Photos, livres, aventures.
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Plus vivants que jamais
Ce printemps, dans la foulée des innombrables publications entourant le cinquantième anniversaire de Mai 68, les éditions Libertalia ont réédité Plus vivants que jamais, le journal des barricades écrit par Pierre Peuchmaurd à chaud, à l'été 68, et initialement paru aux éditions Robert Laffont à l'époque.
Le livre est republié en poche, avec une préface éclairante de Joël Gayraud.
éditions Libertalia, 8 euros, 128 p.
Moby Dick
Frank Horvat - 1954, Angleterre, aux studios Elstree Film, sur le tournage de Moby Dick.
Cette photo nous rappelle qu'il serait temps de reprendre la lecture de l'énorme et prodigieux Achab, de Pierre Senges (éditions Verticales, 2015), lecture riche, dense, foisonnante, cultivée, qu'il faut prendre le temps de lire lentement, et qui se lit du reste plus facilement qu'il n'y paraît. Du reste, nous n'avions interrompu notre lecture que pour satisfaire les exigences des dieux du travail en librairie, qui réclament sans cesse de nouveaux sacrifices.
Si comme Pierre Senges, vous ne croyez pas que le capitaine Achab est mort dans son combat ultime contre Moby Dick, lisez Achab! Non seulement vous apprendrez ce qu'il advient du légendaire capitaine par la suite, mais également une multitude d'autres choses sur les baleines, ainsi que sur New York en pleine explosion démographique, culturelle, industrielle et économique du tournant du XXème siècle.
De quelques amoureux des livres
Le lecteur qui entre dans sa librairie préférée le sait, à peine a t'il franchit le seuil de la porte que des piles de livres menacent de l'engloutir, les nouveautés de la semaine s'accumulant par dessus celles de la semaine précédente, faisant passer ce très beau recueil de poésie sorti le mois dernier pour une rareté poussiéreuse, et cette intrigante traduction parue au début de l'été chez un petit éditeur pour un incunable. Face à tant de choix, les plus téméraires plongeront tête baissée, certains demanderont de l'aide, et les plus timides rebrousseront chemin.
Parlez-en au libraire, ce valeureux travailleur. Comme le mineur d'autrefois, il a les reins brisés bien avant l'âge à force de creuser des galeries parmi les montagnes de nouveaux arrivages et de déplacer des piles de livres, mais il vous réservera néanmoins l'usage des quelques neurones que le café trop fort fait encore fonctionner, aidé de son fidèle destrier, l'ordinateur poussiéreux, afin de vous guider vers l'objet de vos désirs, ce roman qui vous obligera à continuer à lire bien au-delà de l'heure raisonnable.
Trop de livres donc? La rengaine n'est pas nouvelle. Dans certains cas, on pourrait bien être tentés de jeter le blâme sur ces éditeurs peu scrupuleux qui préfèrent inonder le marché plutôt que de publier de la littérature. Heureusement, les éditions Finitude font partie de cette catégorie d'éditeurs exigeants qui choisit de publier moins pour publier mieux, et qui depuis plus de dix ans maintenant propose des livres qui n'ont pas peur de vieillir puisqu'ils naissent de toutes façon à l'abri des modes.
Mais trop de livres, disions nous? Dites-vous bien que ça aurait pu être pire encore! C'est du moins ce que nous raconte Philippe Claudel dans De quelques amoureux des livres. Comme une armée des morts aux soldats innombrables, on prend conscience en lisant ce savoureux petit livre, du nombre incalculable de livres qui, pour une raison ou une autre, ne se sont pas écrits. Par fainéantise, par distraction, par hasard, à cause d'une histoire d'amour, d'une guerre ou d'une mauvaise habitude alimentaire, combien de chef-d'oeuvres ne se sont pas écrits, et qui sont ces non-écrivains, qu'un destin souvent facétieux a privé de leurs rêves de littérature?
Ce sont les portraits de quelque-unes de ces victimes de la littérature que Philippe Claudel nous donne à lire avec humour & délicatesse.
Extraits
"& celui-là qui taillait sans cesse ses crayons de papier tandis que les idées lui venaient, les idées ne pouvaient venir que lors de ces séances durant lesquelles pendant des heures il tallait ses crayons, mais il se décidait à recopier tout ce qui lui était venu en esprit, il n'avait plus de crayons pour le faire, et qui fit ainsi la fortune de son papetier, mais dont aucun libraire ne connu jamais le nom.
& cet homme qui avant même de publier avait choisi le pseudonyme de Jean-Noël Sisyphe, et qui voyait s'effacer aussitôt de son écran ce qu'il venait d'y écrire.
& cet homme qui, ayant achevé la rédaction d'un pesant roman, se décida à le publier à compte d'auteur après avoir essuyé quarante-sept refus de maisons d'édition, et mourut écrasé par la palette qui contenait trois mille exemplaires de son livre que le livreur - un intérimaire sous-formé -, gerba de son chariot-élévateur un peu trop tôt devant son domicile à la suite d'une manoeuvre involontaire."
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De quelques amoureux des livres
Philippe Claudel, éditions Finitude, 2015, 113p.
Parlez-en au libraire, ce valeureux travailleur. Comme le mineur d'autrefois, il a les reins brisés bien avant l'âge à force de creuser des galeries parmi les montagnes de nouveaux arrivages et de déplacer des piles de livres, mais il vous réservera néanmoins l'usage des quelques neurones que le café trop fort fait encore fonctionner, aidé de son fidèle destrier, l'ordinateur poussiéreux, afin de vous guider vers l'objet de vos désirs, ce roman qui vous obligera à continuer à lire bien au-delà de l'heure raisonnable.
Trop de livres donc? La rengaine n'est pas nouvelle. Dans certains cas, on pourrait bien être tentés de jeter le blâme sur ces éditeurs peu scrupuleux qui préfèrent inonder le marché plutôt que de publier de la littérature. Heureusement, les éditions Finitude font partie de cette catégorie d'éditeurs exigeants qui choisit de publier moins pour publier mieux, et qui depuis plus de dix ans maintenant propose des livres qui n'ont pas peur de vieillir puisqu'ils naissent de toutes façon à l'abri des modes.
Mais trop de livres, disions nous? Dites-vous bien que ça aurait pu être pire encore! C'est du moins ce que nous raconte Philippe Claudel dans De quelques amoureux des livres. Comme une armée des morts aux soldats innombrables, on prend conscience en lisant ce savoureux petit livre, du nombre incalculable de livres qui, pour une raison ou une autre, ne se sont pas écrits. Par fainéantise, par distraction, par hasard, à cause d'une histoire d'amour, d'une guerre ou d'une mauvaise habitude alimentaire, combien de chef-d'oeuvres ne se sont pas écrits, et qui sont ces non-écrivains, qu'un destin souvent facétieux a privé de leurs rêves de littérature?
Ce sont les portraits de quelque-unes de ces victimes de la littérature que Philippe Claudel nous donne à lire avec humour & délicatesse.
Extraits
"& celui-là qui taillait sans cesse ses crayons de papier tandis que les idées lui venaient, les idées ne pouvaient venir que lors de ces séances durant lesquelles pendant des heures il tallait ses crayons, mais il se décidait à recopier tout ce qui lui était venu en esprit, il n'avait plus de crayons pour le faire, et qui fit ainsi la fortune de son papetier, mais dont aucun libraire ne connu jamais le nom.
& cet homme qui avant même de publier avait choisi le pseudonyme de Jean-Noël Sisyphe, et qui voyait s'effacer aussitôt de son écran ce qu'il venait d'y écrire.
& cet homme qui, ayant achevé la rédaction d'un pesant roman, se décida à le publier à compte d'auteur après avoir essuyé quarante-sept refus de maisons d'édition, et mourut écrasé par la palette qui contenait trois mille exemplaires de son livre que le livreur - un intérimaire sous-formé -, gerba de son chariot-élévateur un peu trop tôt devant son domicile à la suite d'une manoeuvre involontaire."
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De quelques amoureux des livres
Philippe Claudel, éditions Finitude, 2015, 113p.
La fille du baobab brûlé
"J'ai le soleil sur le front
Et ton visage dans ma main
Toutes les mers rouges s'ouvrent à mon passage
Je suis la fille je suis le baobab
J'ai un pacte avec la route
Les cris déchirés des oiseaux m'accompagnent
Je sais l'échouage des vagues
Je sais les songes abîmés
Je raconte au sable le coeur pourri des océans
Les azurs gardent l'empreinte de tes doigts
Enfant tu jouais à ces jeux interdits
Tu rêvais de bateaux de cerfs-volants
Tu voulais épouser le capitaine
La mer est toujours cette femme étrange
Qui marche dans les rêves des poètes"
Rodney Saint-Éloi
Je suis la fille du baobab brûlé, Mémoire d'encrier, 2015.
Et ton visage dans ma main
Toutes les mers rouges s'ouvrent à mon passage
Je suis la fille je suis le baobab
J'ai un pacte avec la route
Les cris déchirés des oiseaux m'accompagnent
Je sais l'échouage des vagues
Je sais les songes abîmés
Je raconte au sable le coeur pourri des océans
Les azurs gardent l'empreinte de tes doigts
Enfant tu jouais à ces jeux interdits
Tu rêvais de bateaux de cerfs-volants
Tu voulais épouser le capitaine
La mer est toujours cette femme étrange
Qui marche dans les rêves des poètes"
Rodney Saint-Éloi
Je suis la fille du baobab brûlé, Mémoire d'encrier, 2015.
Un peu de René-Guy Cadou
"Ah que m'importent ces auberges
Et leurs gouttières de sang noir
Les rendez-vous du désespoir
Dans les hôtels meublés des berges
Où les filles font peine à voir
J'ai préféré aux équipages
Le blanc cheval de la marée
Et les cadavres constellés
Qui s'acheminent vers le large
À tous ces sourires navrés"
René-Guy Cadou, L'aventure marine
(in Hélène ou le règne végétal, Seghers)
****
"Quand tous les merles tous les voyous et toutes les femmes se seront tus
Quand on ramassera les carcasses des chevaux à pleines pelles dans les rues
Quand les campagnes s'embraseront comme un chaudron immense
Quand toute la vie sera comme un dernier jour de vacances
Il restera sous terre assez de pages blanches."
René-Guy Cadou, Fin de Bail
Hélène ou le règne végétal, vol. 1 de René-Guy Cadou éditions Pierre Seghers, 1952 |
Georges Schehadé
Être en vacances, ce n'est pas lire léger, ce qui ne rime à rien, mais ce n'est pas forcément s'assommer à coups de lourds pavés. C'est avant tout prendre le temps de lire, voire s'offrir le luxe de relire, et quand on le peut c'est avant tout aller lire ailleurs. J'ai eu la chance récemment de voyager un peu dans la bibliothèque familiale, et d'y puiser de quoi alimenter les longues soirées de l'hiver à venir.
Quelques amis de qualités m'avaient parlé dans les derniers mois, ou les dernières années, de la poésie de Georges Schehadé, si bien qu'en voyant son recueil en Poésie Gallimard dans les rayons, je l'ouvrais à la première page pour y jeter un coup d'oeil :
Ce premier texte date de 1938, les autres suivront, ni trop, ni trop peu, et je dois résister à la tentation de citer ici la moitié du recueil.
Mais quand même, ces trois là.
Quelques amis de qualités m'avaient parlé dans les derniers mois, ou les dernières années, de la poésie de Georges Schehadé, si bien qu'en voyant son recueil en Poésie Gallimard dans les rayons, je l'ouvrais à la première page pour y jeter un coup d'oeil :
D'abord derrière les roses il n'y a pas de singes
Il y a un enfant qui a les yeux tourmentés
Ce premier texte date de 1938, les autres suivront, ni trop, ni trop peu, et je dois résister à la tentation de citer ici la moitié du recueil.
Mais quand même, ces trois là.
À ceux qui partent pour oublier leur maison
Et le mur familier aux ombres
J'annonce la plaine et les eaux rouillées
Et la grande Bible des pierres
Ils ne connaîtront pas
- À part le fer et le jasmin des formes
La Nuit heureuse de transporter les mondes
L'âge dans le repos comme une sève
Pour eux nul chant
Mais la rosée brûlante de la mer
Mais la tristesse éternelle des sources
***
Dans le sommeil quelquefois
Des graines éveillent des ombres
Il vient des enfants avec leurs mondes
Légers comme des ossements de fleurs
Alors dans un pays si proche par le chagrin de l'âme
Pour rejoindre le pavot des paupières innocentes
Les corps de la nuit deviennent de la mer
***
Dans cette campagne où le soleil meurt
Comme un cheval boit
L'herbe et le temps ont la même peine
Un violon chasse des ombres de sa main
Rappelle toi les étangs de la mer lointaine
Quand tu dormiras dans la terre des enfants
***
Chroniques des jours enfuis
Sam Shepard n'est pas un acteur qui écrit des livres pour tromper son ennui ou flatter son ego, il s'agit bel et bien d'un acteur doublé d'un véritable écrivain. On se souvenait avec plaisir de Motel chronicles (Christian Bourgois, 1985 et de Balades au paradis (Robert Laffont, coll. "Pavillons"), et voilà que les éditions 13e Note ont publié Chroniques des jours enfuis en 2012.
Un narrateur sillonne lentement l'Ouest américain, des plaines du Minnesota enneigé aux déserts du Nouveau-Mexique calciné, et son regard se pose sur mille détails qui lui rappellent autant de souvenirs. Peu à peu, des moments qu'il croyait oubliés, actes manqués et rencontres hasardeuses, ces jours enfuis lui reviennent en mémoire. À ces souvenirs, s'ajoutent des scènes sorties de nulle part, comme aperçues à travers la fenêtre sale d'un motel où l'on sait que l'on n'aurait pas du regarder.
Mélancoliques mais jamais désabusées, ces chroniques sont la rencontre de l'Amérique mythique et de sa réalité ordinaire sur une aire d'autoroute, racontée en une centaine de nouvelles, fragments, poèmes et autres dialogues.
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- Chroniques des jours enfuis, 13e Note éditions, 349p., 2012.
À pic
« Je
travaille à pic pour descendre en profondeur. »
Cette
phrase, extraite d'une lettre de Blaise Cendrars à Henry Miller nous
touche particulièrement tellement elle nous semble résumer à elle
seule le travail de l'écrivain de fond.
Cette
correspondance entre deux géants, qui s'étale de 1934 à 1959, est
un cadeau des éditions Zoé, qui n'ont pas oublié d'y ajouter un
bel emballage.
Histoire naturelle
Félix Labisse fut entre autres illustrateur, peintre, cinéaste, poète, décorateur de théâtre et presque belge. On l'a vu traîner ses guêtres à Ostende en 1930 puis à Paris, fréquenter les Magritte, Desnos, Artaud, Prévert, Ernst et Queneau de ce monde avant de s'aventurer en Amérique du Sud avec la compagnie Renaud-Barrault en 1950.
Entre temps, en 1945, il aura participé à l'exposition "Surréalisme" de Bruxelles et publié en 1949 son Histoire naturelle, que les éditions Interférences ont le bon goût de rééditer avec soin ces jours-ci.
En trente dessins et autant de descriptions poétiques, nous apprenons ainsi à distinguer au premier coup d'oeil le manu-militari de l'amante religieuse. Le cyclope des marais ne vous effraiera plus lorsque vous saurez qu'il est "l'ami des jeunes filles" et "qu'il ne se plaît qu'à leurs jeux".
Si il n'a pas inventé l'idée de bestiaire magique, Félix Labisse y contribue avec humour et élégance.
Entre temps, en 1945, il aura participé à l'exposition "Surréalisme" de Bruxelles et publié en 1949 son Histoire naturelle, que les éditions Interférences ont le bon goût de rééditer avec soin ces jours-ci.
En trente dessins et autant de descriptions poétiques, nous apprenons ainsi à distinguer au premier coup d'oeil le manu-militari de l'amante religieuse. Le cyclope des marais ne vous effraiera plus lorsque vous saurez qu'il est "l'ami des jeunes filles" et "qu'il ne se plaît qu'à leurs jeux".
Si il n'a pas inventé l'idée de bestiaire magique, Félix Labisse y contribue avec humour et élégance.
"Peu de gens résistent aux douleurs morales que suscitent le passage d'une Bérénice." |
Le Perce-Aurore
C'est en 1431, quelques jours après l'exécution de la Pucelle d'Orléans, qu'on signala dans les environs d'une bourgade dauphinoise la présence d'un Perce-Aurore.
Mis en demeure par le Saint-Office de s'expliquer sur sa nature et son apparition qualifiée de démoniaque, il répondit sans aucune hésitation qu'il avait toujours vécu dans cette région, que, si on ne l'avait jamais remarqué, ce n'était pas de sa faute, qu'il y connaissait les natifs de visu, que ses intentions étaient pacifiques et son mode de vie conforme aux us et coutumes du pays.
On attacha peu de crédit à ses affirmations, on le brûla à petit feu et on eu raison.
Car depuis, on a pu constater maintes fois la fourberie et la rouerie du Perce-Aurore dont on sait qu'il ne respecte pas les sacrements, viole les bergères, incendies les meules, invoque à tous propos le Saint Nom, se repaît de chair humaine, fracture les troncs, profane les Lieux Saints, sodomise les chèvres, détrousse les cadavres, ne salue pas le drapeau et trempe un peu dans l'athéisme.
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- Histoire Naturelle, Félix Labisse, éditions Interférences, coll. "Les illustrés", 135 p., 2012.
Nouvelles en trois lignes
"C'est au cochonnet que l'apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois.
Sa boule roulait encore qu'il n'était déjà plus."
"Le canonnier Ruffet s'est enfui de la prison de Brest avec la sentinelle.
Lui seul a été rattrapé."
"À Clichy, un élégant jeune homme s'est jeté sous un fiacre caoutchouté, puis, indemne, sous un camion, qui le broya."
"Comme M.Poulbot, instituteur à l'île-Saint-Denis, sonnait pour la rentrée des écoliers, la cloche chut, le scalpant presque."
"Explosion de gaz chez le Bordelais Larrieu.
Il fut blessé. Les cheveux de sa belle-mère flambèrent.
Le plafond creva."
"Encore quatre ans et M. Renard, de Verrières, était octogénaire. Mais il souffrait trop de sa maladie de coeur. Il s'est suicidé."
Il ressemblait à Abraham Lincoln, mais M. Félix Fénéon, France, écrivait plutôt des nouvelles en trois lignes, dont la très belle édition de Cent pages, Grenoble, nous permet encore la lecture aujourd'hui.
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Nouvelles en trois lignes, Félix Fénéon, éditions Cent pages.
Un soir au club
"Le piano n'était pas le violon d'Ingres de Simon Nardis. C'était bien plus qu'un violon d'Ingres. Le piano était pour lui ce que la peinture était pour Ingres. Il cessa de jouer comme Ingres aurait pu cesser de peindre. C'eût été dommage, dans le cas d'Ingres. Ce fut dommage dans le cas de Simon Nardis."
C'est avec ce paragraphe que débute Un soir au club, le livre de Christian Gailly paru en 2001 et qui attendait patiemment son tour sur les rayons de ma bibliothèque depuis des années. Il y est beaucoup question de piano donc, de musique incidemment, et plus précisément de jazz, dont l'auteur restitue à merveille la sensualité et le rythme.
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- Un soir au club, Christian Gailly, Paris, éditions de Minuit, 2001, coll. "Double", 2004.
Le Cavalier suédois
"- J'ai plus d'un tour dans mon sac, se vanta le Torcol. Je sais chercher les puces du hérisson, ferrer une oie, faire des petits tabliers aux sauterelles, et je n'ai qu'à siffler pour que les poissons bondissent en rangs de leur vivier."
Quel meilleur temps que le froid mois de janvier pour se (re)plonger dans l'univers sombre et fantastique du Cavalier suédois, l'un des remarquables romans d'aventures de Leo Perutz, si élégamment empreint de réalisme magique?
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- Le Cavalier suédois, Leo Perutz, éditions Phébus, coll. "Libretto".
Shakespeare n'a jamais vu L.A.
Cela devait bien faire dix ans que je n'en n'avais pas lu, et je croyais bien avoir terminé ma période Bukowski, lorsqu'on m'a mit ce livre entre les mains.
En 1978, Charles Bukowski accepte les invitations de ses éditeurs français et allemands et s'embarque avec sa compagne Linda Lee et un ami photographe. Après avoir éclusé tout le vin blanc, puis le rouge, et enfin la bière disponibles à bord de l'avion, les voici donc qui débarquent à Paris.
Le grand Buck, qui ne s'attendait pas à un tel empressement de la part des journalistes français, aimerait mieux continuer à boire dans la chambre d'hôtel de la rue des Saints-Pères où l'a enfermé Raphael Sorin (1), mais voilà que déjà on le traîne sur le plateau d'Apostrophes pour son désormais légendaire passage à l'émission de Bernard Pivot.
L'émission est un demi-désastre et vire presque au pugilat lorsque l'écrivain, rond comme une queue de pelle, se fait montrer la sortie du plateau par les agents de sécurité. Ses fans exultent, le trublion américain ne les a pas déçu en se moquant du maître de cérémonie de la littérature télévisée.
Après un crochet peu glorieux par Nice, où le beau-père de Linda Lee refuse de les rencontrer, le couple file vers l'Allemagne (quatorze heures dans un train sans wagon restaurant ni bar ambulant!) pour la deuxième partie du programme.
À Mannheim d'abord il retrouve des amis, le traducteur Carl Weissmer et le cinéaste Barbet Schroeder, puis à Andernach, sa ville natale, il se rend chez son vieil oncle Heinrich, boit du vin, visite des châteaux, boit du vin, prépare la grande lecture prévue à Hambourg et boit du vin avec des amis.
Il trouve encore le temps de répondre à des interviews impromptues :
"Non, Oui, Non. Non.
- J'aime Thomas Carlyle, Madame Butterfly et le jus d'orange avec la pulpe. J'aime les radios rouges, les lave-autos, les paquets de cigarettes écrasés et Carson McCullers.
Non. NON! Non. Oui, bien sûr.
-Mick Jagger? Non, j'aime pas sa bouche... Bob Dylan? Non, j'aime pas son menton.
Fin de l'interview."
photo : Michael Monfort |
C'est un premier retour au pays après cinquante-huit ans d'absence et une vie américaine bien remplie, et même si les gueules de bois à répétition lui gâchent un peu le paysage, on sent l'écrivain ému par ses retrouvailles. Lui qui s'est habitué à lire sa poésie dans des endroits improbables pour payer son loyer, est tout de même surpris par les mille deux cents personnes venues l'entendre à Hambourg. Il s'en trouve bien un qui l'insulte dans la foule, mais ce serait plutôt du genre à mettre le bonhomme en confiance.
"Là encore les fans allemands se distinguaient : ils avaient mes livres. Dans les boîtes de nuit (*aux États-Unis), on me faisait surtout signer sur des serviettes en papier."
Et puis malgré tout ce dépaysement, Bukowski finit par s'ennuyer de son chat et de sa machine à écrire et il aimerait bien rentrer chez lui. Encore faut-il trouver le bon train, le bon avion, et c'est une autre histoire.
"Comment ce type qui ne s'intéresse à presque rien peut-il écrire sur quoi que ce soit? Eh bien, j'y arrive. J'écris sur tout le reste, tout le temps : un chient errant dans la rue, une femme qui assassine son mari, les pensées et les sentiments d'un violeur à l'instant où il mord dans son hamburger; la vie à l'usine, la vie dans les rues et dans les chambres des pauvres, des invalides et des fous, toutes ces conneries, j'écris beaucoup de conneries dans le genre..."
____________________________________________________
- Shakespeare n'a jamais fait ça, Paris, 13e note éditions, 2012, 254p. Illustré de nombreuses photos de Michael Montfort.
(1) Raphael Sorin qui était aussi l'ami et éditeur de Jean-Pierre Martinet, un autre grand écrivain alcoolique.
Faits divers
Anouk
Ricard aime brouiller les cartes en faisant passer à ses lecteurs la
mince frontière entre la BD et les livres pour enfants. Avec la série
des Anna
et Froga,
puis les enquêtes du commissaire Toumi et Coucous
Bouzon,
le décalage entre son dessin naïf et son humour souvent acerbe a fait ses preuves.
Cette fois, Anouk
Ricard a épluché pour nous les chroniques de faits divers de la
presse régionale, source inépuisable de réjouissances et
d'affligements dans l'observation de la nature humaine, et s'en est
emparé pour nous livrer sa version des faits, plus délirante encore
que ce que laisse supposer des manchettes telles que : "Il
abandonne sa compagne qui s'étouffe au restaurant", ou "Il
reçoit dans son lit une balle tirée par un policier".
Faits
divers,
c'est un peu les Nouvelles
en trois lignes de
Fénéon, réécrites avec des crayons de couleur.
_______________________________________________
- Faits
divers,
Anouk Ricard, éditions Cornélius, 2012.
Grande école
De la petite école à la grande, celle que l'on devine être les Beaux-Arts à Paris et l'école de la vie, en passant par le service militaire et les camps de vacances, voici un catalogue des mille et une petites humiliations et autres échecs qui ont fait de Clément de Gaulejac ce qu'il est aujourd'hui, un dessinateur, artiste visuel, et maintenant écrivain, dont on comprend qu'il ait voulu s'éloigner du carcan initiatique qu'il dépeint.
Le ton sérieux et les descriptions minutieuses offrent un contrepoint au burlesque des situations, avec une subtilité qui n'est pas sans faire penser à Sempé, et l'on se prend à imaginer notre héros en Petit Nicolas qui serait devenu grand, avec une pointe de Buster Keaton en habits d'artiste.
Présentation de l'éditeur :
Le héros tombe dans les escaliers. Il roule en bas des marches sous le regard médusé de la foule réunie là. Personne ne le lui demande, mais en se relevant, il rassure l’assemblée : « Je vais bien, ça va, rien de cassé. » Dans les films burlesques, le héros se relève toujours impassible de ses innombrables chutes. Cette endurance à la cruauté du monde est précieuse pour le spectateur, d’autant plus que les acrobaties mises en scène n’en sont pas moins réelles. Dans l’escalier, c’est un vrai corps qui tombe. C’est ainsi qu’il faut entendre le réalisme des récits de Grande École : ils sont réalisés sans trucage. Sous le joug de toutes sortes de disciplines, le narrateur apprend. C’est-à-dire que, petit à petit, il réunit des compétences, la plupart du temps à son corps défendant – comme le sont les corps de tous les apprentis, tour à tour flottants et entêtés, dont ce livre est peuplé.
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- Grande école, Clément de Gaulejac, Montréal, Le Quartanier éditeur, 2012.
Peste & choléra
Patrick
Deville est un écrivain français atypique puisque ses livres sont
autant des romans d'aventures que des biographies déguisées de
personnages hauts en couleurs. Bandits, aventuriers, scientifiques,
Deville a le chic pour les trouver, avec un goût de prédilection
pour ceux qui s'approchent au plus près de la folie, au coeur des
jungles du monde (voir Pura
vida,
La
tentation des armes à feu, Équatoria,
Kampuchéa).
La précision du langage, l'humour discret et raffiné, les ruptures
dans le rythme, l'exotisme géographique et historique (l'empire
colonial français à son apogée, du temps où les avancées en
Indochine semblaient une compensation pour la perte de
l'Alsace-Lorraine) et le soupçon scientifique (Alexandre Yersin,
pasteurien de génie mais oublié, explorateur par curiosité à une époque où il reste encore des zones d'ombre sur les cartes, ermite philanthrope, méritait amplement, à en croire
le livre de Deville, d'être remis sur le devant de la scène), tout
est là pour que Deville rencontre enfin un public plus large.
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Peste
& choléra,
Patrick Deville, Le Seuil, 2012.
Monsieur T.
Monsieur
T.,
de la poète grecque Katerina Iliopoùlou. Une poésie narrative toute en simplicité, qui n'est pas sans évoquer le Plume de
Michaux.
Dans la très belle, très élégante et très éphémère
collection "Le fer et sa
rouille".
(extrait)
Monsieur T. au bord de la mer
Sur le rivage il ramasse un galet.
Le galet, remarque-t-il, a cette propriété
de n'avoir ni dehors ni dedans.
Le deux se confondent.
Ne pouvant penser à rien d'autre, il décide
que le galet est ennemi du monde, et le jette
au loin.
En tombant le galet forme ce qu'on appelle
"trou dans l'eau".
Monsieur T" ressent une terrible attirance
et jalouse le galet sans savoir pourquoi.
Alors il en prend un autre qu'il met dans sa
bouche.
C'est d'abord salé.
C'est quelque chose de maritime.
Peu après ce n'est rien.
Une boule dure de silence dans sa bouche, qui avale sa voix.
À sa surprise pourtant il s'aperçoit
que même sans voix il peut parler.
Aucun doute, on entend ses appels.
Un vol d'oiseaux de mer atterrit à ses pieds.
Derrière eux en partant ils laissent un texte illisible.
Monsieur T. se penche et sans tarder l'étudie.
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_____________________
Monsieur
T.,
Katerina Iliopoùlou, Montréal, L'Oie de Cravan, 2012, 200 ex
numérotés.
Desire in a bowl of potatoes
Un tout petit livre, un très beau cadeau.
Desire in a bowl of potatoes est un très court recueil de poèmes de Richard Brautigan écrit dans les années 50 en Oregon et longtemps resté inédit, jusqu'à ce que la maison X-Ray Book Co., de Pasadena, en fasse un magnifique tirage en 2005, avec beau papier, couverture imprimée au plomb, le tout joliment cousu à la main.
desire in a bowl of potatoes
under a tree of fire
over a moon of ashes
beside a river of starfish
who are popping bubble gum
_____________________________________
14p., tirage numéroté de 250 ex, 7x10,5 cm.
L'état d'alarme et le sursaut d'orgueil
Après
avoir été lieutenant dans le camps anti-esclavagiste pendant la
guerre de sécession, Ambrose Bierce a voyagé en Europe et a fait
divers petits métiers avant de s'établir comme chroniqueur, puis rédacteur en chef à San
Francisco. Les circonstances de sa mort sont plutôt surprenantes puisque l'on perd sa trace au Mexique en 1913, alors qu'il y avait rejoint l'Armé du Nord de Villa en pleine guerre civile.
Moins
connu que son Dictionnaire du diable
ou que ses nouvelles sur la guerre de sécession, les Fables
fantastiques d'Ambrose Bierce
sont le plus souvent assez réjouissantes à lire, tant leur cynisme
et leur absurdité trouvent encore un écho aujourd'hui.
Dans une bibliothèque idéale, on l'imaginerait volontiers entre Thoreau et Stephen Crane, pas trop loin de Jack London.
J'étais
donc tranquillement installé à lire à une terrasse de café,
lorsque je suis tombé sur ce texte extrait de ces Fables
fantastiques publiées à la fin du XIXe siècle.
Toute
ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait
vraiment pas étonnante.
L'état
d'alarme et le sursaut d'orgueil
« Bonjour,
mon ami", dit l'état d'alarme
au sursaut d'orgueil
; « comment allez-vous ce matin? »
« Très
fatigué », répondit le sursaut
d'orgueil en s’asseyant sur une pierre
au bord du chemin et en s'épongeant le front. « Les
politiciens m'épuisent à force de mener leurs débats en
m'utilisant, moi, au lieu d'agiter un bâton. »
L'état
d'alarme soupira avec sympathie et dit :
« C'est à peu près la même chose ici. Au lieu d'utiliser une
lorgnette, ils regardent les agissements de l'opposition à travers
moi! »
Comme
les deux malheureux compagnons mêlaient leurs larmes amères, on
leur notifia qu'ils avaient à retourner à leur devoir, car l'un des
partis politiques avait réussi à faire nommer un voleur, et
s'apprêtait à tenir un grand meeting de réjouissance.
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- Le Dictionnaire du diable, éditions Rivages poche ;
- Fables fantastiques, éditions Rivages poche ;
- Morts violentes, éditions Grasset, coll. "Cahiers rouges".
Sudbury
Sudbury, du poète franco-ontarien Patrice Desbiens, dans son
édition originale de 1983 à la non moins franco-ontarienne maison d'édition
Prise de parole.
"Je suis né pas loin d'ici.
J'ai encore les
traces sur mon ventre.
Taches de naissance.
Je suis né pas loin
d'ici mais
personne me
reconnaît.
Je montre des photos
de moi aux habitants.
"Avez-vous vu
cet homme ?" je leur demande."
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