44 – Mon entrée en religion.

Le titre de ce chapitre est peut-être un peu fort... quoique ce n'est pas tout à fait exact car peu après ma naissance, et à l'insu de mon plein gré ( merci Virenque pour ce petit clin d’œil littéraire ), je fus baptisé  et entrais par la petite porte de cette institution archaïque ! Bon, je ne vais pas bouffer du curé pour l'instant... je n'ai que dix ans ne l'oublions pas ! Mais plus tard sûrement. N'en déplaise aux bien pensants.

 

En outre, lorsque j'ai atteint l'âge de 7 ans – l'âge de raison comme ils disent ( à Gendron-Celles à l'époque ), j'aurais dû faire ma première communion... et ça, ça, je ne m'en souviens pas du tout. Complètement zappé ! Pourtant, mon esprit aurait du être baratiné par toutes ces histoires abracadabrantesques ( comme l'aberration de la création du monde en sept jours et la naissance des hommes issue d'un os... de dinosaure, je suppose ; par le péché de la première femme qui plongea la race humaine dans le chaos ...etc...etc – enfin toutes ces conneries monumentales qu'on nous servait comme vérités divines ) lors de nos séances de catéchisme. Et pourtant, j'ai bien dû la faire quand même, sinon quelques années plus tard, je n'aurais pas pu accéder à l'autre... la solennelle.

 

Cela vient du fait, sans doute, que mes parents à ce moment de ma vie n'aient pas eu follement envie d'inclure la religion dans leur quotidien. Ce sursaut de religiosité leur viendrait un peu plus tard lorsque la peur, sans doute, d'une éventuelle damnation les avait fait virer de bord. Et ce manque de souvenirs de ma part serait dû alors à une éducation religieuse très édulcorée.

 

Donc, vers la fin des vacances d'été, mon grand-père maternel, Bonpapine ( ouais... je sais.. c'est con ! ) était de passage à la maison. Cette visite impromptue était d'une rareté absolue. En fait, il n'était que de passage car ayant quitté Bruxelles où il résidait, il se rendait chez son frère, mon oncle, un père trappiste qui vivait monacalement ( je sais, c'est encore un jackysisme ) à l'abbaye de Rochefort. Qui plus est, il en était même le grand patron, le père supérieur.

 

Non seulement la Leffe coulait au fond de notre jardin – avant de couler à flot bien plus tard au fond de mon gosier en pente douce ( là, j'exagère un peu car je sais qu'il ne faut pas abuser des bonnes choses et donc boire avec modération... et ce, même si c'est très bon ) - mais j'avais aussi un lien ténu avec les trappistes de Rochefort. Décidément ! C'est une histoire de bière qui alimente mon récit. Ceci dit entre nous, je préfère de loin la Leffe à la Rochefort. Enfin chacun ses préférences.

 

Et... Bonpapipe proposa que je l'accompagne dans cet lieu austère où les hommes - ( car les femmes ne pouvaient pas être admises au sein ( au sein – voyez le paradoxe ) de l'abbaye – pouvaient y être admis en retraite.

 

Nous partîmes donc muni de notre chapelet et de notre missel rempli d'images pieuses rendre visite à mon oncle, le Révérend Père MICHEL ( qui n’avait pas perdu son chat ).

 

Ce dernier était le patron du lieu ; le PS ( Père Supérieur ). Hé, hé... bande de sagouins, vous pensiez au Parti Socialiste hein ! Raté ! Bande de petits politicards de mes deux.

 

Avec le recul, je pense que cette retraite m'avait fait un bien fou car j'y avais vu là un type de vie inattendue, calme et insouciante car coupée du reste du monde extérieur. Une existence pourtant assez égoïste toutefois, car elle défilait sans trop se soucier des autres , ceux qui vivaient en dehors de la communauté.

 

Un peu d'histoire.

 

Les trappistes font partie de l’Ordre des Cisterciens de la Stricte Observance. Historiquement, ils se rattachent à la Grande Trappe en Normandie, d’où leur nom. Ils suivent la Règle de saint Benoît, qui est le tronc commun pour toute la vie monastique aujourd’hui dans l’Église latine.

 

Il y a dans le paysage de la vie religieuse un vœu qui identifie les moines cisterciens, c’est le vœu de stabilité. Dans l’itinéraire de chaque moine, de chaque vocation à la vie monastique, il y a d’abord l’appel et l’attrait pour un lieu et une communauté où les moines s’engagent pour la suite de leur vie. Les moines trappistes sont les héritiers de la famille cistercienne dont la figure la plus connue est saint Bernard.( C'est bon à savoir car je pensais pour ma part que c'était uniquement une race de chien ).

 

 

Dans la vie monastique, la prière rythme le quotidien. Il n’en est pas autrement pour les trappistes qui débutent chaque journée par un temps de prière commune avec le chant des psaumes. Ensuite, au fil des heures, la prière chantée alterne avec des temps de prière personnelle: écouter la Parole de Dieu, méditation et rumination( rumination !!! ça, ne vient pas de moi, je le jure. ). Entre ces temps spirituels, viennent se greffer différents services en communauté. Pour chaque membre de la communauté, c’est la même réalité d’un travail vécu dans l’esprit fraternel et au niveau d’un service. Certains frères effectuent un travail de bûcheronnage en forêt pour fournir dans la région du bois de chauffage, d’autres s’investissent en cuisine, d’autres encore sont en charge de l’accueil, de l’hôtellerie ou de la formation des frères qui ont récemment rejoint la communauté. Depuis les origines, le travail intellectuel et physique a toujours été valorisé au sein des abbayes, anciennement celui de la terre. Le développement des activités liées à la production de fromage ou de bière découle directement de cette spécificité de la vie dans un monastère. Dès leur fondation, les communautés trappistes se sont appuyées sur une économie de type agricole. La production du fromage, réalisée avec le lait du troupeau, était vendue sur le lieu-même du monastère aux pèlerins ou aux touristes. Il en va de même pour la bière qui s’inscrit directement dans l’histoire du patrimoine et d’une culture brassicole en Belgique. Dans les communautés, il y avait une tradition de faire une bière de table destinée à la communauté et à l’hôtellerie. A partir de là, les brasseries se sont développées au fil des générations.

 

***source Google

 

 

Reprenons le fil de notre histoire et donc :

 

Arrivés à la gare de Rochefort, nous fûmes accueillis par mon oncle, le Révèrent père Michel qui nous conduisit vers son domaine sacré, l'abbaye Notre-Dame de Saint-Remy. Cet homme imposant vêtu de sa coule blanche et où une énorme croix de bois pendait à son cou, forçait l'admiration du petit bonhomme que j'étais. Il avait une grosse voix, un accent flamand très prononcé et je le trouvais vachement sympa.

 

Je pris vite mes marques car rapidement je déambulais sans surveillance parmi les pères, guidé par leurs rites, de l’aurore au crépuscule. J'étais sans doute à ce moment, le seul enfant pouvant se vanter d'avoir autant de pères.

 

Je visitais les lieux immenses , plongé dans un passé ancestral que je ne connaissais qu’au travers de mes livres d’histoire et où les reclus vivaient en autarcie complète, en dehors du temps.

 

Souvent, l'un des pères, demandait à ce que je l'accompagne dans ses tâches. J'allais donc nourrir avec le père Cheron les animaux ; veaux, vaches, cochons, chevaux, moutons, poules, lapins..., ramasser les myriades d'œufs dans des seaux galvanisés de dix litres, sarcler avec le père Cil les terres des potagers, tailler avec le père Venche les magnifiques rosiers et promener aux abords d’étangs qui n’avaient plus vu la présence de  pécheurs  ( sauf moi bien sûr car il y avait longtemps que je n'avais plus été me confesser alors même que l'endroit où je batifolais s'y prêtait ) depuis des lustres et dans lesquels des carpes gigantesques, nageotaient ( encore un jackysisme ) à la surface pour se dorer au soleil chaud de l'été en toute sécurité.

 

J'assistais à la fabrication du pain, du fromage et surtout de la bière, ce mélange secret de malt et d'une eau de source originaire de la région, jalousement protégée par les moines. Ce brouet qui macérait, se brassait dans d'énormes cuves en cuivre auprès desquelles j'avais l'air d'un nain et qui à la fin de sa maturation allait devenir un breuvage des dieux. Bon ! C'est vrai que c'est un peu païen ce que j'écris, peut-être un sacrilège ! Bof ! Je suis déjà pardonné car je ne suis qu'un mouflet.

 

 

Je participais aux offices, aux prières, aux chants, seul au fond de la chapelle, observant avec curiosité les moindres gestes des officiants. J'étais très sage, sachant que ce qui m'était offert était un privilège. Que le silence était ici roi. Bien sûr, lorsque je dis que je participais aux prières, il ne s'agissait pas des matines, des laudes, de la prime ou de la tierce car à ces heures je n'étais pas encore éveillé ni levé. Je n'étais astreint à aucune obligation vu mon jeune âge. Mais même si plus tard l’athéisme allait me rattraper au grand galop, je ne peux m'empêcher, encore maintenant, de ressentir une plénitude totale lorsque je franchis les portes d'une chapelle, d'une église, d'une collégiale, d'une cathédrale ou même d'une mosquée. Car tous ces lieux sont emplis à jamais d'un mysticisme qui dépasse la raison du commun des mortels.

 

 

Je partageais avec eux leurs frugaux repas. Tandis que le père Colateur distribuait le café dans d'énormes bouteilles thermos, disposait les plats simples mais bien équilibrés sur les énormes tables en chêne massif, tous commençaient dans un silence total à ingurgiter cette alimentation terrestre. Pendant ce temps, niché sur une petite estrade sur laquelle était posé un lutrin, le père Hoquet lisait inlassablement d'une voix douce mais profonde, des litanies de psaumes afin de les abreuver également d'une nourriture spirituelle.

 

 

Ensuite, je rejoignais ma cellule ; quelques mètres carrés de murs et de sol en pierres, une table avec une cruche remplie d’eau, un tabouret et une niche recouverte d’une tablette de chêne et d’ une paillasse avec des couvertures d'un tissu rêche qui irritait ma peau douce de chérubin .

 

La vie avait un autre sens, un autre rythme. Les journées s’écoulaient, paisibles. On voyait le temps passer, on l’entendait s’écouler.

 

Peu de paroles étaient échangées et chaque bruit du quotidien prenait une intonation, une ampleur intemporelle .( quelle puissance ! quel écho ! avait ce« nom de dieu »craché par le père Forateur, quand il se tapait sur les doigts en réparant la porte du tabernacle )

 

Peut-être aurais-je pu vivre de cette façon. Offrir ma vie à la passion du Christ, épouser une nonnette, qui sait !

 

Je fis également la connaissance du père Fusion qui était le médecin de la communauté ainsi que du père Dolan qui distribuait les médicaments à ses pépères ( sorry ! ) à ses pairs pères lorsqu'ils étaient malades ce qui était rarement le cas et surtout du père Vert qui me regardait toujours d’un air bizarre et me passait gentiment la main dans les cheveux que j'avais abondant en ce temps là..

 

Au bout d'une semaine de cette vie reposante, je repris le chemin de la maison laissant derrière moi un relent de jeunesse à ce lieu empreint de sérénité.