Date de création : 17.01.2009
Dernière mise à jour :
31.08.2022
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Charles Baudelaire | |
Baudelaire par Etienne Carjat | |
Nom de naissance | Charles Pierre Baudelaire |
---|---|
Activité(s) | Poète, critique d'art, essayiste, traducteur |
Naissance | 9 avril 1821 Paris, ![]() |
Décès | 31 août 1867 (à 46 ans) Paris, ![]() |
Langue d'écriture | français, latin |
Genre(s) | Poésie, poème en prose, essai, critique d'art |
Œuvres principales | |
|
Charles Pierre Baudelaire est un poète français, né à Paris le 9 avril 1821 et mort dans la même ville le 31 août 1867. Il est l'un des poètes les plus célèbres du XIXe siècle : en incluant la modernité comme motif poétique, il a rompu avec l'esthétique classique.
Aujourd'hui reconnu comme un écrivain majeur de l'histoire de la poésie mondiale, Baudelaire est devenu un classique. Barbey d'Aurevilly a vu en lui « un Dante d'une époque déchue »1.
Au travers de son œuvre, Baudelaire opère une transformation radicale de l'esthétique dominante, en proclamant vouloir libérer l'esthétique de toute considération morale ou éthique. Comme le postule si bien le titre de son recueil Fleurs du mal" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal">Les Fleurs du mal, il a renouvelé en profondeur les motifs poétiques. Dans ses poèmes il a tenté de tisser et de démontrer les liens entre le mal et la beauté, le bonheur et l'idéal inaccessible (À une passante), la violence et la volupté (Une martyre), entre le poète et son lecteur (« Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère »), entre les artistes à travers les âges (Les Phares2). En parallèle de poèmes graves (Semper Eadem) ou scandaleux pour l'époque (Delphine et Hippolyte), il a exprimé la mélancolie (Mœsta et errabunda) et l'envie d'ailleurs (L'Invitation au voyage). Il a aussi extrait la beauté de l'horreur (Une charogne).
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Charles Baudelaire naît au n°13 de la rue Hautefeuille à Paris. Sa mère, Caroline Archenbaut-Defayis (Dufaÿs ou Dufays, par corruption) a vingt-sept ans. Son père, Joseph-François Baudelaire, né en 1759 à La Neuville-au-Pont3, en Champagne, est alors sexagénaire. Quand il meurt, en 1827, Charles n'a pas six ans. Cet homme lettré, épris des idéaux des Lumières, et amateur de peinture, peintre lui-même, lui laisse un héritage dont il n'aura jamais le total usufruit. Il avait épousé, en première noces, le 7 mai 1797, Jeanne Justine Rosalie Jasmin avec laquelle il eut un fils, Claude Alphonse Baudelaire, le demi-frère de Charles.
Un an plus tard, sa mère, Caroline Archimbaut-Dufays (1793-1871) se remarie avec le chef de bataillon Jacques Aupick. Le futur poète ne pardonnera jamais à sa mère ce remariage, et l'officier Aupick, devenu plus tard ambassadeur, incarne à ses yeux tout ce qui fait obstacle à ce qu'il aime : sa mère, la poésie, le rêve, et la vie sans contingences.
« S'il va haïr le général Aupick, c'est sans doute que celui-ci s'opposera à sa vocation. C'est surtout parce que son beau-père lui prenait une partie de l'affection de sa mère. [...] Une seule personne a réellement compté dans la vie de Charles Baudelaire : sa mère4 »
En 1831, le lieutenant-colonel Aupick ayant reçu une affectation à Lyon, Baudelaire est inscrit à la pension Delorme puis suit les cours de sixième au Collège royal de Lyon, en cinquième il devient interne. En janvier 1836, la famille revient à Paris où Aupick est promu colonel en avril. Baudelaire, alors âgé de quatorze ans, est inscrit au Collège Louis-le-Grand comme pensionnaire, mais il doit redoubler sa troisième. En seconde, il obtient le deuxième prix de vers latins au concours général.
Renvoyé du lycée Louis-le-Grand en avril 1839 pour une vétille5, Baudelaire mène une vie en opposition aux valeurs bourgeoises incarnées par sa mère et son beau-père. Il est reçu in extremis au Baccalauréat qu'il passe au lycée Saint-Louis en fin d'année. Son beau-père jugeant la vie de son beau-fils « scandaleuse », décide de l'envoyer en voyage vers les Indes, périple qui prend fin aux Mascareignes (Maurice et La Réunion) en 1841.
De retour à Paris, il s'éprend de Jeanne Duval, jeune mulâtresse, avec laquelle il connaîtra les charmes et les amertumes de la passion. Dandy endetté, il est placé sous tutelle judiciaire, et connaît, dès 1842, une vie dissolue. Il commence alors à composer plusieurs poèmes des Fleurs du mal. Critique d'art et journaliste, il défend en Delacroix le représentant du romantisme en peinture, mais aussi Balzac lorsque l'auteur de La Comédie humaine est sottement attaqué et caricaturé pour sa passion des chiffres6 ou pour sa perversité présumée7. Grâce à son ami Louis Ménard, Baudelaire découvre en 1843 les « paradis artificiels » dans le grenier de l'appartement familial des Ménard : il y goûte la confiture verte. Même s'il contracte la colique à cette occasion, cette expérience semble lui décupler sa créativité (il fait son autoportrait en pied, très démesuré), aussi va-t-il renouveler cette expérience occasionnellement sous contrôle médical en participant aux réunions du "club des Haschischins". En revanche, sa pratique de l'opium est plus longue : il fait d'abord un usage thérapeutique du laudanum8 dès 1847, prescrit pour combattre ses maux de tête et comme analgésique (suite aux douleurs intestinales consécutives à une syphilis, probablement contractée durant sa relation avec la prostituée Sarah la Louchette vers 1840). Comme De Quincey avant lui, l’accoutumance le fait augmenter progressivement les doses. Croyant y trouver un adjuvant créatif, il en décrira les enchantements et tortures9.
En 1848, il participe aux barricades. La révolution de Février instituant la liberté de la presse, Baudelaire fonde l'éphémère gazette Le Salut Public (d'obédience résolument républicaine), qui ne va pas au-delà du deuxième numéro. Le 15 juillet 1848, paraît dans La Liberté de penser un texte d'Edgar Allan Poe traduit par Baudelaire : Révélation magnétique. A partir de cette période, Baudelaire n'aura de cesse de clamer son admiration pour l'écrivain américain et deviendra son traducteur attitré. La connaissance des œuvres de Poe et de Joseph de Maistre atténue définitivement sa "fièvre révolutionnaire"10. Plus tard, il partage la haine de Gustave Flaubert et de Victor Hugo pour Napoléon III, mais sans s'engager outre mesure dans son œuvre (« L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre / Ne fera pas lever mon front de mon pupitre » - Paysage dans Tableaux parisiens du recueil Les Fleurs du mal)11 Baudelaire se voit reprocher son écriture et le choix de ses sujets. Il n'est compris que par quelques-uns de ses pairs comme Armand Baschet, Édouard Thierry, Champfleury, Barbey d’Aurevilly, Dulamon12, ou encore André Thomas... Cet engouement confidentiel contraste avec l'accueil houleux que réserve la presse au poète des Fleurs du mal" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal">Fleurs du mal. Dès la parution du recueil, en 185713, Gustave Bourdin réagit avec une extrême virulence dans les colonnes du Figaro du 5 juillet 1857 : « Il y a des moments où l'on doute de l'état mental de M. Baudelaire, il y en a où l'on n'en doute plus ; —c'est, la plupart du temps, la répétition monotone et préméditée des mêmes choses, des mêmes pensées. L'odieux y côtoie l'ignoble ; le repoussant s'y allie à l'infect... » et cela deviendra le jugement dominant de l'époque.
Moins de deux mois après leur parution, Fleurs du mal" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal">Les Fleurs du mal sont poursuivies14 pour « offense à la morale religieuse » et « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Seul ce dernier chef d'inculpation condamne Baudelaire à une forte amende de trois cents francs, réduite à cinquante, suite à une intervention de l'impératrice Eugénie. L'éditeur, Auguste Poulet-Malassis, s'acquitte pour sa part d'une amende de cent francs, et doit retrancher six poèmes dont le procureur général Ernest Pinard a demandé l'interdiction (Les bijoux ; Le Léthé ; À celle qui est trop gaie ; Lesbos ; Femmes damnées [le premier poème] ; Les métamorphoses du vampire). Malgré la relative clémence des jurés, en égard au réquisitoire qui vise onze poèmes, ce jugement touche profondément le poète, qui réalisera, contraint et forcé, une nouvelle édition en 1861, enrichie de trente-deux poèmes. En 1862, Baudelaire est candidat au fauteuil d'Eugène Scribe à l'Académie Française. Il est parrainé par Sainte-Beuve et Vigny. Le 6 février 1862, il n'obtient aucune voix et se désiste. Par la suite, il renonce à se présenter au fauteuil de Lacordaire15. En 1866, l'auteur réussit à publier les six pièces condamnées, accompagnées de seize nouvelles, à Bruxelles, c'est-à-dire hors de la juridiction française, sous le titre Les Épaves16.
Le 24 avril 1864, le poète, criblé de dettes, part pour la Belgique pour entreprendre une tournée de conférences où ses talents de critique d'art éclairé ne déplacent guère les foules. Il se fixe à Bruxelles, et prépare un pamphlet contre son éphémère pays d'accueil, qui figure, à ses yeux, une caricature de la France bourgeoise. Le féroce Pauvre Belgique! restera inachevé. Pressentant la mort inéluctable de ce royaume qu'il juge artificiel, il résume son épitaphe en un mot : Enfin !
C'est en Belgique que Baudelaire rencontre Félicien Rops, qui illustre Fleurs du mal" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal">les Fleurs du mal. Lors d'une visite à l'église Saint-Loup de Namur, Baudelaire perd connaissance. Cet effondrement est suivi de troubles cérébraux, en particulier d'aphasie. A partir de mars 1866, il souffre d'hémiplégie. Il meurt à Paris de la syphilis le 31 août 1867, sans avoir pu réaliser le projet d'une édition définitive, comme il la souhaitait, des Fleurs du Mal, travail de toute une vie. Il est enterré au cimetière du Montparnasse (6e division), dans la même tombe que son beau-père, le général Aupick et sa mère.
Le Spleen de Paris (autrement appelé Petits poèmes en prose) est édité à titre posthume en 1869, dans une nouvelle édition remaniée par Asselineau et Théodore de Banville. À sa mort, son héritage littéraire est mis aux enchères. L'éditeur Michel Lévy l'acquiert pour 1750 francs. La troisième édition des Fleurs du Mal que préparait Charles Baudelaire, accompagnée des 11 pièces intercalaires, a disparu avec lui.
Une première demande en révision du jugement de 1857 fut introduite en 1929 par Louis Barthou ; cependant elle ne fut pas satisfaite, aucune procédure n'existant à l'époque pour ce cas. C'est par la loi du 25 septembre 194617 que fut créée une procédure de révision des condamnations pour outrage aux bonnes mœurs commis par la voie du livre, exerçable par le Garde des Sceaux à la demande de la Société des gens de lettres. Celle-ci décida, l'année même, de demander la dite révision pour Les Fleurs du Mal, qui fut enfin accordée, le 31 mai 1949, par la Chambre criminelle de la France)" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_de_cassation_%28France%29">Cour de cassation18,19,20.
Baudelaire habita principalement à Paris, où il occupa une quarantaine de domiciles. Voici un relevé approximatif de ses adresses21.
Baudelaire fréquentait beaucoup les cafés, puisqu'il "composait dans les cafés et dans la rue," selon un ami de jeunesse.26 En sa jeunesse il se retrouvait souvent avec ses amis chez Duval (un marchand de vin), place de l'Odéon. Il affectionnait aussi La Rotonde, pas le café célèbre du même nom (aujourd'hui Bd. Montparnasse), mais un autre, situé dans le quartier Latin. Il mangeait souvent à la Tour d'Argent, quai de la Tournelle (réstaurant qui existe encore sous le même nom, mais dont l'intérieur n'a rien en commun avec son apparence à l'époque de Baudelaire). Plus tard ce sera le café Momus, rue St. Germain d'Auxerrois, le Mabille, le Prado, la Chaumière, et la Closerie des Lilas.27
Regards sur l'œuvre«Tout enfant, j'ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires : l'horreur de la vie et l'extase de la vie.» (Mon cœur mis à nu)
Toutes les grandes œuvres romantiques témoignent de ce passage de l'horreur à l'extase et de l'extase à l'horreur28. Ces impressions naissent chez Baudelaire du sentiment profond de la malédiction qui pèse sur la créature depuis la chute originelle. En ce sens, les Fleurs du Mal appartiennent au Génie du christianisme.
« L'œuvre entière offre un aspect étrange et puissant, conception neuve dans sa riche et sombre diversité, marquée du sceau énergique d'une longue méditation.(...) Les Fleurs du mal appartiennent au Génie du Christianisme29 ».
Analysant ce qu'il appelait « le vague des passions » dans la préface de 1805 à cet ouvrage, Chateaubriand écrivait : « Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici-bas dans une vallée de larmes, et qui ne se repose qu'au tombeau. » Pour Baudelaire, il ne s'agit ni de littérature, ni de notions plus ou moins abstraites, mais « du spectacle vivant de (sa) triste misère ». Comme la nature, l'homme est souillé par le péché originel et, à l'instar de René ou de Werther (Goethe), Baudelaire n'éprouve le plus souvent que le dégoût pour « la multitude vile » (Recueillement). Ce qui le frappe surtout, c'est l'égoïsme et la méchanceté des créatures humaines, leur paralysie spirituelle, et l'absence en elles du sens du beau comme du sens du bien. Le poème en prose La Corde s'inspirant d'un fait vrai, raconte comment une mère, indifférente pour son enfant qui vient de se pendre, s'empare de la corde fatale pour en faire un fructueux commerce30.
Baudelaire devait en souffrir plus que tout autre28 : L'Albatros dénonce le plaisir que prend le « vulgaire » à faire le mal, et, singulièrement, à torturer le poète. Dans L'Art romantique, Baudelaire remarque : « C'est un des privilèges prodigieux de l'Art que l'horrible, artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l'esprit d'une joie calme. ». Des poèmes, comme Le Mauvais Moine, L'Ennemi, Le Guignon montrent cette aspiration à transformer la douleur en beauté. Peu avant Baudelaire, Vigny et Musset avaient également chanté la douleur.
Comment Baudelaire aurait-il pu croire à la perfectibilité des civilisations ? Il n'a éprouvé que mépris pour le socialisme d'une part, pour le réalisme et le naturalisme d'autre part31. Avec une exception pour le realiste Honoré de Balzac dans lequel Baudelaire voyait bien davantage qu'un naturaliste (« Si Balzac a fait de ce genre roturier [le roman de mœurs] une chose admirable, toujours curieuse et souvent sublime, c'est parce qu'il y a jeté tout son être. J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné. »)32
Les sarcasmes à l'égard des théories socialistes (après 1848), réalistes et naturalistes se multiplient dans son œuvre. Comme Poe, dont il fera les traductions, il considère « le Progrès, la grande idée moderne, comme une extase de gobe-mouches ». Pour en finir avec ce qu'il appelle « les hérésies » modernes, Baudelaire dénonce encore « l'hérésie de l'enseignement » : « La poésie, pour peu qu'on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d'enthousiasme, n'a pas d'autre but qu'elle-même. […] Je dis que si le poète a poursuivi un but moral, il a diminué sa force poétique ; et il n'est pas imprudent de parier que son œuvre sera mauvaise. »33 Le poète ne se révolte pas moins contre la condition humaine. Il dit son admiration pour les grandes créations sataniques du romantisme comme Melmoth (roman noir — gothique — de Charles Robert Maturin). Négation de la misère humaine, la poésie, à ses yeux, ne peut être que révolte. Celle-ci prend une forme plus moderne dans les Petits poèmes en prose et se fait humour noir.
Rejetant le réalisme et le positivisme dont il est contemporain, Baudelaire sublime la sensibilité et cherche à atteindre la vérité essentielle, la vérité humaine de l'univers, ce qui le rapproche en termes philosophiques du platonisme. Il écrit ainsi en introduction à trois de ces poèmes dans le Salon de 1846 : « La première affaire d'un artiste est de substituer l'homme à la nature et de protester contre elle. Cette protestation ne se fait pas de parti pris, froidement, comme un code ou une rhétorique, elle est emportée et naïve, comme le vice, comme la passion, comme l'appétit. » Et il ajoute dans le Salon de 1859 : « L'artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon ce qu'il voit et ce qu'il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature. ». Baudelaire énonce ainsi la découverte fondamentale de la sensibilité moderne : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu'il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu'il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie non voulue, inconsciente, et que c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. »
C'est pourquoi l'imagination est pour lui « la reine des facultés ». Au fait, elle substitue « une traduction légendaire de la vie extérieure » ; à l'action, le rêve. Cette conception de la poésie annonce celle de presque tous les poètes qui vont suivre. Cependant, Baudelaire n'a pas vécu son œuvre, pour lui vie et poésie, restaient, dans une certaine mesure, séparées (ce qu'il exprime en disant: La poésie est ce qu'il y a de plus réel, ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde). Là où Baudelaire et Stéphane Mallarmé ne pensaient qu'œuvre d'art, les surréalistes, après Arthur Rimbaud, penseront œuvre de vie, et essayeront de lier action et écriture. Malgré cette divergence avec ses successeurs, il fut l'objet de vibrants hommages comme celui que lui rendit le jeune Rimbaud pour qui il fut un modèle : « Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. » Il suffit de comparer ces quelques lignes de Baudelaire :
« […] qui n'a connu ces admirables heures, véritables fêtes du cerveau, où les sens plus attentifs perçoivent des sensations plus retentissantes, où le ciel d'un azur plus transparent s'enfonce dans un abîme plus infini, où les sons tintent musicalement, où les couleurs parlent, et où les parfums racontent des mondes d'idées ? Eh bien, la peinture de Delacroix me paraît la traduction de ces beaux jours de l'esprit. Elle est revêtue d'intensité et sa splendeur est privilégiée. Comme la nature perçue par des nerfs ultra-sensibles, elle révèle le surnaturalisme34. »
avec ce passage du Premier Manifeste du surréalisme :
« Réduire l'imagination à l'esclavage, quand bien même il y irait de ce qu'on appelle grossièrement le bonheur, c'est se dérober à tout ce qu'on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule imagination me rend compte de ce qui peut être, et c'est assez pour lever un peu le terrible interdit ; assez aussi pour que je m'abandonne à elle sans crainte de me tromper35. »
Ainsi, le surnaturalisme comporte en germe certains aspects de l'œuvre de Lautréamont, de Rimbaud et du surréalisme même.
C'est à propos de la peinture d'Eugène Delacroix et de l'œuvre de Théophile Gautier que Baudelaire a usé de cette formule célèbre qui caractérise si justement son art : « Manier savamment une langue, c'est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. C'est alors que la couleur parle, comme une voix profonde et vibrante, que les monuments se dressent et font saillie sur l'espace profond ; que les animaux et les plantes, représentants du laid et du mal, articulent leur grimace non équivoque, que le parfum provoque la pensée et le souvenir correspondants ; que la passion murmure ou rugit son langage éternellement semblable. »36
Baudelaire utilise régulièrement la synesthésie pour rapprocher les sens, notamment dans le poème Correspondances.
Seul Gérard de Nerval, avant lui, avait créé une poésie qui ne fût pas littérature. Libérée du joug de la raison, la poésie peut désormais exprimer la sensation.
Et lors de l'inauguration du monument Baudelaire au cimetière du Montparnasse, Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts rappellera cette recherche de la sensation : « Ce fait même d'avoir découvert un frisson nouveau, frisson qui va jusqu'à l'extrême limite de la sensibilité, presqu'au délire de l'Infini, dont il sut emprisonner les manifestations les plus fugitives, fait de Baudelaire un des explorateurs les plus audacieux mais aussi des plus triomphants de la sensation humaine
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