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TÉMOIGNAGES - Un EHPAD du groupe Bridge mis en cause en Seine-Maritime

France Bleu Normandie a recueilli des témoignages qui révèlent des dysfonctionnements au sein de "La Maison Normande", l'EHPAD de Saint-Martin-Osmonville. Le groupe Bridge, qui gère l'établissement, assure que des mesures ont été prises et que la situation s'est améliorée.

Face au manque de moyens ressenti par des soignants et des résidents, le groupe Bridge assure avoir pris des mesures (photo d'illustration)
Face au manque de moyens ressenti par des soignants et des résidents, le groupe Bridge assure avoir pris des mesures (photo d'illustration) © Radio France - Noémie Guillotin

Une ancienne salariée qui était encore là en début d'année 2022 résume la situation en une phrase : "On n'avait pas le temps." Et ce n'est pas la seule à avoir eu ce sentiment. À Saint-Martin-Osmonville (Seine-Maritime), l'EHPAD "La Maison Normande", repris par le groupe Bridge en 2020, est aujourd'hui mis en cause par plusieurs ex-salariés, soignant actuel et familles d'ancien résidents, pour des dysfonctionnements qui viennent s'ajouter à ceux révélés ce vendredi par la cellule investigation de Radio France

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"Les toilettes sont restées hors service un bon moment"

"Les chambres n'étaient pas nickels et nous ne prenions pas le temps de rester avec les résidents, parce qu'on n'avait pas le temps", poursuit cette ancienne salariée de l'établissement, qui souhaite rester anonyme, et dont le ressenti fait écho aux autres témoignages recueillis par France Bleu Normandie. En effet, à chaque fois, les personnes interrogées soulignent un "manque de moyens" qui se ressent à la fois dans le travail des personnels et dans les prestations proposées aux résidents.

Sur l'état général de l'établissement, qui accueille une vingtaine de personnes âgées, les récits sont ainsi très critiques. "'Délabré' c'est peut-être un peu fort comme terme, et encore je pense qu'à certains endroits c'était vraiment ça", estime Béatrice Godey, dont la maman, âgée de 84 ans à l'époque, est restée neuf mois dans l'EHPAD, jusqu'en novembre 2021. 

"Dans la chambre de ma mère, la salle de bain paraissait très bien puisqu'elle venait d'être refaite, poursuit Béatrice Godey. Mais à l'utilisation, on s'est rendu compte que la pente de la douche à l'italienne était faite à l'envers : l'eau coulait vers la chambre et le personnel mettait des draps par terre pour retenir l'eau et pour éponger."

"Les toilettes de ma mère sont restées hors service un bon moment, ce qui fait qu'à 84 ans, ma mère jetait un seau d'eau dans les toilettes en guise de chasse d'eau. La lunette était aussi cassée, ce qui fait que ma mère s'est assise sur la porcelaine pendant des semaines", raconte encore Béatrice Godey.

"C'est fou"

Autre témoignage : celui de Marie-Claude Pois, dont la maman, atteinte de la maladie d'Alzheimer, est restée sept ans à Saint-Martin-Osmonville, jusqu'à son décès au mois de septembre 2021. Selon elle, la situation s'est dégradée avec l'arrivée du groupe Bridge. "Je n'ai absolument rien à dire sur le personnel. C'est sur l'encadrement : il y avait un manque de moyens, c'est fou", explique cette femme, qui payait jusqu'à 3 000 euros par mois, entre le prix de la chambre et les frais annexes, pour que sa mère soit prise en charge dans cet EHPAD. À "La Maison Normande", une chambre coûte minimum 2 500 euros par mois.

Outre le ménage, Marie-Claude Pois regrette le manque de personnel et notamment l'absence d'infirmière le week-end : "Ma mère avait un escarre tellement profond qu'ils ont été obligés de mettre une mèche, ce qui nécessite des soins tous les jours. L'infirmière étant là le vendredi et revenant le lundi, pendant le week-end, il n'y avait pas de soins. Une aide-soignante a accepté de le faire, mais tout en me disant qu'elle n'avait pas le droit."

Le manque ressenti de moyens et de personnel, partagé par tous les témoignages que nous avons recueillis, entraîne chez ceux qui sont là une impression de devoir "bâcler son travail". "C'était la rentabilité avant le bien-être", estime une ancienne salariée, qui est partie de "La Maison Normande" à l'automne 2021. Elle décrit des économies de bouts de chandelles, des équipements hors service ou délabrés, des devis pour des animations rejetés "parce que c'était trop cher", des sonnettes pour appeler le personnel dans les chambres qui ne fonctionnent pas, etc. "Pour ce que les gens paient, c'est scandaleux", estime encore la salariée qui a quitté l'EHPAD en janvier 2022.

"Je me suis retrouvé à transporter des médicaments dans ma voiture parce qu'il n'y avait personne pour les ramener à l'EHPAD", ajoute un soignant, qui intervient à Saint-Martin-Osmonville depuis 25 ans. Lui regrette la "dépersonnalisation" des soins et des services : "Tout le monde est un numéro, aussi bien au niveau des salariés que des résidents."

La réponse de Bridge

C'est aussi à souligner : aucun fait de maltraitance n'a été rapporté, et les différents témoignages soulignent tous le professionnalisme et le dévouement des personnels, dans ce petit établissement situé en zone rurale. Un soignant évoque une période compliquée, tout en précisant que la situation s'améliore.

Interrogé sur ces témoignages, Bridge a accepté de répondre à nos questions. Le groupe évoque tout d'abord une "alerte sur le comportement d’une ancienne directrice de l’établissement, qui était déjà en place sous les anciens propriétaires". "Cette enquête, est-il écrit, a mis en lumière des comportements inacceptables et les mesures qui s’imposaient ont été prises en octobre dernier. Depuis, le climat social au sein de l’établissement est sain et tout le personnel est engagé pour apporter les meilleurs services et soins aux résidents." À Saint-Martin-Osmonville, la nouvelle direction a ainsi pris ses fonctions le 19 janvier 2022.

Bridge souligne également les investissements faits dans cet EHPAD : "Nous avons réalisé d’importants travaux : réfection des abords extérieurs et de l’entrée de l’établissement, rénovation de chambres avec remplacement de blocs de douche non-adaptés aux personnes à mobilité réduite par des douches à l’italienne, remplacement des sols du deuxième étage de l’EHPAD, etc. Nous avons aussi modernisé le circuit logistique et de transport des médicaments, avec l’achat de matériels réfrigérés et pharmaceutiques par exemple. De plus, le budget alloué aux animations et la restauration sont en progression constante dans cet EHPAD." 

Sur le manque de personnel, voilà aussi la réponse de Bridge : "Nous sommes en phase de recrutement de plusieurs membres du personnel. Ainsi, en avril, 2 aides-soignantes ont été recrutées et sont en poste de nuit, en renfort des équipes déjà en place. Un médecin coordinateur rejoindra l’établissement dès lundi prochain, en appui de l’infirmière coordinatrice aujourd’hui en poste sur deux établissements du département."

L’établissement est par ailleurs en recherche très active de personnel soignant, "mais les difficultés de recrutement sur le secteur sont réelles", souligne le groupe, qui redit que "la qualité de l’accueil des résidents et le bien-être des salariés sont ses premières priorités".

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