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BUSINESS 2024: après les Jeux, l'enjeu de la reconversion pour les athlètes

Si certains athlètes bénéficient de leur notoriété à la fin de leur carrière sportive, la grande majorité doit anticiper la reconversion professionnelle bien en amont, même en ayant brillé lors des Olympiades.

Les principaux concernés l'appellent souvent "la petite mort". Pour les sportifs et sportives de haut niveau, la fin de carrière constitue une étape majeure dans leur vie mais surtout un défi dans la gestion de leur reconversion professionnelle. "Les disciplines olympiques sont de plus en plus exigeantes, les sportifs ont des entraînements bi-quotidiens votre tri-quotidiens, ils sont en compétition pratiquement tous les 15 jours et ces compétitions sont suivies de stages internationaux, souligne Charlotte Feraille, déléguée générale de la Fondation du sport français. Cela devient donc compliqué de suivre un double cursus."

Face à cette difficulté, le dispositif du pacte de performance qu'encadre la Fondation cherche aussi à favoriser la reconversion des athlètes qui en bénéficient. Au-delà du soutien financier que les entreprises apportent aux athlètes, elles doivent également les aider sur cette problématique post-retraite sportive par la rencontre avec des collaborateurs ou la découverte des métiers.

"Il faut avoir la capacité de former le sportif, de l’accompagner et notamment dans le deuil de sa carrière sportive qui, quand bien même il a réussi son double projet, reste une étape importante dont on néglige souvent la difficulté."

La stratégie indispensable du "double-projet"

Certains athlètes particulièrement notoires pourront capitaliser sur leur image et leur personnalité dans le cadre de la reconversion, mais ces situations sont rares. "Dans la grande majorité des cas, les sportifs qui sont champions olympiques retournent assez rapidement dans l’anonymat, rappelle Charlotte Feraille. Et là, ce qui fait la différence, ce sont les études, le projet qu’on a conduit et organisé pour l’après." Dans plusieurs disciplines olympiques, les athlètes n'ont d'autres choix que de mener un "double-projet", c'est-à-dire se consacrer à leur carrière sportive tout en poursuivant des études pour préparer leur seconde vie professionnelle.

Ancien champion d'Europe et vice-champion du monde, le kayakiste Guillaume Burger fait partie de la team d'athlètes de Carrefour via le pacte de performance depuis trois ans. Après avoir participé aux Jeux olympiques de Tokyo, il n'est pas parvenu à se qualifier pour les Olympiades de Paris et a annoncé sa retraite de l'équipe de France quelques semaines avant l'événement. Âgé de 35 ans, il se projette désormais sur sa reconversion imminente et compte se servir de son master 2 en marketing obtenu il y a maintenant 12 ans.

"Dans ma tête et celle de tous mes partenaires du kayak, on mène une double carrière, résume-t-il. On fait du kayak à haut niveau et on se donne à fond là-dedans, mais on sait très bien que notre projet de vie de long terme ne pourra pas se faire dans ce milieu-là, car on n’a pas les ressources nécessaires."

Alors qu'il souhaite évoluer dans le secteur de la grande distribution, son partenariat avec Carrefour lui a permis d'effectuer des journées en immersion au siège du groupe à Massy et de planifier des rencontres avec des responsables afin d'envisager des postes qu'il pourrait occuper au sein de l'entreprise à partir de 2025. "Au sein du groupe BPCE par exemple, une organisation se met en place avec les RH pour permettre aux sportifs de bénéficier d’un bilan de compétences et d’être accompagnés en coaching dans la perspective d’une reconversion, indique Charlotte Feraille. Dans les grands groupes, il y a énormément de métiers possibles et il y a des dispositifs de formation interne qui sont ouverts aux athlètes qui sont soutenus."

Des compétences transposables du sport à l'entreprise

Si les entreprises s'investissent autant sur ce volet de la reconversion des sportifs de haut niveau, c'est parce qu'elles y trouvent également leur compte. "Les entreprises sont attirées par le sport parce qu’on part du principe que le sport et l’entreprise partagent un certain nombre de valeurs: la performance, la persévérance, la capacité de rebond après un échec, le sens du collectif, insiste la déléguée générale de la Fondation du sport français. On développe dans le sport des compétences qui sont transposables à l’entreprise: une capacité à planifier sa progression pour atteindre un objectif."

"Il y a des succès et des échecs et il ne faut pas surfer sur le succès sans être capable de se remettre en question et le sportif sait le faire. Il faut aussi être capable de se relever après un échec et le sportif peut amener cette culture à l’entreprise et en cela, ces profils sont utiles."

D'ailleurs, les sportifs de haut niveau ont eux-mêmes conscience de la valeur ajoutée qu'ils peuvent apporter dans une boîte. Dans une enquête réalisée en mai dernier par l’Observatoire BPCE, près de trois quarts des 400 sportifs de haut niveau interrogés pensent que leur expérience est un atout pour leur reconversion. De même, la quasi-totalité d’entre eux pensent pouvoir valoriser les qualités personnelles ou compétences développées en tant que sportif de haut niveau dans leur parcours professionnel telles que la capacité à gérer la pression, la persévérance ou la discipline.

Des athlètes encore trop cantonnés à la sphère sportive

De Tony Estanguet passé par le Comité international olympique avant de prendre la tête du Comité d'organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 à Marie-Amélie Le Fur qui préside aujourd'hui le Comité paralympique et sportif français, les exemples ne manquent pas : les athlètes ont largement tendance à rester cantonnés à la sphère sportive lors de leur reconversion. Dans la même enquête de l’Observatoire BPCE, 42% des sportifs de haut niveau interrogés envisagent une reconversion près des terrains de sport : sur ces 42%, plus de la moitié se destine à une seconde partie de carrière en tant que coach, entraîneur ou préparateur physique.

"Il y a encore un effort à faire pour aider les sportifs à sortir de leur écosystème et penser une reconversion en dehors du monde du sport", estime Charlotte Feraille qui constate cependant que les champs de possibilités s'ouvrent.

Malgré les facilités dont jouissent les sportifs de haut niveau médaillés pour devenir entraîneur en club et professeur de sport, mais aussi intégrer les fédérations, les directions techniques nationales ou le ministère des Sports, certains ont d'autres aspirations professionnelles. C'est le cas de l'ancien nageur Jérémy Stravius, médaillé d'or au 4x100 mètres nage libre aux Jeux de Londres puis vice-champion olympique sur cette même épreuve à Rio. Retraité depuis quatre ans et demi, le Picard gère aujourd'hui son propre bar dans le centre-ville d'Amiens après deux premiers projets avortés. "Je savais que je voulais aller dans le monde de l’entreprise et avoir mon propre business, explique-t-il. Je savais que je ne voulais pas être entraîneur et je n’ai d'ailleurs pas passé mes brevets pour ça alors qu’il y a beaucoup d’aides pour être maître-nageur ou entraîneur."

Un accompagnement jugé insuffisant sur la reconversion

S'il a pu bénéficier d'une aide financière de son sponsor de l'époque EDF pour se lancer, l'ancien champion du monde de natation déplore un accompagnement insuffisant pour les athlètes à la fibre entrepreneuriale. "Il faudrait qu’on puisse accompagner les sportifs de haut niveau par une ou deux personnes compétentes dans le milieu où ils veulent aller, suggère-t-il. Dans le cas d’un entrepreneur comme moi, c’est 'comment monter un business plan ?' et peut-être un peu de cours de comptabilité parce qu’on en a besoin et on n’a pas forcément fait toutes les études pour."

Dans l'enquête de l'Observatoire BPCE, 43% des sportifs de haut niveau interrogés espèrent des progrès dans l'accompagnement pour leur reconversion. Concrètement, ils souhaitent en priorité un soutien financier afin de démarrer une nouvelle activité ou la mise en relation avec des employeurs potentiels. Ce sera justement l’objectif d’un évènement baptisé “Du stade vers l’emploi” le 3 octobre prochain à l'Insep. Organisé par France Travail, Les entreprises s’engagent et les mécènes de la Fondation du sport français, ce job-dating doit permettre à une centaine de sportifs, fraîchement retraités ou sur le point de raccrocher, de rencontrer des patrons.

Timothée Talbi