
"Vive le Roi, vive la Ligue. "
Jean de la Fontaine
La Goutte et l'Araignée.
Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée,
"Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.
Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étrètes,
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
Tenez donc, voici deux bûchettes ;
Accommodez-vous, ou tirez.
- Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui me plaise. "
L'autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins
De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant : "Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme."
L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie,
Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie,
Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre Bestion tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse Aragne.
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer. Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.
"Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma sœur l'Aragne." Et l'autre d'écouter :
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat, qu'elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte
Et fit très sagement de changer de logis.
Jean de LA FONTAINE 1621-1695
Élégie cinquième
J'avais cru jusqu'ici bien connaître l'amour :
Je me trompais, Clymène ; et ce n'est que d'un jour
Que je sais à quel point peuvent monter ses peines.
Non pas qu'ayant brûlé pour beaucoup d'inhumaines,
Un esclavage dur ne m'ait assujetti ;
Mais je compte pour rien tout ce que j'ai senti.
Des douleurs qu'on endure en servant une belle
Je n'avais pas encor souffert la plus cruelle.
La Jalousie aux yeux incessamment ouverts,
Monstre toujours fécond en fantômes divers,
Jusque-là, grâce aux dieux, n'en avait pu produire
Que mon cœur eût trouvés capables de lui nuire.
Pour les autres tourments, ils m'étaient fort communs :
Je nourrissais chez moi les soucis importuns,
La folle inquiétude en ses plaisirs légère,
Des lieux où l'on la porte hôtesse passagère ;
J'y nourrissais encor les désirs sans espoir,
Les soins toujours veillant, le chagrin toujours noir,
Les peines que nous cause une éternelle absence.
Tous ces poisons mêlés composaient ma souffrance ;
La jalousie y joint à présent son ennui :
Hélas ! Je ne connais l'amour que d'aujourd'hui.
Un mal qui m'est nouveau s'est glissé dans mon âme ;
Je meurs. Ah ! Si c'était seulement de ma flamme !
Si je ne périssais que par mon seul tourment !
Mais le vôtre me perd : Clymène, un autre amant,
Même après son trépas, vit dans votre mémoire ;
Il y vivra longtemps ; vos pleurs me le font croire.
Un mort a dans la tombe emporté votre foi !
Peut-être que ce mort sut mieux aimer que moi ?
Certes, il en donna des marques bien certaines,
Quand, pour le soulager de l'excès de ses peines,
Vous lui voulûtes bien conseiller, par pitié,
De réduire l'amour aux termes d'amitié.
Il vous crut ; et pour moi, je n'ai d'obéissance
Que quand on veut que j'aime avec que violence.
Tant d'ardeur semblera condamnable à vos yeux ;
Mais n'aimez plus ce mort, et vous jugerez mieux.
Comment ne l'aimer plus ? On y songe à toute heure,
On en parle sans cesse, on le plaint, on le pleure ;
Son bonheur avec lui ne saurait plus vieillir :
Je puis vous offenser, il ne peut plus faillir.
Ô trop heureux amant ! Ton sort me fait envie.
Vous l'appelez ami ! Je crois qu'en votre vie
Vous n'en fîtes un seul qui le fût à ce point.
J'en sais qui vous est chers, vous ne m'en parlez point :
Pour celui-ci, sans cesse il est dans votre bouche.
Clymène, je veux bien que sa perte vous touche ;
Pleurez-la, j'y consens : ce regret est permis ;
Mais ne confondez point l'amant et les amis.
Votre cœur juge mal du motif de sa peine :
Ces pleurs sont pleurs d'amour, je m'y connais, Clymène ;
Des amis si bien faits méritent, entre nous,
Que sous le nom d'amants ils soient pleurés par vous.
Ne déguisez donc plus la cause de vos larmes ;
Avouez que ce mort eut pour vous quelques charmes.
Il joignait les beautés de l'esprit et du corps ;
Ce n'étaient cependant que ses moindres trésors :
Son âme l'emportait. Quoiqu'on prise la mienne,
Je la réformerais de bon cœur sur la sienne.
Exceptez-en un point qui fait seul tous mes biens :
Je ne changerais pas mes feux contre les siens.
Puisqu'il n'était qu'ami, je le surpasse en zèle ;
Et mon amour vaut bien l'amitié la plus belle.
Je n'en puis relâcher. N'engagez point mon cœur
A tenter les moyens d'en être le vainqueur :
Je me l'arracherais ; et vous en seriez cause.
Moi cessé d'être amant ! Et puis-je être autre chose ?
Puis-je trouver en vous ce que j'ai tant loué,
Et vouloir pour ami, sans plus, être avoué ?
Non, Clymène, ce bien, encor qu'inestimable,
N'a rien de votre part qui me soit agréable ;
D'une autre que de vous je pourrais l'accepter ;
Mais quand vous me l'offrez, je dois le rejeter.
Il ne m'importe pas que d'autres en jouissent ;
Gardez votre présent à ceux qui me haïssent.
Aussi bien ne m'est-il réservé qu'à demi.
Dites, me traitez-vous encor comme un ami ?
Tâchez-vous de guérir mon cœur de sa blessure ?
On dirait que ma mort vous semble trop peu sûre.
Depuis que je vous vois, vous m'offrez tous les jours
Quelque nouveau poison forgé par les Amours.
C'est tantôt un clin d'œil, un mot, un vain sourire,
Un rien ; et pour ce rien nuit et jour je soupire !
L'ai-je à peine obtenu, vous y joignez un mal
Qu'après moi l'on peu dire à tous amants fatal.
Vous me rendez jaloux ; et de qui ? Quand j'y songe,
Il n'est excès d'ennuis où mon cœur ne se plonge.
J'envie un rival mort ! M'ajoutera-t-on foi
Quand je dirai qu'un mort est plus heureux que moi ?
Cependant il est vrai. Si mes tristes pensées
Vous sont avec quelque art sur le papier tracé,
" Cléandre, dites-vous, avait cet art aussi. "
Si par de petits soins j'exprime mon souci,
" Il en faisait autant, mais avec plus de grâce. "
Enfin, si l'on vous croit, en rien je ne le passe ;
Vous vous représentez tout ce qui vient de lui,
Tandis que dans mes yeux vous lisez mon ennui.
Ce n'est pas tout encor : vous voulez que je voie
Son portrait, où votre âme a renfermé sa joie :
" Remarquez, me dit-on, cet air rempli d'attraits. "
J'en remarque après vous jusques aux moindres traits ;
Je fais plus : je les loue, et souffre que vos larmes
Arrosent à mes yeux ce portrait plein de charmes.
Quelquefois je vous dis : " C'est trop parler d'un mort " ;
A peine on s'en est tu, qu'on en reparle encor.
" Je porte, dites-vous, malheur à ceux que j'aime :
Le Ciel, dont la rigueur me fut toujours extrême,
Leur fait à tous la guerre, et sa haine pour moi
S'étendra sur quiconque engagera ma foi.
Mon amitié n'est pas un sort digne d'envie :
Cléandre, tu le sais, il t'en coûte la vie.
Hélas ! Il m'a longtemps aimée éperdument ;
En présence des dieux il en faisait serment :
Je n'ai réduit son feu qu'avec beaucoup de peine. "
Si vous l'avez réduit, avouez-moi, Clymène,
Que le mien, dont l'ardeur augmente tous les jours,
Mieux que celui d'un mort mérite vos amours.
Jean de LA FONTAINE (1621-1695)
L’Aigle et l’Escarbot
L’Aigle donnait la chasse à Maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier s’enfuyait au plus vite.
Le trou de l’Escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte
Était sûr ; mais où mieux ? Jean Lapin s’y blottit.
L’Aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,
L’Escarbot intercède et dit :
Princesse des Oiseaux, il vous est fort facile
D’enlever malgré moi ce pauvre malheureux :
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie :
Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la lui de grâce, ou l’ôtez à tous deux :
C’est mon voisin, c’est mon compère.
L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l’aile l’Escarbot,
L’étourdit, l’oblige à se taire ;
Enlève Jean Lapin. L’Escarbot indigné
Vole au nid de l’Oiseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance :
Pas un seul ne fut épargné.
L’Aigle étant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris, et pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu’elle a souffert.
Elle gémit en vain, sa plainte au vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L’an suivant elle mit son nid en lieu plus haut.
L’Escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :
La mort de Jean Lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel que l’écho de ces bois
N’en dormit de plus de six mois.
L’Oiseau qui porte Ganymède,
Du Monarque des Dieux enfin implore l’aide ;
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu’en paix
Ils seront dans ce lieu, que pour ses intérêts
Jupiter se verra contraint de les défendre.
Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du Dieu fit tomber une crotte :
Le Dieu la secouant jeta les œufs à bas.
Quand l’Aigle sut l’inadvertance,
Elle menaça Jupiter
D’abandonner sa Cour, d’aller vivre au désert :
Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut.
Devant son Tribunal l’Escarbot comparut,
Fit sa plainte, et conta l’affaire.
On fit entendre à l’Aigle enfin qu’elle avait tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d’accord,
Le Monarque des Dieux s’avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l’Aigle fait l’amour,
En une autre saison, quand la race Escarbote
Est en quartier d’hiver, et comme la Marmotte
Se cache et ne voit point le jour.
Jean de La Fontaine
L'enfant et le Maître d'école.
Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un Maître d'école.
L'Enfant lui crie : "Au secours ! Je péris. "
Le Magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contretemps s'avise
De le tancer : "Ah! Le petit babouin !
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille !
Qu'ils ont de maux ! Et que je plains leur sort ! "
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connaître au discours que j'avance :
Chacun des trois fait un peuple fort grand ;
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Aux moyens d'exercer leur langue.
Hé ! Mon ami, tire-moi de danger :
Tu feras après ta harangue.
Jean de la Fontaine
UN ANIMAL DANS LA LUNE. Pendant qu'un philosophe assure Cependant, s'il pouvait apaiser la querelle, |
LE CHARLATAN
Le monde n'a jamais manqué de charlatans :
Cette science, de tout temps,
Fut en professeurs très fertile.
Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron,
Et l'autre affiche par la ville
Qu'il est un passe-Cicéron.
Un des derniers se vantait d'être
En éloquence si grand maître,
Qu'il rendrait disert un badaud ;
Un manant, un rustre, un lourdaud ;
" Oui, Messieurs, un lourdaud, un animal, un âne :
Que l'on m'amène un âne, un âne renforcé,
Je le rendrai maître passé,
Et veux qu'il porte la soutane.
Le prince sut la chose ; il manda le rhéteur.
" J'ai, dit-il, en mon écurie
Un fort beau roussin d'Arcadie ;
J'en voudrais faire un orateur.
- Sire, vous pouvez tout " reprit d'abord notre homme.
On lui donna certaine somme :
Il devait au bout de dix ans
Mettre son âne sur les bancs ;
Sinon, il consentait d'être, en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa rhétorique,
Et les oreilles d'un baudet.
Quelqu'un des courtisans lui dit qu'à la potence
Il voulait l'aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance ;
Surtout qu'il se souvînt de faire à l'assistance
Un discours où son art fit au long étendu,
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L'autre reprit : " Avant l'affaire,
Le roi, l'âne, ou moi, nous mourrons. " Il avait raison. C'est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants :
Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.