Passer au contenu
Publicité

Deux futurs académiciens passent la frontière au col de Banyuls

À retrouver dans l'émission
Hélène Legrais
Du lundi au vendredi à 07h27
De
De
- Mis à jour le
Par

Hélène Legrais nous raconte la fuite de Joseph Kessel et Maurice Druon, une nuit de Noël.

Illustration, Banyuls sur Mer
Illustration, Banyuls sur Mer © Getty - Nathalie Dupont

Deux académiciens ? Rien que ça ?

Futurs académiciens ! Pour l’heure, en décembre 1942, il s’agit d’un romancier flamboyant, déjà très connu, journaliste et correspondant de guerre, et de son neveu de 24 ans qui a déjà commencé à publier dans des revues et journaux littéraires et a fait la guerre comme élève officier de cavalerie sorti de Saumur. Le colosse à la chevelure de lion, c’est Joseph Kessel, le jeune homme qui ne sait pas encore qu’il inspirera l’auteur de Games of Throne avec ses « Rois maudits », Maurice Druon. Démobilisé, celui-ci s’est engagé dans la résistance, le réseau Cartes qui vient d’être démantelé et il lui faut fuir. Loin. Les Allemands ont passé la ligne de démarcation le 11 novembre et il n’y a même plus de zone libre. Ce sera donc l’Espagne, en espérant de là pouvoir gagner Londres afin de rejoindre le général De Gaulle dont Druon avait lu l’appel, un simple entrefilet, dans le journal la Petite Gironde en juin 1940. A l’époque il avait préféré rester avec ses hommes. Deux ans et demi plus tard, c’est le moment. Et il a convaincu celui qui est plus que son oncle, son mentor, de le suivre. Entre ses voyages, ses conquêtes et ses beuveries, Kessel est très en vue. Un peu trop pour un juif. Pierre Laval lui a proposé un passeport pour les Etats Unis mais Kessel a refusé, ne voulant rien devoir au chef du gouvernement de Vichy. Ce sera donc un passage clandestin en Espagne. Après plusieurs tentatives avortées, Maurice Druon séjourne à Perpignan pour essayer de trouver une filière. Il la trouve et Kessel le rejoint avec sa maîtresse, la chanteuse Germaine Sablon. La nuit de Noël est choisie car les policiers, qu’ils soient Français, Allemands ou Espagnols sont occupés aussi à faire la fête et sont donc moins nombreux et moins vigilants. Et les voilà en file indienne et en espadrille, silencieux dans l’obscurité, en train de passer le col de Banyuls.

Sans encombre ?

Aucune hormis une longue marche éreintante. Et un moment très fort : au moment de franchir la frontière, leur guide, un républicain espagnol qui fut l’aide de camp du président Manuel Azaña, marque un arrêt : « Retourne-vous et regardez, leur dit-il, vous ne verrez plus jamais ce pays qu’on enchaîne ! » Les trois fuyards réussissent ensuite à gagner Londres via le Portugal. Kessel et Druon sont reçus, séparément, par le Général De Gaulle. En mai 1943, Emmanuel d’Astier de la Vigerie leur demande d’écrire le texte d’un hymne pour la Résistance. La musique existe déjà : composée par une artiste russe, Anna Marly, elle sert depuis quelques jours d’indicatif au programme français de la BBC « Honneur et Patrie ». Elle est sifflée, pour passer à travers le brouillage des Allemands. Kessel et Druon se mettent au travail dans un petit hôtel des environs de Londres. Ils repensent alors à ce que leur avait dit leur passeur au col de Banyuls : « Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu'on enchaîne ». C’est ainsi que naît « Le chant des partisans » que Germaine Sablon va enregistrer et qui sera imprimé, distribué, parachuté en France pour donner une voix à la Résistance.  

Épisodes

Tous les épisodes

Publicité

undefined