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Après son chrono canon sur 100m, que vaudrait le perchiste Armand Duplantis au décathlon?

Seul au monde à la perche, Armand Duplantis (24 ans) a bluffé le monde de l’athlétisme mercredi en remportant un 100m en 10’’37 contre le spécialiste du 400m haies, Karsten Warholm. Ce qui laisse augurer un gros potentiel au décathlon, même si sa faculté à lancer interroge.

Karsten Warholm sera bien embarrassé à 20h04 ce jeudi. Le Norvégien portera un maillot de la Suède avant de prendre le départ du 400m haies au meeting de Zurich, avant-dernier rendez-vous de la Ligue de Diamant. Le résultat de son improbable duel perdu mercredi contre Armand Duplantis… roi incontesté du saut à la perche. Mais pas seulement donc. Le Suédois a impressionné le monde de l’athlétisme en réglant la ligne droite en 10’’37 devant Warholm (10’’57) qui avait confié qu’un revers serait "plus embarrassant" pour lui.

"Un mec qui peut envisager de courir en 9’’95"

Il peut toutefois vivre sa défaite avec peu d’amertume. Personne ne s’attendait à voir Duplantis à un tel niveau, six ans après sa dernière course chronométrée sur la distance (10’’57 en 2018). "J’ai été clairement impressionné parce qu’il a fait, le temps de réaction, la sortie des blocks, il l’a explosé", confie Renaud Longuèvre, ancien manager des équipes de France d’athlétisme désormais consultant pour RMC. "C’est très surprenant parce que c’est quand même un perchiste qui démarre debout avec sa perche. Il a un feeling exceptionnel pour réagir vite. Il n’est pas loin d’être le meilleur sprinteur suédois sur 100m." Il pointe seulement à trois dixièmes du recordman de la distance du pays, Henrik Larsson (10’’08 en mai dernier).

"Et il fait ça dès son premier 100m", ajoute l’ancien entraîneur de Ladji Doucouré. "Ça équivaut à la première sortie des sprinteurs purs en avril/mai où ils sont à deux ou trois dixièmes de ce qu’ils sont capables de faire. Ça veut dire qu’il n’est pas loin de valoir entre 10’’00 et 10’’10 s’il faisait une vraie saison de sprint. C’est très sérieux. Je ne veux pas dire ‘il vaut moins de 10’ mais s’il disait: ‘je veux faire les JO de Los Angeles 2028 sur 100m’, c’est un mec qui peut envisager de courir en 9’’95." Renaud Longuèvre ne l’imagine pas pour autant tenter l’aventure sur la ligne droite. Quid alors du décathlon?

Un doute sur les lancers

Un tel temps sur 100m, couplé à son niveau hors du commun à la perche (record du monde à 6,26m), lui offriraient déjà près de 2.400 points. Le total pourrait gonfler sur les épreuves de courses et de saut mais la vraie incertitude réside dans son niveau aux lancers. "Au décathlon, c’est compliqué de dire: ‘il vaut 8.000’ parce que je n’ai aucune information sur sa capacité à lancer", explique Longuèvre. "S’il se lance le poids sur le pied ou s’il ne dépasse pas 35 mètres au javelot ou au disque parce qu’il n’a pas la technique, c’est impossible d’estimer un bon total. La vitesse sur 100m, c’est bien mais le décathlon, c’est quand même très technique."

"Sur 100m, il est déjà aussi fort, voire meilleur que Damian Warner (champion olympique en 2021) qui est le meilleur décathlonien sur 100m", situe Longuèvre. "Et à la perche, il lui met presque un mètre 50. Il a déjà deux armes importantes, mais le décathlon, c’est dix épreuves."

"Ça ne restera qu’une curiosité"

A seulement 24 ans, Mondo Duplantis n’esquisse pas publiquement l’envie de changer de discipline. Il n’a pas laissé non plus le souvenir d’une appétence pour l’épreuve fétiche de Kevin Mayer, à l’inverse d’autres perchistes avant lui comme Jean Galfione et Renaud Lavillenie mais aussi… Karsten Warholm, vice-champion d’Europe juniors du décathlon en 2015. "Ce sont des garçons qui ont déjà appris des techniques avant", souligne Longuèvre. "Mondo s’est spécialisé à la perche très vite et je n’ai jamais vu passer des performances, hormis le 100m, en dehors de la perche."

A 24 ans, tout reste ouvert pour Duplantis qui est déjà une légende de son sport. Mais le voir sur 100m aux JO semble peu envisageable. "Non parce que ce ne sera jamais aussi fort que ce qu’il fait à la perche", tranche-t-il. "Pour être champion olympique au 100m, il faut faire 9’’75, je ne le vois pas faire ça."

"Ça ne restera qu’une curiosité", conclut-il. "La perche, c’est son business, il bat les records du monde, il peut faire trois ou quatre fois champion olympique. C’est comme pour Riner, qui a fait le choix de rester au judo pour marquer l’histoire dans la durée. C’est le destin de Mondo. Maintenant qu’il a égalé Bob Richards en faisant deux titres olympiques, il faut qu’il soit le seul au monde trois fois champion olympique en 2028, puis tenter le quatrième."

Nicolas Couet Journaliste RMC Sport