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Comment Michel Barnier est devenu "Monsieur Albertville 1992"

Le nouveau Premier ministre Michel Barnier a toujours fait du sport, un levier de développement de "sa" Savoie. Avec comme projet phare l'obtention et l'organisation des Jeux olympiques d'hiver à Albertville, en 1992. Itinéraire d’un élu qui croit dans les événements sportifs pour rassembler.

Quand dans les Vallées de Savoie, on aborde l’éminent sujet des Jeux olympiques de 1992, une légende en descend à la vitesse d’un écho: où il est rapidement question de la soirée du 5 décembre 1981 à Val d’Isère. Le menu - raclette ou fondue – reste un souvenir flou, mais le casting, lui est connu.

D’un côté le désormais Premier ministre Michel Barnier, à l'époque tout jeune député de la circonscription, de l’autre Jean-Claude Killy, légende du ski français. Les deux hommes assistent au Critérium de la Première neige, épreuve qui ouvre la saison du "grand cirque blanc". Entre deux morceaux de fromage fondu et un verre de vin de Chautagne, ils devisent. "Et si nous amenions les JO en Savoie?"

"C’est pour cela que je dis que j’ai mis onze ans à préparer un événement de 16 jours", aime-t-il à répéter quand on lui reparle de cet événement majeur.

Le pied de nez d'Albertville à Chambéry

Car l’idée, un peu folle se concrétisera moins de cinq ans plus tard, après avoir servi de fil rouge à la campagne électorale du jeune loup de la politique (30 ans) qui part conquérir le conseil général (aujourd’hui le conseil départemental) d’un secteur plutôt classé à gauche à l’époque. Quelques mois plus tard au printemps 1982, il atteint son but, devient patron du département.

Fort de tous les pouvoirs, il met en place une équipe resserrée pour concrétiser la candidature qu’il présentera à Lausanne à l’automne 1986 autour d’Albertville, la troisième ville du département. Pas question d’organiser cela à partir de la préfecture, Chambéry, détenue par l’autre homme fort du département, Louis Besson, de 14 ans son ainé. Et encarté au PS, même si les deux hommes ne feront jamais de leur étiquette un frein à jouer collectif pour le bien de "leur" Savoie.

Déjà, avec le souci de ne pas imposer, sans expliquer, aux locaux cet événement, il multiplie les réunions d’informations dans le moindre canton où il souligne à qui veut l’entendre ce qu’un tel événement apportera concrètement. "Nous construirons une autoroute pour désengorger les accès station, et nous pourrons aller chercher les dotations budgétaires auprès de l’État et de l’Europe. Ce sera tout cela de moins que les Savoyards pourront porter. Et surtout, avec le développement du tourisme hivernal, indispensable à notre économie, tôt ou tard, il faudra réaliser ces ouvrages."

"Ne pas passer qu'un coup d'aspirateur"

L’élément de langage "l’héritage" n’est pas encore bien usité, mais lui l’utilise déjà beaucoup. "Et puis, vous savez, on pourrait faire comme quand on reçoit des amis à la maison et ne passer qu’un coup d’aspirateur pour faire semblant que tout soit propre. Moi, je veux que nous enlevions tous les meubles pour enlever tout et refaire à neuf", explique-t-il. Ainsi, Courchevel aura droit à son lifting multi-étoilé pour accueillir la famille olympique. On connaît la suite pour l’autre célèbre station des Trois Vallées...

Les deux hommes se partagent le travail: à Killy, l’aspect purement sportif et de compétition avec son exigence légendaire, à Barnier la sortie de terre d’éléments structurants et pour le long terme.

"Lui, ce n’est pas les JO pour les JO, c’est d’abord les Jeux pour l’aménagement du territoire", détaille, l’ancien maire d’Albertville Albert Gibello.

Dix stations d’épuration sont construites pour ces JO, cinq gares routières, l’hôpital d’Albertville est totalement rénové, un centre de régulation routier est mis en place, un centre culturel d’envergure créé à Chambéry ou encore 70 chapelles baroques dépoussiérées. Dans un département où 60% du PIB se fait lors des quatre mois d’hiver au-dessus de 1500 mètres d’altitude, ce projet d’aménagement derrière l’événement restera son ADN, porté sans relâche. Et tout cela, plus de trente ans plus tard perdure: la halle olympique accueille de nombreux concerts, amenant la culture au plus près des montagnes et de ses habitants, d’ordinaire obligés d’aller à Chambéry (30 minutes) ou Lyon (90 minutes).

La consécration

Au bout d’un long travail de persuasion auprès des 360.000 habitants, tous appelés à apposer un autocollant "Albertville candidat aux JO de 1992" et fort du succès des mondiaux de cyclisme à Chambéry en 1989, qui servent de répétition générale dans l’accueil des touristes en grand nombre, il réussit à mobiliser, à rassembler. Un élan naît dans les montagnes et franchit la frontière en octobre 1986.

Le lendemain du grand oral, le 17 octobre, Juan Antonio Samaranch, alors tout puissant patron du CIO, ouvre l’enveloppe et lâche le nom d’Albertville. Michel Barnier et Jean-Claude Killy peuvent exulter et se tomber dans les bras, la victoire est en eux. De nombreux jeunes Savoyards en herbe apprennent un nouveau métier: un certain Jean-Claude Blanc, à la tête du marketing mais aussi des cérémonies d’ouverture et de clôture des JO, n’en est pas le moindre.

Co-président exécutif du COJO (comité d’organisation des JO) 1992, il continue de mener les affaires politiques du département, écarté qu’il est d’un portefeuille ministériel: il se murmure que le Premier ministre de cohabitation Jacques Chirac lui en voulait d’avoir décrocher les Jeux.

Avec Killy, une vraie complicité

Avec Jean-Claude Killy, une vraie complicité se noue, les deux apprenant l’un de l’autre, Michel Barnier trouvant dans le sportif accompli en 1968 sur les pistes puis dans le sport business américain dans les années 70 et 80 de quoi nourrir son envie d’apprendre à développer par le sport. Il apprend aussi à composer avec les exigences de chacune des vallées de montagne, souvent peu enclines à travailler en commun.

Sa phrase fétiche? "Le sectarisme est une preuve de faiblesse". Quand il faut expliquer aux Menuires que par souci d’économie, la station des Trois Vallées doit disparaître aux profits de Val d’Isère, la voisine et concurrente, il fait preuve de diplomatie là où Jean-Claude Killy décide de claquer la porte. Tout reviendra dans l’ordre, le slalom olympique de février 1992 se tiendra finalement bien sur le stade de slalom de la vallée des Belleville. Un art du compromis appris de sa mère, Denise Barnier, grande dame du monde associatif à Albertville, fondatrice de l’union nationale des parents et amis des handicapés psychiques.

En parlant de consensus, "le Grand", comme l’appellent affectueusement ses collaborateurs dans les locaux du COJO à Albertville, doit composer politiquement tout au long des six années de préparation des Jeux olympiques. Si les onze années qui séparent l’idée de l'évènement (1981–1992) restent associées à l'ère François Mitterrand, il doit cependant composer dans la dernière ligne droite avec trois premiers ministres: un de cohabitation et de son bord, Jacques Chirac, et deux (Michel Rocard et Édith Cresson) qui ne le sont pas.

Mais ces changements de couleurs resteront inodores et indolores. Les JO sonnent comme une réussite, résumée par un célèbre chroniqueur du Dauphiné Libéré, le quotidien régional où il écrit cette formule mi-culinaire, mi-humoristique restée célèbre: "On ne peut pas monter les Jeux en neige sans du grand Barnier..."

Du blanc au vert

Sportif et adepte du ski alpin (forcément), de la course à pied, on l’a aussi vu nager dans un lac de Savoie, celui d’Aiguebelette entre Lyon et Chambéry. Est-ce ce jour-là qu’il a l’idée de prolonger le développement de son département à travers les événements sportifs et d’organiser un mondial d’aviron? Toujours est-il que sitôt les JO terminés, il prolonge l’existence de l’agence touristique avec une branche en charge d’organiser des championnats divers et variés.

Et plutôt de niveau planétaire. Perrine Pelen, l’ancienne championne de ski alpin, aux manettes au COJO s’investit dans la mission avec une feuille de route: servir l’entièreté de son territoire, composé de montagnes et des plus beaux domaines du monde, mais aussi de lacs un peu oubliés. Après les événements en "blanc", il en faut en "vert".

Rapidement, les mondiaux d’aviron arrivent en 1997 (puis en 2015) à Aiguebelette, avant ceux de canoë-kayak en 2002 à Bourg-Saint-Maurice. Et quand le maire d’Albertville, Albert Gibello, doit présenter la candidature de sa ville et de sa Halle (olympique) pour être l’hôte des mondiaux de handball en 2001 avec les matchs de l’équipe de France (dont un quart de finale historique face à l’Allemagne), Michel Barnier l’assiste, sans sourciller. Il n’oublie pas, de près ou de loin, d’appuyer les candidatures des "fondamentaux", les mondiaux de ski alpin en 2009 à Val d’Isère puis en 2023 à Courchevel où il passe, une tête et des spatules, en amoureux de son territoire et de la compétition.

En ce mois de février 2023, il ne se doutait surement pas qu’il aurait sur son bureau de Premier ministre un premier dossier important, celui de la garantie de l’État pour les JO de 2030 dans les Alpes, et donc en Savoie. Comme s’il bouclait une boucle, lui qui est nommé à 73 ans, l’âge de...son département!

Edward Jay