Date de création : 17.01.2009
Dernière mise à jour :
31.08.2022
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Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud | |
Nom de naissance | Jean Nicolas Arthur Rimbaud |
---|---|
Autres noms | Jean Baudry Alcide Bava |
Naissance | 20 octobre 1854 Charleville, ![]() |
Décès | 10 novembre 1891 (à 37 ans) Marseille, ![]() |
Mouvement(s) | inclassable, produit du romantisme (et du Parnasse) |
Genre(s) | Poésie et poème en prose |
Œuvres principales | |
Jean Nicolas Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville, mort le 10 novembre 1891 à Marseille.
Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à quinze ans et demi. Ses derniers à 20 ans. Lui, pour qui le poète doit être « voyant » et qui proclame qu'il faut « être absolument moderne », renonce subitement à l’écriture malgré la reconnaissance de ses pairs.
Ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires le poussent à choisir alors une vie aventureuse dont les pérégrinations l’amènent jusqu’au Yémen et en Éthiopie où il devient négociant, voire explorateur. De cette seconde vie, ses écritures consistent en près de 180 lettres (correspondance familiale et professionnelle) et quelques descriptions géographiques1.
Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait d'Arthur Rimbaud une des figures considérables de la littérature française.
Biographie
Son père, Frédéric Rimbaud, capitaine d'infanterie, est né à Dole, le 7 octobre 1814 ; sa mère Marie Catherine Vitalie Cuif, paysanne née à Roche, le 10 mars 1825. Ils se sont mariés le 8 février 1853 et habitent un appartement au 12 rue Napoléon2. Le couple n’est réuni qu’au gré de rares permissions ; le temps d’avoir cinq enfants avec ponctualité : Jean Nicolas Frédéric, le 2 novembre 1853, Jean Nicolas Arthur, le 20 octobre 1854, Victorine Pauline Vitalie, le 4 juin 1857 (elle mourra le mois suivant), Jeanne Rosalie Vitalie, le 15 juin 1858 et Frédérique Marie Isabelle, le 1er juin 1860. Après la naissance de cette dernière, le couple vivra séparé car, désormais, le capitaine Rimbaud ne reviendra plus à Charleville3.
Se déclarant veuve, la mère déménage avec ses enfants en 1861 pour habiter au 73 rue Bourbon, dans un quartier ouvrier de Charleville. En octobre, le jeune Arthur entame sa scolarité à l'institution Rossat où il récolte les premiers prix.
Figure rigide et soucieuse de respectabilité, vigilante sur l’éducation de ses enfants, Vitalie Rimbaud rend le climat familial étouffant.
Fin 1862, nouveau déménagement pour un quartier bourgeois au 13 cours d’Orléans4.
En 1865, Arthur entre au collège municipal de Charleville, où il se montre brillant élève ; collectionnant les prix d'excellence en littérature, version, thème... Il rédige en latin avec aisance, des poèmes, des élégies, des dialogues. Mais, comme cet extrait de son poème Les Poètes de sept ans5 le laisse imaginer, il bout intérieurement :
Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'âpres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
En juillet 1869, il participe aux épreuves du Concours académique6 de composition latine sur le thème « Jugurtha », qu'il remporte facilement. Le principal du collège Jules Desdouets aurait dit de lui : « Rien d'ordinaire ne germe dans cette tête, ce sera le génie du mal ou celui du Bien. »7. En obtenant tous les prix dès l’âge de 15 ans, il s'affranchit des humiliations de la petite enfance.
Pendant ces années il eut comme ami Ernest Delahaye avec qui il échangea de nombreuses lettres8.
En 1870, alors en classe de rhétorique, le collégien se lie d'amitié avec Georges Izambard, le professeur de rhétorique, son aîné de six ans. Ce dernier lui prête des livres, tel les Misérables de Victor Hugo qui font bondir sa mère — qu'il surnomme « la Mother », « La bouche d’ombre » ou encore, « La Daromphe ».
De cette époque, subsistent les premiers vers : Les Étrennes des orphelins, parus dans La Revue pour tous en janvier 1870.
L’orientation poétique est alors celle du Parnasse avec la revue collective, Le Parnasse contemporain. Le 24 mai 1870, Arthur, alors âgé de 15 ans, écrit au chef de file du Parnasse, Théodore de Banville, pour transmettre ses volontés : « devenir Parnassien ou rien » et se faire publier. Pour cela, il joint trois poèmes : Ophélie, Sensation et Credo in unam. Banville lui répond, mais les poèmes en question ne paraîtront pas dans la revue.
Il songe alors à se rendre dans la capitale pour goûter à l'esprit révolutionnaire du peuple parisien.
Le collégien de 16 ans vient de rafler les prix les plus prestigieux. Au cours des vacances scolaires de 1870, le 29 août, quelques jours avant la bataille de Sedan, Arthur trompe la vigilance de sa mère9 et se sauve avec la ferme intention de se rendre dans la capitale.
Contrôlé à son arrivée Gare du Nord, il ne peut présenter qu’un billet de transport irrégulier. Les temps troublés n’invitent pas à la clémence. Tandis que les armées prussiennes se préparent à faire le siège de Paris et va se proclamer la Troisième République, le voilà détenu dans la prison de Mazas.
De sa cellule, il écrit à Georges Izambard, à Douai10 pour lui demander de payer sa dette. Le professeur exécute sa demande et lui paie également le voyage pour se rendre à Douai, lui offrant l’hospitalité avant de retourner dans son foyer.
Rimbaud y débarque vers le 8 septembre. Redoutant le retour à Charleville, il y reste trois semaines11.
Pendant ce temps, l'armée prussienne Paris (1870)" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Paris_%281870%29">encercle la capitale à partir du 19 septembre.
Jusqu’ici antimilitariste déclaré, Rimbaud est pris d'élans martiaux depuis la capitulation de Sedan. Si bien, qu’il est décidé à suivre son professeur parti s’engager volontairement dans la Garde nationale. N’étant pas majeur, il en sera empêché malgré ses protestations.
Par ailleurs, Rimbaud fait la connaissance du poète Paul Demeny, un vieil ami de son hôte. Celui-ci est co-directeur d’une maison d’édition : La Librairie Artistique, où il a fait paraître un recueil de poésies (Les Glaneuses). Rimbaud saisit l’occasion et, dans l’espoir d’être édité, lui dépose une liasse de feuillets où il a recopié quinze de ses poèmes.
Izambard, qui a prévenu Vitalie Rimbaud de la présence de son fils à Douai, en reçoit la réponse : « …chassez-le, qu’il revienne vite12!».
Pour calmer les esprits, il décide de raccompagner son élève jusqu'à Charleville. A leur arrivée, l’accueil est rude : une volée de gifles pour le fils, une volée de reproches, en guise de remerciements, pour le professeur qui, ébahi, « s’enfuit sous l’averse13».
Le 6 octobre, nouvelle fugue. Paris étant en état de siège, il part à Charleroi — il relate cette arrivée dans le sonnet, Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir. Rêvant d’être journaliste, il tente, sans succès, de se faire engager comme rédacteur dans le Journal de Charleroi.
Dans l’espoir de retrouver Izambard, il se rend à Bruxelles puis à Douai où son professeur arrive quelques jours après, aux ordres de Vitalie Rimbaud, pour le faire revenir escorté de gendarmes. Ce fut fait le 1er novembre 1870.
Entre-temps, il s'était rendu chez Paul Demeny pour lui déposer les sept poèmes composés au cours de ce dernier périple (des versions antérieures, seront remises au parnassien, Théodore de Banville et à Izambard).
Le 10 juin 1871, Rimbaud écrira à Demeny : « … brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai14 ».
Ceux-ci seront répertoriés par les biographes sous l’appellation de Recueil de Douai ou Recueil Demeny.
Rimbaud parviendra toutefois à publier dans Le Progrès des Ardennes du 25 novembre 1870, un récit satirique, Le Rêve de Bismarck15, sous le pseudonyme de Jean Baudry16. Rimbaud y développe, après Victor Hugo, la symbolique d'une ville de Paris qui est la lumière de la Révolution et qui sera autrement difficile à combattre pour les Prussiens. Rimbaud prédit que Bismarck s'y brûlera le nez.
La réouverture du collège est retardée d'octobre 1870 à avril 1871.
En février 1871, à l'issue du Paris (1870)" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Paris_%281870%29">siège de Paris, Rimbaud fait une nouvelle fugue vers la capitale. La situation politique du pays est tendue et Rimbaud cherche à entrer en contact avec de futurs communards comme Jules Vallès et Eugène Vermersch, mais aussi avec le milieu des poètes, il rencontre aussi le caricaturiste André Gill.
Rimbaud revient à Charleville avant le début de la Paris (1871)" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Commune_de_Paris_%281871%29">Commune. Plusieurs témoignages prétendent qu'il est retourné à Paris à ce moment-là, cependant, ceci est impossible à démontrer dans l'état actuel des recherches. Cependant, le poète a ressenti très profondément la tragédie de la Commune.
Dans un poème violent, L'orgie parisienne (ou : Paris se repeuple), il dénonce la lâcheté des vainqueurs. Sa poésie se radicalise encore, devient de plus en plus sarcastique : Les Pauvres à l’Église, par exemple. L'écriture se transforme progressivement. Rimbaud en vient à critiquer fortement la poésie des romantiques et des Parnassiens, et dans sa lettre à Izambard du 13 mai 1871, il affirme son rejet de la « poésie subjective ». C'est également dans la lettre dite « du Voyant », adressée le 15 mai à Paul Demeny, qu'il exprime sa différence en exposant sa propre quête de la poésie : il veut se faire « voyant », par un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».
Selon Paul Verlaine, Rimbaud a composé son plus beau poème en vers suite à la semaine sanglante : Les Veilleurs17 ; son sujet était la douleur sacrée causée par la chute de la Commune.
Il est difficile de situer le début de la relation épistolaire avec Verlaine. Celui-ci prétend avoir reçu très peu de courriers et ne parle que de l'envoi des Premières communions et des Effarés.
Charles Bretagne met Rimbaud en contact avec son ami Paul Verlaine et un courrier a dû sceller le prochain départ de Rimbaud pour Paris vers le mois d'août.
En août 1871, dans son poème parodique, Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, Rimbaud exprime une critique ouverte de la poétique de Banville. Finalement Verlaine l'appelle à Paris : « Venez chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ! »
Bien que brillant élève, Arthur Rimbaud ne retournera pas au collège.
Il arrive dans la capitale vers le 15 septembre 1871. Il est présenté et très bien accueilli par ses pairs plus âgés, au dîner des « Vilains Bonshommes » le 30 septembre. Il y rencontre une part essentielle des grands poètes de son temps. Il est successivement logé par Verlaine, rue Nicolet, non sans heurts avec la femme de ce dernier, puis chez Charles Cros, André Gill et même quelques jours chez Théodore de Banville18.
Le 20 octobre de cette année, Rimbaud a tout juste 17 ans. Il a atteint sa maturité poétique comme en témoignent plusieurs chefs-d'œuvre comme Les Premières communions et Le Bateau ivre.
En mars 1872, les provocations de Rimbaud excèdent le milieu parisien depuis quelque temps. L'incident Carjat au dîner des Vilains Bonshommes de mars 1872 fut la goutte qui fait déborder le vase. Rimbaud complètement saoul y a blessé le célèbre photographe d'un coup de canne-épée. Pour sauver son couple et rassurer ses amis, Verlaine se condamne à éloigner Rimbaud de Paris.
Rimbaud se fait oublier quelque temps en retournant à Charleville, puis revient dans la capitale dans le courant du premier semestre 1872 pour de nouveau quitter Paris le 7 juillet, cette fois en compagnie de Verlaine. Commence alors avec son aîné une liaison amoureuse et une vie agitée à Londres, puis à Bruxelles.
Cette liaison tumultueuse se termine par ce que la chronique littéraire désigne sous le nom de « drame de Bruxelles » : en juillet 1873, les deux amants sont à Londres. Verlaine quitte brusquement Rimbaud, en affirmant vouloir rejoindre sa femme, décidé à se tirer une balle dans la tête si elle n'accepte pas. Il réside dans un hôtel bruxellois. Rimbaud le rejoint, persuadé que Verlaine n'aura pas le courage de mettre fin à ses jours. Alors que Rimbaud veut le quitter, Verlaine, ivre, tire sur lui à deux reprises, le blessant légèrement au poignet. Verlaine est incarcéré à Mons.
Rimbaud rejoint la ferme familiale de Roche où il s’isole pour écrire Une saison en enfer. Son parcours littéraire s'achève par l'irruption de « la réalité rugueuse à étreindre ». Aussi va-t-il se taire, parce qu'il a accompli tout ce qui était en son pouvoir, dans le « désert et la nuit » qui l'entourent. Il sait désormais qu'à elle seule, la poésie ne peut changer la vie si elle n'est pas servie par une révolution totale où l'amour, la liberté et la poésie se conjuguent au présent.
Il retourne un temps à Londres en compagnie du poète Germain Nouveau, qui participe à la mise au net des manuscrits des Illuminations.
Venant d’avoir 20 ans en octobre 1874, il ne peut se rendre à temps devant le conseil de révision pour le tirage au sort. Le maire de Charleville s’en charge et n’a pas la main heureuse. De retour le 29 décembre, Rimbaud fait valoir un article de la loi sur le recrutement du 27 juillet 1872, qui le fait bénéficier d’une dispense grâce à son frère Frédéric, déjà engagé pour 5 ans. Il est donc dispensé du service militaire mais pas de la période d’instruction (à laquelle il se dérobera).
Il ne retournera pas en Angleterre car, après avoir étudié l’allemand depuis le début de l’année 1875, il part pour l'Allemagne le 13 février19, pour se rendre à Stuttgart pour parfaire son apprentissage de la langue. Verlaine, libéré depuis le 16 janvier, après 18 mois d’incarcération, transformé par des accès mystiques, vient le voir « un chapelet au pince… Trois heures après on avait renié son dieu et fait saigner les 98 plaies de N.S. Il est resté deux jours et demi...[et]...s’en est retourné à Paris…20 ». Le temps de lui remettre les manuscrits des Illuminations, afin qu'il les remette à Germain Nouveau, pour une éventuelle publication21.
Fin mars, il quitte Stuttgart avec maintenant, l’envie d’apprendre l’italien.
Pour ce faire, il traverse la Suisse en train et, par manque d’argent, franchit le Saint-Gothard à pied. À Milan, une veuve charitable lui offre opportunément l'hospitalité. Il y reste une trentaine de jours puis reprend la route. Victime d’une insolation sur le chemin de Sienne, il est soigné dans un hôpital de Livourne puis est rapatrié le 15 juin, à bord du vapeur Général Paoli. Débarqué à Marseille, il est à nouveau hospitalisé quelque temps.
Après ces aventures « épastrouillantes » [dixit Ernest Delahaye], il annonce à ce dernier son intention d’aller s’engager dans les carlistes, histoire d’aller apprendre l’español [sic]22mais ne la concrétisera pas. Redoutant les remontrances de la Mother, il traine des pieds en vivant d’expédients dans la cité phocéenne.
Il fera son retour à Charleville mi-août où, entre-temps, sa famille a changé de logement23.
Cette année-là, à l’instar de son ami Delahaye, Rimbaud envisage de passer son baccalauréat ès science avec l’objectif de faire France)" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_polytechnique_%28France%29">Polytechnique, ce qu’il ne peut réaliser car vingt ans est l’âge limite pour y accéder et, en cet automne 1875, il en a vingt et un.
Nouvelle foucade : il suit des cours de solfège et de piano et obtient le consentement de la mère pour installer l’instrument au logis.
À ce moment, Verlaine qui reçoit des nouvelles de Rimbaud par l’échange d’une correspondance assidue avec Delahaye, est en demande d’anciens vers d’Arthur.
« Des vers de Lui ? Il y a beau temps que sa verve est à plat. Je crois même qu’il ne se souvient plus du tout d’en avoir fait24. »
Le 18 décembre, sa sœur Vitalie meurt à 17 ans et demi d’une synovite tuberculeuse. Le jour des obsèques, les assistants regardent avec étonnement, le crâne rasé du fils cadet.
Après avoir mûri quelques solutions pour découvrir d’autres pays à moindre frais, il reprend la route en mars 1876, pour se rendre en Autriche. Le périple envisagé tourne court : à Vienne, dépouillé par un cocher puis arrêté pour vagabondage, il est expulsé du pays et se voit contraint de regagner Charleville.
Aux environs de mai, il repart. Cette fois, en direction de Bruxelles. S’est-il fait racoler par les services d’une armée étrangère ? Toujours est-il qu’il se présente, au bureau de recrutement de l’armée coloniale néerlandaise, pour servir dans les colonies indiennes.
Muni d’un billet de train, il aboutit – après un contrôle à la garnison de Rotterdam – dans la caserne d’Harderwijk, le 18 mai, où il signe un engagement pour 6 ans.
Le 10 juin, Rimbaud et les autres mercenaires, équipés, formés, riches de leur prime (300 florins au départ du bateau, 300 florins à l'arrivée à destination 25) et chargés de réprimer une révolte dans l’île de Sumatra, sont transportés à Den Helder, pour embarquer à bord du Prins van Oranje, direction Java. Après une première escale à Southampton et le contournement de Gibraltar, le voyage connait quelques désertions lors d’escales ou passages près des côtes : Naples, Port-Saïd, traversée du canal de Suez, Suez, Aden et Padang26. Le 23 juillet, le vapeur accoste à Batavia. Une semaine après, les engagés reprennent la mer jusqu’à Semarang pour être acheminés en train puis à pied jusqu’à la caserne de Salatiga.
En possession de la seconde partie de sa prime, goûtant peu la discipline militaire, Rimbaud déserte. Quelques semaines lui sont nécessaires pour se cacher et retourner à Semarang où il se fait enrôler sur le Wandering Chief, un voilier écossais qui appareille le 30 août pour Queenstown, en Irlande.
Au bout d’un mois de mer, le navire essuie une tempête en passant le cap de Bonne-Espérance. La mâture détériorée, il continue néanmoins sa route sur Sainte-Hélène, l’île de l’Ascension, les Açores… Arrivé à bon port le 6 décembre, « Rimbald le marin », comme le surnommera Germain Nouveau, quand il le rencontrera à Paris, poursuit par les étapes suivantes : Cork, Liverpool, Le Havre, Paris et toujours pour finir... à Charlestown27.
La belle saison revenue, Arthur Rimbaud quitte à nouveau Charleville en 1877. Son entourage et ses amis peinent à suivre son itinéraire durant cette année. Les seules sources de renseignements, souvent contradictoires, viennent de son ami Ernest Delahaye et de sa sœur Isabelle.
Seule certitude : sa présence à Brême où il a rédigé une lettre en anglais le 14 mai, au consul des États-Unis d’Amérique. Lettre signée John Arthur Rimbaud, et dans laquelle il demande « à quelles conditions il pourrait conclure un engagement immédiat dans la Marine américaine », en faisant valoir sa connaissance des langues anglaise, allemande, italienne et espagnole28.
Il ne reçut apparemment pas de réponse favorable car, selon Delahaye, il se serait rendu à Cologne puis à Hambourg, pour divers projets inaboutis29.
Le 16 juin, ce dernier écrit à Verlaine : « Du voyageur toqué pas de nouvelles. Sans doute envolé bien loin, bien loin… » Le 9 août, le même épistolier informe son ami Ernest Millot « qu’il a été signalé dernièrement à Stockholm, puis à Copenhague, et pas de nouvelles depuis.
Dix-neuf ans plus tard, Delahaye rapportera dans une lettre à Paterne Berrichon, du 21 août 1896, qu’à Hambourg, Arthur s’engagea « dans la troupe du cirque Loisset, comme interprète, il passa ainsi à Copenhague, puis à Stockholm d’où rapatrié par consul français30».
Pour sa part, Isabelle Rimbaud, réfutera l’épisode du cirque mais citera un emploi dans une scierie en Suède dans une lettre à Paterne Berrichon (son futur époux), du 30 décembre 189631. Isabelle révèlera également que son frère « visita les côtes du Danemark, de la Suède et de la Norvège, puis revint par mer jusqu’à Bordeaux, sans passer le moins du monde par Hambourg32 ».
Après une halte à Charleville, Rimbaud se rend à Marseille en septembre où il embarque pour Alexandrie en Égypte. Pris de douleurs gastriques, peu après le début de la traversée, il est débarqué à Civita-Vecchia, en Italie. Retour à Marseille et direction les Ardennes pour y passer l’hiver.
Vers cette période, Vitalie Rimbaud habite à Saint-Laurent, dans une propriété héritée de sa famille (les Cuif).
Si l’on fait abstraction d’hypothétiques témoignages (voyage à Hambourg et périple en Suisse pour Berrichon33 , « vu dans le quartier latin, vers Pâques » par un ami d’Ernest Delahaye34…), Les neuf premiers mois de l’année 1878 ne sont pas plus riches de renseignements fiables que ceux de l’année précédente.
En avril, les fermiers de Roche ne désirant pas renouveler leur bail, Vitalie Rimbaud s’installe définitivement dans la ferme pour la diriger.
Fin juillet, Ernest Delahaye écrit : « L'homme aux semelles de vent est décidément lavé. Rien de rien35. »
Pourtant, Arthur revient et participe aux moissons auprès de son frère Frédéric, de retour de ses cinq années d’armée.
Le 20 octobre, jour de ses 24 ans, Rimbaud reprend la route ; passe les Vosges, franchit le Saint-Gothard sous la neige, traverse l’Italie jusqu’à Gênes.
Le dimanche 17 novembre, dans un dernier élan littéraire, il décrit les péripéties de son périple dans une longue lettre à sa famille. Le même jour, son père meurt à Dijon.
Le 19 novembre, Rimbaud s'embarque pour Alexandrie. Arrivé vers le 30 novembre, il se met à chercher du travail. Un ingénieur français, lui propose de l'employer sur un chantier situé sur l’île anglaise de Chypre. Pour conclure l'affaire, il demande un indispensable certificat de travail à sa mère (lettre écrite d’Alexandrie, en décembre 1878).
Le 16 décembre, le voilà chef de chantier à 30 kilomètres à l’est du port de Larnaca, dans l'entreprise Ernest Jean & Thial fils. Chargé de diriger l’exploitation d’une carrière de pierres, il tient les comptes et s’occupe de la paie des ouvriers (lettre à sa famille du 15 février 1879).
En 1879, atteint de fièvres (paludisme ?), il quitte Chypre muni d’une attestation de travail, datée du 28 mai36. En convalescence à Roche, il se rétablit suffisamment pour apporter son aide aux moissons d’été.
Après une ultime visite de son ami Delahaye en septembre, Arthur n’attend pas la saison froide et part avec l’intention de retourner à Alexandrie.
Repris par un accès de fortes fièvres à Marseille, il se résout à passer l’hiver dans sa famille – hiver qui se révèlera particulièrement rigoureux.
Sa santé recouvrée en mars 1880, le voilà de nouveau à Alexandrie. Ne trouvant pas d’emploi, il débarque à Chypre. Ses anciens employeurs ayant fait faillite, il réussit à décrocher un travail de surveillant dans un chantier de construction. Il s'agit de la future résidence d'été du gouverneur anglais, que l'on bâtit au sommet des monts Troodos37(lettre aux siens, du 23 mai 1880).
À la fin du mois de juin, Arthur Rimbaud quitte l’île « après des disputes […] avec le payeur général et [son] ingénieur. » (lettre aux siens du 17 août 1880). Rendu dans le port d'Alexandrie, Rimbaud n'envisage plus de retour en France.