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jeudi 19 décembre 2024

L'Ami de Sam

 


Je fus invité vers 1998 à boire l'apéro chez X, qui se faisait passer pour avoir été plus qu'un ami de Samuel Beckett parmi tant d'autres mais carrément l'Ami de Beckett, l'Ami de Sam comme il disait, de fait le seul vrai, en tout cas l'ultime. Il ne vous parlait que de cela. L'Ami de Sam sortait de ses poches des lettres de Sam et vous en lisait à voix haute des passages, il vous brandissait des selfies au polaroïd où le très vieux Sam étreignait l'Ami de Sam ou bisouillait le museau de l'Ami de Sam ou lisait attentivement un des bouquins de l'Ami de Sam. Il vous montrait aussi religieusement que furtivement ("Pas touche !") des éditions originales de Sam dédicacées "À mon ami" par Sam). L'Ami de Sam vous regardait à travers les authentiques lunettes noires de Sam, ses dernières, celles qu'il portait quand il ferma une dernière fois les yeux racontait l'Ami de Sam avec des larmes qui embuaient ces saintes lunettes. L'ami de Sam ne les quittait jamais, il dormait avec, il mourrait avec, il serait enterré avec. Il n'écrivait plus qu'avec le dernier stylo de Sam, qu'il avait raflé à la maison de retraite le jour même de la mort de Sam, comme les lunettes et l'ultime Kleenex défroissé et encadré où de la sainte morve s'était écaillée et brillait encore. Pour accompagner l'apéro (toujours un simple et beckettien verre (sale) d'eau du robinet) il vous offrait des cigarettes russes comme il en apportait à chaque visite à Sam à la résidence Tiers Temps, bien pratique biscuit dans lequel Sam glissait son cigarillo pour le fumer en douce, astuce que l'Ami de Sam lui avait montrée. L'Ami de Sam vous narrait comme des épopées les lentes et vacillantes promenades titubées avec Sam : il tenait fermement mais affectueusement le fragile bras de Sam en arpentant avec lui à pas comptés la maigre pelouse du Tiers Temps, que Sam aimait appeler La Bande de Gaza, trait d'esprit que lui avait chuchoté l'Ami de Sam.

L'Ami de Sam interrompit soudain la narration de ses émouvants souvenirs beckettiens  pour me demander un "petit service" : ne pourrais-je pas lui avancer quelques coupures pas trop petites, avec l'assurance, garantie par l'amitité, qu'il me les rendrait avec intérets dans pas trop de jours, car ces temps son train de vie pourtant modeste était un peu gêné aux entournures par un manque de liquidités ? 

Je répondis négativement par un éloquent pivotement du menton. L'Ami de Sam me fit comprendre qu'il ne me considérait plus comme l'ami de l'Ami de Sam et que je pouvais disposer tel un larbin congédié. Avant d'obtempérer avec soulagement, je lui ai montré la dizaine de petits cadres alignés au mur dans lesquels palpitaient des grosses coupures. Ça, ce trésor de guerre m'expliqua l'Ami de Sam, il ne pouvait y toucher. Tous ces beaux billets lui avaient été offerts par Sam dont la générosité légendaire n'était pas une légende. Chaque fois qu'il avait demandé un peu d'aide à Sam, Sam s'était toujours montré spontanément généreux. Et l'Ami de Sam était un peu désolé que tant d'inconnus aient bénéfiié de cette générosité. Il était tout de même un peu normal qu'un vrai ami de Sam comme l'Ami de Sam profite aussi de sa bonté. 

L. W.-O.

dimanche 11 juin 2017

une godasse, des Godot










Video : Werner Herzog mange ses godasses



"Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable. "

Samuel Beckett, En attendant Godot





vendredi 9 juin 2017

"Qu'à lever la tête…"

Montagnes de 

"Qu'à lever la tête
c'est la beauté
qu'à la lever
qu'à la
lever.
Je vous embrasse
Sam"

Samuel Beckett, 
Carte postale
de Courmayeur
à Anne Atik
7 juillet 1980


Ci-dessous, d'autres
Montagnes de 




mercredi 7 juin 2017

"N'en parlons pas"



"Les larmes du monde sont immuables. Pour chacun qui se met à pleurer, quelque part un autre s'arrête. Il en va de même du rire. Ne disons pas de mal de notre époque, elle n'est pas plus malheureuse que les précédentes. N'en disons pas de bien non plus. N'en parlons pas."
Samuel Beckett, En attendant Godot

mardi 23 mai 2017

Se prendre la tête



Robert Crumb


"Head on hands
hold me
unclasp
hold me."

Samuel Beckett
Poème
cité par
Anne Atik

dimanche 21 mai 2017

Tête à tête (2) : Beckett et Schopenhauer


Samuel Beckett by The Robot Dictionnary ©

"I found the only thing I could read was Schopenhauer. Everything else I tried only confirmed the feeling of sickness. [...] I always knew he was one of the ones that mattered most to me, and it is a pleasure more real than any pleasure for a long time to begin to understand now why it is so. And it is a pleasure also to find a philosopher that can be read like a poet."

Samuel Beckett, Lettre à MacGreevy 

lundi 24 octobre 2016

"Et puis merde"



"Assis au comptoir ils devisèrent de choses et d'autres, à bâtons rompus, suivant leur habitude. Ils parlaient, se taisaient, s'écoutaient, ne s'écoutaient plus, chacun à son gré, et suivant son rythme à soi. Il y avait des moments, des minutes entières, où Camier n'avait pas la force de porter son verre à sa bouche. Quant à Mercier, il était sujet à la même défaillance. Alors le plus fort donnait à boire au plus faible, en lui insérant entre les lèvres le bord de son verre. Des masses ténébreuses et comme en peluche se pressaient autour d'eux, de plus en plus serrées à mesure que l'heure avançait. Il ressortait néanmoins de cet entretien, entre autres choses, ce qui suit.
1. Il serait inutile, et même téméraire, d'aller plus loin, pour l'instant.
2. Ils n'avaient qu'à demander à Hélène de les loger pour la nuit.
3. Rien ne les empêcherait de se mettre en route le lendemain, à la première heure, et par n'importe quel temps.
4. Ils n'avaient pas de reproches à s'adresser.
5. Ce qu'ils cherchaient existait-il ?
6. Que cherchaient-ils ?
7. Rien ne pressait.
8. Tous leurs jugements relatifs à cette expédition étaient à revoir, à tête reposée.
9. Une seule chose comptait : partir.
10. Et puis merde."

Samuel Beckett, Mercier et Camier, Éditions de Minuit ©

samedi 24 septembre 2016

Beckett tombé de la lune

Beckett : dialogue avec un perroquet et un poisson rouge Photo © Steve Shapiro

Cioran tournant le dos à Cioran

On me fait comprendre que ça commence à bien faire avec Cioran et Beckett. Comme par hasard la remarque émane de quelqu'un qui enrage que je ne parle pas de lui. Gonflée l'enflure, non ? Voilà qui m'incite à en rajouter une couche. Avec un autre témoignage de Cioran, suivi d'une liste de lectures tenue par Beckett. Où il évoque au passage Cioran. 
L. W.-O.


" Il avait lu quelque chose de moi. Nous nous sommes connus lors d'un dîner, après quoi nous sommes devenus amis. A un moment donné, il m'a même aidé financièrement. Vous savez, il m'est très difficile de définir Beckett. Tout le monde se trompe en ce qui le concerne, en particulier les Français. Tous se croyaient obligés de briller devant lui, or Beckett était un homme très simple, qui ne s'attendait pas à ce qu'on lui lance de savoureux paradoxes. Il fallait être très direct, surtout pas prétentieux... J'adorais chez Beckett cet air qu'il avait toujours d'être arrivé à Paris la veille, alors qu'il vivait en France depuis vingt-cinq ans. Il n'y avait rien de parisien chez lui. Les Français ne l'ont pas du tout contaminé, ni dans le bon ni dans le mauvais sens. Il donnait toujours l'impression de tomber de la Lune. Il pensait s'être un peu francisé, mais ce n'était pas du tout le cas. Ce phénomène de non-contamination était ahurissant. Il était resté intégralement anglo-saxon, et cela me plaisait terriblement. Il ne fréquentait pas les cocktails, se sentait mal à l'aise en société, il n'avait pas de «conversation», comme on dit. Il n'aimait parler qu'en tête à tête, et il avait alors un charme extraordinaire. Je l'aimais énormément. "

Cioran, Entretien avec Gabriel Liiceanu


Beckett à son bureau dans sa maison d'Ussy



SAMUEL BECKETT
Liste de lectures
trouvée dans


Andromaque by Jean Racine: “I read Andromaque again with greater admiration than ever and I think more understanding, at least more understanding of the chances of the theatre today.”
Around the World in 80 Days by Jules Verne: “It is lively stuff.”
The Castle by Franz Kafka: “I felt at home, too much so – perhaps that is what stopped me from reading on. Case closed there and then.”
The Catcher in the Rye by J.D. Salinger: “I liked it very much indeed, more than anything for a long time.”
Crooked House by Agatha Christie: “Very tired Christie”
Effi Briest by Theodor Fontane: “I read it for the fourth time the other day with the same old tears in the same old places.”
The Hunchback of Notre Dame by Victor Hugo
Journey to the End of the Night by Louis-Ferdinand Céline
Lautreamont and Sade by Maurice Blanchot: “Some excellent ideas, or rather starting-points for ideas, and a fair bit of verbiage, to be read quickly, not as a translator does. What emerges from it though is a truly gigantic Sade, jealous of Satan and of his eternal torments, and confronting nature more than with humankind.”
Man’s Fate by Andre Malraux
Mosquitoes by William Faulkner: “with a preface by Queneau that would make an ostrich puke”
Repeat Performance by William O’Farrell: “Excellent, once past the beginning.”
The Stranger by Albert Camus: “Try and read it, I think it is important.”
The Temptation to Exist by Emil Cioran: “Great stuff here and there. Must reread his first.”
The 628-E8 by Octave Mirbeau: Damned good piece of work.”
Collected Poems by W.B. Yeats
The Divine Comedy by Dante Alighieri: A favorite of Beckett’s. While on holiday he laments to Barbara Bray, “Nothing to read. Should have brought Dante.”
Lady Chatterley’s Lover by D.H. Lawrence: Reading an unexpurgated version published to much fanfare, Beckett deems Lawrence’s controversial romance a “singularly unexciting work”
Sense and Sensibility by Jane Austen: “Poor Jane has got herself in a mess at the end of S. & S., the big sceen between Elinor & Willoughby could hardly be worse.”
A Passage to India by E. M. Forster: “I read A Passage to India a long time, vague recollection like swallowing fine sand”
The Mill on the Floss by George Eliot
The Doors of Perception and Heaven and Hell by Aldous Huxley
Doctor Zhivago by Boris Pasternak: “The names got me down, among other things. But I’ll persevere.” Boris Pasternak refused the 1958 Nobel Prize in Literature, a year after the book’s publication.

jeudi 22 septembre 2016

"Un homme vrai, ça étonne à chaque instant" : Beckett vu et dit par Roger Blin


Roger Blin dans Fin de partie
Beckett et sa femme Suzanne aux obsèques de Roger Blin en 1984



Beckett parle (1987)









Samuel Beckett / L'Expulsé par Roger Blin






BEGINNING TO END par l'incroyable Jack Macgowran !!!!

Après le billet d'hier à propos de Samuel Beckett, une fort chic lectrice de ce blog m'envoie ce savoureux bonus : " Il s'agit d'un fragment d'un texte de Roger Blin évoquant sa rencontre avec Beckett et l'aventure que fut la première mise en scène de Godot au Théâtre de Babylone. Cet article Une solidarité entre maigres parut dans la revue Arts en 1953 et à ma connaissance ne fut jamais repris."

Témoignage de Roger Blin : "Nous avons beaucoup travaillé, pas mal ri, pas du tout enfilé les libellules métaphysiques. C'est aux couturières que la trouille a commencé. Beckett m'a demandé de le tutoyer puis est parti se cacher en Marne et Oise (sic). Et Estragon, Vladimir, Lucky et Pozzo ont été livrés aux bêtes, près du petit arbre, en état de fraîcheur avancée et comme leurs collègues Molloy, Malone et Worm, regrignotant à rebrousse-poil sous les décombres du ciel, l'amour de la vie. De Beckett, je ne peux rien dire sinon que je l'aime et l'admire profondément. Un homme vrai, ça étonne à chaque instant".

Un grand merci pour cette délectable initiative, que j'enrichis par un autre bout de film rare où surprendre Beckett in vivo, ainsi que de la voix de Roger Blin interpétant L'Expulsé (bandes rares mises en ligne sur Youtube par un autre aficionado de Beckett, qui, sur sa chaîne donne aussi Le Dépeupleur par David Warrilow, et du Guitry épatant). J'en profite tant qu'on y est en donnant Beginning to end par l'incroyable Jack Macgowran. Et ci-dessous d'autres friandises pour les insatiables et les insomniaques. Après ça, on dira encore que je suis une peau-de-vache.
L. W.-O.

Bonus 1 :
"Je suis inquiet et venimeux"
Franz Kafka dit par Roger Blin


Bonus 2 :
par Roger Blin, Jean Martin et Delphine Seyrig

mercredi 21 septembre 2016

Beckett et son canard



Sam Beckett lisant le journal — capturé par L. Watt-Owen 


"L'autre jour, j'ai aperçu dans une allée secondaire du Luxembourg, Beckett, qui lisait un journal à peu près comme ferait un de ses personnages. Il était là sur une chaise, l'air absorbé et absent. L'air un peu malade aussi. Je n'ai pas osé l'aborder. Quoi lui dire ? Je l'aime beaucoup, mais il vaut mieux que nous ne nous parlions pas. Il est si discret ! Or la conversation exige un minimum de laisser-aller et de cabotinage. Elle est un jeu ; or Sam en est incapable. Tout chez lui trahit l'homme du monologue muet. "
Cioran, Cahiers

dimanche 18 septembre 2016

Coups-de-pied au cul de la part de Cioran !

 
Cioran retenant un coup-de-pied au cul © Friedgard Thoma


Beckett prêta le flanc aux emmerdeurs, et sa lubie de faire le bien de ses contemporains lui coûta cher. Une meute de tapeurs était à ses trousses. Sa bonté le perdit.

Arno Schmidt, lui, se montra en revanche d'une prudence paranoïaque salutaire. Ses admirateurs grouillaient autour des barbelés de sa petite maison de Bargfeld, dans la lande de Lunebourg, mais ils se gaffaient de ne pas franchir les limites de la discrétion, sachant l'irascible ermite armé d'un  Parabellum chargé et de vastes mains aux gifles assommantes. Certains se firent courser, attraper et malmener sans ménagement : mais ces cons vénéraient tant Arno Schmidt qu'ils ne soignaient même pas les plaies, les hématomes, les dents cassées et les yeux au beurre noir, conservant les stigmates de cette rencontre au sommet, comme ces fans qui ne se lavent plus car leur idole a griffonné sa signature sur leur épiderme.

Peu de gens osaient aller accoster Henri Michaux et lui réclamer ne serait-ce que du feu ou un autographe. Ses yeux de froid serial killer dissuadaient les plus audacieux. Il les fusillait du regard, et la légende dit même que certains, au palpitant pourtant moins fragile que le sien, en crevèrent de saisissement.

Les infernaux chiens géants de Céline tenaient à distance ceux qui avaient le culot de venir actionner la sonnette de sa grille, Route des Gardes à Meudon. Quand les gueulements du propriétaire furibard retentissaient à l'unisson des aboiements, même les plus téméraires avaient déjà pris leurs jambes à leur cou jusqu'au bas de la pente raide.

Pauvre Cioran, en revanche, pourtant plus misanthrope encore que ces têtes de bourrique mal embouchées ! Nul n'eut autant de scrupules que lui de déranger qui que ce soit mais en retour on ne le ménagea pas : il dût subir les inlassables assauts de fâcheux indécollables. Pas un jour où il ne fut dérangé par les coups de fil ou de sonnette de ces importuns. Il en enrageait, mais c'eût été, à ses propres yeux, une inélégance de sa part de les envoyer sur les roses. Il leur faisait le meilleur accueil. Aucun hôte n'était plus courtois et plus drôle. Et ces lourdauds emmerdeurs se persuadaient ainsi qu'ils étaient les bienvenus et que leurs coups de fils et visites étaient bénéfiques à Cioran, qu'ils étaient attendus comme des intimes par le vieux cacochyme et qu'il prêtait à leurs propos comme à leurs écrits un intérêt réel, qui les encourageait à poursuivre et cautionnait leur lubie d'une œuvre qui prendrait haut-la-main la relève de la sienne.  Ces importuns, qui étaient et restent ses pires lecteurs (leur comportement et leurs publications prouvent cette incurie effarante), n'ont jamais eu la jugeotte d'en douter et d'imaginer le contraire, qui les eût dégrisés cruellementet (dommage !) poussés enfin au suicide avec lequel ils faisaient mumuse avec grandiloquence pour se poser un peu là.

La mort de Cioran, puis celle, tragique, quelques temps plus tard, par noyade à Dieppe, de sa compagne Simone Boué, leur fut une aubaine. Ils écriraient cette légende et les deux locataires de la rue de l'Odéon ne seraient plus là pour les contredire. Dès lors ces mondains matuvus se mirent-ils à parader en se présentant avec l'aplomb du mythomane comme les meilleurs amis de Cioran, et jusqu'à aujourd'hui ne cessent de le clamer avec tapage, le prouvant par la publication sans vergogne de ses réponses polies à leurs courriers d'emmerdeurs. Ils se réclament de son héritage et de sa pensée, lui font cautionner de manière posthume leurs âneries et leurs numéros de poseurs grandiloquents et toute leur frime de gandins mondains avides de passer pour des farouches exécrateurs de ce monde où ils prospèrent. Pauvre Cioran !

Mais il sera sans doute vengé un jour par lui-même : quand ses Cahiers inédits (ceux trouvés dans sa soupente par la brocanteuse, et qui couvrent les années 1972-1990) seront enfin publiés par les rupins roumains qui les ont acquis après une victoire au tribunal contre l'État et la Bibliothèque Jacques-Doucet. J'espère qu'on y lira de chouettes vacheries sur ces indélicats. Ils ne perdent rien pour attendre. J'ai déjà eu l'occasion de lire dans des lettres inédites chez des collectionneurs des trucs fort croustillants à propos de ces frimeurs sans états d'âme. Vivement la publication de ces Cahiers qui se fait désirer depuis trop d'années déjà ! Espérons que ces très petits et très vilains messieurs ne crèveront pas avant de pouvoir lire tout cela et blémir en essayant le beau costume que leur a taillé d'avance Cioran lui-même pour l'hiver de leur postérité. À chacune de leurs fastidieuses visites, il n'a pas dû manquer d'en rendre compte avec le génie de la vacherie qu'on lui connait. Ce n'est pas au Paradis qu'ils emporteront leurs saloperies.

À ces profiteurs sans scrupules, viennent désormais s'ajouter les fâcheux cybernétiques. Beckett, Céline, Schmidt, Michaux doivent subir la calamité posthume des emmerdeurs de la Toile (je ne m'exclus certes pas de ce lot ! Mais j'ai la faiblesse d'estimer que je m'en distingue !). On ne laisse pas en repos leur mémoire : des milliers sinon des millions de baratineurs et soi-disant lecteurs ne cessent en ligne de s'en réclamer, de les commenter, de les citer, de les plagier, de délirer à leur propos. 

Cioran subit la même malédiction post mortem. Outre ceux qui prétendent l'avoir fréquenté comme des intimes privilégiés, outre les prétendus spécialistes de son œuvre qui sont parfois chargés de son édition posthume et alourdissent grotesquement reprises et inédits de commentaires effarants qui ne témoignent guère d'une compétence ni d'une sensibilité de lecteur sérieux de Cioran, on trouve désormais d'infatués rats cybernétiques qui prennent l'initiative d'aberrantes initiatives à sa mémoire. Ces crétins se croient tout permis, pour la bonne cause en plus ! Tiens donc !

C'est ainsi que l'autre jour, un de ces rats cybernétiques, anonyme bien-sûr comme tous ces grouillants et pleutres nuisibles, m'a demandé, dans un commentaire (faute d'avoir mon adresse mail) s'il pouvait redonner sur son site une photo incroyable et inédite que j'avais publiée sur ce blog à l'occasion de l'effroyable Marché de la Poésie, en juin 2014 : on y voit le burlesque trio composé de Cioran, Beckett et Michaux faire la queue devant la pissotière de la Place Saint-Sulpice. Document rare, effectivement, que nul n'avait encore montré. Et que je redonne ci-dessous :
 
Photo de Maurice Bonnel © : 
Beckett, Cioran et Michaux 
devant l'urinoir 
de la Place Saint-Sulpice

J'hésitais entre dire merde à ce profiteur anonyme et le traiter par la le mépris du silence : n'est-il pas aberrant de correspondre avec un anonyme volontaire ? Ces nuisibles sont ma bête noire et je ne voudrais pas leur faire l'honneur de la moindre considération, et encore moins le plaisir de satisfaire leurs demandes. Averti, dans les commentaires du billet qu'il voulait piller, de ma cruelle vengeance envers quiconque me piquerait cette photo incroyable, le rat avait tout de même pris la saine précaution de me demander mon autorisation et, ainsi, de signaler son forfait. Malgré tout ma répugnance est telle envers ces horripilants nuisibles et leurs horripilantes pratiques que je ne lui en étais pas le moindrement gré. Seule une couille molle pouvait ainsi s'aplatir à me demander ma permission.

D'autant que je n'avais nulle permission à donner : cette photo, je ne la possède pas, un collectionneur me l'a révélée jadis et m'a permis de la rephotographier à la va-vite et comme il est désormais aussi mort que Cioran, il n'a pas eu l'occasion de m'engueuler quand je l'ai mise en ligne. Seul l'auteur de la photo ou ses ayant-droits ont juridiquement la haute main sur ce cliché.

(Et quand bien même, par stupide politesse, n'étant pas un mufle dans son genre, aurais-je décidé de lui répondre au moins un "Allez vous faire foutre", je ne le pouvais pas : l'olibrius ne faisait que mine de me demander mon avis, car bien-sûr il n'avait laissé aucune adresse mail. C'était me prendre doublement pour un con. Ceux qui s'y sont amusés ont toujours eu à le regretter.) Brèfle…

L'auteur de cette photographie est Maurice Bonnel (ce que j'ignorais à l'époque de mon propre piratage). Grâce lui soit rendue de l'initiative de sa prise de vue. Miraculeuse : car d'un seul clic il a ainsi pris la fameuse triplette en photo, ce que nul n'a jamais réussi à faire. Miracle d'autant plus sublime et troublant qu'il est le fruit du plus beau des hasards : ce Monsieur Maurice Bonnel ignorait tout à fait l'identité des trois zigomars faisant la queue devant la pissotière parisienne. Ce n'est donc pas eux qu'il entendait, tel un paparazzo, photographier, mais tout simplement l'urinoir de la Place Saint-Sulpice et la longue file d'inconnus se tortillant en faisant patienter leur vessie.  

Des années plus tard, c'est un collectionneur averti de tout ce qui touche Cioran, Beckett et Michaux qui eut l'œil et s'empressa discrètement d'acquérir ce fragonard mirifique, il y a déjà longue lurette, pour trois francs six sous. Quelques temps après, il eut la jugeote de le faire authentifier par son ami Cioran, à qui il le montra un beau jour, déclenchant son hilarité.

Et voilà aujourd'hui un rat cybernétique, bien planqué dans son anonymat, qui pour se faire mousser conçoit la lubie atterrante d'ouvrir sur un réseau social, Facebook, une page où il entend démontrer qu'il est un aficionado émérite de Cioran, en y rassemblant la totalité des photos de Cioran qu'il peut voler sans vergogne sur la Toile. Une sorte d'album exhaustif que l'on peut feuilleter, imagine-t-il, avec gratitude envers sa générosité.

Ce crétin de réseau social doit sans doute estimer que les lecteurs de Cioran sont assez nouilles pour ne pas trouver tout seuls ces images légendaires sur la Toile et surtout dans leur bibliothèque, pire même : qu'ils ne les connaissent sans doute pas et qu'il les leur révèle !

Voulant passer pour un amateur averti de Cioran, il  ne se doute même pas que son initiative prouve de facto que tel n'est pas le cas : si quelqu'un n'aurait pas supporté la chose, c'est Cioran lui-même, et c'est bien mal l'avoir lu que de ne pas imaginer son désagrément sinon sa colère.

On remarquera aussi que cet anonyme détrousseur, s'il m'a certes demandé une autorisation que je n'avais aucun titre à lui accorder, n'a pas eu les mêmes scrupules envers les photographes dont il pille ainsi les photographies légendaires, car à eux il n'a très certainement demandé aucune autorisation : on peut en effet être sûr qu'il se la serait vue refuser, avec menace de procès. Ou tout du moins qu'il se serait vu réclamer versement de droits légitimes, et cet anonyme aurait alors dû dévoiler son identité en signant des chèques ou en faisant fumer la carte bleue.

De telles pratiques sont désormais la plaie de la Toile, sous le prétexte fallacieux et ignoble du partage et de la prétendue foutaise des droits d'auteur. En cela ce connard qui veut se distinguer avec ce monument frauduleux à la gloire de Cioran ne se distingue en rien de la masse des néfastes connards qui pullulent sur le Net. Son initiative n'est pas plus estimable que celles des fans transis de Claude François, Leonardo di Caprio, Céline Dion ou Catherine Deneuve, qui leur consacrent des pages et sites bourrés d'images et de documents copiés-collés sans aucune autorisation.

Un des fringants vieux matuvus évoqué plus haut, qui revendique la caution de son amitié intime avec Cioran et ne manque dans aucune de ses publications en kiosque et librairie comme dans ses consternants délires sur la Toile, d'invoquer son nom et son exemple et de poser comme son continuateur sinon sa réincarnation "branchée", avait eu il y a quelques années, en débarquant sur la Toile, l'effroyable tocade, puisqu'il se veut si drôle, alors qu'il n'est que sinistrement sinistre, d'ouvrir un blog où il donnait des dizaines de fausses photos de son "ami" et "maitre" et "inspirateur" : il  y collait la tête de Cioran sur des "hardeurs" de clichés pornographiques répugnants. Cette initiative prouvait ce que l'on savait déjà : que ce pauvre type est dénué de l'humour dont il se croit vraiment doué, qu'il est vulgaire là où il se prend pour un dandy et surtout qu'il n'est pas du tout l'ami de Cioran qu'il prétend être à tout vent. Ah s'il avait eu le culot de telles publications du vivant de Cioran ! Las ! Des queues Marie ! Le courage n'est pas son fort! Et faire subir un tel traitement à feu l'auteur de De l'inconvénient d'être né tout en se revendiquant de son amitié et de sa pensée relève de l'ignoble. Sous d'autres formes guère moins abjectes, cet imposteur poursuit son entreprise de démolition de Cioran en l'acoquinant malgré lui à ses saloperies : ce n'est pas l'amitié mais la haine, la rancœur et la jalousie qui animent cette grande gueule, pas seulement d'ailleurs à l'égard de Cioran. Brèfle… Mais au moins avait-il eut la foucade inédite de ces immondes images, que seule la tête confuse et ressentimenteuse de ce salopard pouvait concevoir. Le rat cybernétique de la Galerie Cioran sur Facebook n'a pas même ce genre d'initiative atroce. Il se contente de voler ce qui ne lui appartient pas. Et des dizaines d'autres jobards de Facebook redonnent à leur tour ces images pour se poser là et se singulariser.

On n'aurait aucun grief envers sa lubie douteuse d'une Emil Cioran Gallery sur Facebook si ce type (ou cette typesse, allez savoir avec l'anonymat !) avait le mérite d'y publier des portraits inédits de Cioran, au moins un, même flou : encore une fois on repassera. Ce détrousseur n'a lui-même rien en magasin, il se fait mousser sur le dos des autres, à très bon compte. L'escroquerie est donc totale. Et il se trouve sur sa page tout de même près de quasi 400 personnes qui "aiment" ça et autant qui "en parlent" sur leur propre page ! Cioran partagé sur un réseau social ! Non mais ça va pas la tête ?! Quelle époque de tarés totaux et de parfaits débiles !

Et quelle originalité que cette Galerie ! Pour obtenir un résultat encore plus profus, il suffit de taper "Cioran" dans la recherche "images" de Google et s'affichent alors des centaines de fragonards en une seule page, les mêmes qu'il donne sur sa misérable page de Facebook en frimant comme s'il était le premier à en avoir l'idée, et le seul. 

Si au moins ce détrousseur avait l'élégance et le culot de signer son forfait, tel le gentleman Arsène Lupin ! Mais Tintin ! Si au moins il avait le courage et la capacité d'accompagner ces photos de Cioran de commentaires de son cru, histoire d'apporter un petit plus et, pourquoi pas ?, nous prouver que sa lecture de Cioran n'a pas été vaine et qu'il possède au moins quelque chose comme un brin de plume sinon carrément du style, on pourrait être indulgent, sinon magnanime envers lui. Mais macache bono ! C'est à peine si le loustic mentionne les noms des photographes.

Quant à la qualité des clichés, il s'en tamponne, et à force d'être copiées-collées et retaillées sur Google, Instagram, Picasa, Pinterest ou Flickr ces photos, épatantes à l'origine, n'ont plus aucune couleur ni contraste de l'original : désormais pixelisées dans des résolutions de pingre, pisseuses et bancales, elles sont d'une effroyable qualité au point que les photographes, si d'aventure ils tombent dessus, doivent être soulagés quand leur nom n'est pas mentionné.

J'ajoute que je donnerai bientôt, mais sur papier payant cette fois, des photos et documents inédits à propos de Cioran, trésors de guerre ayant trop dormi dans le bordel de mes placards. Je préviens d'avance le rat planqué dans sa galerie et autres pirateurs potentiels qu'il ne faudra pas s'amuser, ces images, à me les voler. D'avance je pare le coup : j'ai mis à contribution un méchant hacker de mes amis. Il n'a pas été long à me dégotter du matériel sur le nuisible anonyme et sur d'autres prédateurs potentiels : me voici désormais muni de leur identité, adresse IP et autres biscuits. Si jamais on me détrousse, alors je me permettrai aussitôt d'indélébiles fantaisies en ligne à leur propos, et des biens cruelles, je puis le garantir. J'aurai encore moins de scrupules qu'eux.

Pourquoi serais-je animé de la moindre sympathie ou indulgence envers ce funeste voleur anonyme, dont l'initiative pour défendre la mémoire de Cioran s'avère en fait une déclaration de guerre contre lui et un non respect de cette mémoire ?

Et, cerise sur son gâteau de merde, non content de me demander une autorisation de reproduction sans me donner une adresse où lui répondre, ce rat anonyme ne l'a de toute façon pas attendue : le lendemain déjà il mettait en ligne la photo de la pissotière, volée sur mon blog, en me remerciant comme si j'avais béni son geste. Et aussitôt nombre d'abonnés de sa page l'ont "partagée" et reproduite à leur tour.  C'est un peu trop me prendre impunément pour une buse.
Capture-écran de la page Facebook / cliquer pour l'agrandir

On me dira que j'en fais des tonnes pour pas grand chose et je monte sur mes grands chevaux pour combattre des moulins-à-vent-de-bouche et des cons qui n'en valent pas la peine etc… Que tout cela n'est pas très grave, etc… Ce ne serait alors ni chic, ni fort amical, à mon égard d'abord, mais surtout à l'égard de Cioran. Sur lequel tant de gens s'essuient leurs pieds merdeux et se font reluire, sans que grand monde y trouve à redire.  De temps à autre, tout de même, il faut bien que quelqu'un distribue quelques coups de pieds au cul à certains qui se croient tout permis car leur insignifiance comme l'importance qu'ils s'accordent leur garantirait une impunité.

J'en fais tout un plat ? C'est que j'estime vraiment, comme Arno Schmidt, qu'il faut traiter les écrivains morts comme s'ils étaient toujours vivants. Se comporter autrement relève de l'ignominie.


L. Watt-Owen