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JO 2024: pourquoi les Chinois sont-ils si forts au tennis de table?

Malgré l’élimination du numéro 1 mondial dès les huitièmes de finale du simple hommes des Jeux olympiques de Paris, la Chine reste favorite pour décrocher la majorité des médailles en France. Une réussite fantastique qui s’explique par un vrai savoir-faire national développé de toute pièces depuis plusieurs décennies.

Un crime de lèse-majesté. En s’imposant contre Chuqin Wang, numéro 1 mondial, dès les seizièmes de finale des JO 2024 à Paris, le Suédois Truls Moregard a privé la Chine d’un potentiel doublé en finale du simple hommes de tennis de table. Une première depuis 2008 puisque les joueurs de l’Empire du Milieu restait sur quatre doublés consécutifs dans le tournoi olympique masculine.

Certes, Chuqin Wang reviendra de Paris avec, au moins, le titre en double mixte mais il regrettera sûrement cet échec en simple. Une médaille d’or individuelle l’aurait consacré comme le nouveau roi du tennis de table mondial, le nouvel empereur de Chine dans une nation où les meilleurs pongistes sont d’immenses stars et font envie au monde. Ce jeudi, l'équipe de France masculine s'attaque à l'ogre chinois en demi-finale du tournoi olympique avec l'espoir de renverser une montagne.

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"Depuis 20 ans ils dominent de manière extrême notre sport. Que ce soit chez les filles ou chez les garçons, ils ont les trois ou quatre ou cinq meilleurs joueurs du monde dans leur effectif. Les trois se présenteront devant nous demain", a glissé Simon Gauzy après la qualification des Bleus pour les demies. "On ne les a jamais joués encore en France avec notre public...même s'il y aura très certainement encore des Chinois dans la salle. On va profiter du moment et tout faire pour se procurer des opportunités. Si on les a il va falloir les prendre parce qu'ils ne perdent jamais ou très rarement des matchs. Les faire douter c'est le plus important. De toute façon on a envie de montrer une belle image de nous trois."

Un héritage marquant de la Chine de Mao Zedong

La France compte désormais sur Félix et Alexis Lebrun pour contester la suprématie mondiale de la Chine. Mais c’est bien tout un pays que les deux frères français défient quand ils s’attaquent aux pongistes chinois. Si la Chine est devenue aujourd’hui la première nation du tennis de table sur la scène internationale, ce n’était clairement pas gagné. Mais depuis un peu plus de 60 ans, la Chine s’est transformée en machine à gagner dans ce sport.

Interrogé par le journal Le Monde, Aurélien Boucher a expliqué l’origine de cette folle réussite chinoise depuis les années 1960 après le titre mondial surprise obtenu par Rong Guotuan en 1959. En devenant en Allemagne le premier sportif chinois à obtenir un titre de champion du monde, tous sports confondus, Rong Guotuan est ainsi devenu une icône dans son pays.

"Son histoire va être présentée comme une réussite de l’individu qui a réussi à se 'révolutionnariser' et à devenir un bon citoyen socialiste", a détaillé le maître de conférences en sciences humaines Université chinoise d’Hong Kong-Shenzen auprès du quotidien.

Le régime communiste, alors dirigé par Mao Zedong et au pouvoir depuis 10 ans, a décidé de faire du tennis de table le sport national afin d’unifier tous les Chinois. Symbole d’unité, le tennis de table va devenir une machine à engranger des médailles.

Un peu à l’image de l’industrie militaire chinoise, capable de se mobiliser pour répondre à l’effort de guerre, la Chine va rapidement se mettre à produire de nombreux équipements pour jouer au tennis de table avec des tables, balles et raquettes produites en masse avant les Championnats du monde prévus à Beijing (ex-Pékin) en 1961.

"Il y a une volonté de briller à Pékin devant la population chinoise, et de perpétuer ce prestige qui est devenu pas seulement un prestige sportif mais un véritable prestige national", a encore analysé Aurélien Boucher auprès du journal Le Monde.

Un palmarès fou au niveau international

Pour ces premiers Mondiaux à domicile en 1961, la Chine s’est offert une razzia avec les titres en simple chez les femmes et chez les hommes ainsi que dans l’épreuve par équipe masculine. Au total, la Chine a raflé 15 médailles sur les 26 distribuées. Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin.

Depuis le premier titre de Rong Guotuan en 1959, la Chine a trusté les victoires lors des Mondiaux avec près de 70% de titres en individuel chez les hommes et 80% chez les femmes. Au total le pays d’Asie a décroché 157 autres titres mondiaux depuis le premier en 1959 dont 14 pour Ma Long (trois en simple, deux en double et neuf par équipe).

Aux JO de Paris 2024, Fan Zhendong constituait la dernière chance de victoire chinoise après l’élimination surprise de Chuqin Wang dès les 16es de finale par le Suédois Truls Moregard. Un véritable exploit du Suédois tant la Chine domine habituellement ses rivaux aux JO. Mais en finale, le champion du monde en titre chinois a tenu son rang et apporté un nouveau sacre à son pays.

Depuis son retour en 1980 et l’apparition des premières épreuves de tennis de table en 1988. En 36 ans, la Chine a laissé échapper seulement trois titres individuels chez les hommes. Chez les femmes (en individuel) comme dans toutes les épreuves par équipes apparues en 2008 à Beijing, la Chine est invincible.

"C'est rare qu'un sport soit autant dominé par une seule nation", a reconnu Christophe Legout, directeur des compétitions de la Fédération française de tennis de table pour RMC Sport.Et là on parle aussi bien chez les garçons que chez les filles."

Un travail technique dès l’enfance

Souvent imitée mais jamais égalée depuis les années 1960, la Chine semble pourtant intouchable en tennis de table à moins d’un énorme accident. Si Chuqin Wang a déjà pris la porte aux JO de Paris, cela n’enlève rien la belle réussite des pongistes chinois au niveau international. La preuve, Fan Zhendong a (assez) facilement remporté le titre.

Sur le circuit mondial, la Chine place quatre joueuses aux quatre premières places du classement ITTF. Idem chez les hommes où le premier non-Chinois n’est autre que le Français Félix Lebrun (5e mondial).

"Le tennis de table permet d’exercer à la fois le corps et le cerveau. Le ping-pong prévient la myopie chez l’enfant dont les parents laissent facilement leur enfant jouer au ping-pong", a aussi décrit Zhang Hui, ancien joueur chinois et désormais professeur en sciences du sport pour le journal Le Monde. Les explications de l’ancien joueur et désormais professeur en sciences du sport s’ajoutent à la volonté de certains parents de limiter les blessures graves pour leur progéniture. Encore plus depuis que la Chine a instauré la politique de l’enfant unique pour contrôler les naissances."

"Beaucoup de très bons joueurs chinois qui viennent du Nord de la Chine qui est beaucoup plus pauvre que le Sud parce que ça leur sert d'ascenseur social", a encore indiqué Christophe Legout. "Même si c'st un peu moins vrai à l'heure actuelle, il y a toujours eu beaucoup plus de Chinois du Nord qui finissaient en équipe nationale."

Le nombre de bons joueurs a placé la Chine "dans un cercle vertueux"

Avec des entraînements poussés, parfois jusqu’à trois heures par jour pendant la majorité de la semaine, dès l’enfance les jeunes pongistes répètent leurs gammes. A force de travail et grâce à cette répétition des gestes, les Chinois ont acquis une qualité technique incroyable. Si les Chinois commencent tous ou presque à jouer dès l’enfance, les meilleurs sont rapidement repérés par le système. Avec un budget quasiment illimité et des entraîneurs spécialisés sur les datas, le service ou les remises, les pongistes chinois travaillent comme des fous et s’entraînent ensemble. Une émulation qui leur permet de continuer à progresser et de sélectionner à chaque fois les meilleurs athlètes possibles pour les Jeux.

"Ils s'entraînent très tôt et ont énormément de moyens. Ils ont une connaissance absolument chirurgicale non seulement de la technique mais aussi de la tactique et du travail physique à faire", a encore souligné Christophe Legout. "J'ai envie de dire qu'ils sont dans un cercle vertueux. Comme ils sont nombreux, les moins bonnes séances d'entraînement si on compare par exemple avec la France. Aujourd'hui avec Simon Gauzy, Félix et Alexis (Lebrun, ses neveux), il y a en France quatre ou cinq ou six joueurs avec lesquels ils peuvent s'entraîner et se donner à 100% et que la séance ait vraiment du sens. En Chine il y en a cinquante, il y en a cent. Il y a toujours des systèmes de jeu différents."

Et l'ancien pongiste français de prolonger son propos: "C'est comme si Djokovic s'entraînait tous les jours avec Nadal ou Federer, forcément ça entretient la différence de niveau avec les autres joueurs."

"Pas la bonne direction à prendre" pour la France

Vice-champions du monde par équipe début 2024, les Français sont ambitieux pour l'épreuve collective des JO de Paris. En simple, Félix Lebrun a pris la médaille de bronze et a offert au clan tricolore sa première breloque individuelle depuis Jean-Philippe Gatien en 1992. Ce jeudi, le prodige de 17 ans accompagné de son frère Alexis et de Simon Gauzy rêve d'aller chercher, quoiqu'il arrive une nouvelle médaille avec même une finale contre la Suède. Mais pour rêver de l'or face aux Scandinaves, Félx Lebrun et les Bleus devront vaincre le modèle chinois.

"C'est impossible humainement et financièrement de copier ce modèle. Et surtout je ne pense pas que ça soit la bonne direction à prendre", a terminé Christophe Legout auprès de RMC Sport. "Essayer de battre les Chinois dans leur propre système de jeu... je pense qu'ils sont imprenables en fait. Jean-Philippe Gatien avait montré la voie en les prenant de vitesse (vice-champion olympique à Barcelone en 1992, ndlr) à l'époque. Mais aujourd'hui, Félix et Alexis doivent plutôt aller les chercher sur la créativité. C'est là où ils sont dans le vrai. Chez les filles où les systèmes de jeu sont plus classiques, les filles européennes qui essayent de prendre les Chinoises de vitesse n'ont aucune chance."

Jean-Guy Lebreton Journaliste RMC Sport