Photos, livres, aventures.
Affichage des articles dont le libellé est Sans tambour ni trompette. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Sans tambour ni trompette. Afficher tous les articles

Mots dits français



Entendu à Paris en juillet.

- "Alors, demande l'homme de la rue, toujours poète?
- Oh! Toujours dans les mots", répond modestement l'imprimeur, qui n'a jamais rien fait d'autre que des calendriers et des publicités pour les commerçants du quartier.









.

Soleil (cassé) couchant









L
e soleil s'est enfin posé un peu partout, jusqu'ici à Montréal où il commence à cogner dur. Du coup, on a moins de temps à passer devant son écran, les uns à lire, les autres à écrire, moi le premier. Tout ça est finalement assez ordinaire.
Cette période de l'année est aussi au Québec celle des ventes dites "de garage", où chacun vide ses armoires sur le trottoir en espérant se débarasser des vieilleries qui prennent la poussière.
Livres de poches décolorés, vases Ming en plastique, cadeaux des beaux-parents des Noël précédents, vêtements rongés aux mites et autres trésors que l'on achète à son voisin avant de les revendre à son tour quelques années plus tard en se demandant ce que l'on avait bien pu leur trouver alors.
Ce qui nous touche dans ces objets, c'est souvent le vrai-faux hasard qui les fait apparaître alors qu'on les cherchait plus ou moins consciemment, voire qu'on avait perdu tout espoir de mettre un jour la main dessus.
Chaque livre, dans les librairies d'occasion et les bibliothèques, est ainsi porteur d'une histoire. Comme celle-ci.

Ce matin, je recevais des nouvelles de la lointaine Europe, nouvelles plutôt tristes de mon soleil couchant de grand-père.
"Bon", me disais-je.
Sur ce, voilà que j'enfourche mon éternel vélo, car l'autre soleil m'attend, celui qui fait fondre la peau et qui donne le cancer aux glaciers.
Course folle sous les tropiques, maillot du meilleur grimpeur de trottoir, quand tout à coup, bondissant sur leurs tréteaux, deux caisses de livres entrent dans le paysage et traversent le trottoir. Freinage, crissement de pneus, arrêt obligatoire.
Épuration d'une bibliothèque plus toute jeune, pas mal de livres des années soixante, plutôt les moins bons titres d'auteurs de second plan.
Bac numéro un: rien.
Bac numéro deux: Soleil cassé.
Soleil cassé, dans l'édition de poche de 1975, c'est un livre de mon grand-père, du temps de sa vigueur et de ses colères légendaires. Ce livre, je ne l'ai jamais lu et je n'en ai même pas un exemplaire. Honte au carré. Pour un dollar, je m'offre donc un pan de mémoire familiale, trente-quatre ans après les faits, cinq mille cinq cents kilomètres à l'ouest, et malgré tout dans ma rue.



Retours à la ligne





























C'était un soir d'hiver, en janvier. V. et moi nous étions levés tard et nous avions passé la journée à ne rien faire. Manger des crêpes, enlever la neige sur le balcon, lire un peu, faire l'amour.
V. s'est assise à son bureau et s'est mise à travailler. Pour tout vêtement, elle ne portait qu'une petite couverture blanche que sa mère lui avait offerte pour Noël et qu'elle avait nouée autour de sa taille.
Je me suis assis derrière elle dans le vieux fauteuil à bascule, celui des lectures et des siestes, que l'on avait acheté ensemble l'hiver précédent au bazar de l'église d'à côté.
Son dos était nu et je faisais semblant de lire. J'essayais bien mais n'y arrivais pas. Toute mon attention était captée par le mouvement de ses épaules tandis qu'elle tapait sur son clavier du bout de ses doigts supersoniques.
En approchant la main du radiateur pour me réchauffer, je me suis penché un peu au-dessus de l'accoudoir et j'ai fermé les yeux.
Le bruit des touches enfoncées à toute vitesse m'a renvoyé à mon enfance, lorsque mes parents vivaient encore ensemble. Pour gagner sa vie, mon père faisait des travaux d'édition et passait pour cela une bonne partie de ses journées (et de ses nuits) à défoncer le clavier d'une vieille machine à écrire.
N'ayant jamais pris de cours, il tirait une grande fierté de sa rapidité, bien qu'il n'ait jamais tapé qu'avec deux doigts, les deux index, ce qui lui permettait de fumer en même temps. L'odeur des Gauloises et le "cling" régulier que faisait la machine à la fin de chaque ligne avaient quelque chose de rassurant.
Pendant ce temps-là, ma mère préparait ses cours (dessous de main silencieux en buvard et tabac blond). Aujourd'hui encore ils corrigent mes fautes.
Mais ce soir-là, quand j'ai rouvert les yeux, toujours penché au-dessus du radiateur, mon regard s'est posé sur le sein de V. - enfin, celui que j'apercevais d'où j'étais - qui se balançait au rythme de son écriture.
Je suis resté immobile pendant plusieurs minutes, mon livre à moitié ouvert dans la main gauche, la droite oubliée en train de cuire sur le radiateur.
Tout en la regardant je me suis souvenu de la dactylo d'Hemingway dont parle Brautigan. J'ai pensé aussi que, décidément, j'aurais passé beaucoup de temps à entendre des gens que j'aime taper sur un clavier.
Elle s'est retournée et m'a demandé:
"- À quoi tu penses?
  - Oh, à rien."
   Alors elle s'est levée pour aller prendre un bain.



(janvier 2006-avril 2007)






Caporal













Q
uarante ans de Gauloises brunes, sans filtre,
le gros cendrier en verre sur le coin du bureau.
Le grand-père de certains était maréchal des logis,
moi, mon père c'est le Caporal des claviers.

Roses trémières à Ronce-les-Bains


















(Port de La Tremblade, 1982)



Lu dans un livre aujourd'hui les mots "roses trémières", ce qui m'arrive rarement. Du coup je me souviens que ces fleurs m'ont un jour trahi.
Lorsque j'étais enfant, mes parents avaient une maison à La Tremblade, en Charente-Maritime, où nous allions passer toutes nos vacances. Les courses le matin, l'après-midi à la plage, souvent à Ronce-les-Bains. Je les revois s'ennuyant un peu dans l'eau peu profonde tandis que j'essayais de me faire des amis au Club Mickey. Pour limiter mes caprices, j'avais droit à trente francs d'argent de poche chaque mercredi que je dépensais le samedi matin au marché installé devant la caserne des pompiers.
Ma mère insistait toujours pour que l'on mange du poisson (je revois surtout de la soupe couleur rouille et la table de la cuisine qui me servit plus tard de bureau dans une autre maison). Heureusement, certains soirs nous allions dîner à la crêperie au bout du port, Chez Roberte.
Maintenant que je leur ai ouvert la porte, des tonnes de souvenirs me reviennent et s'engouffrent.
Mais, la trahison des roses trémières. Elles poussent partout dans cette région, avec leur faux air de papier crépon, jusqu'au petit bout de terre le long du mur de la maison, sauf que j'étais persuadé que l'on disait "crémières". Des roses crémières, pourquoi pas, il y a bien des pins parasols pour décorer les très grands cocktails. Mais non, s'apercevant un jour de mon erreur, ma mère voulut la corriger, me forçant à passer de "cre" à "tre" sans d'autre raison que le respect d'une orthographe que justement elle enseignait.
Amer à boire et truelle déception, chères roses crémières, je me souviens de vous.