LE CONTE AU TCHAD
Transcription du rêve, rêve éveillé d’un monde de merveilles et d’extravagances, expression d’une intuition surréaliste ou débordement de notre imagination créatrice…, le conte est résent dans toutes les littératures du monde. Son origine se perd dans la nuit des temps, dans les profondeurs de la Parole. On observe déjà ses prémices dans les balbutiements de l’enfant, qui dans ces premiers regards, ces premiers gestes, s’essaye à narrer ses émotions à la découverte du monde qui l’entoure. On retrouve encore le conte, tout au long de notre vie, inconsciemment, dans notre langage quotidien qui tend parfois à emprunter images, dictons et paraboles, pour appuyer une évocation.
Il paraît difficile, voir impossible de situer les origines du conte dans l’espace et dans le temps. Si la parole nous vient du désir de communiquer avec les autres, elle se présente sous une multitude de langues différentes les unes des autres au sein desquelles s’affirme l’universalité conte. Si sous sa forme écrite, le conte ne cesse d’alimenter un fourmillement toujours grandissant d’ouvrages qui abondent dans les bibliothèques et les librairies, sa richesse est plus grande dans l’oralité où agrémenté de diverses parures (notamment musiques, danses, jeux théâtraux, etc.), le conte anime les foyers, les villages, transcendant les générations et contribuant à la transmission des règles de vie.
De tous les continents, l’Afrique est sans doute celui où l’oralité conserve la plus grande vivacité malgré les mutations humaines et socioculturelles, et notamment l’introduction des langues dites officielles ; ces dernières, souvent étrangères au cadre strict de la lignée familiale, affectent les valeurs propres à chaque communauté. Au delà des côtes africaines qui ont accueilli ou enduré la rencontre ou le choc avec « l’étranger » et connu par là-même d’irrémédiables bouleversements culturels, on observe en pénétrant à l’intérieur du continent que de nombreux héritages culturels préservent encore leur singularité ; cette observation est encore plus manifeste lorsque l’on quitte les villes cosmopolites pour les villages. Le Tchad, situé au coeur du continent, est de ces pays enclavés géographiquement, qui longtemps freinés dans leur expansion économique, ont préservé la singularité de leurs richesses culturelles au nombre desquelles le conte.
Les fonctions du conte dans la société traditionnelle sont multiples. Sous son apparente simplicité qui en réalité en fait sa force interactive, le conte véhicule des vocations diverses : il rapproche les membres d’une communauté, dissipe les tensions sociales, favorise le dialogue, la transmission des savoirs ancestraux notamment la langue, laconnaissance et le respect de la nature, la morale, l’éducation, la médecine, etc., toutes ces valeurs ancestrales qui par son biais se transmettent depuis la nuit des temps, de générations en générations, assurant la continuité de l’identité communautaire. Le conte contribue au développement des compétences individuelles : l’imaginaire, la mémoire, l’art de la parole, etc. , il atténue des traits de caractère tels que la timidité, la violence interne, l’individualisme, etc. Sous ses formes non moins nombreuses ou ses ramifications (légendes, mythes, fables, énigmes, etc.), le conte éveille et oriente dans la lecture des choses de la vie.
Dans le contexte actuel, face à la modernité galopante, l’isolement ou l’emprise des machines, le conte peut jouer un rôle important d’humanisation sociale. Il faut reconnaître qu’un travail non négligeable de transcription et de « recréation » littéraire, existe et se poursuit, cependant, il est difficile d’y consigner les composantes connexes notamment musicales, gestuelles, etc., qui font la richesse identitaire du conte au coeur de l’oralité. Sur le plan pédagogique, des expériences d’initiations au conte menées dans certaines écoles pilotes, ont produit des résultats remarquables. Ma propre expérience probante, riche de plus de dix années de travail en tant qu’enseignant et éducateur auprès des enfants de rue au Tchad , à mettre en valeur le conte comme outil de resocialisation de l’enfant marginalisé, montre l’importance du conte dans la démarche pédagogique.
“ Le conte est destiné aux enfants ” dit-on souvent. Cette affirmation, par trop limitée, s'appuie néanmoins sur un constat évident, celui de la relation privilégiée qui existe entre le conteur et le jeune public. Si la sensibilité de l'enfance se fond avec aisance dans le conte dont elle saisit toute la magie et le merveilleux du rêve et de l’imaginaire, le conteur trouve, pour sa part, en l’enfant, un interlocuteur privilégié et réceptif avec lequel il a plaisir à communiquer dans ce langage particulier. Mais le conte ne se limite pas seulement à mettre en éveil l'enfant ; il est un genre littéraire à part entière qui a véhiculé pendant des siècles, la pensée et la sagesse ancestrale des peuples sur tous les continents. Le conte a été, depuis la nuit des temps, le vecteur privilégié de l'oralité, et l'avènement de l'écriture dans les cultures d'Occident ou d'Asie, à l'époque moderne, ne l'a pas détrôné, tout au contraire, de son rôle de transmission, ni même n'a amoindri la richesse de la créativité qu'il génère. L’apport du conte va donc, bien au delà du rôle de distraction de l'enfant qu'on lui assigne.
Mes tournées répétées en France et en Europe, les sollicitations constantes des structures scolaires (de la maternelle à l’université) ou socioculturelles pour le conte traditionnel africain que je m’emploie à véhiculer, les réactions enthousiastes des différents publics, révèlent l’existence d’un espace d’expression et de socialisation de l’enfant ou de l’adolescent (et de l’adulte parfois) jusqu’alors tu ou opprimé, en partie du moins, par une société ou dominent l’individualisation et l’abandon de l’enfant à de nouvelles formes de « culturation » (ou « d’acculturation ») sous forme de jeux vidéos et autres consoles, etc. Le progrès de la science et des techniques, en développant, les moyens modernes de communication tels que la radio ou la télévision, a provoqué une rupture dans les relations familiales. Les parents fort occupés par le travail ont de moins en moins de temps à consacrer à leurs enfants et ils offrent souvent, pour pallier à la demande d’attention des enfants, des cadeaux matériels ou encore, un écran de télévision que les regards et les esprits rivés des enfants consomment, sans mise en garde ni contrôle.
Le conte renferme en son art, le désir profond d'accession au monde du rêve et du merveilleux auquel aspire chaque être et que chacun peut, à travers ce récit imagé, saisir. Au même titre que d'autres genres artistiques tels que la poésie, le roman, le théâtre, le cinéma ou encore la musique, le conte est un art majeur de la littérature que toute personne inspirée peut utiliser pour extérioriser sa vision du monde, ses aspirations ou encore pour dénoncer les déséquilibres sociaux, etc. La caractéristique particulière du conte réside dans ce dialogue au travers de l’imaginaire avec des êtres et des éléments présents dans la nature qui nous entoure ; ces êtres et ses éléments s’animent et prennent vie. Le fait qu’en chacun d’eux se découvre une âme agissante oeuvre indirectement au respect de cette même nature.
Toutes ces constatation nous poussent à encourager toutes les initiatives qui émergent et visent à la valorisation du conte comme élément de structuration et de socialisation de l’individu.
Toingar KEYBA NATAR (mars 2001)