Le kiné de campagne
Blog de poésie,d'amour humain, belles ballades poétiques,des photos des villages corses.Littérature.

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· Blagues (16)
· Dansons,dansons, (23)
· Discussion (473)
· HAIKU (17)
· HANDICAP (13)
· Le kiné (4)
· MAXIMES,REFLEXIONS (33)
· Mes ballades (83)
· MON PERE (1)
· MUSIQUE (112)
· PHOTOS (17)
· Poésies (203)
· PUBLICITE (1)
· UN PEU DE CORSE, la langue d'ici (40)

Articles les plus lus

· RANDONNÉE CORSE – POZZI DE BASTELICA
· POESIE de mon pays
· La Conspiration de l'ombre
· Dardanus.
· La Traversée des temps - Paradis perdus

· POESIE d'été
· Les glacières de Cardo et de Ville-di-Pietrabugno
· OLMO
· Rando:Cima di e Follicie
· LA PANTHÈRE DES NEIGES.SYLVAIN TESSON
· Avant elle
· VENISE!!
· Vie pour Vie
· Randonnée chemin du littoral ou sentier des douaniers.
· le petit pont génois

Voir plus 

Rechercher
Derniers commentaires Blogs et sites préférés

· lemanoirdessecrets
· joannidis
· herbye-hby
· marie4liberte
· comediensreunis
· blog de nat
· GEORGES WINNIDOG
· DE LA PLUME AU LIVRE
· léa passion lecture
· Institut de formation kinésithérapie

Voir plus


Thèmes

air amis amitié amour animaux annonce argent art background base belle bleu

Abonnement au blog
Recevez les actualités de mon blog gratuitement :

Je comprends qu’en m’abonnant, je choisis explicitement de recevoir la newsletter du blog "kinesicors1-campagne" et que je peux facilement et à tout moment me désinscrire.


Images
Statistiques

Date de création : 16.06.2010
Dernière mise à jour : 01.08.2024
1173 articles


J’ai du mal !

Publié le 01/08/2024 à 17:30 par kinesicors1-campagne Tags : sur vie

J’ai du mal à trouver mes mots
Qui seraient pour elle les plus beaux,
Qui lui ressemblerait un peu
Auraient la couleur de ses yeux.

Oui, j’ai du mal à cueillir mes mots,
Ces mots d’amour, qu’il faut,
Pour lui dire que je ne sais pas
Je ne sais pas vivre sans ses pas

Elle est sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a l’allégresse de mes mains,
Elle a l’éclat de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une agate sous la voute céleste.

Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font pleurer et rire
Et bafouiller pour ne rien dire.

Joie, joie pas éphémère
Et très sincère, ou il n’y a d’amère
Que l’amour désert, Carpe diem,
Comme je t’aime mirage de la vie,
De joie Infinie.

La Langue des choses cachées

Publié le 01/08/2024 à 17:17 par kinesicors1-campagne Tags : sur amour monde enfants maison mort dieu femmes bleu livre fond nuit prix roman nature vie france musique 2010
La Langue des choses cachées

RÉSUMÉ.
À la tombée du jour, un jeune guérisseur se rend dans un village reculé. Sa mère lui a toujours dit : " Ne laisse jamais de traces de ton passage. " Il obéit toujours à sa mère. Sauf cette nuit-là.

Cécile Coulon explore dans ce roman des thèmes universels : la force
poétique de la nature et la noirceur des hommes. Elle est l'autrice
de Une bête au Paradis, Prix littéraire du Monde, Trois saisons d'orage, prix des Libraires, et du recueil de poèmes Les Ronces, prix Apollinaire.
Avec La Langue des choses cachées, ses talents de romancière et de poétesse se mêlent dans une œuvre littéraire exceptionnelle

Prologue:

Car c’est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent, en prenant avec les cieux de funestes engagements : leurs mains caressent et déchirent, rendent la peau si douce qu’on y plonge facilement des lances et des épées. Rien ne les effraie sinon leur propre mort, leurs doigts sont plus courts que ceux des grands singes, leurs ongles moins tranchants que ceux des petits chiens, pourtant ils avilissent bêtes et prairies, ils prennent les rivières, les arbres et les ruines du vieux monde. Ils prennent, oui, avec une avidité de nouveau-né et une violence de dieu malade, ils posent les yeux sur un carré d’ombre et, par ce regard, l’ombre leur appartient et le soleil leur doit sa lumière et sa chaleur. Ils se nourrissent des légendes qui font la terre ronde et trouée, le ciel bleu et fauve, ils construisent des villes géantes pour des vies minuscules et la haine de cette petitesse les pousse à toutes les grandeurs. En amour, ils ne comprennent rien aux secousses du cœur et du sexe, ils tentent de les apaiser, leurs forces sont fragiles, leurs corps mal préparés aux tempêtes des sentiments. Ils ont trouvé un langage pour tout dire ; avec ce trésor, ils s’épuisent à convaincre qu’ils sont les chefs, les puissants, les vainqueurs.

Qu’importe qu’ils violent des femmes, des enfants, des frères ou des inconnus, qu’importe qu’ils vident des océans et remplissent des charniers, tout est voué à finir dans un livre, un musée, une salle de classe, tout sera transformé en statue, en compétition, en documentaire. Alors, qu’importe qu’ils incendient des bibliothèques, des villages et des pays entiers, qu’ils martyrisent ceux qu’ils aiment, il faut pour vaincre tout brûler, et regarder les flammes monter au-dessus des forêts jusqu’à ce qu’elles forment sous l’orbe des nuages de grandes lettres illisibles. Qu’importe qu’ils passent sur cette terre plus vite qu’un arbre, une maison, une tortue ou un rivage, ils sont si beaux, avec leurs yeux pleins d’amour et leurs mains pleines de sang, ils sont si beaux, avec leurs corps comme des brindilles, ils se tiennent droit, ils imitent les falaises, ils se croient montagnes ou sommets, ils sont si beaux dans leur soif capable de tarir les sources les plus anciennes, ils sont si beaux dans la timidité du premier baiser, cela ne dure qu’une seconde mais après ils ne seront plus jamais grands. Oui, c’est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent.

Au milieu de cette foule aveugle, titubante, certains comprennent les choses cachées. Ils devinent en silence les grands tremblements du corps, les affaissements soudains du sang, ils possèdent le don, la force. Ils se mêlent aux autres et les soignent, les apaisent, ils ressemblent à des hommes et des femmes mais ils portent en eux des décennies de douleur et de joie, ils connaissent le feu, ils l’ont en eux, ils maîtrisent les flammes. Comme des chiens de berger autour d’un troupeau affolé par l’orage, ces gens-là s’approchent d’un corps et immédiatement le corps parle avec eux, s’exprime, ils entendent,

écoutent, répondent, ils guérissent, dans un fond de ferme, près d’un lit sale, à côté d’un berceau cassé, ils guérissent, voilà, on les appelle pour cela, mais c’est bien autre chose que nous ne comprenons pas.

 Ils ont appris, très tôt, la langue des choses cachées.

 

Àmi-pente, l’odeur du sang et des trembles mouillés lui parvint. Il avait marché longtemps : la journée finissait à mesure que la colline, derrière lui, s’arrondissait, et qu’une autre, devant lui, s’élevait. Le hameau gisait là, sous ses yeux abîmés par la bruine, il voyait un filet de maisons gris et noir de part et d’autre de ce qui ressemblait à une rivière, si étroite qu’elle disparaissait presque entre les arbres. Il distinguait deux ponts, bombés, plutôt larges, qui enjambaient fièrement le cours d’eau. L’église, toute menue dans cette vallée, tendait vers les nuages son clocher silencieux. D’où il se trouvait, il compta vingt maisons, trois longs bâtiments à l’écart – des étables –, une route qui piquait à l’entrée du village et sortait de l’autre côté avant de remonter.

 

C’était sa première fois.

Sa mère, âgée, ne quittait plus leur maison, à trente kilomètres. Quand on l’avait appelée, cette fois-ci elle s’était tournée vers son fils et il avait compris. Il prenait son tour. Il faisait suite.

– Où dois-je aller ?

– Entre deux basses collines. Il n’y a qu’un seul lieu-dit : le Fond du Puits. Ne traîne pas, tu es attendu.

– Et si je me perds ?

– Tu ne te perdras pas. C’est pour ça que les braves gens font appel à nous : car nous ne nous perdons jamais. Tâche de t’en souvenir.

Puis elle avait préparé un bagage léger et il était parti pour une journée de marche, les yeux fixés sur les basses collines à l’horizon, qui enfermaient un village où les âmes perdues avaient appelé.

 

 

Sur le chemin dix fois il s’était retourné, croyant sentir sa mère derrière lui. Mais rien ne bougeait, ni les trembles verts et longs, ni les prairies débordées par leurs fleurs. Le vent brisa le paysage en milieu de journée, il crut y entendre la voix de sa mère. Il devait avancer vite, passer la colline, arriver avant la nuit. Là, on attendait sa venue, il comprendrait, avait-elle dit, quelqu’un viendrait l’accueillir, on l’emmènerait dans une maison, et ça commencerait au bord d’un lit, près d’un malade. Cent fois il avait accompagné sa mère quand elle était appelée – il n’y avait pas d’autre manière de le dire, elle était appelée –, quand les hommes ne savaient plus où demander de l’aide. Les hôpitaux étaient trop loin, les médecins absents, les vieux refusaient d’être soignés autrement que par des coupeurs de feu, des guérisseurs, des rebouteux. Les noms qu’on donnait à sa mère, elle s’en accommodait, et quand son fils lui demandait comment elle se définissait, elle répondait : « Nous voyons des choses cachées et il n’y a pas de mot pour cela. »

Alors elle laissait celles et ceux qu’elle nommait « braves gens » utiliser le langage qu’ils voulaient pendant qu’elle apprenait le sien à son fils. Aujourd’hui, sur un chemin sans bornes, il partait seul accomplir cette tâche. Voir les choses cachées.

C’est une manière douce – trop douce – de raconter. Ce garçon, cheminant à dos de basse colline pour atteindre le Fond du Puits, ce garçon, jeune comme une tige, moins joli qu’un enfant mais plus qu’un adulte, ce garçon, pour les langues habituées aux choses cachées qu’il s’en va voir,

ce garçon est un drame.

 

BIO.

Cécile est Coulon est née en 1990. Après des études en hypokhâgne et khâgne à Clermont-Ferrand, elle poursuit des études de Lettres Modernes. Elle consacre actuellement une thèse au "Sport et Littérature".
Son premier roman Le voleur de vie et son recueil de nouvelles Sauvages sont parus aux Éditions Revoir.
Outre son goût prononcé pour la littérature, de Steinbeck à Luc Dietrich, Nathalie Sarraute ou Marie-Hélène Lafon en passant par Tennessee Williams, Stephen King ou Prévert, elle est aussi passionnée de cinéma (Pasolini, La nuit du chasseur, The Big Lebowski, L'année dernière à Marienbad, Bruno Dumont, Duncan Tucker, Larry Clark, John Waters) et de musique (Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Ramones, Lesley Gore, Otis Redding, John Legend).
Ses cinq romans ont paru aux Éditions Viviane Hamy : Méfiez-vous des enfants sages (2010), Le Roi n'a pas sommeil (2012, couronné Prix Mauvais Genres France Culture / Le Nouvel Observateur la même année), Le Rire du grand blessé (2013), Le Cour du Pélican (2015) et Trois saisons d'orage (2017).

Il est des jours, et des nuits

Publié le 01/08/2024 à 16:49 par kinesicors1-campagne Tags : air nuit
Il est des jours, et des nuits

Il est des jours, et des nuits*

 

Que la nuit me fuit

Et la terre rugit

Dans un profond vacarme

Auteur de tous mes drames

Plongeant ma mémoire dans un gouffre

Respirant un air de souffre.

 

Il est des jours, et des nuits ; *

Où les djinns en mon corps s’immiscient  

Engendrant des douleurs infinies

Dans l’âme que l’on ne peut oublier

Par la couleur obscure qui y est dessinée

Troublant ma sève et poignardant le silence

De l’intime souffrance.

 

LES FEMMES DU BOUT DU MONDE

Publié le 29/03/2023 à 18:26 par kinesicors1-campagne Tags : sur roman homme mort histoire dieu nature texte monde voyage fille femmes prix france presse bleu
LES FEMMES DU BOUT DU MONDE

Résumé :
Si tu te demandes ce que nous faisons ainsi, loin des hommes, je vais te dire : nous veillons sur notre petit univers, nous veillons les unes sur les autres. C’est ce que font les femmes du bout du monde.
À la pointe sud de la Nouvelle-Zélande, dans la région isolée des Catlins, au cœur d’une nature sauvage, vivent Autumn et sa fille Milly. Sur ce dernier bastion de terre avant l’océan Austral et le pôle Sud, elles gèrent le camping Mutunga o te ao, le bout du monde en maori. Autumn et Milly forment un duo inséparable, jusqu’au jour où débarque Flore, une jeune parisienne en quête de rédemption… Hantées par le passé mais bercées par les vents et les légendes maories, ces trois femmes apprendront à se connaître, se pardonner et s’aimer.
Mélissa Da Costa nous offre un voyage inoubliable à travers des paysages d’une stupéfiante beauté, aux côtés de personnages inspirés et inspirants. 

 

 
Biographie :
Née  le : 07/08/1990
Mélissa Da Costa est une romancière française.

Après des études d’économie et de gestion à l'Institut d'administration des entreprises de Lyon (IAE) (2008-2011), elle est chargée de communication dans le domaine de l’énergie et du climat.

Elle suit également des formations en aromathérapie, naturopathie et sophrologie.

"Recherche compagnon(ne) de voyage pour ultime escapade" (2017), sortie en librairie sous le titre "Tout le bleu du ciel" (2019), est son premier roman. Salué par la presse, il a reçu le prix du jeune romancier au salon du Touquet Paris Plage.

"Les douleurs fantômes" (2022) est lauréat du Prix Babelio - littérature française 2022

Espionne

Espionne

RÉSUMÉ;
Certains secrets ne peuvent être révélés...

À 18 ans, Alexandra Wickham, jeune aristocrate anglaise à la beauté renversante, semble promise à un destin privilégié. Mais à l'aube d'un nouveau conflit mondial, sa bravoure et son goût du risque vont la conduire sur une tout autre voie.
Infirmière bénévole, polyglotte, Alex est bientôt recrutée par les services de renseignement. Après plusieurs missions sensibles en Allemagne et en France, elle devient experte en matière d'espionnage. Mais si elle revient toujours vers Richard, le pilote qui a conquis son cœur, il lui est interdit de révéler quoi que ce soit de sa double vie.
Au fil des années, aux quatre coins du monde, leur couple survivra-t-il à cette existence menée sous le sceau du secret ?

.................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

1
En y repensant, longtemps après, Alexandra Wickham s’apercevrait que son dernier été un tant soit peu normal remontait à 1939. À ce moment-là, cinq ans s’étaient déjà écoulés depuis sa première « saison » à Londres, un événement que ses parents attendaient avec impatience depuis son enfance. Elle-même avait rêvé toute sa vie de ce jour où elle serait enfin présentée à la Cour. Depuis le premier bal donné en 1780 par le roi George III en l’honneur de son épouse la reine Charlotte, une grande soirée portant le nom de la souveraine offrait chaque année l’occasion à toutes les jeunes filles de la noblesse de faire leur entrée dans le monde. L’idée étant qu’elles attirent l’attention d’un homme de la haute société, et qu’un mariage s’ensuive, dans un délai relativement bref. Même si, près de deux siècles plus tard, les parents modernes l’avouaient moins facilement, le résultat escompté restait le même.

En 1934, Alex s’était donc pliée à la tradition. Elle avait été présentée à la cour du roi George V et de la reine Mary dans une délicieuse robe blanche en dentelle et satin, signée Jean Patou : sa mère l’avait emmenée à Paris pour les essayages. Avec sa haute taille, sa blondeur et ses traits ciselés, Alex n’avait pas manqué de prétendants. Ses frères William et Geoffrey l’avaient pourtant taquinée sans merci pour n’avoir pas su harponner un beau parti dès les premiers mois de son séjour à Londres. Il faut dire que les five o’clock auxquels on la conviait représentaient un bouleversement considérable par rapport à la vie au grand air qu’elle menait jusque-là. Férue d’équitation depuis sa plus tendre enfance, élevée à la dure par ses frères aînés, elle n’avait eu d’autre choix que de devenir un vrai garçon manqué. Changer de toilette matin, midi et soir s’était révélé plus fastidieux qu’elle ne s’y attendait.

Alex avait noué de nombreuses amitiés parmi les autres débutantes, qui n’avaient quant à elles pas déçu les espoirs de leurs parents ; la plupart s’étaient fiancées avant la fin de la saison. Mais à 18 ans, Alex n’était plus la petite fille qui jadis rêvait d’un mariage de princesse : elle aurait préféré faire des études – au grand dam de son père, qui n’en voyait pas l’utilité, et de sa mère, qui trouvait cela inconvenant pour une fille. Une armée de gouvernantes zélées lui avaient transmis une grande soif de connaissance et l’amour de la littérature tout en l’aidant à se perfectionner dans l’art de l’aquarelle et les travaux d’aiguille. C’était sans effort qu’elle avait appris le français et l’allemand. On n’en attendait certes pas moins d’une jeune lady de son rang, mais elle parlait de surcroît la langue de Dante. Elle dansait avec grâce et était une cavalière très convoitée dans les bals auxquels elle se rendait avec sa famille.

Mais Alex ne brillait pas seulement par les figures de quadrille qu’elle exécutait à merveille, par son amour des lettres ou sa virtuosité dans les langues. « Vous êtes une femme d’esprit ! » s’exclamaient les hommes qui la rencontraient en découvrant son sens de l’humour et son franc-parler. Ses rapports avec les amis de ses frères relevaient de la camaraderie : en dépit de sa grande beauté, peu d’entre eux auraient imaginé l’épouser un jour. Quant aux rares jeunes gens qui avaient osé lui faire leur demande, Alex les trouvait mortellement ennuyeux. Elle n’avait pas non plus la moindre envie de rester coincée dans son Hampshire natal, à faire du point de croix au coin du feu et à élever une ribambelle d’enfants turbulents. Tout cela arriverait bien assez tôt, si jamais cela arrivait.

Les cinq années suivantes s’étaient écoulées sans changement majeur. L’existence d’Alex était rythmée par les voyages avec ses parents en Europe et en Amérique, les chasses à courre, les fêtes et les visites à ses amies – dont plusieurs étaient déjà mères de famille. Elle assistait son père dans la gestion des terres, s’intéressant davantage au domaine que ses deux frères, qui avaient fui le manoir pour la capitale. William était l’aîné. À 27 ans, son statut de pilote d’élite l’auréolait de prestige et il menait une vie sociale intense. Sa réputation de Don Juan le précédait et, à l’instar d’Alex et de Geoffrey, leur frère de 25 ans, il n’était pas pressé de se marier. Passionné par les aéronefs, il ne manquait pas une occasion d’assister à des courses aériennes, aussi bien en France qu’en Angleterre. Après ses études d’économie, Geoff avait pour sa part décroché un poste intéressant au sein d’une grande banque londonienne.

« Leur vie est bien plus excitante que la mienne », soupirait Alex, dépitée de se voir reléguée à l’arrière-plan sous prétexte qu’elle était une femme. Lors de ses voyages à New York, elle avait constaté que les Américains étaient généralement plus ouverts d’esprit que les Anglais à ce sujet. Et même si elle adorait parler de politique avec son père et ses frères, tous trois lui conseillaient de ne pas aborder le sujet dans les dîners, sous peine d’effrayer ses prétendants.

— Jamais je ne voudrais d’un homme qui ne respecterait pas mon opinion, répliquait Alex.

— Tu finiras vieille fille, si tu ne tiens pas ta langue et que tu ne cesses pas de courir la campagne à cheval ! raillait Geoffrey.

En réalité, ses frères étaient fiers de son intelligence, de son courage et de son audace. Ses parents, même s’ils n’en disaient rien, commençaient à s’inquiéter devant le manque d’intérêt de leur fille pour la vie matrimoniale.

Mais, à 23 ans, Alex était bien trop préoccupée par les affaires du monde. Elle écoutait la radio allemande pour suivre en version originale tous les discours de l’inquiétant chancelier Hitler. Elle en avait conclu, bien avant les événements de cet été 1939, qu’un conflit armé était inévitable. Entre-temps, son père et ses frères s’étaient eux aussi rendus à l’évidence. Ainsi ce fut avec tristesse, mais sans surprise, qu’ils accueillirent le 3 septembre la nouvelle de la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France à l’Allemagne nazie. La famille s’était réunie autour du poste de TSF pour écouter l’allocution du roi George VI, appelant tous les Britanniques à défendre leur patrie avec force et courage. À l’instar de la majorité de leurs concitoyens, les Wickham ne tardèrent pas à répondre présents. Les deux frères d’Alex s’enrôlèrent sans hésiter dans la Royal Air Force ; Willie comme pilote de chasse et Geoff comme bombardier.

De leur côté, M. et Mme Wickham avaient décidé de participer à l’effort de guerre en accueillant sous leur toit une vingtaine de petits Londoniens. Le gouvernement encourageait en effet l’évacuation des villes, et de nombreux parents recherchaient un abri à la campagne pour leurs enfants. Victoria la mère d’Alex, avait commencé à aménager des dortoirs de quatre lits dans la dépendance où étaient hébergés les domestiques. La place ne manquait pas, d’autant que le personnel masculin du manoir était grandement diminué par la conscription. Trois femmes de chambre, aidées par deux jeunes filles du village, prendraient soin des petits pensionnaires, tandis que deux enseignantes de l’école s’étaient portées volontaires pour leur donner des cours tous les après-midi. Victoria espérait qu’Alex se joindrait à elles.

La jeune femme prit ses parents de court en leur annonçant qu’elle partait à Londres conduire des camions et des ambulances pour venir en aide aux hôpitaux. Elle s’était portée volontaire pour remplir toutes les missions que l’on voudrait bien lui confier au sein de la First Aid Nursing Yeomanry, ou FANY, une unité d’infirmières à la discipline quasi militaire. Quoique très fiers de leur fille, ses parents s’alarmèrent de la voir se jeter au cœur de la fournaise : le gouvernement annonçait des raids aériens d’un jour à l’autre.

Alex avait mûrement réfléchi à la façon dont elle pourrait mettre ses compétences à profit. Pas question de rester enfermée dans un bureau : elle avait besoin de travaux plus physiques. Pour autant, elle ne se voyait pas éteindre des incendies ni organiser des hébergements d’urgence ou distribuer des repas. Forte de son expérience sur les terres de ses parents, elle aurait facilement pu, après une courte formation, prendre la relève des exploitants agricoles mobilisés. Cependant, elle n’avait pas envie de demeurer dans le Hampshire. La grande ville exhalait un charme nouveau, qui n’était plus celui des bals, des soirées au théâtre et des beaux atours : Londres avait tout à coup le parfum de l’aventure. L’idée de devenir l’une de ces conductrices-ambulancières ne l’effrayait guère car, dès ses 17 ans, l’un des palefreniers du château lui avait appris à tenir le volant. De plus, la FANY lui avait laissé entrevoir une possibilité d’évolution, avec des responsabilités plus importantes au fil du temps…

Ses frères, qui venaient de terminer leurs classes et attendaient leurs premiers ordres de mission, la prévinrent dans leurs lettres qu’ils la tiendraient à l’œil. Ils ne plaisantaient qu’à moitié. « Promets-moi d’être prudente », l’exhorta sa mère, les yeux pleins de larmes, le jour de son départ. Mais Victoria ne savait déjà plus où donner de la tête avec ses petits pensionnaires, âgés de 5 à 11 ans. Quelles que soient les missions que l’on confierait à Alex, ce serait sans doute moins difficile que de canaliser ce groupe turbulent…

La jeune femme arriva à Londres en octobre. Le roi avait de nouveau pris la parole sur les ondes, saluant les efforts fournis par l’ensemble de ses sujets. Alex avait enfin l’impression de prendre part à quelque chose d’important. Au cours de sa formation, qui dura un mois, elle côtoya des femmes de tous âges, issues des milieux les plus variés et venues des quatre coins de Grande-Bretagne. Enfin, elle découvrait là cet horizon plus vaste dont elle aurait tant voulu bénéficier à l’université.

À l’occasion d’une permission, Geoff vint la voir et l’emmena dîner chez Rules, l’un de leurs restaurants préférés. Les autres clients esquissèrent des sourires approbateurs en voyant ces deux jeunes gens de noble allure porter l’uniforme. Alex expliqua à son frère tout ce qu’elle avait déjà appris.

Fantastique ! railla Geoff. J’ai toujours rêvé d’avoir une sœur conductrice de camions. Cela te va bien, Alex. Une chance que tu ne te sois jamais mariée !

— Oh, ça va… Je ne suis pas encore mariée, nuance !

— Mais tu pourrais continuer dans cette voie après la guerre : tu t’apercevras peut-être que c’est ta vocation…

— Et toi ? Quand est-ce que tu commences tes missions ? coupa Alex, sachant que leur frère aîné avait déjà effectué plusieurs vols de reconnaissance.

— C’est pour bientôt. J’ai hâte de faire pleuvoir un enfer de bombes sur les Allemands !

Malgré le climat d’inquiétude qui régnait, ils passèrent un bon moment ensemble, puis Geoff raccompagna Alex jusqu’à ses quartiers. Le blackout était déjà en vigueur. Il fallait obstruer toutes les fenêtres après la tombée de la nuit pour plonger la ville dans le noir et protéger la population des bombardements ennemis. Ils se retrouvèrent donc dans la plus grande obscurité dès leur sortie du restaurant.

Partout, on bâtissait des abris antiaériens et, à toute heure du jour, la ville bourdonnait d’activité dans l’attente des combats.

Sur le chemin, Geoff sembla penser que le moment était bien choisi pour mettre sa sœur en garde contre les beaux parleurs qui abusaient de l’innocence des jeunes femmes, et les conséquences désastreuses qui pouvaient en résulter. Alex éclata de rire.

— Vraiment ? Maman elle-même ne m’a rien dit de tel quand je lui ai fait mes adieux.

— Notre mère n’en parlerait jamais ouvertement : elle pense que l’éducation qu’elle t’a donnée suffit à faire de toi une jeune fille rangée.

— Et tu penses que ce n’est pas le cas ? demanda Alex en haussant un sourcil.

— Je connais les hommes. Et si tu tombes amoureuse d’un salaud sans scrupules, il pourrait te convaincre de faire une bêtise.

— Dis tout de suite que je suis idiote !

— Mais non, voyons… Je m’inquiète à ton sujet, voilà tout. Tu n’as jamais vécu loin de la maison, et dans les circonstances actuelles tu risques de rencontrer un genre d’hommes auquel tu n’es pas habituée. Certains n’ont pas froid aux yeux.

— Moi non plus, si cela peut te rassurer.

— Bref, si tu tombes enceinte, je te tue ! Sans parler du fait que cela briserait le cœur de nos parents.

— Figure-toi que je suis ici pour travailler, pas pour trouver un homme ni passer mes soirées dans les pubs !

— Bon, je préfère ça, conclut Geoff. Il est vrai que la FANY a très bonne réputation. Et dans le fond tu sais combien je suis fier que tes missions ne se limitent pas aux soins infirmiers. Mais je te connais par cœur : tu as intérêt à ne pas te faire congédier pour impertinence envers ta hiérarchie !

— Occupe-toi de tes oignons… et débrouille-toi pour descendre les Allemands avant qu’ils ne t’attrapent, dit-elle un ton plus bas, en le serrant contre elle.

Ils étaient arrivés devant l’immeuble qui abritait l’unité d’Alex. Geoff attendit de la voir entrer dans le hall pour héler un taxi.

Elle souriait encore en montant l’escalier. Avant de se quitter, ils avaient parlé de leur prochain retour dans le Hampshire pour Noël. Tout comme leur frère aîné, ils n’avaient eu aucun mal à obtenir une permission. En cette fin d’année 1939, la guerre était latente. Les deux camps fourbissaient leurs armes et préparaient la défense : à Londres, des bénévoles arrivaient de tous les pays alliés. Alex avait ainsi fait la connaissance, au sein de son unité, d’une Australienne et de deux Américaines, qu’elle admirait pour leur attitude libre et indépendante.

................................................................................................................................................................

 

 

Comme les années précédentes, Alex, Willie et Geoff se retrouvèrent donc au manoir pour Noël. Tout le monde n’avait pas eu leur chance, car le rationnement en essence limitait les déplacements. La campagne n’avait rien perdu de son calme. Le changement n’était perceptible que dans les rues de Lyndhurst, la pittoresque bourgade voisine, où les commerçants avaient protégé leurs devantures. Et il était impossible cette année-là d’honorer la tradition qui consistait à se promener en admirant les sapins illuminés derrière les fenêtres : le blackout était passé par là. Mais pour le moment, les vivres ne manquaient pas ; hôtels et restaurants affichaient complet.

Le gouvernement avait déconseillé aux familles d’accueil, comme aux parents des centaines de milliers d’enfants évacués à la campagne, de laisser les petits réfugiés rentrer en ville ou d’aller leur rendre visite pour les fêtes, de peur qu’une nouvelle séparation début janvier ne soit trop difficile. Victoria Wickham s’était juré que, malgré tout, ses jeunes protégés passeraient un merveilleux Noël.

Chaque enfant aurait droit à son cadeau. Victoria avait veillé plusieurs soirs de suite pour coudre des petits ours en peluche, et les femmes de chambre et les jeunes filles du village s’étaient jointes à elle pour tricoter des chandails : bleu marine pour les garçons, rouges pour les filles. Comme toutes les femmes du pays, elle ne lâchait plus ses aiguilles et suivait les différentes recommandations gouvernementales pour économiser le textile. Alex apporta sa contribution le soir de son arrivée, en nouant des rubans au cou des oursons.

Juste avant le dîner de fête qui leur était consacré, les pensionnaires ouvrirent de grands yeux en découvrant l’immense sapin de Noël illuminé dans le grand salon – on avait bien sûr tiré les rideaux pour se plier aux mesures de sécurité. Et ils poussèrent des cris de joie au moment d’ouvrir leurs paquets. Tous les tricots étaient à la bonne taille, au grand soulagement de Victoria. En prime, chacun eut droit à un sachet de friandises achetées à l’épicerie du village. Une fois les enfants couchés, la famille se retrouva dans la salle à manger pour le réveillon traditionnel, en queue-de-pie et robe de soirée. Ils échangèrent leurs cadeaux après le souper. Victoria avait tricoté un cardigan en angora rose pour Alex, à qui elle offrit également une paire de boucles d’oreilles en saphir, assorties à ses yeux. En retour, Alex donna à sa mère un sac à main dernier cri, un peu plus grand que les pochettes qui étaient de mise jusque-là. Victoria pourrait y transporter les nombreux cahiers de tickets de rationnement dont elle aurait besoin pour nourrir sa maisonnée. Le gouvernement venait en effet d’annoncer qu’ils seraient distribués juste après les fêtes. Comme souvent dans l’Histoire, la mode s’adaptait aux circonstances…

Alex en apporta une preuve supplémentaire le lendemain, lorsqu’elle se présenta à la table du déjeuner vêtue d’un pantalon. Si ses parents ne purent cacher leur surprise, ses frères parurent franchement horrifiés.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? lâcha William. Ça fait partie de ton uniforme ?

...............................................................................................................................................................

Biographie;

Danielle Steel, née Danielle Fernande Schuelein-Steel le 14 août 1947 à New York, est une romancière américaine. Spécialiste des romans d'amour, elle a signé de nombreux best-seller.

 

Prix et distinctions
2002 : élévation au grade d'officier dans l'Ordre des Arts et des Lettres22,
2003 : lauréate du Outstanding Achievement Award, décerné par le Larkin Street Youth Services de San Francisco23,
2009 : inscription au California Hall of Fame24,
2009 : lauréate du Distinguished Service in Mental Health Award, décerné par le NewYork–Presbyterian Hospital25
2014 : élévation au grade de chevalier dans l'Ordre national de la Légion d'honneur26,27.
Œuvres
Romans
Au nom du cœur, France Loisirs, 1986 ((en) Going Home, 1973)
Les Promesses de la passion, Éditions de Trévise, 1979 ((en) Passion’s Promise, 1977)
Préalablement traduit en français sous le titre Celle qui s'ignorait
Maintenant et pour toujours, P. Belfond, 1984 ((en) Now and Forever, 1978)
Leur promesse, Stanké, 1978 ((en) The Promise, 1978)
Une saison de passion, Éditions de Trévise, 1981 ((en) Season of Passion, 1979)
La Fin de l'été, Presses de la Cité, 1986 ((en) Summer’s End, 1979)
L'Anneau de Cassandra, Éditions de Trévise, 1982 ((en) The Ring, 1980)
Palomino, P. Belfond, 1983 ((en) Palomino, 1981)
Un monde de rêve, Éditions de Trévise, 1981 ((en) To Love Again, 1981)
Souvenirs d'amour, P. Belfond, 1983 ((en) Remembrance, 1981)
Loving, Presses de la Cité ((en) Loving, 1981)
Il était une fois l'amour, France Loisirs, 1985 ((en) Once in a Lifetime, 1982)
Traversées, Presses de la Cité, 1988 ((en) Crossings, 1982)
Un parfait inconnu, Presses de la Cité, 1989 ((en) A Perfect Stranger, 1983)
La Maison des jours heureux, Presses de la Cité, 1987 ((en) Thurston House, 1983)
Une autre vie, Presses de la Cité, 1987 ((en) Changes, 1983)
La Ronde des souvenirs, Presses de la Cité, 1987 ((en) Full Circle, 1984)
Album de famille, Presses de la Cité, 1985 ((en) Family Album, 1985)
Secrets, Presses de la Cité, 1986 ((en) Secrets, 1985)
La Vagabonde, Presses de la Cité, 1988 ((en) Wanderlust, 1986)
Publié également en français sous le titre Audrey, la vagabonde
La Belle Vie, Presses de la Cité, 1989 ((en) Fine Things, 1987)
Kaléidoscope, Presses de la Cité, 1990 ((en) Kaleidoscope, 1987)
Zoya, Presses de la Cité, 1990 ((en) Zoya, 1988)
Star, Presses de la Cité, 1990 ((en) Star, 1989)
Cher daddy, Presses de la Cité, 1991 ((en) Daddy, 1989)
Souvenirs du Vietnam, Presses de la Cité, 1991 ((en) Message from Nam, 1990)
Coups de cœur, Presses de la Cité, 1992 ((en) Heartbeat, 1991)
Un si grand amour, Presses de la Cité, 1992 ((en) No Greater Love, 1991)
Joyaux, Presses de la Cité, 1993 ((en) Jewels, 1992)
Naissances, Presses de la Cité, 1993 ((en) Mixed Blessings, 1992)
Disparu, Presses de la Cité, 1994 ((en) Vanished, 1993)
Accident, Presses de la Cité, 1994 ((en) Accident, 1994)
Le Cadeau, Presses de la Cité, 1994 ((en) The Gift, 1994)
Plein Ciel, Presses de la Cité, 1995 ((en) Wings, 1994)
La Foudre, Presses de la Cité, 1996 ((en) Lightning, 1995)
Cinq jours à Paris, Presses de la Cité, 1995 ((en) Five Days in Paris, 1995)
Malveillance, Presses de la Cité, 1996 ((en) Malice, 1996)
Honneur et Courage, Presses de la Cité, 1997 ((en) Silent Honor, 1996)
Le Ranch, Presses de la Cité, 1997 ((en) The Ranch, 1997)
Renaissance, Le Grand Livre du mois, 1997 ((en) Special Delivery, 1997)
Le Fantôme, Presses de la Cité, 1998 ((en) The Ghost, 1997)
Un si long chemin, Presses de la Cité, 1999 ((en) The Long Road Home, 1998)
Le Klone et moi, Presses de la Cité, 1998 ((en) The Klone and I, 1998)
Double Reflet, Le Grand Livre du mois, 1999 ((en) Mirror Image, 1998)
Douce amère, Presses de la Cité, 2000 ((en) Bittersweet, 1999)
Mamie Dan, Presses de la Cité, 2001 ((en) Granny Dan, 1999)
Forces irrésistibles, Presses de la Cité, 2000 ((en) Irresistible Forces, 1999)
Le Mariage, Presses de la Cité, 2001 ((en) The Wedding, 2000)
Rue de l'espoir, Presses de la Cité, 2002 ((en) The House on Hope Street, 2000)
Voyage, Presses de la Cité, 2001 ((en) Journey, 2000)
L'Aigle solitaire, Presses de la Cité, 2002 ((en) Lone Eagle, 2001)
Courage, Presses de la Cité, 2003 ((en) Leap of Faith, 2001)
Le Baiser, Presses de la Cité, 2002 ((en) The Kiss, 2001)
Le Cottage, Presses de la Cité, 2003 ((en) The Cottage, 2002)
Coucher de soleil à Saint-Tropez, Presses de la Cité, 2004 ((en) Sunset in St. Tropez, 2002)
Vœux secrets, Presses de la Cité, 2003 ((en) Answered Prayers, 2002)
Rendez-vous, Presses de la Cité, 2004 ((en) Dating Game, 2003)
L'Ange gardien, Presses de la Cité, 2005 ((en) Johnny Angel, 2003)
À bon port, Presses de la Cité, 2004 ((en) Safe Harbour, 2003)
Rançon, Presses de la Cité, 2005 ((en) Ransom, 2004)
Seconde Chance, Presses de la Cité, 2006 ((en) Second Chance, 2004)
Les Échos du passé, Presses de la Cité, 2005 ((en) Echoes, 2004)
Impossible, Presses de la Cité, 2006 ((en) Impossible, 2005)
Miracle, Presses de la Cité, 2007 ((en) Miracle, 2005)
Éternels Célibataires, Presses de la Cité, 2006 ((en) Toxic Bachelors, 2005)
La Clé du bonheur, Presses de la Cité, 2007 ((en) The House, 2006)⁸
Le Bal, Presses de la Cité, 2008 ((en) Coming out, 2006)
Princesse, Presses de la Cité, 2007 ((en) H.R.H.)
Sœurs et Amies, Presses de la Cité, 2008 ((en) Sisters, 2007)
Villa numéro 2, Presses de la Cité, 2008 ((en) Bungalow 2, 2007)
Une grâce infinie, Presses de la Cité, 2009 ((en) Amazing Grace, 2007)
Paris retrouvé, Presses de la Cité, 2009 ((en) Honor Thyself, 2008)
Irrésistible, Presses de la Cité, 2009 ((en) Rogue, 2008)
Une femme libre, Presses de la Cité, 2010 ((en) A Good Woman, 2008)
Au jour le jour, Presses de la Cité, 2010 ((en) One Day at a Time, 2009)
Affaire de cœur, Presses de la Cité, 2010 ((en) Matters of the Heart, 2009)
Les Lueurs du Sud, Presses de la Cité, 2011 ((en) Southern Lights, 2009)
Une grande fille, Presses de la Cité, 2011 ((en) Big Girl, 2010)
Liens familiaux, Presses de la Cité, 2012 ((en) Family ties, 2010)
En héritage, Presses de la Cité, 2012 ((en) Legacy, 2010)
Colocataires, Presses de la Cité, 2012 ((en) 44 Charles Street, 2011)
Joyeux Anniversaire, Presses de la Cité, 2012 ((en) Happy Birthday, 2011)
Hotel Vendôme, Presses de la Cité, 2013 ((en) Hotel Vendôme, 2011)
Trahie, Presses de la Cité, 2013 ((en) Betrayal, 2012)
Des amis si proches, Presses de la Cité, 2014 ((en) Friends Forever, 2012)
Le Pardon, Presses de la Cité, 2014 ((en) The Sins of the Mother, 2012)
Jusqu'à la fin des temps, Presses de la Cité, 2014 ((en) Until the End of Time, 2013)
Victoires, Presses de la Cité, 2015 ((en) Winners, 2013)
Coup de foudre, Presses de la Cité, 2015 ((en) First Sight, 2013)
Ambitions, Presses de la Cité, 2015 ((en) Power Play, 2014)
Une vie parfaite, Presses de la Cité, 2016 ((en) A Perfect Life, 2014)
Bravoure, Presses de la Cité, 2016 ((en) Pegasus, 2014)
Le Fils prodigue, Presses de la Cité, 2016 ((en) Prodigal Son, 2015)
Musique, Presses de la Cité, 2017 ((en) Country, 2015)
Agent secret, Presses de la Cité, 2017 ((en) Undercover, 2015)
Cadeaux inestimables, Presses de la Cité, 2017 ((en) Precious Gifts, 2015)
L'Enfant aux yeux bleus, Presses de la Cité, 2017 ((en) Blue, 2016)
Collection privée, Presses de la Cité, 2018 ((en) Property of a Noble Woman, 2016)
L'Appartement, Presses de la Cité, 2018 ((en) The Apartment, 2016)
Ouragan, Presses de la Cité, 2018 ((en) Rushing Waters, 2016)
Magique, Presses de la Cité, 2018 ((en) Magic, 2016)
La Médaille, Presses de la Cité, 2019 ((en) The Award, 2016)
Prisonnière, Presses de la Cité, 2019 ((en) The Mistress, 2017)
Mise en scène, Presses de la Cité, 2019 ((en) The Cast, 2018)
Plus que parfait, Presses de la Cité, 2019 ((en) Past Perfect, 2017)
La Duchesse, Presses de la Cité, 2020 ((en) The Duchess, 2017)
Jeux dangereux, Presses de la Cité, 2020 ((en) Dangerous Games, 2017)
Quoi qu'il arrive, Presses de la Cité, 2020 ((en) Against All Odds, 2017)
Coup de grâce, Presses de la Cité, 2020 ((en) Fall From Grace, 2018)
Père et Fils, Presses de la Cité, 2020 ((en) In His Father's Footsteps, 2018)
Vie secrète, Presses de la Cité, 2021 ((en) The Right Time, 2017)
Héros d'un jour, Presses de la Cité, 2021 ((en) Accidental Heroes, 2018)
Conte de fées, Presses de la Cité, 2021 ((en) Fairytale, 2017)
Beauchamp Hall, Presses de la Cité, 2021 ((en) Beauchamp Hall, 2018)
Jeu d'enfant, Presses de la Cité, 2022 ((en) Child's Play, 2017)
Scrupules, Presses de la Cité, 2022 ((en) Moral Compass, 2020)
Sans retour, Presses de la Cité, 2022 ((en) Turning Point, 2019)
Rebelle, Presses de la Cité, 2022 ((en) The Good Fight, 2018)
Un mal pour un bien, Presses de la Cité, 2022 ((en) Blessing in Disguise, 2019)
Espionne, Presses de la Cité, 2022 ((en) Spy, 2019)
(en) The Dark Side, 2019
(en) Lost and Found, 2019
(en) Silent Night, 2019
(en) Daddy's Girls, 2020
(en) The Numbers Game, 2020
(en) Daddy's Girls, 2020
(en) All that Glitters, 2020
(en) The Wedding Dress, 2020
(en) Royal, 2020
(en) Neighbours, 2021
(en) Finding Ashley, 2021
(en) Flying Angels, 2021
(en) The Butler, 2021
(en) Nine Lives, 2021
(en) The Affair, 2021
(en) Complications, 2021
(en) Beautiful, 2022
(en) High Stakes, 2022
(en) The Challenge, 2022
(en) Suspects, 2022
(en) Without a Trace, 2023
Autres
(en) Love: Poems, 1984
(en) Having a Baby, 1984
Un rayon de lumière, Presses de la Cité, 1998 ((en) His Bright Light, 1998)
Offrir l'espoir : témoignage, Pocket, 2011 ((en) A Gift of Hope, 2012)
Un pur bonheur, Presses de la Cité, 2014 ((en) Pure Joy, 2013)(en) Pretty Minnie in Paris, 2014
Adaptations à la télévision (sélection)
1979 : The Promise, réalisé par Gilbert Cates,
1983 : Now and Forever, réalisé par Adriane Carr (en),
1986 : Traversées (Crossing) réalisé par Karen Arthur,
1990 : La Belle vie (Fine Things), réalisé par Tom Moore (director) 
1990 : Kaléidoscope (en), réalisé Jud Taylor,
1991 : Palomino, réalisé par Michael Miller,
1991 : Un papa sur mesure, réalisé par Michael Miller,
1991 : Une autre vie (Changes), réalisé par Charles Jarrott,
1992 : Joyaux (Jewels (en), réalisé par Roger Young,
1993 : Souvenir du Viêt-nam (Message from Nam), réalisé par Paul Wendkos,
1994 : Family Album (en), mini-série réalisée par Jack Bender,
1995 : Danielle Steel : Naissances (Mixed Blessings), réalisé par Bethany Rooney
1996 : L'Anneau de Cassandra (The Ring), réalisé par Armand Mastroianni,
2007 : Safe Harbour (film) (en), réalisé par Bill Corcoran 

JUSQU’EN ENFER

Publié le 21/11/2022 à 19:16 par kinesicors1-campagne Tags : sur bonne place femme rose fille moi coup chez mort dieu sourire bleu message monde belle prix vie nature fond roman france
JUSQU’EN ENFER

Résumé :
Entrez dans un monde où la haine se cultive en laboratoire !
Dans une planque djihadiste en Syrie, Maxime Barelli, capitaine au sein des forces spéciales, découvre une drogue inconnue, la drogue de la sauvagerie. À Paris, le lieutenant Yann Braque enquête sur la mort d’une femme dont le crâne a littéralement implosé alors qu’elle se livrait à un jeu sexuel en ligne. À des milliers de kilomètres de là, dans une forêt africaine, une section de paras est anéantie.
Des événements que rien ne semble relier. Du moins en apparence… Car cette violence sans précédent qui déferle sur le monde a peut-être une seule et même origine. Et si, à force d’aller toujours plus loin, la science finissait par fabriquer  la haine et semer la mort ?

.................................................................................................................................................................

Chapitre 1

La fille était en transe. Elle avait éteint toutes les lumières, et seule la lueur glauque qui émanait de la ville laissait deviner sa silhouette mince quand elle passait devant la fenêtre battue par la pluie, côté rue des Pyrénées.

Soirée solitaire. Elle était pieds nus, en culotte et T-shirt. Le casque intégral en Bakélite noire recouvrait sa tête, ne laissant libre que la bouche. C’était un casque dernier cri, un modèle russe dessiné comme un véritable objet d’art avec deux antennes sur le côté droit et une visière en verre fumé ; il avait coûté une fortune et ce luxe détonnait dans son intérieur plutôt crade.

Apparemment, la transmission était de bonne qualité. La fille oscillait sur place, langoureusement. Comme si elle avait été au téléphone avec un amant éloquent, sa bouche était à demi ouverte, à l’affût du plaisir. Ses deux mains, doigts écartés, étaient posées sur son ventre, le bassin propulsé vers l’avant, les muscles des cuisses tendus, les genoux fléchis.

Un corps bien proportionné. La petite quarantaine. Ceux qui la connaissaient sans casque lui trouvaient un charme un peu fade, mais ils ne l’avaient jamais vue dans cet état-là. De ses lèvres s’échappait en ce moment un halètement sourd qui s’accélérait. Jouissance urbaine. Les mains se dirigèrent alors vers le pubis. À travers le tissu, la pointe de ses seins durcissait. Une violente bourrasque fit trembler les vitres, mais la fille était bien trop loin dans son fantasme pour s’en émouvoir.

Dans la chambre d’à côté, une pièce de la taille d’un grand placard, l’étudiant en médecine ne ratait rien, malgré la pénombre, du show solitaire de sa voisine. L’œil collé à un trou dans le mur, la gorge sèche d’excitation, il suivait du regard les mains qui remontaient maintenant vers la poitrine. Ce n’était pas la première fois que Sonia partait dans un délire du genre. Il connaissait. D’abord du tchat, une cavalcade sur le clavier, et puis le jeu. Ce qu’il préférait, c’étaient ses gémissements de féline en chaleur. Il en perdait carrément la tête. Impossible de se concentrer sur ses cours de biochimie, de penser à autre chose qu’à ce spectacle hypnotisant.

La tension montait. La fille n’arrivait plus à contenir les feulements qui venaient jusqu’à lui par vagues. Elle y était presque.

Soudain, comme si on la réveillait brusquement de son coït virtuel, elle se mit à jurer :

— Saloperie de casque !

Ce furent les derniers mots que saisit l’étudiant. Sonia continua à parler, mais il n’entendait plus qu’un galimatias de plus en plus lent d’onomatopées incompréhensibles. Il la vit faire un pas vers le sofa rose. Sa jambe gauche partit brutalement en arrière, donnant l’impression qu’elle ne la contrôlait plus. Elle essayait d’arracher le casque, mais ses mains glissaient sur la Bakélite. Sa jambe droite, quant à elle, se mit à convulser comme si elle voulait se séparer du reste de son corps. La jeune femme tenta alors de s’agripper à un meuble, heurta une  lampe qui s’alluma avant de se fracasser sur le lino. La jambe folle se déroba tout à coup et Sonia chuta lourdement contre un des bras du sofa.

Là, le flot de syllabes affolées se mua en une plainte de plus en plus aiguë. Elle tentait toujours désespérément de retirer le casque avec des gestes erratiques. Ses fonctions motrices semblaient complètement déréglées. Le gémissement cessa. Et elle hurla. Un hurlement abominable, féroce, le cri d’une bête broyée, à glacer le sang. Il ne dura que quelques secondes. Une éternité. Puis le corps de Sonia glissa sur le lino et le casque, toujours sanglé, laissa échapper un flot rouge. La jambe droite continua pendant quelques instants ses mouvements réflexes, après quoi le silence tomba, aussi noir et profond que la terreur de l’étudiant.

*
* *

Tous les habitants de l’immeuble étaient dans l’escalier. Dragos Popescu, le légiste, se serait cru sur un tournage de série policière, mais, heureusement, le foutoir s’arrêtait à l’étage de la victime.

Il n’y avait rien à dire, les gars avaient travaillé proprement. On avait ramené les voisins de palier chez eux, et les journalistes étaient parqués sur le trottoir. Quant à la scène de crime, elle n’avait pas bougé. Personne n’avait eu l’idée saugrenue d’ouvrir la fenêtre, le genre d’erreur de débutant qui pouvait vous faire rater l’heure exacte du décès. Même si, dans le cas présent, il n’y avait pas tellement de doute. En effet, l’étudiant affirmait avoir téléphoné au 17 sans attendre.

Ce dernier était d’ailleurs toujours sur le pas de sa porte, blanc comme un linge, pâleur que ne faisait que renforcer la loupiote qui diffusait une lumière blafarde au plafond. Le médecin s’approcha de lui.

— Dragos Popescu. Médecin légiste. Tu étais avec la victime quand c’est arrivé ?

— Non. J’étais chez moi.

L’étudiant coula un regard embarrassé vers le lieutenant de la PJ qui arrivait à son tour, un échalas de presque deux mètres qui ricana :

— Tu parles ! Il matait à travers le mur. Un petit show de cul gratos, ça se refuse pas. Et tant mieux pour nous. C’est pas tous les jours qu’on a un témoin oculaire. Une petite branlette pour lui, un grand pas pour l’enquête.

Yann Braque partit d’un grand rire. Malgré son visage en lame de couteau et ses dents de loup, il semblait d’un naturel joyeux. Cramoisi, l’étudiant, lui, ne savait plus où se mettre.

— Alors comme ça, tu as tout vu ?

— Oui.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— C’est le casque…

— Mais encore…

— Il a explosé.

— Explosé ? Explosé comment ?

— Elle a essayé de l’enlever. Et puis il a explosé. Enfin, c’était pas vraiment une explosion. Plutôt…

Le gamin cherchait le mot exact, mais l’image horrible qui occupait son esprit l’empêchait de réfléchir.

— Ce n’est pas le casque. C’est sa tête. C’est sa tête qui a explosé dans le casque. Vous comprenez ?

Il était livide. Il avait voulu se rincer l’œil et, maintenant, il allait lui falloir un an de psy pour oublier cette boucherie. Le légiste écarta les bras, posa ses deux mains gantées de latex sur l’encadrement de la porte et jeta un regard dans l’appartement de Sonia Callaire. Puis il se retourna vers le lieutenant.

— J’y vais, annonça-t-il.

Il enfila sa combinaison Tyvek blanche et pénétra dans le deux pièces. Quelques secondes après, il y eut un brouhaha derrière lui et il entendit la voix rauque du lieutenant Braque qui mugissait dans l’escalier.

— Nom de Dieu ! J’ai dit : pas de journalistes. C’est quand même pas compliqué à comprendre ? Soit vous descendez tout seul, soit je vous aide.

Le légiste eut un sourire. Aucun journaliste n’avait envie de se faire « aider » par Yann Braque. Problème réglé. Après avoir enfilé ses gants, le lieutenant pénétra à son tour dans l’appartement.

— Je vous laisse faire votre boulot, lança-t-il. Après, j’embarque l’ordinateur au commissariat.

Dragos Popescu étudia le corps. La victime était couchée de trois quarts sur le lino. Une flaque de sang s’étalait autour de sa tête et son T-shirt « Cordial Web » n’avait pas été épargné. Elle avait glissé du sofa et son bras droit, dressé, semblait montrer le plafond ou le haut de la fenêtre. Par acquit de conscience, le médecin vérifia le pouls. Rien. Puis l’hypostase. La lividité cadavérique était normale. Les fluides colorés avaient déjà commencé à quitter les petits vaisseaux pour diffuser dans les tissus interstitiels. La peau en contact avec le sol était blanche : la fesse, la jambe, le flanc et l’épaule côté gauche. Le reste du corps était rose. Il n’avait pas été déplacé, ça se confirmait.

Toujours accroupi, le légiste se décala de quelques centimètres pour mieux observer la tête. Sans instrument, il ne pouvait malheureusement que relever la visière. La bouche déformée de la victime lui fit penser à un AVC, mais ses yeux exorbités, deux disques blancs qui semblaient posés sur un masque de sang à demi coagulé, évoquaient plutôt un traumatisme crânien.

Debout près de la fenêtre secouée par l’orage et battue par la pluie, le lieutenant Yann Braque se concentra un instant sur le cadavre, puis sur le légiste. Après quoi il songea à l’étudiant. Même si celui-ci avait l’air complètement choqué, appeler la police pour se disculper, c’était une des plus vieilles ficelles criminelles. Il était trop tôt pour parler d’homicide, mais qui disait mort suspecte disait liste de suspects. Faute d’autre candidat pour le moment, le gamin y figurait en première position.

À genoux sur le lino, penché au-dessus de Sonia Callaire, Dragos Popescu réfléchissait. À l’école, on lui avait appris à attendre d’avoir rassemblé tous les indices pour tirer des conclusions, mais c’était plus fort que lui. Avant même qu’il sache quoi que ce soit, la petite lumière rouge qui s’allumait dans sa tête lui disait qu’il était devant un cas sacrément spécial. En effet, si sa raison et sa logique lui disaient que la victime avait subi un trauma ultraviolent, force était de constater qu’il n’y avait aucune trace de choc sur la coque en Bakélite. Alors, d’où était venu le coup ?

Le médecin releva la tête et croisa le regard interrogateur du flic, un regard gris-bleu, intelligent, perçant, qui tranchait avec l’humour balourd qu’il avait infligé à l’étudiant. Le scientifique haussa les épaules et se redressa sans quitter des yeux le casque ensanglanté. Une affaire tordue en perspective.

Sur la table, une planche soutenue par des tréteaux, l’ordinateur était toujours allumé. Un message clignotait en lettres bleues sur l’écran couvert de poussière et maculé de taches : « téléchargement interrompu ».

.................................................

Chapitre 3

Maxime aurait mille fois préféré repartir en Abkhazie, mais un ordre était un ordre. Surtout quand il était donné directement par le général Othar. Aucune négociation possible. Le psy, donc.

Elle était assise en ce moment même en face de lui, mal à l’aise. « Spécialiste des traumatismes psychologiques au combat », annonçait le C.V. du toubib qui s’était distingué l’année précédente en publiant l’ouvrage posé bien en évidence sur sa table : Étude psychosociale de l’ajustement au stress chronique et opérationnel dans les forces spéciales.

Bref, pourquoi les commandos sont fêlés, résuma Maxime en pensée.

Le psy appliquait des méthodes peu orthodoxes et plutôt brutales, si on en croyait la rumeur. Il appelait ça le « choc de la première vérité ». L’ouvrage lui avait conféré un statut de petite star en matière de psychisme militaire. Pourtant, Maxime avait beau le scruter avec attention, elle n’arrivait pas à être impressionnée. La tête de M. Tout-le-monde, un corps un peu mou, un visage rond qui affichait de temps en temps un sourire de commande. La pièce elle-même était quelconque.

Il avait un dossier posé devant lui. Le psy surprit son regard et lui fit un clin d’œil.

— C’est le vôtre, capitaine. Je l’ai sorti par précaution, mais je crois que je le connais par cœur.

— Sûrement mieux que moi. Nous n’avons pas accès à nos dossiers.

Il ne releva pas. Il avait face à lui une femme grande – au moins un mètre soixante-quinze –, athlétique et jolie. Cheveux bruns, courts et bouclés, des traits équilibrés, un nez un peu trop long à son goût. Une femme de caractère à l’allure de belle guerrière. Solide. Du moins en apparence. Il aurait fallu plonger dans les yeux de la capitaine Barelli pour découvrir ses faiblesses, mais elle ne laissait personne approcher. Un psy moins que quiconque.

— Vous êtes ici sur ordre, capitaine. Je sais bien que vous êtes réticente. Vos supérieurs expriment des doutes quant à votre stabilité émotionnelle. Nous allons vérifier ensemble si ces doutes sont fondés. Notre conversation restera strictement confidentielle, je vous l’assure, et seules mes conclusions figureront dans votre dossier. Vous êtes transparente, je suis discret. OK ?

Elle fixa ostensiblement sa montre, sans répondre. Il ajouta, sans montrer aucun signe d’impatience :

— La thérapie durera le temps qu’il faudra. Nous ne sommes pas pressés. Mais vous pourrez interrompre chaque séance à votre gré. Nous sommes d’accord ?

Elle hocha la tête. Bien obligée.

— Ce que je vous demande est extrêmement difficile, j’en ai conscience, mais vous avez réussi des choses qui le sont bien plus. Seule votre totale sincérité garantira le succès de cette thérapie.

— Venez-en au fait.

— Très bien… Vous êtes soumise pendant les opérations à des niveaux de stress considérables qui déclenchent des pulsions à la mesure de ce stress. Admettre l’existence de ces pulsions est une première étape capitale.

Vautrée sur la chaise, les jambes écartées, elle lui jeta un regard goguenard.

— Dans mon métier, il me faut au moins un an pour entendre autant de phrases. De quelles pulsions parlez-vous ? Vous voulez savoir quoi, au juste ?

Le médecin ne releva pas l’agressivité de sa patiente.

— Pendant votre dernière mission dans le Caucase, vous avez subi une agression physique extrêmement violente. Lors de cette agression, avez-vous, à un moment ou à un autre, ressenti du plaisir ?

La bouche ouverte, Maxime encaissa la question. Plantés dans les yeux verts de la capitaine Barelli, ceux du psy ne cillaient pas.

— On vous a mal renseigné. Ça n’avait rien d’un viol. Rien de sexuel là-dedans.

— Je répète : la violence de l’attaque vous a-t-elle à un moment ou à un autre procuré une forme de jouissance ?

— Mais vous êtes un putain de tordu ! J’ai failli y laisser ma peau et vous me demandez si j’ai ressenti du plaisir ? Deux hémorragies et un coude en compote. Il a fallu quatre opérations pour le remettre en état de marche. Du plaisir, je rêve…

— Répondez, capitaine. En dépit de la douleur, avez-vous éprouvé du plaisir ? Une envie de fusion, par exemple, avec votre agresseur ?

— Non, non et non. Ma parole, mais c’est vous qui êtes complètement cinglé.

— Je dois m’assurer que vous ne présentez pas de troubles à caractère masochiste, de nature à perturber votre jugement en opération. Les masochistes érotisent leurs pulsions de mort, lesquelles deviennent en quelque sorte les gardiennes qui protègent leur vie psychique. Mais au prix d’une vision déformée de la réalité et du danger. Si vous vous inscriviez dans ce schéma, vous cesseriez d’être un atout pour les forces spéciales et deviendriez un handicap. Vous comprenez, capitaine, n’est-ce pas ?

La voix de Maxime Barelli grimpa d’un ton.

— Ce que je comprends, c’est surtout que c’est vous qui devriez être à ma place !

Le psy accueillit calmement l’explosion de Maxime. Il était habitué. La transparence totale mettait souvent les patients en état de choc. Pour leur bien. C’était sa méthode à lui.

— Militairement, votre comportement au combat est exemplaire, mais psychiquement, il s’apparente à un état suicidaire.

— Je fais un métier risqué, monsieur le psy. Alors, oui, je risque ma peau. Je ne passe pas mes journées derrière un bureau à poser des questions à la con.

— Vous êtes en contact permanent avec une extrême violence et vous êtes en partie l’auteure de cette violence. Il est donc naturel que, inconsciemment, vous cherchiez à pactiser avec elle, pour qu’elle ne vous détruise pas. Le plaisir, la jouissance seraient les termes de ce pacte. Pour certains commandos, le plaisir de tuer, dont ils ont profondément honte, vient de là. Pactiser ou devenir fou. Mon rôle est de vous aider à trouver une troisième voie, capitaine.

— Je vais essayer d’être plus claire : tuer ne me procure aucun plaisir.

— Aucun plaisir conscient, vous voulez dire.

Maxime bouillait. Passer des opérations au repos parisien représentait déjà un effort de tous les instants. Et ce connard de psy qui en rajoutait !

— Je sais que c’est difficile, mais quand vous pensiez que vous alliez mourir, n’avez-vous pas ressenti une sorte de plénitude, une sensation d’achèvement, un sentiment du devoir accompli ?

Un frisson la secoua.

— Capitaine ?

Elle se leva. Elle avait les mains moites, les jambes en coton.

— Rasseyez-vous, capitaine, nous ne faisons que commencer. Je ne suis pas un inquisiteur. Faites-moi confiance, nous sommes ensemble sur ce chemin.

Maxime se rassit et essuya ses paumes sur son pantalon d’uniforme. Au fond d’elle, une fissure venait de s’ouvrir.

— Au combat, je ne pense plus.

— Pour vous, le plaisir, c’est de ne pas penser ?

— Si vous voulez.

— À quoi avez-vous peur de penser ?

— À rien en particulier.

— Capitaine, à quoi avez-vous peur de penser ?

— Je crois que je vais interrompre la séance.

— Avez-vous peur de penser à ce qui s’est passé en Afghanistan ?

D’un bond, elle se leva et, cette fois, franchit la porte avant de la claquer derrière elle.

..................................................................................................................................................................................

Biographie;

Stéphane Marchand est un journaliste et écrivain. Né en 1960

En 2016, il publie, sous le nom de Stefan Palk, son troisième roman, un thriller captivant, "Cognitum".

Stéphane Marchand est diplômé de l'École polytechnique et de l'École nationale de la statistique et de l'administration économique (ENSAE).

Il commence sa carrière en 1987 au journal "Le Figaro" comme reporter au service Étranger. Il est envoyé l'année suivante à Jérusalem comme correspondant alors que se termine la guerre du Liban et que commence la première Intifada. À la fin de 1990, il est correspondant du Figaro à Washington, où il couvre la fin du mandat de George Bush (père) et le premier mandat de Bill Clinton. Il analyse en particulier, de Washington, les suites de la première guerre du Golfe et les guerres des Balkans.

De retour en France, toujours au Figaro, il est rédacteur en chef du service de Macroéconomie. En 2006, il est directeur adjoint de la rédaction du Figaro, en charge des pages Débats Opinions où il signe des éditoriaux.
Il quitte le Figaro en 2008 et fonde, puis dirige jusqu'en 2009 le journal économique en ligne E24.

Il est chroniqueur économique sur la chaîne France 24 et rédacteur en chef de ParisTech Review, une revue anglophone consacrée aux technologies et destinée à promouvoir dans les grands pays émergents, les enseignements et les unités de recherche des écoles de ParisTech, en partenariat avec la Harvard Business Review, la revue Knowledge@wharton et le journal Les Echos. Il est chroniqueur scientifique au journal L'Opinion.

Haikus ETE.

Publié le 03/08/2022 à 17:25 par kinesicors1-campagne Tags : belle sur nuit roman
Haikus ETE.

Belle nuit d’été
D'une goutte de rosée
Sur le dos d’une tortue.

 

Chapeaux d’été
Eblouissant  soleil

De la plage.

 

Offrandes  d’été...
Encore le même climatiseur 
Les même arabesques.

Le Réveil

Publié le 03/08/2022 à 17:11 par kinesicors1-campagne Tags : amis fond amitié femmes mort histoire coup vie sur pouvoir place moi presse monde annonce heureux prix 2010 dieu roman voyage art
Le Réveil

RÉSUMÉ
Tom, un jeune ingénieur, se retrouve confronté dans son pays à une situation inquiétante qui sème la peur dans la population.
Dans ce contexte inédit, des mesures sont adoptées par le pouvoir, contraignantes et liberticides.

Tom se retrouve pris dans la tourmente des événements, mais il a un ami grec qui l’alerte alors : les peurs des gens sont très utiles à certains.

C’est en découvrant des vérités parfois dissimulées au grand jour, que l’on peut se réapproprier sa liberté…

......................................................................................................................................................................

1
Tout commença le jour où un célèbre médecin, scientifique de renom et personnalité prisée des médias, déclara, preuves à l’appui, que toute mort avant 120 ans était une mort prématurée.

C’était un matin d’automne, et dans les allées venteuses des parcs de la ville, les feuilles des arbres mouraient par millions, voletant désespérément quelques instants avant de s’échouer à terre où d’inconscients promeneurs les fouleraient sans le moindre respect.

L’information se propagea comme une onde de choc dans la population. Elle suscita d’abord un grand espoir, chacun se prenant à rêver de pouvoir jouir d’une existence ainsi prolongée. La vie appelle la vie, elle est irrésistible, et en nous réside toujours le désir plus ou moins conscient de l’immortalité.

Puis, assez vite, chacun dut se rendre à l’évidence : même si nos gènes nous offraient cette longévité potentielle, les accidents de parcours et la maladie se chargeaient de nous la confisquer, et l’espérance de vie réellement constatée dans le pays ne dépassait guère les 80 ans ; un peu plus pour les femmes, un peu moins pour les hommes.

Il en resta alors le goût amer de l’impuissance ainsi qu’un profond sentiment d’injustice : chacun se demandait pourquoi on le privait de près de quarante ans d’existence supplémentaires... Petit à petit, on commença à percevoir une telle longévité comme un droit, comme un dû.

Le gouvernement s’empara de la question. Le Président prit la parole à la télévision et déclara qu’il allait s’attaquer de front au problème. Il créait ce jour un Conseil de défense réunissant le Président, le Premier ministre, le ministre de la Santé, le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur, ainsi que des acteurs des grandes institutions publiques du domaine de la santé. Le Conseil de défense se réunirait aussi souvent que nécessaire, sans doute chaque semaine, afin d’étudier la conjoncture et de prendre les décisions et les mesures qui s’imposeraient pour faire face à cette situation insupportable.

Très vite, les journalistes essayèrent de savoir ce qui se disait lors de ces réunions, comme ils en avaient l’habitude chaque semaine à l’issue du Conseil des ministres : chacun avait ses entrées auprès de tel ou tel ministre qui, off record, se faisait toujours un plaisir de laisser fuiter quelques informations afin de s’attirer les bonnes grâces du journaliste qui sa renvoyeurait renvoyer l’ascenseur le jour venu.

Mais là, les journalistes amassés à la porte du Palais restèrent sur leur faim : les membres du Conseil sortirent un à un, l’air grave, la tête droite, le regard comme rivé sur un point fixe au loin, et ils demeurèrent parfaitement silencieux, totalement muets. Du jamais vu. Impossible d’obtenir la moindre confidence, la moindre miette d’information. Rien. Pourquoi ? Parce que c’était un Conseil de défense, comme l’avait décidé le Président, et que chaque membre était dès lors tenu au secret le plus absolu. La moindre fuite lui coûterait sept ans d’emprisonnement.

Mais pourquoi un Conseil de défense sur un tel sujet ? se demanda alors un journaliste. La réponse lui vint quand il se remémora l’allocution télévisée du chef de l’État.

Le pays est en guerre, avait déclaré le Président.

En guerre contre la Mort.

.....................

2
Mener une guerre n’est pas une mince affaire, et le Président s’arrogea les services d’un cabinet de conseil américain, pour près d’un million d’euros par mois.

Certains s’interrogèrent : n’y a-t-il pas de consultants compétents dans le pays pour qu’il faille choisir des étrangers ? D’autres firent remarquer que c’était le cabinet qui avait conseillé le Président dans sa campagne électorale, sans facturer d’honoraires. N’était-ce pas le moyen de régler sa dette avec l’argent du contribuable ?

Mais je me refusai à prêter attention à ces médisances. On ne peut pas empêcher les mauvaises langues de s’exprimer, mais on peut renoncer à les écouter.

Je me souviens de la première annonce du Président, que j’avais regardée en différé. Ma position de jeune ingénieur me conduisait à rentrer assez tard chaque soir, et mon plaisir était alors de m’affaler sur mon canapé ultra-moelleux avec un plateau-repas et de regarder la télé sur mon écran géant. J’oubliais tout et me laissais absorber par les images d’une chaîne d’infos en continu m’offrant des nouvelles de ce qui s’était passé dans le monde pendant la journée.

Le Président annonça que la première bataille viserait la plus injuste des morts : celle qui survient sans prévenir lors des accidents de la route. Tout ça parce que vous avez, pendant une fraction de seconde, manqué de vigilance, commis une petite erreur ou, pire encore, subi celles des autres. Plus de trois mille morts et soixante-dix mille blessés chaque année. Une catastrophe nationale, qui touchait aussi tous les pays : des centaines de milliers de morts dans le monde et des blessés par millions. Un carnage planétaire. Il fallait agir. De toute urgence.

Les journaux télévisés commencèrent à diffuser des reportages terrifiants. On vit des pompiers découper la tôle de voitures renversées et déformées par les chocs pour en sortir des blessés agonisants. On regarda des urgentistes se précipiter pour tenter de ramener à la vie des personnes inanimées au visage tout ecchymosé. On écouta des victimes raconter l’horreur qu’elles avaient subie, comment elles avaient été meurtries dans leur chair, parfois anéanties. Des personnes racontaient la terreur vécue dans l’accident don’t elles étaient sorties miraculeusement vivantes. Chaque jour apportait son flot de nouveaux reportages, de nouveaux témoignages.

Les médias se mirent à annoncer chaque jour le nombre de morts de la veille, le nombre de blessés admis à l’hôpital, le nombre de mourants en réanimation. On ne pouvait pas allumer la radio ou la télévision ni ouvrir un journal sans être happé par cette information brutale, glaçante, implacable. Incessant.

À chaque annonce, j’avais le sentiment que la mort se rapprochait un peu plus de moi, me guettait, me cernait, me menaçait dans ma chair.

Je me mis à voir ma voiture différemment. Moi qui l’avais aimée pour sa ligne et son confort, moi qui l’avais toujours vue comme un instrument de liberté, j’appris à m’en méfier, à rester sur mes gardes, avec en permanence à l’esprit l’idée qu’elle pouvait causer ma perte. Petit à petit, je me mis à en avoir peur. Un matin, alors que je descendais dans le parking souterrain de mon immeuble, à l’atmosphère renfermée et au silence inquiétant, j’aperçus ma Peugeot tapie dans la pénombre comme un ennemi en embuscade. Le métal sculpté du blason de la marque brillait légèrement : le lion rugissant semblait prêt à attaquer. Sur la place d’à côté, la BMW de mon voisin, calandre en mâchoire de requin, paraissait sur le point de me dévorer. Un peu plus loin, le logo d’une Jaguar me fixa de ses yeux pénétrants, gueule ouverte sur d’horribles crocs menaçants. Jamais je n’avais réalisé ce qui me sautait maintenant aux yeux comme une évidence : les voitures avaient la mort dans leur ADN.

Ce jour-là, je laissai la mienne au garage et optai pour le métro. Sur le trottoir menant à la station, je marchai en jetant un œil à la circulation. La plupart des automobilistes téléphonaient en conduisant, quelques-uns avaient même leur portable en main. Un seul coup de volant, un seul petit écart leur suffirait pour me faucher. Ma vie était entre leurs mains. Instinctivement, je me décalai pour m’éloigner un peu de la chaussée.

Mon entreprise était basée en grande banlieue, tellement loin d’une station de métro ou de bus que je mis près de deux heures à rejoindre mon bureau. Le lendemain, je dus me résoudre à reprendre mon véhicule.

Au fil des jours puis des semaines, de reportages en interviews et de statistiques en témoignages, je devins quasiment phobique de la voiture. Au volant, j’étais en permanence tendu, stressé, sur mes gardes.

 

J’échangeais régulièrement des e-mails et des coups de fil avec mon ami Christos Anastopoulos, un Grec que j’avais connu du temps où j’étais étudiant en prépa scientifique. Lui commençait alors un cycle de philosophie. Un comble pour un Grec  de se former à la philo à l’étranger ! Il faut dire qu’il était en fait binational, et parfaitement bilingue. Par la suite, il bifurqua vers des études de linguistique et de psychosociologie. Tout cela était situé à des années-lumière de mes centres d’intérêt de futur ingénieur, mais le hasard de la colocation nous avait mis en relation. Il avait terminé ses études aux États-Unis puis était rentré en Grèce, mais nous étions toujours restés amis, malgré l’éloignement géographique.

Il regardait régulièrement la télévision de notre pays, une façon pour lui de garder un lien avec sa deuxième patrie.

— Faire la guerre à la Mort ? s’étonna-t-il un jour au téléphone. Cela ne revient-il pas à sacrifier la vie ?

Je ne compris pas sa remarque mais ne répondis rien, n’ayant pas envie d’ouvrir un débat philosophique ; avec lui, ça pouvait durer des heures. Alors il enchaîna sur tous ces reportages sur l’insécurité routière qui se succédaient en boucle à la télévision. Lui trouvait ça louche.

— Quand une information qui induit une peur en toi est répétée à longueur de journée dans les médias, ça doit être un signal pour te dire que quelque chose se trame et que c’est certainement à tes dépens. La meilleure chose à faire est alors de prendre du recul et de te demander ce que ta peur peut apporter au pouvoir en place.

— Pourquoi tu dis ça ?

Il soupira.

— Ça pue la manipulation des foules.

— Ici, les médias sont indépendants, rétorquai-je.

Je l’entendis ricaner au bout du fil.

— Qu’est-ce qui te fait rire ? dis-je, agacé.

— Que tu es naïf mon cher Tom ! La plupart des grands médias de ton pays sont entre les mains de neuf ou dix milliardaires, tous en lien avec le pouvoir. Et la presse reçoit chaque année des dizaines de millions d’euros de subventions... du gouvernement. Comment peux-tu croire une seule seconde qu’ils sont indépendants ?

Je me sentis vexé par son ironie et coupai court à la conversation. J’avais déjà suffisamment entendu de théories du complot dans mon entourage, j’en avais ma dose. De toute façon, on ne peut pas faire mentir les chiffres : l’hécatombe sur les routes était un fait indiscutable. Chacun de nous était sur la sellette, et j’étais reconnaissant envers le gouvernement de prendre le problème à bras-le-corps. Peu importait la connivence supposée des médias.

L’essentiel n’est-il pas de vivre le plus longtemps possible ?

.............................................................................................................................................................

Bio:

Laurent Gounelle, né le 10 août 1966 à L'Haÿ-les-Roses, est un écrivain français.

Œuvre


L’Homme qui voulait être heureux, Éditions Anne Carrière, 2008
Les Dieux voyagent toujours incognito [« Dieu voyage toujours incognito »], Éditions Anne Carrière, 2010 - Prix du roman d'entreprise 201112
Le Philosophe qui n’était pas sage, coédition Plon–Kero, 2012
Le Jour où j'ai appris à vivre, Éditions Kero, 2014
Et tu trouveras le trésor qui dort en toi, Éditions Kero, 2016
Je te promets la liberté, Calmann-Lévy, 2018
L'Art vous le rend bien, Calmann-Lévy, 2019
Intuitio, Calmann-Lévy, 2021
Le Réveil, Calmann-Lévy, 2022 (ISBN 978-2-7021-6976-6)

Hades et Persephone - Tome 3

Publié le 02/08/2022 à 19:35 par kinesicors1-campagne Tags : image monde sur moi dieu fond travail coupable air vie mort femme cadeau belle amis femmes internet fille roman
Hades et Persephone - Tome 3

PREMIÈRE PARTIE


« Mon esprit me porte à parler des formes changées en corps nouveaux. Ô dieux, vous qui êtes responsables aussi de ces mutations, inspirez mon entreprise et accompagnez un chant qui aille sans interruption de la première origine du monde à nos jours. »

Ovide, Les métamorphoses

................................................

Chapitre I

UNE TOUCHE DE TOURMENTE
Des mains calleuses écartèrent ses jambes et remontèrent sur ses cuisses, suivies par une bouche qui effleurait sa peau. À moitié endormie, Perséphone se cambra, sentant les cordes lacérer ses poignets et ses chevilles. Confuse, elle tira sur les liens pour essayer de libérer ses mains et ses pieds, mais ils étaient trop serrés. Ne pouvant ni bouger, ni résister, ni se défendre, son cœur accéléra et son sang se précipita dans sa gorge et dans ses tempes.

– Tellement belle…

Le chuchotement effleura sa peau et Perséphone se figea.

Cette voix.

Elle connaissait cette voix.

Il y avait eu un temps où elle l’avait considérée comme la voix d’un ami, mais celui-ci s’était révélé être un ennemi.

– Pirithoos, siffla-t-elle d’un ton plein de rage, de peur et de dégoût.

C’était le demi-dieu qui l’avait harcelée et l’avait kidnappée à l’Acropole.

– Chhut, susurra-t-il, alors que sa langue froide et humide glissait sur sa peau.

Elle hurla et referma les jambes en se contorsionnant pour se protéger du toucher de cet inconnu.

– Dis-moi comment il te satisfait, chuchota-t-il dans son oreille en approchant sa main de son sexe. Je ferai mieux.

Perséphone ouvrit grand les yeux et s’assit brusquement dans le lit, à bout de souffle. Sa poitrine était comprimée et son souffle rauque, comme si elle avait traversé les Enfers en courant pour échapper à un spectre. Il fallut un moment à ses yeux pour s’adapter à la pénombre et comprendre qu’elle était dans le lit d’Hadès, les draps étaient collés à sa peau en sueur. Les flammes orange crépitaient dans la cheminée. À ses côtés se trouvait le dieu des Ténèbres, son énergie noire et électrique rendait l’atmosphère lourde et palpable.

– Tu vas bien ? demanda Hadès.

Sa voix était claire et calme et Perséphone eut envie de s’emmitoufler dans son timbre réconfortant. Elle tourna la tête vers lui, il était allongé sur le côté, son torse nu luisait à la lueur des flammes. Ses yeux noirs scintillaient et ses cheveux ébène ondulaient sur les draps comme les vagues d’un océan infini. Quelques heures plus tôt, elle les avait empoignés, le chevauchant lentement et langoureusement.

Elle déglutit, sa langue lui semblait enflée.

Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce cauchemar et qu’elle trouvait Hadès en train de l’observer.

– Tu n’as pas dormi, dit-elle.

– Non, répondit-il en s’asseyant pour caresser sa joue.

Son geste déclencha un frisson qui la transperça jusqu’au fond de son âme.

– Parle-moi, dit-il d’une voix empreinte de magie, comme un sort qui l’obligeait à parler alors que les mots lui nouaient la gorge.

– J’ai encore rêvé de Pirithoos.

La main d’Hadès retomba et Perséphone reconnut l’expression sur son visage ainsi que la violence dans son regard. Elle se sentit coupable de faire surgir à nouveau cet aspect de lui-même qu’il s’efforçait tant de maîtriser.

Pirithoos hantait Hadès autant qu’elle.

– Il te fait souffrir, même dans ton sommeil, répondit Hadès en fronçant les sourcils. Je t’ai laissée tomber, ce jour-là.

– Comment tu aurais pu savoir qu’il allait m’enlever ?

– J’aurais dû.

C’était impossible, bien sûr, même si Hadès disait que c’était justement pour cela qu’il avait engagé Zofie pour la protéger. Or l’Aegis montait justement la garde devant l’Acropole quand Pirithoos l’avait kidnappée. Elle n’avait rien remarqué d’inhabituel, car Pirithoos avait quitté le bâtiment en empruntant un passage souterrain.

Perséphone frissonna en se souvenant qu’elle avait accepté l’aide du demi-dieu pour s’échapper de l’Acropole, et que pendant tout ce temps, il avait préparé son enlèvement.

Jamais plus elle n’accorderait sa confiance aveuglément.

– Tu n’es pas omniscient, Hadès, répondit Perséphone.

Les jours qui avaient suivi son enlèvement, Hadès avait été d’une humeur lugubre, au point qu’il avait voulu punir Zofie en lui retirant sa mission d’Aegis, mais Perséphone était intervenue.

Cela n’avait pas empêché l’Amazone de contester. Ce qui avait exaspéré Perséphone.

« Cette honte est un fardeau que je dois endosser.

– Tu n’as pas de honte à avoir. Tu faisais ton travail. Tu sembles penser que ton rôle d’Aegis est discutable. Il ne l’est pas. »

Zofie avait écarquillé les yeux en regardant tour à tour Hadès et Perséphone, incrédule, puis elle avait cédé en s’inclinant.

« Comme tu voudras, Milady. »

Perséphone s’était ensuite tournée vers Hadès.

« J’aimerais le savoir, quand tu comptes virer quelqu’un qui est sous ma protection. »

Hadès avait haussé les sourcils et contracté sa mâchoire.

« C’est moi qui l’ai embauchée.

– Justement, je suis ravie que tu en parles. La prochaine fois que j’aurai besoin d’un nouvel employé, j’aimerais être consultée.

– Bien sûr, chérie. Comment vais-je me faire pardonner ? »

Ils avaient passé le reste de la soirée au lit, mais même pendant qu’il lui faisait l’amour, Perséphone avait senti qu’il ruminait, tout comme elle repensait encore à cet horrible événement.

– Tu as raison, répondit Hadès. Peut-être que je devrais punir Hélios, dans ce cas.

Perséphone haussa un sourcil et le dévisagea d’un air ironique. Ce n’était pas la première fois qu’Hadès parlait du dieu du Soleil. À l’évidence, les deux dieux ne s’appréciaient pas.

– Tu crois que ça t’aiderait à te sentir mieux ?

– Non, mais ce serait amusant, répondit Hadès d’une voix menaçante.

Perséphone avait parfaitement conscience qu’Hadès avait un penchant pour la violence, et son envie de punir Hélios lui rappela la promesse qu’elle l’avait obligé à faire après qu’il l’avait sauvée de Pirithoos. « Quand tu le tortureras, je veux me joindre à toi. » Elle savait qu’Hadès avait été au Tartare le soir même pour se défouler sur le demi-dieu, et qu’il y était retourné plusieurs fois depuis, mais elle n’avait jamais demandé à l’accompagner.

Était-ce pour cela que Pirithoos hantait ses rêves ? Peut-être que le voir au Tartare, ensanglanté, brisé, torturé, mettrait fin à ses cauchemars.

Elle regarda à nouveau Hadès.

– Je veux le voir.

L’expression d’Hadès resta la même, mais elle crut sentir ses émotions, sa colère, sa culpabilité et son appréhension. Il ne craignait pas de la mettre face à son agresseur, mais de l’emmener au Tartare. Perséphone savait qu’il redoutait de lui montrer cet aspect de sa personne et ce qu’elle en penserait. Mais il ne lui interdirait pas d’y aller.

– Comme tu le souhaites, chérie.

*
* *

Perséphone et Hadès se manifestèrent au Tartare, dans une pièce sans fenêtre à la lumière si blanche que c’en était douloureux. Sa vue s’ajusta et elle écarquilla les yeux en découvrant Pirithoos, ligoté sur une chaise, au milieu de la pièce. Cela faisait des semaines qu’elle n’avait pas vu le demi-dieu. Il semblait endormi, le menton sur le torse, les yeux fermés. Elle l’avait trouvé plutôt beau lorsqu’elle l’avait rencontré, mais maintenant, ses pommettes saillantes creusaient ses joues et sa peau avait un teint grisâtre.

Et puis, il y avait l’odeur.

Ce n’était pas tout à fait une odeur de décomposition, mais quelque chose d’acide et d’âcre qui lui brûla le nez.

Son estomac se souleva, puis se noua en voyant son agresseur.

– Il est mort ? chuchota-t-elle.

Elle ne voulait pas risquer de le réveiller, car elle n’était pas prête à le regarder dans les yeux. Elle avait néanmoins conscience que sa question était étrange, puisqu’ils étaient au Tartare, aux Enfers. Elle connaissait les penchants d’Hadès en matière de torture, elle savait qu’il pouvait donner la vie dans le but d’y mettre fin par le biais de punitions plus atroces les unes que les autres.

....................................................................

Chapitre II

UNE TOUCHE DE DEUIL
– Comment se passent les préparatifs pour le mariage ? demanda Lexa.

Elle était assise en face de Perséphone, sur un plaid blanc brodé de myosotis que lui avait offert Alma, une des âmes. La vieille dame avait approché Perséphone lors d’une de ses visites à Asphodèle.

« J’ai quelque chose pour vous, Milady.

– Alma, il ne fallait pas…

– C’est un cadeau que vous pouvez offrir, avait dit la femme en rougissant alors que ses cheveux argentés flottaient dans la brise. Je sais que vous faites le deuil de votre amie, alors voilà, donnez-lui ça. »

Perséphone avait pris le paquet et ses yeux s’étaient remplis de larmes en découvrant le plaid brodé de petites fleurs bleues.

« Vous savez sans doute que l’on appelle aussi les myosotis “ne m’oubliez pas”, avait expliqué Alma. Ils symbolisent l’amour, la fidélité, le souvenir. Avec le temps, votre amie vous connaîtra à nouveau comme avant. »

Ce soir-là, quand Perséphone était rentrée au palais, elle avait serré la couverture contre sa poitrine et avait fondu en larmes. Le lendemain, elle l’offrait à Lexa.

« Oh, elle est superbe, Milady », avait dit celle-ci en tenant le plaid dans ses bras, comme un bébé.

Perséphone s’était crispée en l’entendant employer son titre, elle avait froncé les sourcils et avait parlé d’une voix confuse.

« Milady ? »

Lexa n’avait jamais appelé Perséphone ainsi. Les deux jeunes femmes s’étaient regardées dans les yeux et Lexa avait rougi.

Lexa ne rougissait jamais.

« Thanatos m’a dit que c’est ton titre », avait-elle expliqué.

La déesse comprenait que les titres avaient leur utilité, mais pas entre amis.

« Appelle-moi Perséphone. »

Lexa avait écarquillé les yeux.

« Je suis désolée. Je ne voulais pas te faire de peine.

– Tu… ce n’est pas le cas. »

Perséphone avait voulu être convaincante, mais elle avait manqué d’aplomb. En vérité, entendre Lexa l’appeler Milady était un rappel de plus qu’elle n’était plus la même personne qu’avant, et Perséphone avait beau être patiente, ce n’était pas facile. Lexa avait le même physique et la même voix – même son rire n’avait pas changé –, mais sa personnalité était différente.

« Et si tu tiens à employer les titres, tu devrais appeler Thanatos Lord. »

Encore une fois, Lexa avait semblé gênée. Elle avait fui le regard de Perséphone et avait rougi de plus belle.

« Il m’a dit… que je n’étais pas obligée. »

Perséphone était rentrée au palais, ce jour-là, se sentant étrange et encore plus éloignée de Lexa qu’avant.

– Perséphone ? demanda Lexa.

– Hmmm ?

Perséphone fut tirée de ses pensées et croisa les grands yeux bleus de Lexa. Son visage était plus pâle ici, à la lumière des Champs Élysées, encadré par ses longs cheveux noirs. Elle était vêtue d’une longue robe cache-cœur blanche, une couleur que Perséphone ne l’avait jamais vue porter de son vivant.

– Les préparatifs du mariage, ça se passe comment ? répéta Lexa.

– Ah, répondit Perséphone en fronçant les sourcils. Je n’ai pas vraiment commencé.

Ce n’était qu’à moitié vrai. Si elle n’avait réfléchi à rien, Hécate et Yuri, elles, s’étaient déjà lancées. En toute honnêteté, l’idée de préparer son mariage sans Lexa lui était horriblement douloureuse. Si elle avait été en vie, sa meilleure amie serait tout de suite allée sur Internet pour chercher les couleurs du thème, les robes et le lieu. Elle aurait établi un plan, dressé des listes et expliqué à Perséphone les coutumes que la déesse n’avait jamais apprises de sa mère. Au lieu de ça, Lexa était assise en face de Perséphone, silencieuse et réservée, sans savoir qu’elles avaient été meilleures amies. Même si Perséphone avait voulu l’inclure dans les projets de Yuri et d’Hécate, elle ne le pouvait pas, les âmes n’avaient pas le droit de quitter les Champs Élysées tant que Thanatos ne les jugeait pas prêtes à vivre à Asphodèle.

« Peut-être qu’on pourrait la rejoindre pour parler des préparatifs, avait proposé Perséphone, mais Thanatos avait secoué la tête.

– Tes visites la laissent fatiguée. Elle ne pourrait pas gérer ce genre de chose en ce moment. »

Il avait également tenté d’apaiser son refus avec sa magie. Le dieu de la Mort était capable de calmer les âmes et les mortels par sa seule présence, apportant son réconfort face au deuil et à l’angoisse. Mais cela avait parfois l’effet inverse sur Perséphone. Elle trouvait l’influence qu’il exerçait sur ses émotions envahissante, même s’il pensait bien faire. Durant les jours qui avaient suivi la mort de Lexa, Thanatos avait employé sa magie pour soulager sa souffrance, mais elle lui avait dit d’arrêter. Même si ses intentions étaient bonnes, elle avait besoin de ressentir les choses, même la douleur.

Après avoir causé tant de souffrance à Lexa, elle avait trouvé anormal de ne pas ressentir la sienne.

– Tu n’as pas l’air très enthousiaste, remarqua Lexa.

– J’ai hâte d’être la femme d’Hadès, répondit-elle. C’est juste que… je n’avais jamais imaginé me marier. Je ne sais même pas par où commencer.

Déméter ne l’avait jamais préparée à ça, à quoi que ce soit, en fait. La déesse de la Moisson avait espéré contourner la prophétie des Moires en l’isolant du monde et d’Hadès. Quand Perséphone l’avait suppliée de la laisser sortir de l’orangerie pour intégrer le monde des vivants en se faisant passer pour une mortelle, ses seuls rêves avaient été d’obtenir son diplôme, d’avoir une carrière et de profiter de sa liberté aussi longtemps que possible.

L’amour n’avait jamais fait partie de ses projets, et encore moins le mariage.

– Hmmm, dit Lexa en se penchant légèrement en arrière, appuyée sur les mains, la tête tournée vers le ciel comme pour bronzer. Tu devrais commencer par ce qui t’excite le plus.

C’était un conseil que l’ancienne Lexa lui aurait donné.

Mais ce qui excitait le plus Perséphone, c’était d’être la femme d’Hadès. Lorsqu’elle pensait à leur avenir, son cœur lui semblait comblé, son corps était électrifié et son âme regorgeait de vie.

– Je vais y réfléchir, promit la déesse en se levant.

En parlant de mariage, on l’attendait justement au palais pour commencer les préparatifs.

– Cela dit, je suis sûre qu’Hécate et Yuri auront leurs propres idées.

– C’est possible… admit Lexa.

.................................................................................................................................................................

RÉSUMÉ
L'auteur à succès ST. Clair nous offre une interprétation sombre et captivante du mythe grec d'Hadès et Perséphone.

Perséphone et Hadès sont fiancés. En représailles, Déméter provoque une tempête de neige qui paralyse la Nouvelle-Grâce, et refuse de lever le blizzard si sa fille n'annule pas ses fiançailles. Lorsque les Olympiens interviennent, Perséphone voit son avenir entre les mains des anciens dieux, qui sont divisés. Doivent-ils permettre Perséphone d' épouser Hadès et partir en guerre contre Déméter, ou interdire leur union et prendre les armes contre le dieu des morts ? Rien n'est sûr, sauf la promesse de la guerre.

.................................................................................................................................................................

Bio:

Scarlett St. Clair, auteure internationale et à succès des USA, est citoyenne de la nation Muscogee et auteure de la SAGA HADES X PERSEPHONE, de la SAGA HADES, DE KING OF BATTLE & BLOOD et de WHEN STARS COME OUT.

Elle est titulaire d’une maîtrise en bibliothéconomie et en études de l’information et d’un baccalauréat en rédaction anglaise. Elle est obsédée par la mythologie grecque, les mystères du meurtre et l’au-delà.

Poutine, l'itinéraire secret

Poutine, l'itinéraire secret

Qui est Poutine cet homme qui semble en permanence porter un masque ? Un politicien cynique et brutal, assoiffé de pouvoir et d'argent.

 

RÉSUMÉ
Vladimir Poutine reste une énigme. Que veut-il ? Affirmer son pouvoir personnel et celui de son clan dans la lignée des autocrates qui se sont succédé au Kremlin depuis des siècles ? Restaurer la grandeur de son pays, en faisant la synthèse de l’histoire russe, des tsars aux soviétiques ? Comment le petit lieutenant-colonel du KGB qu’il fut à la fin de la guerre froide a-t-il pu s’imposer au sommet de l’une des premières puissances du monde ? Qui est cet homme qui semble porter un masque ? Un politicien cynique et brutal, assoiffé de pouvoir et d’argent, ou un patriote sincère ?
Au fil d’une enquête rigoureuse, nourrie de témoignages inédits recueillis en Russie, Frédéric Pons répond à ces questions. Sans rien occulter, il brosse un portrait saisissant du maître du Kremlin : son enfance dans un milieu modeste de Leningrad, ses rêves de jeune soviétique, les étapes décisives de sa formidable ascension, ses réseaux de pouvoir. Il démontre à quel point cet homme déterminé incarne les aspirations et les craintes de la Russie depuis la chute du communisme.
Dans le contexte actuel de crise, ce document brûlant, informé aux meilleures sources, est une lecture indispensable pour décrypter la personnalité, les objectifs et la stratégie de cet interlocuteur incontournable de l’Occident.

..........................................................................

Avant-propos

2000-2014 : après deux mandats consécutifs de quatre ans à la tête de la Fédération de Russie (de 2000 à 2004 puis de 2004 à 2008), puis quatre ans comme Premier ministre du président Dmitri Medvedev (2008-2012), Vladimir Poutine a commencé son troisième mandat présidentiel en 2012. Depuis le changement constitutionnel intervenu en 2010, sa durée est désormais de six ans. Poutine est donc sûr de rester au pouvoir jusqu’en mars 2018. S’il se représentait à cette date et s’il gagnait une nouvelle fois la présidentielle – ce qui pour l’heure semble possible –, il pourrait rester à la tête de la Russie jusqu’en 2024. Soit vingt-quatre ans de pouvoir ! Il s’agirait alors du plus long « règne » d’un dirigeant russe depuis la mort de Staline, en 1953.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Vladimir Poutine est là depuis longtemps et pour longtemps. Cette durée est exceptionnelle, autant que le contenu politique et sociétal de sa « révolution » et son impact sur les relations de la Russie avec le reste du monde. Cela mérite d’être analysé, sans les filtres médiatiques qui ne retiennent bien souvent que l’écume des choses. Il est vrai que, depuis des années, la plupart des articles ou des documents parus sur Poutine en Occident sont à charge. Il fallait donc aller au-delà du conformisme intellectuel ambiant sur cette personnalité controversée et sur ses idées, insupportables à beaucoup. Il fallait expliquer l’homme et le pays qui l’a porté au pouvoir et se garder de l’habituel eurocentrisme qui caractérise les Occidentaux, souvent générateur de contresens. Dans les relations internationales, la politique de l’autruche n’a jamais donné de bons résultats. Elle est généralement synonyme de catastrophes.

Pour rester claire et surtout utile, cette biographie politique du maître du Kremlin se devait d’être lucide en évitant deux écueils : les présupposés idéologiques liés au passé soviétique et au présent réactionnaire de Poutine ; une simplification excessive qui serait liée à la sympathie ou à l’antipathie que sa personnalité et sa politique peuvent susciter en Europe. Sujet central de ce livre, le décryptage de la Russie contemporaine et de son président méritait mieux qu’un catalogue convenu d’anathèmes ou qu’un recueil incongru de louanges. « Je ne blâme ni ne loue, je raconte », disait l’excellent M. de Beaumarchais.

 


Vladimir Poutine ne laisse personne indifférent. Les années n’ont rien changé à cela. Au contraire. Certains l’adorent. Surtout en Russie et dans les pays slaves. Beaucoup le détestent. Principalement en Occident et dans les milieux intellectuels. Il est vrai que Poutine n’a jamais fait beaucoup d’efforts pour se faire aimer, sauf, peut-être, en direction de ses concitoyens. Une majorité d’entre eux le lui rendent bien. Ce soutien plus ou moins admiratif – il s’agit même parfois de la dévotion – se vérifie à travers les suffrages répétés de l’électorat russe en sa faveur. Chaque élection depuis 2000 a permis de le constater, avec des degrés divers mais de façon constante. Ce soutien s’est érodé dans l’élite urbaine et branchée des plus grandes agglomérations de Russie, où se trouvent la plupart de ses opposants, mais il reste massif dans la Russie profonde.

Cette majorité silencieuse qui vote Poutine contre vents et marées ne cache pas sa nostalgie de l’ordre, de la sécurité et de la grandeur, associés, dans la mémoire collective du pays, aux deux régimes qui ont précédé l’actuelle république fédérale de Russie : l’empire blanc des tsars et l’ordre rouge des Soviétiques, deux systèmes autocratiques – c’est le moins qu’on puisse dire – marqués par le même centralisme, l’un rayonnant à partir de Saint-Pétersbourg et l’autre de Moscou, par la même tutelle d’acier imposée par la police politique, de l’Okhraïna fidèle à l’empereur de toutes les Russies, au KGB dévoué au parti des travailleurs. Aujourd’hui encore, la tradition persiste. Poutine en est l’héritier. De l’imposante forteresse aux murs rouges du Kremlin, il tient le pays d’une main de fer, en s’appuyant sur le FSB, placé sous ses ordres directs.

Ni son physique si son parcours ni son attitude actuelle face au monde extérieur ne plaident en faveur de Vladimir Poutine. De taille modeste, le cheveu plat, le regard bleu glacé, le sourire rare, il ne dégage pas vraiment de charisme, ce petit supplément d’humanité que l’on reconnaît à certains chefs d’État occidentaux, plus déliés, plus souriants, plus cools, et sûrement plus familiers des codes de la communication moderne dans nos sociétés du spectacle, de l’émotion et de l’empathie.

Poutine est un costaud, ramassé sur lui-même, d’une densité physique qui peut impressionner ses interlocuteurs. Sa pratique intensive du judo et de la natation lui a forgé une musculature qu’il exhibe parfois sur ces photos « viriles » prises en pleine nature. Des sports de combat, Poutine a gardé cette allure compacte qui limite sa gestuelle, au risque de le faire paraître gauche. Quand il marche, Poutine chaloupe légèrement. Il ne balance que le bras gauche, comme si le droit, son bras d’attaque, restait en permanence prêt à crocheter un adversaire. Rien dans sa silhouette n’inspire la décontraction ni la sympathie. Dans les sommets internationaux, il est amusant de voir ses homologues à ses côtés : le basketteur Barack Obama, tout en bras, en jambes et en « sourires », ressemble à un aimable pantin désarticulé ; de la même taille que Poutine, Nicolas Sarkozy serait un ludion électrique et François Hollande un poussah culbuteur.

Poutine ne montre jamais ses émotions, comme le racontent les nombreux exemples cités dans les chapitres suivants. L’enfant timide est devenu un adulte réservé qui veille constamment à ne rien révéler de lui-même. Des arts martiaux pratiqués à haut niveau et de sa passion pour le jeu d’échecs, un sport national en Russie, il a adopté une véritable discipline de comportement. Il en a même fait une stratégie de négociation dans ses responsabilités politiques. Il l’applique à la lettre, face à tous ses interlocuteurs, qu’ils soient russes ou étrangers. Elle tient en deux mots : dissimuler et surprendre. Ou patienter et cogner. Comme au judo, il veille à ne jamais montrer sa peur, à ne dévoiler en aucun cas son jeu, à toujours surprendre son adversaire pour garder l’initiative et pouvoir frapper au moment où l’autre s’y attend le moins.

Tous ceux qui ont eu à négocier avec lui ont décrit son extrême réserve initiale – elle lui sert à observer et à comprendre les faiblesses de son adversaire – puis ses initiatives fulgurantes. Cette stratégie a souvent pris de court ceux qui n’avaient pas décrypté son jeu ni anticipé ses coups, ceux qui l’avaient sous-estimé, trompés par son sourire timide et sa gaucherie apparente. Poutine a joué ainsi et gagné face aux oligarques, de Berezovski à Khodokorvski, qu’il a obligés à rentrer dans le rang, face aux gouverneurs de région, remis au pas manu militari, ainsi que dans les crises internationales récentes : Géorgie, Ukraine, Crimée, Syrie, Iran.

On pourrait croire que l’actuel maître du Kremlin a gardé les vieilles méthodes apprises au KGB, qu’elles sont devenues chez lui des manies, que son allure de passe-muraille est celle de l’ancien agent de renseignement politique qu’il fut. Mais ce goût du secret et cet art de la force manœuvrière et de la riposte foudroyante, il les avait en lui dès l’enfance, avant même son entrée dans les services. La formation professionnelle reçue à l’école du KGB soviétique l’a évidemment imprégné, mais moins qu’on ne le croit, même si son passé dans ce service de répression a largement contribué à noircir son 

image en Occident. Il fausse, sans aucun doute, le regard occidental sur sa personnalité et sur sa politique.

Poutine a passé quinze années dans les services. Cette carrière n’est pas glorieuse. Elle semble même plutôt terne, au regard de toutes les sources actuellement disponibles et des témoignages recueillis. Poutine n’a pas été un super-espion soviétique traqué par tous les services de l’Ouest. Il n’a jamais été un redoutable James Bond venu de l’Est pour retourner des agents étrangers et manipuler des sources. Il n’a pas été un 007 rouge agissant dans l’ombre de la guerre froide, pistolet Tokarev au poing, jouant de son charme au côté de beautés slaves évidemment fatales. Sa carrière est celle d’un officier sérieux, consciencieux, mais sans éclat. Sa progression dans la hiérarchie des officiers est normale au regard des cursus habituels au KGB. Ni ralentie ni accélérée. Son avancement et ses décorations n’ont rien d’exceptionnel, obtenus à l’ancienneté.

Fonctionnaire besogneux, Vladimir Poutine faisait des fiches, principalement sur les milieux religieux et culturels dissidents. Il attendra dix ans avant de pouvoir prétendre à un poste à l’étranger. Il espérait une affectation à l’Ouest. Il eut l’Allemagne de l’Est, une république sœur, nettement moins glamour que l’Allemagne de l’Ouest, la France ou les États-Unis. Il voulait Berlin-Est, qui était alors une des plaques tournantes du renseignement et de l’espionnage pendant la guerre froide. On l’envoya à Dresde, une cité saxonne de second plan. Il avait rêvé d’espionner l’Ouest pour porter des coups à l’Otan et à l’Amérique. Il fit des fiches sur des Allemands de l’Est. On comprend mieux son désir de quitter le KGB, en 1990, au terme de quinze années peu gratifiantes. Quand il revint dans les services, huit ans plus tard, pour en prendre la direction, Poutine le fit en traînant les pieds. Celui qui n’était resté qu’un obscur petit lieutenant-colonel s’amusa même d’être élevé au grade de général, une obligation administrative pour assurer la direction du FSB, le successeur du KGB.

Ce passage dans les services secrets, une structure de répression longtemps chargée de la traque des dissidents, continue à ternir son image. Le terme péjoratif d'« ancien kagébiste » lui colle à la peau. Utilisé à satiété, il semble devoir accréditer l’idée d’un vaste complot ourdi dans l’ombre par les services pour amener Poutine au pouvoir et l’y maintenir le plus longtemps possible. C’est en partie un fantasme, qui se répète de livre en livre, où les théories complotistes font toujours florès. Si on pouvait en effet le croire au début des années 2000, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La réalité décrite dans ce livre montre que si Poutine s’est en effet appuyé au départ sur le KGB et les structures de force – les fameux siloviki –, dans la grande tradition des dirigeants russes, il s’en est finalement plus servi qu’il ne les a servies. Prudent, pragmatique, Poutine a utilisé en réalité de multiples réseaux qui ont joué en sa faveur, à commencer par ses amis et ses relations restées fidèles de Saint-Pétersbourg ou sur la « mafia » des gouverneurs de région.

Le label KGB, comme son goût du secret et le réalisme martial qui structurent sa politique, ne rendent pas Poutine sympathique. C’est surtout vrai en Occident où la communication se veut permanente, ouverte, ostensiblement décontractée, où, à part au Royaume-Uni, les services sentent le soufre et le coup fourré. Poutine « passe mal ». Est-ce si important ? Le problème n’est pas de l’aimer ou de le détester, mais plutôt de comprendre pourquoi la voix de la Russie compte et porte beaucoup plus qu’il y a dix ans dans les relations internationales, de savoir qu’aucun des dossiers brûlants en cours ne pourra être traité en ignorant la Russie ou en l’ostracisant.

Garder cette posture avec la Russie est un piège. Si elle donne l’illusion d’agir à bon compte, elle conduit à la paralysie puis à l’éviction du jeu diplomatique. À terme, elle obligerait à céder la place aux autres, plus pragmatiques ou plus dépendants de l’ours russe. Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, a livré sur ce point de franches leçons de Realpolitik, trop souvent oubliées par la plupart de de ses successeurs.

Il est vrai que Poutine ne fait pas grand-chose pour améliorer sa perception en Occident. Mais faut-il le répéter ? Il travaille en priorité pour ses concitoyens, don’t la majorité se réjouit d’avoir retrouvé un chef, réputé dur mais juste, « patriote et impérial ». Depuis 2000, les Russes plébiscitent la posture poutinienne, en contraste total avec l’image dégradée de la quasi-totalité des dirigeants russes depuis Staline, humiliante pour la Russie. Les sondages montrent que les Russes ont un mauvais souvenir des brochettes d’apparatchiks vieillissants et maladifs de la fin de l’Union soviétique (Leonid Brejnev, Youri Andropov, Konstantin Tchernenko). Ils ne regrettent pas le dirigeant velléitaire et dépassé que fut Mikhaïl Gorbatchev pendant l’agonie de l’URSS (la perestroïka), à partir de 1985. Ils préfèrent oublier le président malade, alcoolique et manipulé que fut Boris Eltsine, après la mort de l’URSS, de 1991 à 2000. Humiliée par le repli russe depuis 1991, révoltée par le pillage des richesses du pays, obsédée par une irrépressible sensation d’encerclement ourdi par des puissances réputées hostiles, cette Russie profonde s’est reconnue dans l’ambitieux projet de restauration proposé par leur président.

Que veut Vladimir Poutine ? Où va-t-il ? Il a donné la réponse à ces questions à plusieurs reprises, depuis 2000. Parfois ignorés ou mal traduits, souvent déformés, ses propos donnent la clé de son action passée et à venir, et de son attitude à l’égard de l’Occident et de l’Asie. Si elle est un trait évident de son caractère, sa brutalité est aussi le revers de l’urgence de la situation catastrophique dans laquelle la Russie se trouvait en 2000, don’t elle peine à sortir.

Le temps lui est compté. Il le sait et il le dit. Ce cynisme et ce mépris des droits de l’homme qui lui sont reprochés lui permettent d’aller à l’essentiel. Il veut foncer, ne pas se laisser retarder ou engluer par toutes les raisons, justifiées ou pas, qui poussent tant de chefs d’État à ne plus bouger une fois au pouvoir, à ne plus rien entreprendre pour tenter de conserver les consensus apparents, pour ne pas risquer de créer de désordre momentané. Cet immobilisme politique est exactement ce qui est reproché aujourd’hui à des dirigeants comme Barack Obama aux États-Unis ou François Hollande en France. Par contraste, l’activisme déterminé de Poutine détonne et dérange. Il a conscience de ne pas respecter tous les standards internationaux sur les droits de l’homme. Il l’a déjà reconnu. Il plaide pour le respect des traditions culturelles de la société russe. Il rappelle la nécessité de sortir la Russie de l’ornière et de la rétablir comme une des grandes puissances du xxie siècle. C’est ce qu’il fait depuis quatorze ans, en acceptant de « casser des pots ». Pour les dix prochaines années, son ambition est de stabiliser la Russie et de livrer aux générations futures une société ordonnée, apaisée, capable de rejoindre les standards de vie occidentaux. L’heure de vérité des années Poutine sonnera en 2024.

Chez lui, comme sur la scène internationale, le maître du Kremlin n’a rien d’un conservateur. C’est un révolutionnaire pressé. Il bouscule les structures et les hommes et n’hésite jamais à remettre en question l’ordre international, quand il croit qu’il en va de l’intérêt supérieur de la Russie. Tantôt souple, tantôt brutal, rarement charmeur, souvent glaçant, il manœuvre en utilisant tous la gamme des moyens à sa disposition. Autour de lui, des gens de sa trempe l’aident et le conseillent, à commencer par son ministre des Affaires étrangères, le séduisant Sergueï Lavrov, sans doute le plus habile diplomate de sa génération. Le président russe n’hésite pas à recourir aux armes. On l’a vu à la manœuvre en Tchétchénie et en Géorgie. Il connaît aussi parfaitement les règles de la manipulation et de la propagande – un héritage du KGB. L’Ukraine et la Crimée ont prouvé les capacités russes dans ces domaines.

Vladimir Poutine n’est pas obtus. Il a même ouvert le jeu vers l’Ouest à plusieurs reprises – ce qu’on a tendance à oublier. Il a répété sa préoccupation dans de nombreux discours : il ne souhaite pas couper la Russie de l’Europe, car il sait que s’y trouve une partie des racines et des intérêts russes. Aux Européens précisément, il a proposé de bâtir « une Europe de Lisbonne à Vladivostok », avec la mise en place d’un « programme de développement mutuel, avec un régime commercial préférentiel ». Dans son analyse, cet ensemble aurait vocation à être « un espace commun de développement, pour des projets d’avenir, de la santé à la défense spatiale ». Cette proposition n’a eu que peu d’écho. Prise dans une crise économique et identitaire qui n’en finit pas, l’Europe n’est pas encore prête à cette avancée stratégique. Son auteur n’a sans doute pas été jugé assez crédible. Aux yeux de beaucoup, Poutine reste porteur de trop de cynisme et d’intentions cachées.

.......................................................

1
Tout commence à Saint-Pétersbourg

Notre expérience nationale amère aidera, en cas de nouvelles conditions sociales instables, à nous prévenir d’échecs funestes.

Alexandre Soljenitsyne (2007)
Vladimir Poutine est l’héritier d’un pays particulièrement complexe et d’une histoire nationale parmi les plus heurtées et les plus violentes des cent dernières années. Elle n’a pas vraiment d’équivalent dans le monde, même en Europe occidentale, qui a connu pourtant tant de bouleversements au xxe siècle. Ce sont des données qu’il ne faut jamais oublier quand on s’intéresse à la Russie et à la place de Vladimir Poutine dans son histoire contemporaine. Le maître du Kremlin est confronté à la complexité d’un territoire de 17 millions de kilomètres carrés – le plus vaste pays du monde –, étalée sur onze fuseaux horaires, peuplée de 148 millions d’habitants, composée d’une mosaïque de cent cinquante ethnies différentes, pratiquant plusieurs religions, y compris – encore aujourd’hui – la « religion communiste ». Vue de Moscou, la géographie de la Russie est explicite : les cartes établies par les Russes situent en effet leur pays exactement entre les États-Unis d’Amérique, l’hyperpuissance d’aujourd’hui, et la Chine, la grande puissance de demain. Loin vers l’ouest, apparaît un isthme de terres émergées, fracturées en une trentaine de petits pays : la vieille Europe occidentale.

La géopolitique russe d’aujourd’hui, marquée par ces postures ou ces décisions qui ne sont pas toujours lisibles ou comprises – quand certains ne veulent pas les comprendre –, s’analyse au regard de cette approche géographique qui explique la stratégie et la politique de Vladimir Poutine. Le président russe se place dans la réalité de son pays mais aussi dans son histoire, comme tous ses compatriotes slaves chez lesquels la nostalgie affleure toujours. C’est particulièrement vrai dans la Russie des années 2010. Les Russes redécouvrent leur passé, parfois avec étonnement, souvent avec fierté. Poutine est l’héritier de l’histoire de ce pays qui n’a jamais vraiment connu la démocratie et la liberté, au sens occidental du terme, sauf peut-être, mais de façon chaotique et très imparfaite, pendant ces vingt dernières années. Passés sans transition de l’empire autoritaire et religieux des tsars à l’empire dictatorial et idéologique des soviets, les Russes n’ont quasiment aucune expérience suivie du pluralisme politique, de l’économie de marché, de la pratique continue des libertés individuelles et publiques, de la séparation des pouvoirs. Ils ne font que découvrir ce qui fait le quotidien des démocraties dans le monde, un socle commun forgé au cours des deux cents dernières années. Pour la Russie, le processus a commencé voici vingt ans à peine, à la chute de l’Union soviétique (1991), pour s’affirmer quelques années plus tard, à la fin de la période de chaos et d’anarchie qui accompagna les deux présidences de Boris Eltsine (1991-2000).

En un siècle, la Russie aura subi trois chocs systémiques majeurs. D’abord la fin brutale de l’empire des tsars (1917), remplacé par la dictature non moins brutale du prolétariat, sous la tutelle de fer des soviets. Les bagnes de l’empire furent remplacés par le goulag rouge. Il y eut ensuite la terrible saignée de la « guerre patriotique » contre le Reich hitlérien (1941-1945). Ce conflit fit vingt-cinq millions de morts dans la population soviétique, en grande majorité des civils. Cet épisode tragique est mal connu de l’opinion occidentale, mais il est fondamental pour comprendre la psychologie historique des Russes d’aujourd’hui, notamment celle de Poutine. Son histoire familiale est intimement liée aux souffrances extrêmes du siège de Leningrad. Sa trajectoire personnelle est imbriquée dans les soubresauts qui accompagnèrent l’effondrement de l’empire soviétique (1986-1991) et la décennie d’ajustement qui suivit (1991-2000). Lui, comme au moins trois générations de Russes, a subi la perte de tous ses repères fondateurs et structurants.

Le choc de la disparition de l’URSS entraîne d’abord, à l’intérieur du pays, l’implosion d’une société soumise brutalement à tous les dérèglements d’un pays privé de boussole : la désorganisation administrative, sociale, économique ; le pillage sans vergogne des richesses du pays ; le repli sur soi d’une partie de la société, à travers une véritable paranoïa du trafic ; une consommation effrénée d’alcool et, surtout, le refus de l’avenir. L’un des traits dominants de cette période est l’affaissement sans précédent de la démographie russe. « Le désordre est dans les têtes », écrivit de façon prémonitoire le romancier Mikhaïl Boulgakov, l’auteur de Cœur de chien.

À l’extérieur des frontières aussi, les dix années qui suivent la dissolution de l’URSS et de son bras armé, le pacte de Varsovie, sont un cauchemar pour les patriotes russes. Elles sont marquées par un recul géopolitique majeur de la Russie. Elle perd en quelques mois près de 5 millions de kilomètres carrés de territoire (près de huit fois la France) et cinquante millions de citoyens ! Déjà minée depuis des années par l’agonie du système collectiviste soviétique, terrassée par l’efficacité du modèle libéral occidental, la puissance diplomatique et militaire de la Russie s’affaisse durablement. Le repli est général. Tout un peuple le vit comme une humiliation historique sans précédent de leur patrie. La paralysie intérieure et l’impuissance extérieure de ces années 90 seront le terreau fertile d’où sortiront Vladimir Poutine et cet irrépressible désir populaire de renouveau qui le soutient sans discontinuer depuis 2000.

Tous les discours ou les interviews de Poutine le confirment : il porte l’histoire de son pays dans chacun de ses choix politiques. Qu’il la manipule ou pas à son profit, comme sont toujours tentés de le faire les dirigeants politiques dans tous les pays, qu’il soit sincère ou non dans sa volonté de redresser le pays pour les générations futures, au prix des gros sacrifices aujourd’hui, le président de la Russie est l’héritier de cette histoire. Il incarne parfaitement cette posture de « nostalgie active » que l’on retrouve chez beaucoup de Russes, qu’ils soient intellectuels ou non.

 


Vladimir Poutine est né à la politique à Leningrad, redevenue Saint-Pétersbourg en 1991, dont l’histoire et la géographie si particulières nourrissent depuis toujours l’imaginaire et la fierté des Russes. Ce fut aussi le cas du jeune Volodya (le diminutif de Vladimir). Né au cœur de la cité de Pierre le Grand le 7 octobre 1952, il est un fils symbolique de cette ville, qui se présente comme la plus belle de Russie. Personne ne lui conteste vraiment son statut – sauf, peut-être, chez certains Moscovites. Saint-Pétersbourg est une ville de défis dont ses habitants parlent avec amour. Érigée à partir de rien sur des marais inhospitaliers, elle est, à l’origine, un formidable défi à la nature, un pari prométhéen sur les capacités de l’homme et de ses techniques à la transformer. Tous les écoliers russes 

ont appris cette histoire en classe. Saint-Pétersbourg est l’idée d’un homme visionnaire et obstiné, Pierre le Grand, un empereur russe créateur de puissance et bâtisseur de beautés. Poutine l’admire, depuis toujours. Il aime se reconnaître en lui et s’identifie à son destin. Une de ses premières décisions publiques, très symbolique, le prouve. De retour d’Allemagne de l’Est en janvier 1990, Poutine est recruté à la mairie de « Peter ». Il s’installe dans l’immense et magnifique palais Smolny, à l’ombre des clochers à bulbes du monastère qui porte ce nom. Les bureaux ont été vidés. L’ancienne équipe d’apparatchiks communistes a quitté les lieux en emportant le mobilier utile, des équipements, les fournitures. Ils ont laissé tous les vieux tableaux à leur place. Les portraits de Lénine et les allégories soviéto-patriotiques fabriquées à la chaîne n’intéressent plus personne. Sous l’ancien régime, les chefs de service avaient droit à deux portraits – Lénine et Kirov –, les subalternes à un seul tableau – Lénine. À l’arrivée d’Anatoli Sobchak, le nouveau maire libéral, il n’y a plus ni obligations ni interdictions. Lénine et Kirov sont jetés dans les poubelles. Mais sur les murs recouverts d’un badigeon jaune, devenu gris poussière avec le temps, les emplacements vides font des taches claires. La plupart des employés accrochent un portrait de Boris Eltsine, le nouveau maître de la Russie. Pas Poutine. En prenant à son tour possession des lieux, les employés lui demandent le tableau qu’il souhaite. « Pierre le Grand ! » répond aussitôt le nouvel adjoint. Le lendemain, le service technique lui propose deux portraits de Piotr Alekseïevitch Romanov, premier « empereur de toutes les Russies » : une gravure romantique du tsar encore jeune, encore à l’aube de son règne, et l’un de ses derniers portraits. On le voit âgé, préoccupé, alors qu’il a engagé déjà tant de réformes qui ont bâti les fondations de l’Empire russe. C’est ce modèle que retient Poutine. Son choix est loin d’être innocent. Grand par sa taille (2 mètres) et par son œuvre, Pierre Ier fut un bâtisseur, un réformateur, un conquérant. À travers lui, Poutine rend hommage à l’empereur visionnaire qui fonda « sa » ville en 1703, qui amena l’Empire russe à un niveau inégalé. Il a fait un choix symbolique, alors que personne ne sait que l’URSS n’a plus que quelques mois à vivre et que Poutine n’est encore qu’un minuscule rouage de la mairie de Leningrad. Cette tutelle de Pierre le Grand annonce la formidable carrière du jeune Volodya, quand il sera passé de la Neva à la Moskova.

Pierre le Grand a fait le constat, comme Poutine le fera plus tard, que la Russie a besoin de s’ouvrir, d’aller chercher des connaissances et des compétences ailleurs. Très tôt séduit par la richesse artistique et technique de l’Europe, il a fait venir des artistes et des techniciens européens à sa cour. Lui-même est allé jusqu’à travailler incognito dans des ateliers de mécanique en Angleterre, en Allemagne et en Hollande, pour acquérir des techniques occidentales. Un peu à la manière d’un agent infiltré pillant les secrets technologiques de ses adversaires... Ce parcours a de quoi séduire celui qui sera pendant quinze ans un officier du KGB. Comme Poutine le fera avec les oligarques, Pierre le Grand taxa aussi, lourdement, les richissimes Russes de son époque, en leur imposant un impôt particulier de cent roubles par an, contre un kopeck seulement pour les autres sujets.

Autre similitude entre Poutine et Pierre le Grand, par-delà les siècles : une politique étrangère de présence soutenue, assortie d’une affirmation internationale qui s’appuie sur des capacités techniques et militaires rénovées. Avec Pierre, l’Empire russe intervient à l’extérieur (contre les Turcs) et devient une puissance européenne significative. C’est exactement le projet de Poutine, ce qu’il veut que la Russie redevienne. L’empereur ne conçoit la destinée de son pays qu’en s’ouvrant sur le monde, ne serait-ce que pour desserrer l’étau imposé par ses puissants voisins (l’empire de Suède et l’Empire ottoman). Le président d’aujourd’hui multiplie les initiatives en direction de l’Europe, de l’Orient (Syrie, Iran) et de la Chine, pour échapper à l’encerclement de l’Otan et des États-Unis qui menacerait son pays.

Cette ouverture sur le monde est à l’origine de la création en Russie de nombreux ports et de nouvelles voies maritimes, de la marine impériale et de la première base navale russe (1698), de la fondation de Saint-Pétersbourg (1703), sur un site souvent libre des glaces en hiver, avec un accès facile au golfe de Finlande. Le chantier fut titanesque. Arrachée aux immenses marais qui bordaient la Neva, la ville fut bâtie à un coût humain et financier impressionnant. Pierre IerEr ne compta ni l’argent ni le sang des hommes. Le chantier provoqua, selon les sources, de 100 000 à 150 000 morts, victimes d’accidents, de noyades, du froid glacial l’hiver et des fièvres malignes en été. La construction assécha les marais mais aussi une partie des finances de l’empire. Le recrutement pendant deux à trois ans de dizaines de milliers de serfs, de charpentiers et de maçons entraîna une baisse de la production agricole en Russie. Mais tous les Russes sont aujourd’hui fiers de cette épopée de « Sankt-Petersburg » (en allemand), la « ville de Saint-Pierre », capitale de l’Empire de 1712 à octobre 1917, don’t l’histoire est largement enseignée dans les écoles.

Poutine avait acheté son premier appartement, de l’autre côté de la Neva, au cœur de l’île Vassilievski, l’une des quarante-deux langues de terre qui forment la ville. Sur Vassilievski, les rues sont des lignia, en souvenir des canaux qui parcouraient la cité à l’origine. Pendant six ans, de 1990 à 1996, sur le chemin de la mairie, il sera ainsi passé presque tous les jours devant la colossale statue équestre de Pierre IEr, sculptée par Étienne Falconet en hommage au tsar bâtisseur. Son modèle sur tant de points.

 


L’histoire, le destin et les tragédies de Saint-Pétersbourg ont façonné le caractère et la sensibilité de Vladimir Poutine. Il s’y est nourri de l’argot des rues, qui fleurit encore certaines de ses déclarations à l’emporte-pièce, qui fait que l’homme de la rue peut aussi se reconnaître en lui. Il y a surtout appris la clarté de la langue, une particularité que les Russes reconnaissent aux habitants de « Peter ». Mieux que d’autres, ils savent traduire en mots et en phrases simples les choses les plus compliquées. Cette double faculté d’expression l’a servi par la suite dans sa carrière politique, pour séduire et convaincre l’opinion publique. « À la différence de Gorbatchev, pour qui il fallait réécrire tous ses textes, chez Poutine il n’y a aucun mot à corriger dans ses discours1 », témoigne un ancien membre de son cabinet. Ses expressions imagées ou brutales à destination des Russes, son sens de la repartie directe, y compris avec les dirigeants du monde, viennent de cette culture particulière à l’ancienne capitale des tsars. Son célèbre « j’irai buter les terroristes jusque dans les chiottes » n’est pas un élément de langage appris dans le cadre d’une campagne de communication politique. C’est le parler direct et brutal de la cour de son immeuble familial et de son école, rue Baskov, de son club de sports, sur Kondratievsky, dans une zone industrielle perdue au nord-ouest de la Neva. Ce sont aussi des mots et un ton que l’on comprend du premier coup à l’usine métallurgique Evgorod, sur Moskovsky Prospekt où son père travaillait, comme dans toutes les autres usines du pays, au siège du KGB de Leningrad et dans les autres casernes de la grande Russie.

Saint-Pétersbourg a façonné Poutine en imprimant aussi chez lui la culture du dvor, ce terme qui désigne la cour intérieure des immeubles, qu’un long porche au plafond bas sépare de la rue. Dans l’univers du dvor, on vit ensemble, été comme hiver. Tout le monde se connaît. Chacun sait d’où vient son voisin, comment il vit et avec qui. Cette ambiance collective, fraternelle et dure, a marqué Poutine. Il l’a longuement raconté dans plusieurs interviews, et notamment dans First Person2, ce long entretien personnel réalisé à Moscou en février et mars 2000 par trois journalistes russes, publié à Londres en anglais, jamais traduit en français.

Le jeune Volodya passait de l’appartement communautaire glacial du cinquième étage, sans eau chaude ni toilettes correctes, au dvor du rez-de-chaussée, tout aussi collectif. Les deux cours adjacentes du 12 rue Baskov, balayées par des courants d’air glacés en hiver, ont été son univers de jeux. Il y passait ses journées. « C’était notre refuge de confiance », raconte-t-il. Il y a affirmé sa personnalité, forgé son caractère, durci ses poings. Son école primaire était située à moins de cent mètres de son dvor où il s’attardait toujours, arrivant très souvent le dernier en classe.

Sa mère l’empêchait de sortir de la cour. De la fenêtre du cinquième étage, elle vérifiait à intervalles réguliers sa présence : « Volodya, es-tu là ? » Il répondait, obéissant, un peu effrayé par la rue 

bruyante, à deux pas. Une seule fois, lui et quelques camarades tentèrent l’aventure, en plein hiver. Ils voulaient voir la nature, les animaux – déjà ! Pour Poutine et beaucoup de Russes, ce retour régulier à la nature est un tropisme fort qui s’est confirmé chez lui à l’âge adulte, à travers son goût pour les « week-ends feux de camp » dans la taïga – évidemment mis en scène par son service de communication. Les enfants fuguèrent, prirent un train vers l’inconnu. Perdus, gelés, affamés, ils revinrent à la maison. « Nous eûmes la ceinture pour ce coup, raconte Poutine. Et nous n’avons plus jamais essayé de refaire un voyage de ce type. »

Dans l’univers du dvor, les aînés font la loi. Les petits la subissent en attendant à leur tour d’être grands. À l’âge de dix ans, Volodya devient un « leader tacite » dans sa classe, ce qui lui fait supporter l’école où il ne sent pas très à l’aise. « Je n’essayais pas de commander les autres, et c’était plus important pour moi de préserver mon indépendance, raconte-t-il. Si je devais comparer avec ma vie adulte, je dirais que je jouais un rôle plutôt judiciaire qu’exécutif. Et aussi longtemps que cela durait, j’aimais l’école. »

Poutine a gardé du dvor le sens de la camaraderie, le goût du clan don’t la solidarité est éprouvée par les combats menés en commun contre les autres dvor, un sentiment de méfiance instinctive pour ce qui ne vient pas de sa cour. Il en a fait une force dans l’exercice du pouvoir, surtout dans l’adversité, habitué à travailler avec un cercle restreint d’amis fidèles. Il en a certainement pâti, en rejetant ou en ignorant des talents qui auraient pu rejoindre l’équipe. Plus tard, au judo, pendant ses études à la faculté de droit, lors de son passage au KGB, ou par son travail à la mairie de Saint-Pétersbourg, Poutine élargira son cercle de proches, mais finalement assez peu. Il est resté fidèle à quelques anciens amis du KGB, et surtout à son réseau de Saint-Pétersbourg bâti en deux temps, pendant ses études et sa brève responsabilité d’adjoint au recteur de l’université, puis surtout pendant les six années passées au sein de l’administration municipale (1990 à 1996).

 


Vladimir Poutine est né et a vécu pendant un quart de siècle dans un quadrilatère de six kilomètres sur quatre, au bord de la puissante Neva. Ses racines familiales sont là, entre l’appartement communautaire de vingt-huit mètres carrés de la rue Baskov, infesté de rats, où il faut partager la cuisine et les toilettes avec cinq autres personnes, et le magnifique palais Smolny qui marque l’apogée de sa carrière politique dans la ville, avant son départ pour un autre palais encore plus impressionnant, le Kremlin de Moscou. Quel spectacle du monde voit le petit Volodya en sortant de la cour étroite où il passe son enfance, au pied de l’appartement communautaire qui occupe le cinquième étage d’un de ces immeubles-puits du centre-ville ? En sortant, à cinq cents mètres à peine du porche sombre qui ouvre sur sa cour, c’est la prestigieuse perspective Nevski. Cette célèbre avenue est son premier terrain d’exploration, avec les quais paisibles de la Fontanka, ce « canal des fontaines » où les gens de Leningrad allaient puiser l’eau pendant le siège allemand. L’avenue de la Neva – ses larges trottoirs et ses quelques vitrines – lui offre une belle ouverture sur la grande ville commerçante, industrieuse. Sur près de quatre kilomètres, de l’Amirauté à la grande gare de Moscou, de l’ancien Palais d’hiver au monument du Héros de Leningrad, il peut admirer la formidable vitrine du passé russe. Elle raconte les gloires et les richesses de l’époque des tsars, les soubresauts violents de la révolution qui commença dans cette ville, les grandes étapes de l’affirmation du régime bolchevique. Les palais, les églises, les grandes galeries commerciales, les maisons célèbres d’écrivains, comme celles de Dostoïevski et Gorki (hélas disparues en 2011 dans un vaste projet immobilier) sont les images de ce formidable livre d’histoire, ponctué, presque au centre, par le monument à la gloire de la Grande Catherine, installé en 1873.

Que ce soit sur le chemin de son école, puis de son lycée, au 14 de l’avenue Sovetsky, vers son club de sports de l’autre côté de la Neva, à l’usine métallurgique Egorov où son père travaille et, plus tard, à la mairie de la ville, Poutine voit défiler l’histoire glorieuse ou tragique de son pays. Enfant, adolescent et adulte, il s’en est nourri. Du petit Volodya, qui court à huit ans vers l’école primaire 193 au 8 de la rue Baskov, à l’adjoint au maire, qui travaille sous les ors décrés de l’ancien Institut Smolny, il reste dans l’histoire. Au palais Smolny, ce beau bâtiment palladien naguère réservé à l’éducation des jeunes filles nobles, il est en effet au cœur de l’épopée révolutionnaire qui marqua l’effondrement de l’ordre impérial. C’est à Smolny que s’installa le premier soviet de Petrograd pour diriger l’insurrection bolchevique d’octobre 1917. Lénine y commanda l’assaut contre le Palais d’hiver et, plus tard, le Parti communiste local y installa son siège. Poutine y médita aussi sur le destin de quelques héros soviétiques, sur la force des oppositions entre « camarades », sur le degré de violence que peut susciter un régime progressivement coupé des réalités. Dans les années 30, Kirov, de son vrai nom Sergueï Mironovitch Kostrikov, avait son bureau à deux pas de celui de Poutine. Rival trop populaire de Staline, il fut assassiné d’une balle dans la nuque par un jeune militant communiste, le 1Er décembre 1934. Cet assassinat déclencha les terribles purges staliniennes qui suivirent, cette terreur de masse qui reste l’une plus sanglantes taches dans l’histoire du communisme soviétique, ce régime que le président russe demande de juger « sur ses ombres et ses lumières ».

Vladimir Poutine est lui aussi indirectement lié à l’histoire du Parti communiste, par son grand-père, cuisinier à Pominovo, un modeste village au sud-est de Moscou. Connu et apprécié, il devint, après 1918, le cuisinier personnel de Lénine, quand les soviets décidèrent, le 12 mars 1918, de faire de Moscou la capitale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie – elle sera ensuite déclarée capitale de l’Union soviétique, le 30 décembre 1922. À la mort de Lénine, le grand-père Poutine ne quitte pas les cuisines du pouvoir. Il passe même au service de Staline, qu’il va servir jusqu’au bout en évitant les purges, avant de se retirer dans un sanatorium du Parti, à Ilinskoye. Alors enfant, Poutine était allé le voir à Pominovo. Son père, Vladimir Spiridonovitch Poutine, né en 1911 à Saint-Pétersbourg, y avait été évacué avec sa famille après la Première Guerre mondiale, pour ne pas mourir de faim. Il y avait rencontré sa future femme, Maria Ivanovna Chelomova. Devenu président, Poutine est retourné à plusieurs reprises dans le village de ses grands-parents. En janvier 2011, il y avait assisté à la célébration de Noël.

 


En arrivant chaque matin à la mairie de Saint-Pétersboug, Poutine et ses amis embrassent d’un seul coup d’œil l’incroyable synthèse historique proposée par l’architecture du palais Smolny, remarquablement préservée. De part et d’autre de l’entrée monumentale, derrière les colonnes, des grandes inscriptions en bronze accueillent encore les visiteurs : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » ; « Le premier soviet de la dictature du prolétariat ». Plus loin dans le parc, les bustes de Marx et Engels sont face à face, avant une statue de Lénine, comme si rien n’avait changé avec la fin de l’URSS. À gauche, derrière les arbres, le magnifique couvent Smolny, joyau du style baroque russe, coiffé par les coupoles dorées de la cathédrale de la Résurrection, commandé à l’architecte italien Rastrelli – le bâtisseur du Palais d’hiver. On y trouve partout le souvenir d’Élisabeth Petrovna, fille de l’empereur Pierre le Grand, future impératrice de Russie.

Grand sportif, futur champion de judo, Poutine s’entraîne régulièrement à l’école sportive de l’avenue Kondratievsky, dans la vieille zone industrielle qui borde la gare du nord-est. Pour s’y rendre, il passe par la perspective Nevski, l’Amirauté, le palais d’hiver, la forteresse Pierre-et-Paul, le célèbre panorama touristique de Saint-Pétersbourg. Ensuite, son tram ou son bus traverse une zone faite d’entrepôts, d’usines, de garages. Ce décor industriel d’un autre âge semble figé dans la Russie soviétique des années 50. Même les gens habillés de gris et de marron, un sac en plastique à la main, semblent des acteurs surgi d’une série télévisée d’Allemagne de l’Est.

........................................................................

Bio:

Frédéric Pons  (de son vrai nom Pons de San-Jirma) est un journaliste, écrivain, professeur et conférencier né le  1er août 1954.

Décorations
Chevalier de la Légion d'honneur Chevalier de la Légion d'honneur
Officier de l'ordre national du Mérite Officier de l'ordre national du Mérite
Chevalier de l'ordre du Mérite agricole Chevalier de l'ordre du Mérite agricole
Croix du combattant Croix du combattant
Médaille d'Outre-Mer Médaille d'Outre-Mer agrafe « Liban »
Médaille des Nations unies pour le Liban Médaille des Nations unies pour le Liban
Croix des services militaires volontaires
Ouvrages
Action humanitaire et politique internationale : Politique et morale (avec Alain-Gérard Slama et Jean-Marc Varaut), CASE, 1993
Les Paras sacrifiés, Beyrouth, 1983-1984, Presses de la Cité, 1994, Prix de l'Association des écrivains combattants
Les Français à Sarajevo : les bataillons piégés, 1992 - 1995, Presses de la Cité, 1996, Prix littéraire de l'Armée de terre - Erwan Bergot en 1996
Les Troupeaux du diable, Presses de la Cité, 1999, Grand Prix du roman de l'Académie du Languedoc et de la Ville de Toulouse
Les Casques bleus français : 50 ans au service de la paix dans le monde, Italiques, 2002
Les Soleils de l'Adour, Presses de la Cité, 2003
Pièges à Bagdad, Presses de la Cité, 2004
Passeurs de nuit, Presses de la Cité, 2006, Prix Mémoire d'Oc de la région Midi-Pyrénées
Israël en état de choc, Presses de la Cité, 2007
Mourir pour le Liban, Presses de la Cité, 2007
Anne-Lorraine, un dimanche dans le RER D (avec Emmanuelle Dancourt), Presses de la Cité, 2008 (ISBN 978-2-85443-532-0)
Paras de choc au combat, Presses de la Cité, 2009
Opérations extérieures - Les volontaires du 8e RPIMa, Liban 1978-Afghanistan 2009, Presses de la Cité, 2009, Prix de l'Union nationale des officiers de réserve
Algérie, le vrai état des lieux, Calmann-Lévy, 2013
Poutine. Au cœur des secrets de la Russie moderne, Calmann-Lévy, 2014
Les Constitutions arabes, ouvrage collectif sous la direction de Christophe Boutin et Jean-Yves de Cara, Karthala, 2016
Le martyre des Chrétiens d'Orient, Calmann-Lévy, 2017
Géopolitique des Émirats arabes unis, ouvrage collectif sous la direction de Charles Saint-Prot, Karthala, 2019
Les Pèlerins du diable, Calmann-Lévy, 2019