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Date de création : 30.11.2013
Dernière mise à jour :
25.11.2024
10551 articles
Il y a quatre mois, le 7 octobre 2023, le Hamas attaquait Israël, qui ripostait en bombardant massivement Gaza. Notre journaliste Vinciane Joly a échangé via WhatsApp avec Ahmad, un Palestinien qui vit dans l’enclave palestinienne. Au gré des coupures de communication, il lui a raconté son quotidien sous les bombes. Leur correspondance est un document unique sur la guerre.
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Six jours plus tôt en Israël, l’attaque du Hamas, le 7 octobre, a causé la mort de 1 140 personnes, en majorité des civils, et la prise en otages de 240 personnes. En représailles, l’État hébreu a bombardé Gaza. Le 9 octobre, le ministre israélien de la défense Yoav Gallant a décrété un « siège complet » contre les 2,3 millions de Palestiniens, qualifiés d’« animaux humains ». « Pas d’eau, pas de gaz, pas d’électricité », a-t-il ordonné. Pas de nourriture non plus. Cinq jours plus tard, Israël demandait à plus d’un million d’habitants du nord de l’enclave de fuir vers le sud.
De son côté, le Hamas invitait les habitants à rester pour ne pas subir une « seconde Nakba ». En vérité, la Nakba (voir encadré en bas de cet article) n’avait jamais cessé. Qu’allaient faire les Gazaouis ? Où allaient-ils aller ?
En vue d’un article pour La Croix, je prends contact avec Ahmad, que je connaissais grâce à Saher, un ami palestinien rencontré à Bethléem à l’été 2018. Aîné d’une fratrie de cinq, Ahmad vit à Gaza, où il travaille pour une ONG.
Sur sa photo WhatsApp, on voit un jeune homme d’une trentaine d’années portant un polo blanc avec de fines rayures vertes et rouges, attablé à un restaurant en bord de mer, deux palmiers en arrière-plan. Ses cheveux sont coiffés à la palestinienne, rasés sur le côté. Il a la peau mate et lisse. Le regard souriant. Son visage rêveur reflète un mélange de douceur et de malice. C’était avant la guerre.
⬪ Échanges WhatsApp entre Vinciane et AhmadVinciane :Bonjour Ahmad, c’est Vinciane. Je suis une amie de Saher. Je suis journaliste et j’ai vu qu’Israël ordonnait le départ des Palestiniens vers le sud de la bande de Gaza. Que vas-tu faire ?
Ahmad : Je reste à Gaza, dans la ville de Gaza. Avec ma famille. Nous n’avons nulle part où aller, nulle part où être en sécurité. Partout, les gens meurent.
Vinciane :Mon Dieu. Et tu sais ce que font les autres familles ?
Ahmad : Je n’ai pas plus d’informations sur les familles qui ont quitté Gaza vers le sud, à cause de l’interruption des communications, le manque d’électricité et d’Internet. Même si on veut partir, on ne peut pas, il n’y a pas de transport pour aller dans le Sud. Toutes les communications sont coupées. Ceux qui n’ont pas de voiture sont coincés. Là, je te parle sous le bruit assourdi des bombes qui explosent en permanence. Il n’y a plus d’électricité et on n’a plus d’eau.
Le téléphone coupe. Plus tard, il me renvoie trois brefs messages.
Ahmad : Cette injonction israélienne est une nouvelle Nakba, une nouvelle expulsion forcée pour nous chasser vers l’Égypte. Et le monde parle d’humanité ? J’espère que cette guerre cruelle que nous subissons va s’arrêter, alors que nous vivons nos derniers jours. Nous nous plaindrons de ce monde à Dieu quand nous Le rencontrerons. Maintenant, tu peux nous parler, et demain tu pourras nous pleurer.
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Les jours et les nuits passent, avec leur lot de nouvelles catastrophiques, de frappes sur les camps de réfugiés, de pénuries, d’attente d’un cessez-le-feu, de résolutions de l’ONU rejetées, de tractations diplomatiques inabouties, de passivité des pays arabes, d’indifférence de l’Occident… De questions et de désinformation. Qui a frappé l’hôpital Al-Ahli? Le Hamas utilise-t-il les hôpitaux et les écoles, où se réfugiaient tant de déplacés, comme des bases ? Israël cherche-t-il à « détruire » le Hamas ? Se soucie-t-il de limiter le nombre de victimes civiles ? Laissera-t-il les Palestiniens déplacés rentrer chez eux ? Qu’adviendra-t-il de cette langue de terre et de ses habitants ?
Puis c’est l’invasion terrestre. Le black-out total. Les travailleurs gazaouis qui étaient en Israël sont renvoyés chez eux après un mois d’incarcération. Israël attaque les hôpitaux, les écoles, les ambulances, les universités, les souks, les mosquées et les églises. Il n’y a « aucun endroit sûr », comme le martèlent les Nations unies. Je prie pour Ahmad et sa famille. Est-il toujours vivant ?
Pourquoi nous l’avons fait
Quelques jours après les attaques du Hamas en Israël et le début de la guerre à Gaza, j’ai appelé Ahmad, un ami d’ami, qui vit à Gaza, pour recueillir son témoignage pour un article dans La Croix. Notre échange est bientôt devenu une correspondance, offrant une fenêtre, au fil des jours, sur la réalité de cette guerre.
Voilà plus de quatre mois qu’Israël bombarde Gaza et tout autant que les journalistes étrangers ont interdiction d’accéder à l’enclave palestinienne. Les seules informations qui nous parviennent sont celles transmises par les journalistes palestiniens, qui doivent informer et survivre – deux missions à plein temps. En outre, ils sont nombreux à être tués par Israël, qui nie tout ciblage. Au 5 février, 82 journalistes ou professionnels des médias palestiniens avaient été tués et trois portés disparus, selon le comité de protection des journalistes. Aussi devons-nous, nous journalistes, couvrir cette guerre de loin, avec des témoignages nécessairement parcellaires, peu d’images et de nombreuses inconnues.
Fin décembre, alors que la ville de Khan Younès, où Ahmad était déplacé, était sous le feu israélien, j’ai traduit et posé sur du papier nos mots, pour les mettre à distance. J’ai alors pris conscience que cette conversation était un document retraçant une guerre étouffée. Une guerre vue à travers les yeux d’un jeune homme pris au piège, racontant son quotidien, partageant ses peurs et sa tristesse. Nous avons voulu faire entendre cette voix singulière pour, à travers elle, amplifier les voix empêchées des Palestiniens de Gaza et rappeler leur humanité, parfois effacée par des considérations politiques.
► 11 novembreL’armée israélienne émet un ultimatum. Elle promet que chaque Palestinien restant « au nord de(la rivière) Wadi Gaza »sera « considéré comme complice d’une organisation terroriste » – alors même que des malades, leur famille, des médecins, des femmes sur le point d’accoucher, des bébés prématurés, leurs parents, des personnes âgées, des religieuses, des orphelins ne peuvent pas partir et ne sont pas partis. Je me résous à écrire à Ahmad, lui qui ne voulait pas fuir sa maison. Est-il toujours vivant ?
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Vinciane :Ahmad, comment vas-tu ? J’ai vu que l’armée israélienne a émis un ultimatum pour transférer tous les Palestiniens au sud de Wadi Gaza. La ville de Gaza est très dangereuse. Où es-tu ?
Ahmad :Vinciane ! Dieu merci, nous sommes partis au dernier moment. Nous avons pris la route de l’exil et nous sommes à Khan Younès. Une famille que l’on connaissait nous a accueillis, avec d’autres amis. Il y a moins de bombardements qu’à Gaza mais aucun lieu n’est sûr. Maintenant, on doit chercher à manger.
Depuis le début des représailles israéliennes, près de deux millions de Gazaouis ont été contraints de quitter leur logement. / A. Zakot / SOPA Images/Reuters
Après un ersatz de trêve, la guerre reprend. «Frappe sur Khan Younès. Des dizaines de victimes près de l’hôpital européen. Raid sur Khan Younès. L’hôpital Nasser surchargé. Des Palestiniens tués en essayant de fuir Khan Younès. »Israël envahit le sud de la bande de Gaza et encercle la ville où il dit rechercher les dirigeants du Hamas. C’est le nouveau cœur névralgique de la guerre.
⬪
Vinciane :Ahmad, mon cœur est souffrant et inquiet car Israël assiège Khan Younès et que tu es là-bas. Y es-tu encore ou es-tu à Rafah ? Je pense bien à toi et à ta famille. Que Dieu vous protège. »
Un seul « tic » sur WhatsApp. Message non reçu. Son téléphone est éteint. Est-il toujours vivant ? Commencent l’attente et l’angoisse.
► 6 décembre« Deux tics ». Je respire.
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Ahmad :Ça va. Ça fait des jours qu’on est sans Internet ou moyens de communication. Même charger nos téléphones est très compliqué, car il n’y a pas d’électricité. Rafah est pleine à craquer et nous n’avons nulle part où aller. On va rester à Khan Younès et qu’advienne ce qu’il doit. Nous n’avons pas d’autre solution, hélas. Il n’y a pas d’autre lieu de refuge possible. Il n’y a plus de magasins ouverts à Khan Younès car les gens ont peur. On ne peut pas y acheter de nourriture. Aujourd’hui, toute la journée, j’ai cherché un sac de farine. Hélas je n’en ai pas trouvé.
Vinciane :Dieu soit loué, vous allez bien. Tu es avec ta famille dans une maison à Khan Younès ? Il vous reste encore de la farine ou plus rien ? En cette nuit d’obscurité totale, je pense à vous et prie pour vous pour que le Seigneur vous donne sa force, son amour et son espérance.
Ahmad:Non, plus un gramme, hélas. Je te parle alors que les bombardements sont continus. Ils ne s’arrêtent pas. Il y a des frappes à chaque instant. J’espère qu’on va vite pouvoir rentrer dans notre maison. Je ne sais pas dans quel état elle est maintenant.
Il m’envoie une vidéo de sa chambre, en lambeaux, dans la maison où il vivait dans la ville de Gaza. On y voit un lit recouvert d’une couette rose, un jeu de fléchettes sur le mur, une armoire éventrée, un bureau désossé, le balcon effondré derrière la fenêtre.
Vinciane : Ta chambre était très belle, j’espère que vous pourrez rentrer chez vous le plus vite possible. Tu as des vêtements chauds pour l’hiver ? Tu arrives à dormir avec le fracas des bombes ?
Ahmad : Nous mettons chaque moment de calme à profit pour dormir. Dieu merci, j’ai pu acheter quelques vêtements ici pour moi et pour ma famille avant que ça n’empire. Que Dieu nous protège et nous prenne en pitié et qu’Il mette fin à cette guerre
Vinciane :Que Dieu vous garde. J’espère que cette nuit les bombardements vont s’arrêter pour que tu puisses dormir et te reposer.
► 7 décembreVinciane :Comment vas-tu aujourd’hui Ahmad ? Tu as pu dormir un peu ?
Ahmad :Dieu soit loué, on a pu dormir cette nuit. Mais la situation est terrible depuis de matin, il y a beaucoup de martyrs à Khan Younès. J’étais à l’hôpital Nasser il y a une heure. La situation y est insupportable. Des morts. Des blessés. Partout.
Blessés palestiniens à l’hôpital Nasser de Khan Younès, le 5 décembre dernier. L’hôpital a depuis été frappé par l’armée israélienne le 23 janvier. / Loay Ayyoub / The Washington Post/Getty
Vinciane :Dieu merci, tu vas bien. Tu rendais visite à des personnes blessées qui sont à l’hôpital ?
Ahmad :Non, la grand-mère de mon ami avait un rendez-vous pour une dialyse et on charge nos téléphones là-bas. Ensuite, j’ai essayé d’acheter des boîtes de conserve mais je n’en ai pas trouvé. Les magasins de Khan Younès sont complètement vides. Il n’y a plus rien à manger. Une grande partie de l’aide est volée et revendue hors de prix.
Vinciane :J’espère qu’il y a de la nourriture et des conserves qui vont venir de Rafah. Tu es dans une maison à Khan Younès ou sous une tente ? Tu es avec ta famille ?
Ahmad :Oui, nous sommes dans une maison, chez les proches d’un ami, avec ma famille.
Vinciane : J’espère que vous allez rester en sécurité.
► 9 décembreVinciane :Hello Ahmad, comment vas-tu aujourd’hui ? Je pense à toi et prie pour toi. Que Dieu te garde.
Ahmad :Je suis heureux de faire partie de tes pensées et de tes préoccupations. Gloire à Dieu, ça va pour l’instant. J’espère qu’on va rester en vie, que cette guerre va s’arrêter, qu’on va retrouver nos maisons et nos vies.
Vinciane :Il fait froid à Khan Younès ? Vous avez des pulls chauds ?
Ahmad :Très froid. Heureusement, j’ai acheté des pulls en arrivant à Khan Younès. Nous avons la chance d’être sous un toit. Que Dieu vienne en aide à ceux qui sont sous des tentes. Seigneur, pitié, que cette guerre ne dure pas plus longtemps, on n’en peut plus et on veut rentrer chez nous. Hélas, la ville de Gaza est complètement détruite. Il n’y a pas une rue ou une maison qui n’ait été bombardée. Et là, la situation est très dangereuse. Écoute.
J’entends le fracas des bombardements dans un enregistrement qu’il m’envoie. Comme si les bombes pleuvaient tout autour de lui.
Vinciane :Que Dieu éloigne de vous ces bombardements et cette guerre. Personne ne peut dormir avec de tels bombardements et le cœur serré par la peur. Tu es si courageux. Tu penses que tu vas réussir à dormir un peu ?
Ahmad :J’espère. Gloire à Dieu pour tout. Dieu nous protège et nous en sortira indemnes.
► 12 décembreAhmad :Vinciane, je ne vais pas bien. Cette nuit, la chambre dans laquelle nous dormions avec mes frères et mes amis a été bombardée. J’ai des éclats de missiles partout dans le corps. Mon frère est en soins intensifs. Il a perdu sa jambe, Vinciane. Il a été amputé. Papa a la main cassée et a été touché à la tête et à l’œil.
Les mots surgissent sur mon écran et je blêmis. Va-t-il survivre ?
Vinciane :Mon Dieu, il y a des éclats de missiles dans ton corps. Tu es à l’hôpital ? Qu’est-ce qu’ils te donnent pour faire diminuer la douleur ? Tu t’es cassé quelque chose, tu peux marcher ? Comment s’appelle ton frère ? Et ton père ? Je vais prier pour eux. Je n’ai pas les mots. Tous les jours, je pense à vous. Donne-moi de vos nouvelles.
Captures d’écran vidéo, à gauche des débris de la chambre d’Ahmad à Khan Younès, à droite des traces de sang sur le sol après la frappe israélienne qui a blessé Ahmad, son frère et son père le 12 décembre / Ahmad
Je vois sur Whatsapp qu’il a reçu mon dernier message. Pourquoi ne répond-il pas ? Que s’est-il passé ? Est-il toujours en vie ?
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Vinciane :Donne-moi de tes nouvelles, s’il te plaît.
Ahmad : Ça va. Les éclats de missiles dans mon corps me font mal. Ils sont encore dans mes jambes. Papa a des points de suture à la tête et à l’œil. Mon frère est en soins intensifs. Il a perdu sa jambe droite et sa jambe gauche ne tient qu’à un fil. C’est possible qu’il soit envoyé à l’étranger pour être soigné. Parmi les amis qui étaient avec nous, certains sont morts et les autres sont à l’hôpital.
Vinciane :Si seulement je pouvais t’aider. Comment peut-on vous aider ? Où êtes-vous, ton papa et toi ? À l’hôpital ou à la maison ? Est-ce qu’il y a encore des antalgiques ? J’espère que ton frère va pouvoir recevoir des soins à l’étranger et guérir. Je vais prier pour lui.
► 15 décembreAhmad :Ma famille est partie à Rafah mais je reste au chevet de mon frère à l’hôpital (à Khan Younès). Personne d’autre que moi ne peut dormir à ses côtés. Demain, il va être opéré de sa jambe. Dieu soit loué, les médicaments nécessaires sont arrivés.
Vinciane :Rafah est plus sûre. Que Dieu te bénisse et guérisse ton frère.
► 16 décembreVinciane :Alors, comment s’est passée l’opération de ton frère ?
Ahmad :Ça s’est bien passé. Il attend que son nom soit inscrit sur la liste des blessés transférés à l’étranger pour y être soigné.
Vinciane :J’espère que ce sera le cas. Et toi, comment vas-tu ? T’a-t-on enlevé les éclats de missile ?
Ahmad :On me les enlèvera après la guerre. Ils ne peuvent pas le faire maintenant. Cependant, je vais mieux. Je peux marcher et me tenir debout aux côtés de mon frère. Je parle avec lui, je le nourris et je reste tout le temps auprès de lui. Il est sorti de soins intensifs. Est-ce que tu pourrais m’aider à faire transférer mon frère à l’étranger, via des organisations comme MSF ou d’autres ONG médicales ? Je ne connais personne ici et hélas, dans notre pays, tout marche par wasta : si quelqu’un le recommande, il sera aidé ; sinon, il sera ignoré.
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Ahmad veut dire que pour s’en sortir, le mérite est peu de choses comparé à son capital social – le cercle informel de personnes influentes auprès de qui on peut réclamer une faveur. Il faut connaître quelqu’un et faire jouer son réseau. Dans le monde arabe, la wasta est un mode de fonctionnement que l’on retrouve à chaque étape de la vie et qui régit notamment le rapport entre les citoyens et l’administration : trouver un travail, obtenir un papier administratif ou un permis de construire, réduire les délais de visa…
Ahmad :Voilà son dossier. Et s’il y a besoin d’autre chose, d’autres examens ou d’autres rapports sur sa santé, je pourrais demander à l’hôpital.
Vinciane :D’accord, je vais voir ça demain et je te tiens au courant. Explique-moi dans un message vocal le fonctionnement des wasta pour les blessés, afin que je sache comment procéder.
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J’appelle tout mon carnet d’adresses, en France, en Égypte, à Jérusalem. Son dossier est transmis à MSF. On me dit que l’ambassade de France ne peut rien faire si le blessé n’est pas français ou ayant droit. Pourtant, sur le bateau-hôpital accosté sur les côtes égyptiennes, il semble qu’il y ait des Palestiniens. Le flou domine. Je ne comprends plus rien.
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Ahmad : Il n’y a pas d’aide qui arrive à l’hôpital. Les bombardements ne s’arrêtent pas, ni sur Khan Younès ni sur Rafah. J’attends ta réponse pour savoir si mon frère peut sortir et être soigné à l’étranger. J’espère que ça va marcher. Je vais monter auprès de mon frère (qui est à l’étage supérieur de l’hôpital) et voir s’il a besoin de quelque chose. Regarde, c’est la chambre où nous étions au moment du bombardement.
Il m’envoie une vidéo de la chambre où il a été blessé par un missile d’Israël mi-décembre.Elle n’est plus que ruines.
Vinciane :Mon Dieu. Tout est détruit, c’est effrayant. On entend encore d’énormes bombardements.
Ahmad :Oui ça ne s’arrête jamais.
► 18 décembreVinciane :Hello Ahmad, ça va ? Écoute, j’ai envoyé le dossier de ton frère à des personnes qui travaillent chez MSF. J’ai aussi parlé à quelqu’un en Égypte. Il va essayer d’inscrire son nom sur la liste. Je ne sais pas si ça va fonctionner ou non.
Ahmad :Pitié, j’espère que ça va aboutir. Merci beaucoup Vinciane. Merci pour ta présence à mes côtés dans tous les moments de cette guerre.
Vinciane :Ce n’est rien vraiment. Merci pour ta présence à toi, qui apporte une lueur dans ces ténèbres. Là, tu es à Khan Younès ou à Rafah ?
Ahmad :Je suis à l’hôpital à Khan Younès. Je fais des allers-retours dans la journée à Rafah pour voir si ma famille a besoin de quelque chose et je rentre ensuite à l’hôpital à Khan Younès pour dormir auprès de mon frère.
Vinciane :Et la route entre les deux n’est pas trop dangereuse ?
Ahmad :C’est plutôt safe pendant la journée. Mais la nuit, on ne peut pas se déplacer. Ne t’inquiète pas.
► 19 décembreVinciane :Ahmad, comment vont tes blessures ?
Ahmad :Ça va. Je peux marcher maintenant.
Vinciane :Tant mieux, mais il faut que tu fasses attention pour qu’elles ne s’infectent pas.
Ahmad :Oui, bien sûr. Si tu voyais l’état de l’hôpital ici… Des infections, il n’y a que ça. Aujourd’hui, je suis allé à Rafah. J’ai rapporté un peu de nourriture. Et j’ai fait déménager ma famille dans une nouvelle maison. Je suis rentré à Khan Younès il y a une heure. Mais je continue à avoir peur car je suis loin de ma famille. Et en même temps, j’ai peur qu’elle soit bombardée alors que je suis loin d’elle. Que Dieu la protège. Si seulement le monde pouvait compatir et nous considérer comme des êtres humains. Les animaux sont mieux traités que nous. Ce monde est injuste.
Distribution de nourriture à Rafah, le 31 décembre dernier. / M. Talatene / dpa/picture alliance/Getty
Plus tard dans la soirée, il m’écrit à nouveau.
Ahmad :Vinciane, mon cœur me fait mal. Regarde, c’est Issam, mon neveu.
Il m’envoie la photo d’un petit garçon aux yeux bleus et aux cheveux blonds en vêtements de fête. C’est son père, Majd, qui a été grièvement blessé.
Ahmad :Il est à Rafah, avec sa mère. Quel mal a fait mon frère pour ne plus pouvoir marcher ni jouer avec son fils comme le peut tout être humain ?
Vinciane : Comme il est mignon ! Majd est ton petit ou ton grand frère ?
Ahmad : Je suis l’aîné. Vient ensuite Rami, qui est en Grèce, puis Majd, puis Nadim, et enfin Nour.
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Majd continue à souffrir et Ahmad reste à ses côtés. Il dort peu. Les jours et les nuits se succèdent. Les bombardements charrient un flot continu de blessés et de victimes à l’hôpital, où ont déjà trouvé refuge des centaines de familles en quête de sécurité.
► 26 décembreAhmad :On attend toujours que le nom de mon frère apparaisse sur la liste des transférés à l’étranger… La liste sort chaque soir. Je t’en supplie, Seigneur !
Vinciane :Le gouvernement égyptien a son nom mais je ne sais pas comment ils agissent ensuite.
Ahmad :Ils ne t’ont pas donné plus d’informations ?
Vinciane :Non pas encore… Je suis désolée, j’aimerais avoir des nouvelles plus certaines.
Plus tard…
Ahmad :La liste vient de sortir. Hélas, son nom n’est pas dessus.
Vinciane :Des couteaux dans mon cœur.
► 27 décembreVinciane :Hello Ahmad, ça va ? J’ai parlé aujourd’hui avec les ambassades de France à Jérusalem et au Caire pour comprendre pourquoi il n’y a pas d’avancées à propos du dossier de ton frère. Il se trouve qu’Israël a un droit de veto sur les noms des personnes qui entrent et sortent par Rafah. Aussi bloque-t-il la sortie de nombreux blessés… C’est pour cela que personne ne sait quand son nom pourra être inscrit sur la liste d’évacuation. J’espère que ce sera bientôt. Je suis si désolée de ne pas pouvoir t’aider. Mon cœur pleure avec vous.
Seuls de 25 à 30 blessés sortent chaque jour de la bande de Gaza. Ils sont plus de 60 000 dans l’enclave. Cruelle réalité dans le monde arabe: remuer ciel et terre pour être renvoyé à son impuissance.
Ahmad :Je continue à croire qu’il pourrait sortir bientôt. Mon frère n’a aucune affiliation politique ou partisane, il n’appartient à aucune organisation. C’est un homme normal, qui ne vit que pour sa femme et son fils. Il n’aspire qu’à travailler et vivre avec eux en paix. Hélas, la guerre lui a volé son espoir, sa passion, son amour et sa vie. Sans qu’il soit coupable de rien, sans aucune raison, il a dû être amputé de sa jambe. On l’appellera désormais “personne handicapée”. Et tout ça pour quoi ? À quoi bon ? La Palestine, Jérusalem, Gaza, notre honneur… Honte à eux, à eux tous, s’ils veulent nous sacrifier ainsi ! Que veulent-ils ? Que nous vivions des vies de guerre et de sang ? Depuis que nous sommes venus au monde, nous ne pensons qu’à trouver de la nourriture, de l’eau et à obtenir de l’électricité (absente de douze à quinze heures par jour à Gaza sous blocus avant la guerre, NDLR). À peine commençons-nous à penser à notre avenir et à faire quelques projets, on nous met sens dessus dessous et on nous fait retourner cinquante ans en arrière. C’est comme si notre destin était d’être harassés et humiliés jusqu’au jour de notre mort. Une vie humaine est la chose la plus précieuse au monde. Hélas, ici à Gaza, elle vaut moins que rien.
Vinciane :Habibi.Je ne peux pas imaginer combien ton cœur te fait mal et combien tu souffres du froid, de la faim et de la peur. Personne ne mérite de telles souffrances. J’espère que la guerre va s’arrêter et que vous pourrez reprendre le cours de votre vie car vos vies sont précieuses comme l’or. Loin, je prie pour toi et ta famille.
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Les jours et les nuits passent. Sans nouvelles de la possible inscription de Majd sur la liste des transferts. Ce qui désespère Ahmad. Il guette son nom chaque soir et peine à comprendre mon impuissance.
► 29 décembreAhmad :Vinciane, tu n’as pas eu de nouvelles pour mon frère ?
Vinciane :Non pas encore hélas. Comment va-t-il ?
Ahmad :Il est exténué et il souffre. J’ai pitié de lui.
Vinciane :Mon Dieu, je ne sais pas quoi te dire. J’espère qu’il va pouvoir sortir mais j’ai l’impression que ce n’est plus entre nos mains. Puisse Dieu te donner la force de traverser cette catastrophe. Pardonne-moi si mes mots sont maladroits. J’espère que tu es en train de dormir.
Ahmad :Je ne dors pas bien. Je reste à côté de mon frère car il a mal pendant la nuit.
► 30 décembreVinciane :Habibi.Tu dois être épuisé. J’espère que tu as réussi à dormir un peu.
Ahmad :Oui j’ai pu dormir. Je ne vais pas tarder à partir. Je continue à faire des allers-retours entre Rafah et Khan Younès chaque jour. Toi, comment vas-tu ?
Vinciane :Je vais bien. Fais attention sur la route ! Tu trouves de la nourriture là-bas ?
Ahmad :Oui, Dieu merci, mais c’est cuire la nourriture qui est très difficile car il n’y a ni gaz ni électricité. Alors, on fait du feu avec ce qu’on trouve : cartons, déchets…
► 1er janvierVinciane :Bonne année Ahmad ! Je souhaite que la guerre cesse et que Gaza revienne à la vie.
Ahmad :À toi aussi. Seigneur, puisse-t-elle être une année de bonté, de sécurité et de paix pour tous ceux qui ont perdu l’espoir, la sécurité et la paix dans ce monde.
► 4 janvierAhmad :Hello Vinciane, comment vas-tu ? Aujourd’hui, on m’a fait une radio de la tête car depuis le jour où nous avons été bombardés, j’ai le front légèrement gonflé et j’ai mal. J’en ai parlé à plusieurs reprises aux médecins mais ils m’ont répété que ce n’était rien. La radio montre qu’il y a bien un éclat de missile, à gauche de mon œil. Des soignants incompétents : c’est ça Gaza !
Vinciane : Mon Dieu, c’est grave ? Tu vas être opéré ?
Ahmad : Oui, on va me le retirer. Ça devrait être une opération légère, rien de grave, mais j’ai peur, bien sûr, car il s’agit de mon visage. Tu te rends compte que si l’éclat avait pénétré un peu plus à l’intérieur, il m’aurait tué. Ou il aurait pu m’aveugler. Il est vraiment très proche de mon œil.
Vinciane :Oh la la, Dieu merci, ça n’a pas été le cas. Tiens-moi au courant de ton opération.
► 8 janvierAhmad :Ça y est, on m’a opéré. Ça a été très douloureux. L’opération, qui devait être l’affaire d’une dizaine de minutes, a duré une heure et demie. Les deux points de suture se sont transformés en sept car le médecin a ouvert davantage que prévu pour faire sortir l’éclat de missile. Il a fini par couler avec le sang. Mes yeux sont tout bleuis.
► 9 janvierVinciane : Comment te sens-tu ce matin ? Je sais par expérience que les réveils les lendemains d’une opération, quand l’effet des anesthésiques s’est évanoui, sont terriblement douloureux. J’espère que ça n’a pas été trop dur pour toi et que tu vas pouvoir te reposer maintenant.
► 16 janvierAhmad :Je suis désolé, Vinciane, on n’a plus aucun réseau ni Internet ni téléphonique depuis six jours. Je ne peux communiquer avec personne, et surtout avec personne dans le nord de Gaza. Le réseau est très faible, alors j’emprunte l’e-sim cardd’un médecin quand je peux, j’allume mon téléphone pour m’assurer que tout le monde va bien, puis je l’éteins. C’est l’hiver ici. Il fait glacial et nous n’avons pas de vêtements chauds pour nous protéger du froid. J’ai essayé d’en trouver pour ma famille. En vain. Même si j’en trouvais, je ne pourrais pas les acheter car tout est devenu hors de prix.
► 17 janvierVinciane :Hello Ahmad, comment vas-tu ?
Il m’envoie une photo de son visage pâle, aux yeux d’encre, barré d’un pansement sur le front et la paupière toute ecchymosée.
Ahmad :C’était cinq jours après l’opération. Maintenant, je vais un peu mieux. Toutefois, ça fait un certain temps que je suis fatigué et fiévreux. On m’a donné des antalgiques dans une solution en intraveineuse pour faire baisser ma température. Ce matin, je me suis réveillé à 5 heures, épuisé.
Vinciane :Je crains que tu n’aies attrapé un virus. Tu as de la fièvre ? Tu te sens plus fatigué qu’avant ?
Ahmad :Tout le monde ici a attrapé un virus. Tout le monde est malade, tousse, a de la fièvre ou des maux de tête. Notre système immunitaire est à bout faute de nourriture et de vêtements chauds. Chaque jour, des enfants et des personnes âgées meurent de froid. Grippes, infections respiratoires ou gastros se propagent à toute vitesse. Rien n’y fait. Aucun antalgique n’atténue les douleurs trop intenses.
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D’après les témoignages de médecinset les rapports d’ONG qui nous parviennent, il y a des pénuries d’antalgiques, d’anesthésiques et de désinfectants. Dans les rares hôpitaux de la bande de Gaza encore fonctionnels, de nombreux soignants ont fui et sont, avec leur famille, dans des tentes à Rafah. Ceux qui restent sont épuisés. Des volontaires ont pris le relais mais ils manquent de formation. Considérés comme des lieux sûrs par de nombreux déplacés, les hôpitaux se sont transformés en ruches. Il n’y a pas un centimètre carré où circuler. Faute d’eau pour se laver, le manque d’hygiène est criant.
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Ahmad :La situation autour de l’hôpital est extrêmement dangereuse. Nous sommes cernés par les combats et les bombardements, toujours plus proches. Ça ne s’arrête jamais. Là, j’entends le fracas des bombes. Beaucoup de familles qui s’étaient réfugiées dans l’hôpital sont déjà parties. Je crains que n’arrive un moment où on nous dira d’évacuer l’hôpital. Et alors, où irons-nous ?
Des Palestiniens rendent hommage à des proches tués dans des frappes aériennes israéliennes sur un immeuble à Rafah. / M. Talatene / dpa/picture alliance/Getty
Les nouvelles sont de plus en plus terribles à Khan Younès. Sur les réseaux sociaux, on voit des corps morts, démantibulés, brûlés, coincés sous les décombres, des corps brisés, dénudés, humiliés. « Nous allons tous être tués ou la terreur va nous détruire de l’intérieur », estime le photojournaliste Motaz Azaiza, un mois après le début de la guerre. Il a quitté Gaza le 23 janvier. « Si vous n’êtes pas atterrés par ce qui se passe à Gaza. Si vous n’êtes pas bouleversés jusqu’au plus profond de votre être, alors il y a quelque chose qui ne va pas dans votre humanité », lance pour sa part le révérend Munther Isaac, pasteur à l’église luthérienne de Bethléem, dans son homélie de Noël.
► 18 janvierQuand je demande à Ahmad s’il accepterait que je publie des extraits de notre conversation, il acquiesce. Il se dit heureux de contribuer à porter la voix des Palestiniens de Gaza. Il ne sait pas ce que sait le monde extérieur.
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Ahmad :Nous vivons une tragédie. Internet et les communications sont coupés. Nous sommes isolés du reste du monde, comme si nous étions sur une autre planète. Nous ne savons pas ce que le monde sait de ce qu’il se passe ici, de la tragédie que nous vivons. Alors fais passer ce message : nous espérons que la guerre se terminera bientôt. Nous espérons retrouver nos vies d’avant la guerre. Rien de plus. Nous espérons dormir et nous réveiller sains et saufs. Nous espérons que ce monde compatira avec ce que nous subissons. Nous espérons être traités comme le sont des êtres humains.
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Les derniers messages d’Ahmad datent du 2 février. Les bombardements israéliens ne cessent pas. Les combats continuent à faire rage à Khan Younès, notamment autour des hôpitaux. Ahmad passe ses journées à Rafah où il rend service à l’ONG pour laquelle il travaillait à Gaza. Il rentre à Khan Younès le soir (essayer de) dormir auprès de son frère Majd, toujours à l’hôpital, qui attend de pouvoir être soigné à l’étranger.
Qu’est-ce que la Nakba ?
La Nakba(« catastrophe », « désastre », en arabe) fait référence au déplacement forcé de populations palestiniennes à la suite de la création d’Israël en 1948. Entre 700 000 et 800 000 Palestiniens sont partis ou ont été chassés vers les pays voisins, notamment le Liban, la Syrie et la Jordanie. Ils ont, ainsi que leurs descendants, aujourd’hui plus de 5 millions, interdiction de rentrer dans leur pays.
En 1948, la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies décide qu’il y a lieu de « permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible ». Elle a été confirmée plusieurs fois depuis.
La Knesset adopte en 1950 la « loi sur la propriété des absents », qui permet de confisquer les terres présumées abandonnées à la suite de la guerre et de les transférer aux autorités israéliennes. La même année, elle adopte la « loi du retour », qui garantit à tout juif le droit d’immigrer en Israël.
La Nakba en cours (« ongoing Nakba ») est un concept historiographique qui émerge à la fin des années 1990 et qui considère la politique israélienne envers les Palestiniens comme un continuum de violence et de dépossession. La femme politique palestinienne Hanan Ashrawi l’utilise en 2001 dans un discours lors de la conférence mondiale contre le racisme. Le terme est ensuite repris par le monde universitaire, y compris par des chercheurs israéliens, tels que l’historien Ilan Pappé.