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samedi 24 octobre 2015

Quelque chose survivra !

Quelque chose survivra

Configuration étrange. Dans un train bondé du vendredi après-midi, je répondais à mes e-mails en écoutant de la musique. Un adolescent à lunettes s’est assis en face de moi et s’est mis à dessiner au crayon sur un bloc. Des visages, des mains, des pieds, esquissés d’une main sûre. Puis il a ouvert un livre, un essai, et s’est mis à lire en penchant la tête, les lèvres à peine entrouvertes, avec cette candeur concentrée des moines, des enfants et des madones de Léonard. Derrière moi braillaient des recrues. Dans mes oreilles, à ce moment précis, Midnight Train to Georgia, un hymne soul à l’amour et à l’échec, à l’amour dans l'échec. « I’d rather be with him in his world than without him in mine », chantait Gladys Knight.
Ma gorge s’est serrée, puis je n’ai plus rien vu. Quelque chose survivra, quoi qu’il puisse nous arriver, me disait une voix. L’ado a levé les yeux. Je lui ai souri, l’air de dire: « ne t’en fais pas ». Il est retourné à son livre, captivé par la lecture. J’étais accablé de tristesse et de bonheur, comme si je venais de retrouver mon fils. Quelque chose survivra.



jeudi 2 avril 2015

En mémoire d'une Antigone serbe (1.4.1999)





Le début du printemps coïncide désormais en Serbie avec le souvenir d’une amère moisson: les 78 jours de bombardement continu sur le pays que l’OTAN a déclenché le 24 mars 1999 suite à l’échec des faux pourparlers de Rambouillet.
Alors que le gouvernement et les médias, désormais, préfèrent garder le silence sur cette affaire et mettent sous clef les témoignages et les archives, les réseaux sociaux fourmillent encore de réminiscences et de légendes. L’une d’elles, parmi les plus touchantes, m’a été signalée par mon ami Boris Lazić.
On l'aperçoit çà et là sous son casque trop grand, le regard aigu et fier et la crinière blonde ramenée en catogan. Diane chasseresse des temps modernes, elle porte en bandoulière un tube antichar en lieu et place du carquois. Sous la photo, son nom: Ljiljana Žikić-Karadjordjević. Et sous le nom, un slogan: Car la Serbie a oublié pourquoi
Les divers sites et journaux se repassent, à peu de chose près, la même notice, maigre et formelle :
Ljiljana Žikić-Karadjordjević, née le 9 mars 1957 à Kragujevac, était volontaire au sein de la 125e brigade mécanisée durant l’agression conjointe de l’OTAN et des terroristes albanais contre la Serbie au printemps 1999. Elle est tombée au combat le 1er avril 1999 aux abords du village de Ljubenić, commune de Peć, au Kosovo. Elle a été décorée à titre posthume de l’Ordre du mérite de la Défense. Elle était mère de six enfants.
On ne sait rien sur les circonstances de sa mort. Cela importe peu, du reste. Bombe de l’OTAN ou balle de l’UÇK : ce printemps-là, c’était un seul et même ennemi. On n’en sait pas davantage sur les circonstances de sa vie. Des anonymes, sur les réseaux, prétendent qu’elle avait, dans l’espoir de devenir princesse, eu une liaison avec feu le prince Tomislav Karadjordjević — et qu’elle s’était du même coup approprié le patronyme royal. D’autres (ou les mêmes) rajoutent qu’elle était une femme de mauvaise vie qui avait abandonné ses enfants au fur et à mesure qu’elle les pondait. Des juges un peu plus cléments concèdent qu’elle était partie au front pour expier ses péchés… A l’autre bord, des défenseurs vitupèrent ces mauvais esprits — des trolls dans le langage du net — et demandent leur exclusion. D’aucuns disent l’avoir rencontrée, au Kosovo, mais sous un autre nom. Untel précise même qu’elle a péri dans un VTB avec trois autres soldats lorsqu’ils furent touchés par un tir de mortier. Les plus fervents lui dédient des poèmes ou des prières.
A mesure qu’on se plonge dans les commentaires, on se détourne un peu de l’icône pour essayer d’imaginer ces regards fixés sur elle et qui marmonnent, tapis dans l’ombre. Les chœurs de nos tragédies contemporaines s’appellent désormais desfils de discussion. Ceux-ci révèlent une nation aigrie ou désespérée, crédule ou cynique, massivement désœuvrée et, surtout… masculine. Les commentaires qu’on devine féminins sont rarissimes.
La volontaire aux six enfants a-t-elle vraiment existé ? N’est-elle pas une héroïne trop idéale? Mais est-ce si important ? Les vies de saints valent par l'impression qu’elles laissent, non par leur rigueur biographique.
Il nous reste tout de même quelque chose d’elle, ou en tout cas de cette époque-là, il y a seize ans, dont des siècles nous séparent déjà. Un journal avait recueilli un poème d’elle, intitulé « Je défendrai la Serbie, même morte », un hymne antique et puissant qui commence ainsi :
Et quand je serai morte, je vais me redresser
Pour rester immobile, tel un roc fort et fier,
Mon regard scrutera à jamais la frontière,
Pas même ma tombe ne pourra m'effacer.
Il y a longtemps que les poètes (masculins) ne laissent plus de vers aussi virils — signe que ceux-ci sont authentiques. Elle, en plus, elle a tenu promesse. Seize ans plus tard, l’ombre de cette jeune mère continue de veiller sur une nation que ses politiques ont trahie et que ses hommes, de honte, n’osent plus défendre. Ses hommes se terrent derrière leurs écrans et brodent des légendes, noires ou dorées, sur une Antigone imaginaire ou, plus vraisemblablement, une jeune femme qui avait eu les couilles de dérouler son destin de mère et de combattante jusqu’à son accomplissement parfait. Une femme somme toute ordinaire, car les femmes d’aujourd’hui vont souvent au bout de leur destin, à la différence des hommes. A l’ère d’Houellebecq, les hommes sont tout juste bons à rédiger des notes de bas de page.
Le destin de la Serbie, comme celui des autres nations d’Europe, se conjugue désormais au féminin.
http://blog.despot.ch/post/en-memoire-dune-antigone-serbe-1-4-1999

mercredi 15 octobre 2014

Chasser les Russes de Belgrade ?

http://blog.despot.ch/

Chasser les Russes de Belgrade?


Les politiques et les médias occidentaux fulminent contre la visite de Vladimir Poutine à Belgrade et la parade militaire qui y est organisée à cette occasion, la première depuis des décennies. Ils occultent au passage le motif de cet événement, qui est historique: la commémoration de la libération de Belgrade (précisons-le: de l'occupation nazie!). Si l'on a pu «désinviter» les Russes des plages de Normandie ou des commémorations du bicentenaire des relations diplomatiques entre la Suisse et la Russie, il eût été difficile de leur interdire la commémoration d'un fait d'armes qu'ils ont eux-même accompli! (La contribution des partisans de Tito à cette libération ayant été plutôt symbolique, et cantonnée, avant tout, à des actes d'épuration après le départ des Allemands.)
Le degré de morgue et de négationnisme historique que manifestent les directeurs d'opinion occidentaux à l'égard de la Russie et de l'Europe de l'Est ne faiblit pas avec les déconvenues et les démentis qu'ils essuient. Bien au contraire. Ce comportement est l'aspect le plus préoccupant de la crise actuelle. Il donne à penser que la hargne, la manipulation et l'intrusion arrogante dans les affaires d'autrui ne cesseront qu'avec l'effondrement économique, social ou militaire de l'un ou l'autre camp.
Cette réplique de Miroslav Lazanski, le plus illustre commentateur militaire de l'espace balkanique, aux balivernes de l'incontournable Tim Judah illustre à la fois l'ampleur du malentendu et l'ignorance frivole qui imprègne les prises de positions occidentales.
Belgrade, le musée militaire du fort de Kalemegdan (sr.wikipedia.org)

mercredi 10 septembre 2014

Slobodan Despot : Le syndrome Tolstoïevsky !



Je vous invite a lire ce remarquable billet de Slobodan Despot.

 http://blog.despot.ch/le-syndrome-tolstoievsky

Le syndrome Tolstoïevsky


Le problème, avec l’approche occidentale de la Russie, n’est pas tant dans le manque de volonté de comprendre que dans l’excès de volonté de ne rien savoir.
Cette nation qui a donné Pouchkine et Guerre et Paix, Nijinsky et le Lac des Cygnes, qui a l’une des plus riches traditions picturales au monde, qui a classé les éléments de la nature, envoyé le premier homme dans l’espace (et le dernier à ce jour), qui a produit des pelletées de génies du cinéma, de la poésie, de l’architecture, de la théologie, des sciences, qui a vaincu Napoléon et Hitler, qui édite les meilleurs manuels — et de loin — de physique, de mathématiques et de chimie, qui a su trouver un modus vivendi séculaire et pacifique, sur fond de respect et de compréhension mutuelle, avec ses Tatars et ses indénombrables musulmans, khazars, bouddhistes, Tchouktches, Bouriates et Toungouzes, qui a bâti la plus longue voie de chemin de fer au monde et l’utilise encore (à la différence des USA où les rails légendaires finissent en rouille), qui a minutieusement exploré et cartographié les terres, usages, ethnies et langues de l’espace eurasien, qui construit des avions de combat redoutables et des sous-marins géants, qui a reconstitué une classe moyenne en moins de quinze ans après la tiers-mondisation gorbatcho-eltsinienne, cette immense nation, donc, qui gouverne le sixième des terres émergées, est soudain traitée, du jour au lendemain, comme un ramassis de brutes qu’il s’agit de débarrasser de leur dictateur caricatural et sanglant avant de les éduquer à servir la « vraie » civilisation !
*
L’Occident ressort la même guignolerie haineuse à chaque crise, depuis Ivan le Terrible à « Putler »-Poutine, en passant par le tsar Paul, la guerre de Crimée, le pauvre et tragique Nicolas II, et même l’URSS où tout succès était dit « soviétique » et tout échec dénigré comme « russe ».
Des nations serviles qui accordent aux Américains un crédit illimité de forfaiture et de brigandage « parce-qu’ils-nous-ont-libérés-en-45 » n’ont pas un mot, pas une pensée de gratitude pour la nation qui a le plus contribué à vaincre l’hydre national-socialiste… et qui en a payé le prix le plus lourd. Ses élus sont traités en importuns, son président caricaturé avec une haine obsessionnelle, la liberté de mouvement et de commerce de ses citoyens, savants, universitaires et hommes d’affaires est suspendue au bon vouloir d’obscures commissions européennes dont les peuples qu’elles prétendent représenter ne connaissent pas le nom d’un seul membre, ni pourquoi il y siège plutôt qu’un autre larbin des multinationales.
Mais tout ceci n’est encore rien. C’est dans l’ordre des choses. L’Occident et la Russie ne font que jouer les prolongations, à l’infini, du conflit Rome-Byzance en l’étendant aux continents voisins voire à l’espace interplanétaire. La vraie guerre des civilisations, la seule, est là. Barbare comme le sac de Constantinople, apocalyptique comme sa chute, ancienne et sournoise comme les schismes théologiques masquant de perfides prises de pouvoir. Tapie dans les replis du temps, mais prête à bondir et à mordre comme un piège à loups. C’est le seul piège, du reste, que l’empire occidental n’ait pas posé tout seul et qu’il ne puisse donc désamorcer. (Étant entendu que la menace islamique n’est que le produit des manœuvres coloniales anglo-saxonnes, de la cupidité pétrolière et de l’action de services d’État occupés à cultiver des épouvantails pour effrayer leurs propres sujets, puis à les abattre pour les convaincre de leur propre puissance et de leur nécessité.)
La menace russe, elle, est d’une autre nature. Voici une civilisation quasi-jumelle, ancrée sur ses terres, consciente d’elle-même et totalement ouverte aux trois océans, à l’Arctique comme à l’Himalaya, aux forêts de Finlande comme aux steppes de Mongolie. Voici des souverains qui — depuis la bataille de Kazan remportée par ce même Ivan qui nous sert de Père Fouettard — portent le titre de Khans tatars en même temps que d’Empereurs chrétiens siégeant dans l’ultime Rome, la troisième, Moscou, qui fleurit au moment où Byzance gémissait sous l’Ottoman et le pape sous la verge de ses mignons. Voici une terre aux horizons infinis, mais dont les contours sont gravés dans l’histoire du monde, inviolables bien que diffus. Voici des gens, enfin, et surtout, aussi divers qu’on peut l’imaginer, mêlant au sein d’un même peuple le poil blond des Vikings aux yeux obliques et aux peaux tannées de l’Asie. Ils n’ont pas attendu le coup de départ du métissage obligé, les Russes, ils l’ont dans leur sang, si bien assimilé qu’ils n’y pensent plus. Les obsédés de la race au crâne rasé qu’on exhibe sur les chaînes anglo-saxonnes ont la même fonction que les coucous suisses : des articles pour touristes.
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Cela ressemble tellement à l’Europe. Et c’en est tellement loin ! Tellement loin que les infatigables arpenteurs des mers — génois, anglais, néerlandais, espagnols —, qui connaissent l’odeur de la fève de tonka et la variété des bois de Sumatra, ne savent rien de la composition d’un borchtch. Ni même de la manière dont on prononce le nom de cette soupe. Ce n’est pas qu’ils ne pourraient pas l’apprendre. C’est qu’ils n’en ont pas envie. Pas plus qu’ils ne veulent connaître, vraiment, l’esprit, les coutumes et la mentalité des immigrants exotiques qu’ils accueillent désormais par millions et qu’ils laissent s’agglutiner en ghettos parce qu’ils ne savent comment leur parler.
J’ai dû, moi, petit Serbe, apprendre deux langues et deux alphabets pour entamer ma vie d’immigré. J’en ai appris d’autres pour mieux connaître le monde où je vis. Je m’étonne sincèrement de voir que mes compatriotes suisses ne savent pas, pour la plupart, les deux autres grandes langues de leur pays. Comment connaître autrui si vous ne savez rien de la langue qu’il parle ? C’est le minimum de la courtoisie. Et cette courtoisie, désormais, se réduit de plus en plus à des rudiments d’anglais d’aéroport.
De même font les Russes, dont l’éducation intègre la culture ouest-européenne en sus de la leur propre. Où voit-on la réciproque, à l’ouest du Dniepr ? Depuis Pierre le Grand, ils se considéraient européens à part entière. Les artistes de la Renaissance et les penseurs des Lumières sont les leurs. Leontiev, le père Serge Boulgakov, Répine, Bounine, Prokofiev et Chestov sont-ils pour autant les nôtres ? Non, bien entendu. Parler français fut deux siècles durant la règle dans les bonnes maisons — et le reste encore parfois. Ils se sont intensément crus européens, mais l’Europe s’est acharnée à leur dissiper cette illusion. Quand les jeunes Russes vous chantent Brassens par cœur, vous leur répondez en évoquant « Tolstoïevsky ». L’Europe de Lisbonne à Vladivostok n’aura été réelle qu’à l’Est. A l’Ouest, elle ne fut jamais que la projection livresque de quelques visionnaires.
L’Europe de Lisbonne à Vladivostok ! Imagine-t-on la puissance, la continuité, le rayonnement, les ressources d’un tel ensemble ? Non. On préfère definitely se mirer dans l’Atlantique. Un monde vieillissant et ses propres outlaws mal dégrossis s’étreignant désespérément par-dessus la mer vide et refusant de voir dans le monde extérieur autre chose qu’un miroir ou un butin. Leur derniers échanges chaleureux avec la Russie remontent à Gorbatchev. Normal : le cocu zélé avait entrepris de démonter son empire sans autre contrepartie qu’une paire de santiags au ranch de Reagan. Vingt ans plus tard, les soudards de l’OTAN occupaient toutes les terres, de Vienne à Lviv, qu’ils avaient juré de ne jamais toucher ! Au plus fort de la Gorbymania, Alexandre Zinoviev lançait son axiome que tous les Russes devraient apprendre au berceau : « Ils n’aimeront le tsar que tant qu’il détruira la Russie ! »
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«Ah, vous les Slaves ! » — ouïs-je souvent dire — «Quel don pour les langues ! » Je me suis longtemps rengorgé, prenant le compliment pour argent comptant. Puis, ayant voyagé, j’ai fini par comprendre. Ce n’est pas « nous les Slaves » qui avons de l’aisance pour les langues : c’est vous, les « Européens » qui n’en avez pas. Qui n’en avez pas besoin, estimant depuis des siècles que votre package linguistique (anglais, français, allemand, espagnol) gouverne le monde. Pourquoi s’escrimer à parler bantou ? Votre langue, étendard de votre civilisation, vous suffit amplement, puisqu’au-delà de votre civilisation, c’est le limes (comme au temps de César), et qu’au-delà du limes, mon Dieu… Ce sont les terres des Scythes, des Sarmates, des Marcheurs Blancs, bref de la barbarie. Voire, carrément, le bord du monde où les navires dévalent dans l’abîme infini.
Voilà pourquoi le russe, pour vous, c’est du chinois. Et le chinois de l’arabe, et l’arabe de l’ennemi. Vous n’avez plus même, dans votre nombrilisme, les outils cognitifs pour saisir ce que les autres — qui soudain commencent à compter — pensent et disent, réellement, de vous. Ah ! Frémiriez-vous, si vous pigiez l’arabe des prédicateurs de banlieue ! Ah ! Railleriez-vous si vous entraviez des miettes de ce que les serveurs chinois du XIIIe dégoisent sur vous. Ah ! Ririez-vous s’il vous était donné de saisir la finesse de l’humour noir des Russes, plutôt que de vous persuader à chacun de leurs haussements de sourcil que leurs chenilles sont au bord de votre gazon.
Mais vous ne riez pas. Vous ne riez plus jamais. Même vos vaudevilles présidentiels sont désormais commentés avec des mines de fesse-mathieu. Vous êtes graves comme des chats qui caquent dans votre quiétude de couvre-feu, alors qu’eux, là-bas, rient, pleurent et festoient dans leurs appartements miniatures, leur métro somptueux, sur leur banquise, dans leurs isbas et jusque sous les pluies d’obus.
Tout ceci n’est rien, disais-je, parlant du malentendu historique qui nous oppose. La partie grave, elle arrive maintenant. Vous ne leur en voulez pas pour trois bouts d’Ukraine dont vous ignoriez jusqu’à l’existence. Vous leur en voulez d’être ce qu’ils sont, et de ne pas en démordre ! Vous leur en voulez de leur respect de la tradition, de la famille, des icônes et de l’héroïsme — bref, de toutes les valeurs qu’on vous a dressés à vomir. Vous leur en voulez de ne pas organiser pour l’amour de l’Autre la haine du Soi. Vous les enviez d’avoir résolu le dilemme qui vous mine et qui vous transforme en hypocrites congénitaux : Jusqu’à quand défendrons-nous des couleurs qui ne sont pas les nôtres ?
Vous leur en voulez de tout ce que vous avez manqué d’être !
Ce qui impressionne le plus, c’est la quantité d’ignorance et de bêtise qu’il vous faut déployer désormais pour entretenir votre guignolerie du ramassis de brutes qu’il s’agit de débarrasser de leur dictateur caricatural et sanglant avant de les éduquer à servir la « vraie » civilisation. Car tout la dément : et les excellentes relations de la Russie avec les nations qui comptent et se tiennent debout (BRICS), et le dynamisme réel de ce peuple, et l’habileté de ses stratèges, et la culture générale du premier Russe venu, par opposition à l’inculture spécialisée du « chercheur » universitaire parisien qui prétend nous expliquer son obscurantisme et son arriération. C’est que ce ramassis de brutes croit encore à l’instruction et au savoir quand l’école européenne produit de l’ignorance socialisée ; croit encore en ses institutions quand celles de l’UE prêtent à rire ; croit encore en son destin quand les vieilles nations d’Europe confient le leur au cours de la Bourse et aux banquiers de Wall Street.
Du coup, la propagande a tout envahi, jusqu’à l’air qu’on respire. Legouvernement d’Obama prend des sanctions contre le régime de Poutine : tout est dit ! D’un côté, Guantanamo, les assassinats par drones aux quatre coins du monde, la suspension des droits élémentaires et le permis de tuer sans procès ses propres citoyens — et, surtout, vingt-cinq ans de guerres coloniales calamiteuses, sales et ratées qui ont fait du Moyen-Orient, de la Bosnie à Kandahar, un enfer sur terre. De l’autre, une puissance qui essaie pas à pas de faire le ménage à ses propres frontières, celles justement dont on s’était engagé à ne jamais s’approcher. Votre gouvernement contre leur régime
Savez-vous de quoi vous vous privez en vous coupant ainsi, deux fois par siècle, de la Russie ? Du refuge ultime des vos dissidents, en premier lieu du témoin capital Snowden. Des sources d’une part considérable de votre science, de votre art, de votre musique, et même, ces jours-ci, du dernier transporteur capable d’emmener vos gens dans l’espace. Mais qu’importe, puisque vous avez soumis votre science, votre art, votre musique et votre quête spatiale à la loi suicidaire du rendement et de la spéculation. Et qu’être traqués et épiés à chaque pas, comme Snowden vous l’a prouvé, ne vous dérange au fond pas plus que ça. A quoi bon implanter une puce GPS à des chiens déjà solidement tenus en laisse ? Quant à la dissidence… Elle n’est bonne que pour saper la Russie. Tout est bon pour saper la Russie. Y compris les nazis enragés de Kiev que vous soutenez sans gêne et n’hésitez pas à houspiller contre leurs propres concitoyens. Quelle que soit l’issue, cela fera toujours quelques milliers de Slaves en moins…
Que vous a-t-il donc fait, ce pays, pour que vous en arriviez à pousser contre lui les forces les plus sanguinaires enfantées par la malice humaine : les nazis et les djihadistes ? Comment pouvez-vous vouloir ignorer et casser un peuple étendu sur onze fuseaux horaires ? Destituer de l’extérieur un chef d’État plus populaire que tous vos polichinelles réunis ? Êtes-vous déments ? Ou la Terre est-elle trop petite, à vos yeux, pour que l'« Occident » puisse y cohabiter avec un État russe ?
C’est peut-être cela, tout compte fait. La Russie est l’avant-poste, aujourd’hui, d’un monde nouveau, de la première décolonisation véritable. Celle des idées, des échanges, des monnaies, des mentalités. A moins que vous, atlantistes et eurocrates, ne parveniez à entraîner la nappe dans votre chute en provoquant une guerre atomique, le banquet de demain sera multipolaire. Vous n’y aurez que la place qui vous revient. Ce sera une première dans votre histoire : mieux vaut vous y préparer.
http://blog.despot.ch/le-syndrome-tolstoievsky