vendredi 22 novembre 2024
Sonymes
Le sonyme a été ainsi nommé (on peut dire trouvé) par Gilles Esposito-Farèse. Le billet ci-après compile des tentatives, des imitations, des prolongements de la forme sonyme.
Trois sonymes inspirés des rimes à signes extérieurs de richesse (une autre trouvaille du même Gef) et dédiés à des oulipiens, majeurs les trois :
Qui tancerait vos plumes
du major jappe avec
quittance, rai, volumes :
Dumas, Georges Perec…
Mob ? Idiome ? Un homme
s’allégea que, turbot,
Moby Dick gastronome
salât Jacques Roubaud.
Poe aime Chasles, Sévigné,
gilet Zeiss, prosit, anamnèse,
poème chaleureux signé
Gilles Esposito-Farèse.
Pierre Le Baud avait adjoint un quatrain rimé à son manuscrit en prose des "Chronicques et Ystoires des Bretons". Par inadvertance, ce poème fut oublié des versions imprimées ultérieures. Mais chance que les éditions Ichthusson de Bruxelles l’aient racheté en 1955 chez Sotheby’s, grâce à quoi nous tirons cette strophe de l’oubli, pas tant pour nous en distraire qu’avec l’intention d’une expérience oulipienne des plus sérieuses. En 1480, le texte de Pierre Le Baud rapportait en octosyllabes un vif dialogue entre le Roi Gradlon & Saint Guénolé à l’instant où la ville de Kêr-Is se trouve face l’imminence d’un tsunami :
— Sanct Gwennole l’Occean frape
Neiera tantost la Citeiz
En abismes de cecitéz
— C’est tens Gradlon que l’on eschape
Cela donnera une fois traduit en français moderne :
— Saint Guénolé, l’Océan frappe
Qui noiera tantôt la Cité
En abîme de cécité...
— C’est temps, Gradlon, que l’on s’échappe !
Réécrivons maintenant ce dialogue au format sonyme, dont l’apparente rigueur (4, 4, 3, 3 mots) s’adapte pour sûr aussi bien aux incunables qu’aux modernes.
— J’ois l’han
d’Ys : l’Onde
et l’Ombre…
— Viens-t’en !
Deux sonymes longs, vers de 14 et 10 syllabes.
1) Eleftérios Alexandris a signé en 2006 la toute première réécriture de la rubrique "l'Oulipien de l'année" chez Zazipo, une traduction en grec des Vers à Soie de Jacques Roubaud dont la mesure de 14 syllabes est le standard hellénique classique. Alors, classicisme oblige, prononcera-t-on en retour une diérèse à "étudi-ant", "Eleftéri-os", "aristotélici-en" en un sonyme, quatrain aux vers tétradécasyllabes contraignant à des mots très longs :
Au phénoménologique étudiant propédeute
hellène Eleftérios, son kinésithérapeute
aristotélicien — douillet sériciculteur —
administre cataplasme homogénéisateur.
2) Avec des mots de Mallarmé, décasyllabes 4 + 6 :
L’Azur soutient victorieusement
une clarté véridique sonore.
Hérodiade — écume, châtiment —
argentera Paphos lampadophore.
Sonymes brefs, dissyllabes :
Si un paresseux à Pondichéry écoute la radio d’Aquitaine, il entend "roll’n’rock" en 2 syllabes d’où les 4, 4, 3, 3 mots d’un sonyme très bref :
L’aï d’Inde
n’oit d’Oc
qu’une onde
roll’n’rock
Paradis terrestre du Ch’ti = sonyme en vers dissyllabes :
N’est-ce Ève ?
L’œil d’Oïl
n’en rêve
qu’à poil !
Sonyme Caradec.
Une rue au hasard
L’initiale est bonne
Escamotez tout art
Paname la fredonne
Le pavé rime ainsi
Fredonnons dans la rue
Elle dira merci
La ville disparue
Contrerime & Sonyme selon le 1er principe de Roubaud :
Lorsque votre strophe combine
Des rimes s’embrassant
Avec métrique croisement
Nommez-la contrerime
Poursuivez la même comptine
Quatre mots se doublant
Ensuite trios seulement
Baptisez-la sonyme
Le miroir est un élément explicite du Sonnet en X. Gilles Esposito-Farèse a remarqué la position médiane de la parenthèse (vers 7 & 8), coïncidant justement à celle d’un miroir :
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)
Cela ne serait pas la seule fois où Mallarmé fusionnerait le sens et la forme d’un poème — cf. Petit air 2. La réécriture ci-dessous d’un autre sonnet fameux, celui du Cygne, tente de reprendre le même effet de symétrie optique, le contexte du lac gelé tenant pour miroir : 3 strophes de rimes croisées FMFM, 1 de rimes embrassées FMMF, 3 de rimes croisées MFMF, chaque strophe étant sonyme (4, 4, 3, 3 mots). L’invention de Gef, reformuler un sonnet d’alexandrins en 7 sonymes de pentasyllabes — un par distique — réduit à peine l’original, puisque l’on passe de 168 à 140 syllabes. Il y a cependant dans chaque strophe l’effet d’haïkaïsation introduit par Raymond Queneau dans "La redondance chez Phane Armé".
Le vierge et vivace
et beau : l’aujourd’hui,
par voilure rase
déchirée, a brui.
Lac hanté de glace,
d’ivresse, d’oubli,
jamais nulle trace
d’envolement fui.
Sans espoir un cygne
a lesté pour frein
l’autrefois sublime
figé de chagrin.
À ne chanter vivre
d’huis ni région,
resplendit l’ion
de stérile givre.
L’agonie en blanc,
son col la secoue,
maudissant l’étang,
vaine psyché floue.
Non horreur du sol
où chut le plumage,
l’éclatant envol
assigne la page.
Froid clus d’idéal,
le cygne en prolonge
l’exil abyssal
revêtu de songe.
Un autre "hexasonyme", celui-là d’après Sur un miroir de Charles Cros, est composé selon une double logique de miroir :
- 3 quatrains de forme "emynos" (3, 3, 4, 4 mots), et 3 quatrains de forme sonyme (4, 4, 3, 3 mots) ;
- les 3 premières strophes avec des rimes M-F-M-F, puis les 3 suivantes sur schéma inversé : F-M-F-M.
Chaque fois, miroir,
que, vertus vaudoues,
elle met du noir
aux sourcils, aux joues
un poudreux parfum
encadrant sa lèvre
de charme et carmin,
tu diras ma fièvre :
« Je dors reflétant
le lyrique ivoire
qu’il poinçonne quand
votre œillade en moire
par ses atours creuse
l’éclat nommé chair
— d’où victorieuse
trichromie en clair. »
Qu’alors tu ressentes
son regard d’humeur
et fins négligentes
à m’abandonner,
brise-toi la glace !
puisque je ne vaux
apprêter sa classe,
pourquoi mes rivaux ?
Un grand sommeil noir de Verlaine modifié de sorte que les strophes 2 et 3 deviennent des sonymes comme l’était déjà la première.
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !
Je n’entrevois rien,
Je perds la mémoire,
Défiant du bien...
Triste mon histoire !
Je suis un berceau
Qu’une main balance
Dedans un caveau :
Silence, ô silence !
Le poème précédent peut se développer en un sélénantoum dont les strophes soient sonymes.
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie
Expire l’espoir
Expire l’envie
Tombe sur ma vie
L’écume du rien
Expire l’envie
D'improbable bien
L’écume du rien
S’enivre en mémoire
D'improbable bien
Triste cette histoire
S’enivre en mémoire
De mon vieux berceau
Triste cette histoire
Dedans un caveau
De mon vieux berceau
Qu’une main balance
Dedans un caveau
Pleure le silence
Qu’une main balance
Un grand sommeil noir
Pleure le silence
Expire l’espoir
Vache de Zeus, Rockefeller, Louis Vuitton :
Sous cette Trinité, que fête soit coutume !
Et le dieu protecteur à l’huis de ta maison
Joue en latin la Pâque et ta bonne fortune.
Quatrain d'influence surréaliste (attribué à Gilbert Farelly) que l'on pourrait traduire en sonyme palindrome, par exemple :
Io, Trust et Luxe
Et l’us nocera...
Le Lare consulte,
Exultet sur toi !
Solstice embrasant juin, le cirque d’Olympie
signe un décor parfait : là cet époux à poil,
faussaire, corromprait ma peinte Eucharistie ?
— Va te taire en prison ! tranche le tribunal.
Second quatrain fou de Gilbert Farelly traduisible en ce palindrome fidèle au "sens" initial :
Un été l’arène,
nec à mari nu,
punira ma Cène ?
— Ne râle tenu !
Un forçat fait la sieste, entendez-le railler
le caillou qu’il concasse avant sa limonade.
La brebis de Bashō lui répond « Ô bélier,
Georges dessus tes reins fléchit ta promenade ! »
Gilbert Farelly en 1960 ne pouvait pas connaître Georges Perec, mais on fera comme si, en tirant un sonyme palindrome de cet autre strophe hallucinée :
En gag ce repos :
roc, soda, le bagne…
Renga bêla « Dos,
corso, Perec gagne ! »
Maille à l'envers, maille à l'endroit = quelques sonymes palindromes de mots — dont certains changent de sens, de nature, d'acception, voire d'orthographe : "étale" adjectif puis verbe, "chut" = choir puis se taire, "bouffe" substantif puis verbe... "boîte" & "boite", "ouvre" & "ouvré", etc.
Maille étale il chut,
versa vice, aïe aïe.
Vice versa... chut !
il étale maille.
La bouffe, oiseau-mouche,
grise Iris... la-la !
Iris grise mouche,
oiseau, bouffe-la.
Lui, ferme ouvre-boîte,
marche entre boui-boui,
entre, marche, boite...
ouvré ferme-lui.
Cri : notre amour-propre
rime avec gri-gri,
avec rime propre :
amour notre cri !
Imité de Gef encore, le poème suivant est un « solénet auto-acrostiche de mot, c.-à-d. :
— sélénet = deux quatrains de pentasyllabes à rimes croisées fmfm fmfm ;
— chaque quatrain est un sonyme = dont les vers comptent successivement 4, 4, 3 et 3 mots ;
— la lecture verticale des premiers mots des huit vers reproduit la fin du même poème. »
Au halo de lune
Soir qui s'éclaira
Quel joli costume
Rayon contient "Râ"
Scintille, ô ma ville !
Bougeoir vif au soir
Quel rayon scintille
Bougeoir quel bougeoir
5 solénets (= sélénets-sonymes) d’après comptines :
Est-ce une panthère
Ce civet tout cru
Sous le cimeterre
Du Chef Lustucru ?
L’as des casseroles
Barbe poivre et sel
Nourrit de paroles
La Mère Michel
— — — — / — — —
Qui mettrait la patte
Au lait des brebis
Souillerait la pâte
Tirée entre pis
Que fais-tu Bergère
N’occis ces chatons
Retiens ta colère
Reviens aux moutons
— — — — / — — —
Au halo de lune
L’onde dit allo
Radio de plume
Pour feuille prolo
L’adresse fut brève
L’appel un pamphlet
Convaincu de grève
Le Meunier ronflait
— — — — / — — —
Mais gare au gorille
Un peu trop câlin
S’ensuit peccadille
Torpeur et déclin
Un dicton s’obvie
Des goûts du Malin :
« Meunier qui roupille,
Dégâts au moulin »
— — — — / — — —
Dors-tu Frère Jacques ?
Ne crains-tu pécher
En oubliant Pâques
Muet ton clocher
Sois noble aux platines
Et fantasque au gong
Sonne les matines
Digne dingue donc
Robert Rapilly,
vendredi 22 novembre 2024
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