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Corbeau, histoire de famille, "petit juge" : 40 ans après la mort du petit Grégory, l'affaire et ses rebondissements

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Près de 40 ans après l'assassinat du petit Grégory Villemin, la justice n'a désigné aucun coupable. Le 16 octobre 1984, l’enfant de 4 ans est retrouvé noyé dans les Vosges. Un "corbeau" mystérieux, le principal suspect abattu, un "petit juge" : replongez dans cette énigme.

Grégory Villemin assassiné à l'âge de 4 ans a été enterré au cimetière de Lépanges-sur-Vologne
Grégory Villemin assassiné à l'âge de 4 ans a été enterré au cimetière de Lépanges-sur-Vologne © Getty - Jacques Pavlovsky

C’est le fait-divers qui a marqué ces 40 dernières années à bien des égards : la mort de Grégory Villemin le 16 octobre 1984. L’enfant de 4 ans avait été retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne, à Docelles, dans les Vosges. Quarante ans après, aucun coupable n’a été désigné. L'enquête se poursuit et les théories contradictoires continuent d'agiter les esprits. "Le corbeau", les méthodes d'enquête, le profil du "petit juge" et le rôle peu glorieux de la presse ont façonné une affaire hors du commun, qui aujourd'hui encore suscite passions et polémique. France Bleu fait le point sur ces 40 années de mystère au bord de la Vologne.

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"J'ai tué le fils du chef"

L’image du corps de Grégory, retrouvé pieds et poings liés par des cordelettes dans la rivière la Vologne à Docelles vers 21h15, le soir du 16 octobre 1984, est le point de départ de cette affaire qui est aussi synonyme d'échec pour la justice. Dès ce soir-là, un photographe est sur place. Il saisit cet instant terrible où un homme sort de l'eau, le petit corps inanimé dans ses bras. Nous avons choisi de ne pas vous montrer ce cliché. L'image d'autant plus terrible qu'elle fait écho au visage d'ange de l'enfant qui sera utilisé dans la presse.

Le portrait de Grégory Villemin qui sera utilisé à de nombreuses reprises dans les médias
Le portrait de Grégory Villemin qui sera utilisé à de nombreuses reprises dans les médias © Maxppp - Alexandre Marchi

Grégory a disparu alors qu’il jouait devant la maison de ses parents à Lépanges-sur-Vologne, à six kilomètres de là. La mère de l’enfant, Christine Villemin, constate sa disparition à 17h20. Une dizaine de minutes plus tard, son oncle, Michel, reçoit un coup de téléphone. Au bout du fil, un corbeau anonyme lui annonce : "J'ai tué le fils du chef, je l'ai mis dans la Vologne ". Le "chef", c'est le surnom donné dans la famille à Jean-Marie Villemin, le père de Grégory.

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Les parents de Grégory à l'enterrement de leur fils
Les parents de Grégory à l'enterrement de leur fils © AFP - Greg Delmas

L’énigmatique "corbeau"

Personnage central, mais jamais véritablement identifié malgré de nombreuses expertises (ADN, graphologie, stylométrie), "le corbeau" est un personnage central de l’enquête sur la mort du petit Grégory. À l’image du personnage du film d'Henri-Georges Clouzot, la France découvre ce corbeau qui harcèle, depuis des années, la famille Villemin par téléphone, mais aussi par courrier. Au lendemain, de la mort de l'enfant, une lettre anonyme du corbeau revendique le crime : "J’espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance pauvre con".

Ces corbeaux - car ils sont sans doute plusieurs - harcèlent la famille Villemin depuis 1981. Ils menacent au téléphone, d’une voix rauque tantôt féminine, tantôt masculine. Dans son discours, la voix fait référence au "bâtard" de la famille, Jacky, qui n’est pas le fils du patriarche de la famille Villemin, Albert (même si celui-ci l’a reconnu). Il s’en prend surtout à Jean-Marie, le père de Grégory, surnommé "le chef". Les lettres viendront en 1983. Truffées de fautes d’orthographe, elles se font plus menaçantes au fur et à mesure des années.

Trouver le corbeau, c’est trouver la piste du coupable. Entre les dictées, les analyses graphologiques, ou les traces ADN prélevées sur le timbre ou les lettres, les soupçons se porteront sur de multiples suspects. Un cousin des Villemin, Bernard Laroche, est désigné en premier, puis la mère de l’enfant, Christine Villemin, et enfin des années plus tard, en 2017, Jacqueline et Marcel Jacob, grand-tante et grand-oncle du petit Grégory Villemin.

La dernière lettre envoyée par le corbeau
La dernière lettre envoyée par le corbeau © Getty - Armel Brucelle

Aucune analyse n'a permis, jusqu’à ce jour, de démasquer le corbeau avec certitude. La plupart d'entre elles ont d’ailleurs été invalidées ou expurgées du dossier.

Murielle, la cousine accusatrice

Aujourd’hui encore, elle est un personnage central de l’affaire, la clé, diront certains. Murielle Bolle est la petite cousine de Grégory. Cette jeune fille rousse, au visage parsemé de taches de rousseur, âgée de 15 ans en 1984, va mettre les enquêteurs sur la piste de Bernard Laroche, son beau-frère, avant de se rétracter.

En novembre 1984, Murielle raconte aux gendarmes, puis au juge, que son beau-frère, Bernard Laroche, est venu la chercher à l’école. D'après son témoignage : il l’a emmenée en voiture près d’une maison isolée, est revenu avec un enfant qu’il a ensuite emmené près de la rivière avant de revenir seul. Cet enfant serait Grégory Villemin. Deux jours après, elle se rétracte et accuse les gendarmes de lui avoir "mis la pression". "Bernard, il est innocent", dira-t-elle devant les médias venus de la France entière.

Bernard Laroche et sa belle-soeur Murielle Bolle
Bernard Laroche et sa belle-soeur Murielle Bolle © Getty - Eric Préau

Bernard Laroche, inculpé à la veille de ces rétractations, sera remis en liberté trois mois plus tard.

En 2018, la mise en examen de Murielle Bolle a été annulée pour vice de procédure. Deux ans plus tard, la cour d’appel de Paris va même annuler les déclarations faites par l'adolescente aux gendarmes qui accusent Bernard Laroche. Seules les déclarations faites devant le juge Lambert restent dans le dossier.

Bernard Laroche, le principal suspect, abattu

Alors que l’affaire s’enlise, et que Bernard Laroche a été relâché, un coup de sang de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, fait basculer l’affaire. Le 29 mars 1985, le père de Grégory abat son cousin d’un coup de fusil devant chez lui, comme il avait menacé de le faire à plusieurs reprises.

Les parents de l’enfant basculent ainsi de victimes à coupables. Jean-Marie est incarcéré, Christine sera inculpée plusieurs mois après.

En plus des analyses graphologiques, des cordelettes identiques à celles qui ont été utilisées pour ligoter l’enfant sont retrouvées au domicile des Villemin. Des témoins disent avoir vu Christine Villemin poster une lettre, le jour où le corbeau a posté un courrier revendiquant son crime. La mère de Grégory, alors enceinte de 4 mois, est inculpée et placée en détention le 5 juillet 1985. Elle sera remise en liberté 11 jours plus tard.

"Et si c'était la mère ?", les soupçons sur Christine Villemin

Cette mère qu'on a vue ravagée par le chagrin, dont on a entendu les cris lors de l’enterrement de son fils va progressivement attirer les soupçons. Christine Villemin, frêle jeune femme de 24 ans, se retrouve malmenée par le juge, la presse, et par l’opinion publique. Sa vie intime est étalée dans la presse, son chagrin passé à la moulinette, elle pleure trop ou pas assez. Le paroxysme est atteint quand le journal Libération publie un texte de Marguerite Duras, "Sublime, forcément sublime" qui, au mépris de toute réalité judiciaire, explique que la mère est coupable.

Cette culpabilité de la mère, thèse soutenue par les policiers du SRPJ de Nancy et appuyée par le juge, va donner le tempo d’un emballement irréel. Aujourd’hui encore, dans la vallée, certains continuent de la propager. Christine Villemin a pourtant été totalement innocentée par la cour d’appel de Dijon. Un non-lieu pour "absence totale de preuves" est prononcé. C’est une première dans l’histoire judiciaire.

Le livre de Christine Villemin publié deux ans après la mort de son fils Grégory
Le livre de Christine Villemin publié deux ans après la mort de son fils Grégory © Getty - Thierry Orban

Une justice qui dysfonctionne

Rarement une affaire judiciaire aura vu autant de pièces du dossier annulées ou écartées. Dès le début de l’affaire, les choses vont de travers. L’autopsie incomplète ne permettra jamais de déterminer la cause précise de la mort de Grégory. Les éléments matériels non prélevés, mal conservés ou simplement manquants, ne vont pas permettre de faire appel à la science comme on pouvait l’espérer, au fil des années qui passent.

Le juge d'instruction, Jean-Michel Lambert, est un jeune magistrat. Surnommé par la presse "le petit juge", il va multiplier les erreurs. Oubliant d’ordonner certains actes importants qui, du coup, ne peuvent pas être joints à la procédure. Seul juge en poste à Épinal à l’époque, il est accaparé par près de 200 dossiers. Il soupçonne Bernard Laroche, puis le libère sans lever sa mise en examen. Il laisse aussi Murielle Bolle rentrer chez elle après son témoignage contre son beau-frère, malgré l'avis des gendarmes. Le lendemain, la jeune fille se rétracte. Il est aussi très bavard, et livre à la presse de nombreux éléments du dossier, ce qui pollue l'enquête. Le juge Lambert, dessaisi du dossier en septembre 1986, se suicide en juillet 2017, alors que l'enquête est relancée. Il laisse une lettre pour expliquer qu'il n'a "plus la force de se battre" face aux derniers rebondissements de l'affaire.

En 2002, l’État français est condamné à verser 15 245 euros à Muriel Bolle et 30 500 euros à sa sœur, Marie-Ange, la veuve de Bernard Laroche en réparation d'une "inaptitude à remplir sa mission". En 2004, l’État est aussi condamné à verser 70 000 euros aux parents de Grégory Villemin pour dysfonctionnement de la justice.

Le juge d'instruction Jean-Marc Lambert dans son bureau du palais de justice d'Epinal
Le juge d'instruction Jean-Marc Lambert dans son bureau du palais de justice d'Epinal © AFP - Jean-Claude Delmas

La presse, l’autre responsable du fiasco

Les journalistes poursuivant des témoins pour obtenir une interview, volant des photos aux domiciles des victimes ou juchés sur des tombes pour prendre le meilleur cliché : le traitement médiatique de l’affaire Grégory est aujourd’hui encore le symbole de cette presse qui déraille.
La présomption d’innocence est balayée par la recherche de scoops, les journalistes transformés en enquêteurs prennent parti, tirent les ficelles, enregistrent les témoins et victimes. Même le juge Simon, qui instruit le dossier après le juge Lambert, sera enregistré à son insu avant de finir en première page du magazine Détective.

Des milliers d’articles de presse vont être écrits, alimentés aussi par les avocats des deux parties qui vont monnayer l’image et la parole de ceux qu’ils sont chargés de défendre.

Laurence Lacour, jeune journaliste pour Europe 1 détaillera dans l’ouvrage Le bucher des innocents, cette mécanique des journalistes, transformés en meute, broyant sans même s’en rendre compte, victimes et protagonistes.

En novembre 1984, la presse entoure les parents de Grégory Villemin, qui arrivent pour une audition au palais de justice d'Epinal
En novembre 1984, la presse entoure les parents de Grégory Villemin, qui arrivent pour une audition au palais de justice d'Epinal © AFP - Eric Feferberg

Un mystère toujours insondable

Quarante ans après la mort de Grégory, son père Jean-Marie poursuit inlassablement ses recherches. Il est à l’initiative de nombreuses demandes de vérification, notamment scientifiques. Les dernières recherches ordonnées, qui datent de mars 2024, sont des analyses ADN. Il s’agit de comparaisons des ADN retrouvés sur les cordelettes qui étaient sur le corps de l'enfant, sur l'anorak de Grégory, son menton, mais aussi sur certains courriers du corbeau, dont celui 16 octobre 1984, le jour du crime. Une étude de faisabilité d'expertises vocales des enregistrements du corbeau est aussi engagée.

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