Thèmes

roman salope jeune sexe monde histoire merci amour femme coeur belle vie roman enfants musique moi mort fille femmes soi dieu ange gratuit douceur animal livres prénom photos

Rechercher
Articles les plus lus

· AMOURS
· CAPABLE
· ESCORTE
· Pré-vers épars
· ALCOOLS

· HIVER
· LETTRE AU PERE
· ANTIQUITE
· SILENCE
· PETITE CHOSE
· MALADIE
· VENGEANCE
· POIDS PLUME
· LYRISME
· TROQUET

Voir plus 

Statistiques

Date de création : 08.01.2012
Dernière mise à jour : 08.01.2012
30 articles


AMOURS

 

Il m'a dit que j'étais jolie. Ça a toujours commencé comme ça. Puis, tu viens on va faire un câlin. Dans la chambre, petite lucarne qui se décroche du mur, draps froissés de la veille. Je n'aime pas la branlette. Je préfère le live. T'es antillais. West indies, tu connais ? Ok, on y va. C'est la première fois avec un renoir ? Oui. C'est un grand jour pour toi, ma petite. Avec le chômage, le racisme, les délocalisations, la grogne des salariés, la télé qui ronronne, tout ce qu'il nous reste c'est le sexe. Et tant qu'il y a du sexe, … Ok, partons. On est aux Antilles. Il fait chaud, le rhum glisse sur nous. Son sexe est duveté, en pyjama noir brillant. Il me pourlèche le corps entier, c'est un professionnel, ça se sent tout de suite. Il arrive à faire vrombir mes pieds d'un plaisir intense et rayonnant. Mon corps brille, étincelle, il a le chalumeau en éveil. Mon grand-père était un grand écrivain. Tu sais qu'après son exil du Vietnam, tout ce qu'il lui restait, c'était les livres, et les femmes. Quand il est mort, j'ai récupéré sa machine à écrire. Et t'as hérité de son don pour les belles choses. Ouais, ça va de soi. On y va, cette fois ? Il rentre sa langue entre mes cuisses, il a le corps bandé, je caresse ses grosses veines, ses omoplates mates et brûlantes, ses tétons noircis, et je caresse en m'harponnant à sa bouche ses cheveux crépis et soyeux. Il me dit qu'il m'aime. Je t'aime, tu viens sur moi ? Je bascule avec force et violence sur son sexe offert à mon sexe humide qui appelle la courbe durcie en son sein. Je t'aime, dès que tu m'as passé une cigarette, j'ai su que je t'aimais. Tu es belle. Tu mérites d'avoir des enfants. Il s'écarte de moi, observe mon visage. Les dents luisent de jouissance, il sourit, rit sans ricaner, il rit de plaisir. Je ris avec lui. La musique s'allonge sur nous, caresse nos membres alanguis, je m'enfonce en lui, il s'enfonce en moi. Nous nous fondons irrésistiblement l'un dans l'autre. Je n'ai pas mal. Tout est bon, calme, rassurant. Nous ne sommes qu'un seul être de chair qui vibre de plaisir. Ah, mon Dieu, que c'est bon. Il me dit qu'il m'aime, il le répète sans se lasser, jusqu'à : « je vais juir ». Je ne lui demande pas la traduction en créole. Il se renverse sur moi. Caresse mon intimité avec son membre tendu, c'est une vague, un océan de jouissance, il jouit. Je suis assommée. Je tombe. Mon corps frémit encore. Je le regarde. Je souris. Il me dit : « Merci ! » Qu'est-ce qu'on aime quand on n'aime pas. Ton odeur se maintient à la surface de ma peau, on ne chasse pas cela, on ne chasse pas le parcours de la joie sur mon corps d'enfant. Mon vieux. Pourquoi parler, faire des livres, discuter, draguer, aller au resto, quand tu m'apparais sans fard au hasard d'une rue ? Tu m'as tendu un piège. Je ne peux plus me passer de ça. Je t'aime. Je ne me souviens plus ton prénom. Moi non plus. On s'en fout ? On s'en fout !

On raconte que les femmes cherchent, tout au long de leur vie, dans le regard des hommes, le regard que leur père enfant posait sur elles. Pourquoi m'as-tu fait si mal, mon père, pourquoi notre histoire fut-elle si violente, si passionnée, si douloureuse et amère à la fin ? Pourquoi je veux tuer tous ceux qui m'aiment ? Je suis une amante délétère. Tu finiras bouffée par la petite vérole ! Vive les Pays-Bas ! Mon père, une clope à la main, sillonne le salon, traîne derrière lui les bouffées recrachées du tabac consumé. Mon père, main sèche, ongles longs, mon père, le dos cassé contre une fenêtre, mon père, claudiquant dans les grands escaliers, mon père, tu chantes l'ivresse tous les soirs. Mon père, quand tu partais, mon père, j'avais peur, si peur que je ne dormais pas. Mon père, je ne parlais que de toi. J'étais un bouddha d'azur, une princesse du soleil-levant. Mon père, j'ai tout entendu, mon père, j'ai trop entendu de toi. J'ai trop vu de la vie à travers toi. Mon père, pourquoi tu pleures en hurlant, mon père, pourquoi ne sais-tu pas dire je t'aime ? Mon père, tu es fou, tu es condamné, mon père, tu vis avec des ombres, mon père, tu as peur toujours, tu es un enfant, mon père. Un ado qui n'a pas su vieillir. A trente ans, tu insultes ta mère, Verlaine, Paul, mon père, je t'aime. Mon père, tu n'as pas de patience, t'es pas aimant. Tu fais le dur, mais tu pleures tous les soirs. J'ai vu tes cernes s'allonger, au fil des années. Mon père, tu es une catastrophe. Mon père, tu m'as aimée. Mon père, c'était hier. A la table d'un bar, avec ta fille. Mon père, tu me prends pour ta femme. Tu m'entraînes partout. Tu trinques avec moi. Et on ne dit rien à ma mère. Mon père, tu me préfères à toutes. Je suis la seule. Puis tu t'en vas. Tu m'abandonnes, alors que je te quitte. Tu me fais mal, mon père. Je te fais souffrir, je ne sais pas faire, mon père. Je suis comme toi, mon père. Récite-moi des vers, mon père, raconte-moi des contes, sans la morale à la fin, on s'en fout ! Mon père, le lettré, le petit héros vietnamien, mon père, l'Insurgé, mon père, la jeunesse, mon père, le frondeur, mon père, le passionné faiseur d'histoires. Mon père, tu bois sans moi, tu sors tout le temps, reviens. Je t'aime. Tu nous quittes. Tu reviens pour tuer, dévaliser, étrangler mon frère, tu mugis, tu es un animal fou, depuis que l'on ne s'aime plus. Mon père, j'ai tué en toi la douceur. J'ai aboli l'amour, en te quittant. Coups de crosse contre coups de crosse, des bêtes sauvages. Le combat amoureux. Je veux te parler mon père. Je veux te dire que je t'aime. Regarde comme je suis jeune. Regarde-moi, mon père ! Je ne ramènerai plus personne à la maison. Ne regarde pas mes amies. Elles ont un père. Regarde-moi, mon père ! Je veux plus te faire de mal, viens ! Arrête de te détruire, fais-le pour moi.

 

Mon père, pourquoi j'écris tout le temps, pourquoi je ne sais plus parler ? Pourquoi je ne sais pas dire je t'aime ? J'ai le mal des livres. J'ai le coeur vieux. Lacéré de plaies séculaires. Les tiennes, les miennes, les nôtres à la fin. Ton histoire, ma vie, son prolongement. Ne sois pas si mature, c'est pas de ton âge ! Mais comment faire, mon père, puisque tu es là ? Puisque ton histoire, puisque tu parleras toujours, pour nous ?

 

Mon corps est sec, dur, décharné. Il tombe. Je me souviens de ma date de naissance ? Non, j'ai oublié, tout ça. Ma vie. Je ne suis pas passée à côté, elle s'est déroulée malgré moi, à mon insu, mon corps est devenu celui d'une femme. J'ai lutté contre les poils, les seins, ce corps qui demande un effort à mon esprit, qui lui demande de l'accompagner. Je l'ai laissé, seul.

 

A seize ans, je connais la jouissance de ce corps sans sexe, ce corps d'ange, démoniaque. Pilules sur pilules, je tue le désir de l'autre en jouissant de l'extase onaniste de la drogue. Le père sait que quelque chose lui échappe. Il ne veut rien récupérer de cet être errant entre les lignes, confondant, que je suis devenue. Il n'y a plus d'enfant. Peut-être une femme, se dit-il. Il n'en est rien. Je ne suis ni femme ni enfant, j'ai rejoint l'absence d'être, l'asile de la drogue, le refuge de l'hallucination. Année après année, le refuge s'allonge, il engloutit plus de matière que toute la vie alentour. Je suis irrémédiablement séparée du corps des autres, mon corps est mort. Je bois pour le rejoindre. Je bois sans m'arrêter. Pas même un jour. Il arrive que tout s'arrête. La main ne porte plus le verre. Elle se refuse à ça. Je tombe.

 

La mère est faible, faible comme un juge qui applique une sentence bien apprise. Ma mère est juge, mais elle n'a jamais d'avis sur rien. On ne sait pas ce qu'elle pense. Elle dit qu'elle est d'accord. D'accord avec quoi ? Avec cette pauvreté, cette misère dans l'espérance de mon père ? D'accord avec ça, ce tout, ce vide, ce rien ? Oui, peut-être. Elle exige, elle vocifère, parfois elle prend l'accent de mon père, parfois, je me demande si j'ai vraiment une mère. Si, j'en ai une, une mère malade, une mère dont le coeur est glacé. Elle me l'a dit elle-même : « je crois que je ne ressens plus rien ». Les cachets, le père, puis, la vie, je ne sais pas, elle a perdu quelque chose, quelque chose s'est effacé ou a été noyé au contact des choses. On dit que la vie enrichit, qu'on apprend de la vie, que l'amour, c'est encore mieux. Mais pour elle, pas du tout, plus rien, une ombre. Plus de mère, ciao la mère !

 

Je suis désolée, parfois je suis désagréable, mais c'est pas moi qui parle c'est ma mère.