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LA NOUVELLE RUBRIQUE DES COPINAUTES

Publié le 10/12/2017 à 08:40 par mamietitine Tags : moi monde bonne homme chez france fond travail nuit cadre fille sur pouvoir voyage jardin maison image centerblog gif png

NAÏVETES

 

LE VIEUX VELO.

 

 

 

Papa l’avait acheté après son service militaire, en

1920. Il se l’était offert avec une partie de

l’argent des indemnités qu’il venait de toucher

pour ses années d’emprisonnement, comme

déporté, au camp de concentration de Guben, à

la frontière polonaise. Ce fut d’abord un vélo de

course, mais après son mariage avec maman, il

en changea le guidon afin de permettre à sa

jeune épouse de s’assoir en amazone sur le

barreau supérieur du cadre. Il trimbala ainsi

régulièrement sa petite Laure chérie jusqu’à

Erneuville, un village tout près de Marche en

Famenne, en Ardenne profonde, où son frère

préféré, l’oncle Emile, exerçait le noble métier

d’instituteur. Papa éprouvait un besoin viscéral

de se ressourcer près de son frère aîné qui avait

lui-même passé les quatre années de guerre

dans les tranchées. Ensemble, les deux frères

allaient à la pêche et à la chasse en se

partageant leur vécu de ces rudes années, tandis

que leurs épouses, complices, se retrouvaient

avec délices.

 

 

 

Arriva une autre guerre, celle de quarante, et

quand la moto de papa fut réquisitionnée par les

allemands, le vieux vélo reprit du service. Papa

s’en servit pendant quatre ans pour parcourir les

douze kilomètres qui séparaient le village de

Chantemelle, où nous habitions alors, de son lieu

de travail à la gare de formation de Stockem.

Mais le déplacement professionnel n’était pas le

seul responsable du délabrement du vieux

vélo…Quand la famille retourna habiter notre

maison de Heinsch, maman fut fort étonnée de

trouver notre grenier rempli de marchandises que

notre père et ses copains avaient dérobées aux

allemands dans le but de les distribuer aux

habitants les plus nécessiteux du village..

 

 

En tant qu’employé à la S.N.C.F.B, papa

travaillait à la gare de formation des trains de

marchandises en partance pour l’Allemagne, la

France, la Suisse et l’Italie. Ses collègues, tout

comme lui-même, considéraient le vol de

marchandises aux allemands comme un acte de

résistance à l’ennemi, mais il fallait cibler les

wagons et agir pendant les nuits les plus noires.

C’est ainsi que papa Victor fut amené

régulièrement à surcharger au maximum son

bicycle pendant quatre ans sans jamais se faire

« prendre », mais le vélo, lui, avait pris un sacré

coup de vieux, seul le cadre, en acier bien

trempé, ne s’était pas affaissé !

 

 

 

En août 1947, lorsque mon grand frère Josy eut

besoin du vieux vélo pour se rendre au collège à

Arlon, papa fut effrayé par son délabrement et

décida de la remettre à neuf. Il partit pour la ville

avec son « gamin » et acheta, si possible

d’occasion, roues, jantes, pneus, pédales, chaine,

selle, freins, porte-bagages, guidon…Enfin, tout le

nécessaire pour remettre le vieux vélo en ordre

de marche avec un minimum de frais.

 

C’est ainsi que, petite fille de cinq ans, assise sur

le gazon de la pelouse, je suivis des yeux avec

intérêt toutes les étapes de la reconstruction du

vieil engin, regrettant de ne pouvoir y participer,

mais enchantée de voir la transformation

s’effectuer devant moi. Avec leur complicité

habituelle, se comprenant à demi-mot et

travaillant posément, papa et Josy mirent une

demi-journée pour contribuer à la résurrection du

vieux vélo qui se termina vers les six heures du

soir.

 

Quand ce fut chose faite, Josy, fou de joie devant

la merveille accomplie grâce à l’affection et les

compétences paternelle, sauta en selle pour faire

le tour de la maison, après quoi il déclara que le

vélo fonctionnait à merveille.

 

Il disparut ensuite dans la maison, en ressortit

avec un coussin sous le bras et je fus fort

étonnée de le voir plier le coussin en deux, puis

le fixer sur le porte-bagage à l’aide d’un grand

élastique, enfin je passai à l’état de stupéfaction

quand mon grand frère m’enleva dans ses bras

pour me déposer à califourchon sur le porte-

bagage capitonné par ses soins. A ce moment-là,

je réalisai que mon Josy, non content d’avoir la

délicatesse de prendre soin de mes fesses, me

remerciait de mon assistance à son activité de

mécanicien-vélo en m’emmenant « étrenner » sa

bécane rafistolée en faisant le tour du village. Le

bonheur qui m’envahit alors reste indescriptible :

je trônai comme une petite reine, le cœur empli

de béatitude, mes deux mains agrippant les

rebords de la selle, je regardai défiler les maisons

de notre petit village, envahie par une certitude

qui faisait de moi la plus heureuse petite fille au

monde : celle d’être aimée de mon grand frère

qui d’habitude ne me témoignait que de

l’indifférence.

 

Quand nous sommes rentrés, la nuit tombait et

Josy remisa le vélo dans le débarras. Ce soir-là,

maman me servit encore une assiettée de

semoule bien chaude, ensuite elle entreprit ma

toilette vespérale et je montai me coucher dans

mon petit lit, placé au pied de celui de Josy.

 

 

 

Le lendemain matin, vers les six heures, papa

entra dans notre chambre à coucher pour

réveiller Josy et je l’entendis déclarer qu’il avait

une mauvaise nouvelle pour lui. La nouvelle était

si terrible qu’elle avait du mal à sortir de la

bouche paternelle.

 

-« Mon garçon…pendant la nuit…figure toi…qu’on

a volé… ton vélo » !

 

En réponse, Josy sauta hors de son lit en

jubilant :

 

-« Joupie, comme ça tu vas m’en acheter un

nouveau » …

 

Ensuite, Josy réclama des explications :

 

-« Mais papa, comment ont-ils fait » ?

 

-« Oh ce n’était pas compliqué, on a cassé la

petite fenêtre de la porte de derrière, on a passé

la main et ouvert le verrou et on a sorti ton vélo,

mais en même temps on a pris les dix œufs que

maman avait mis de côté pour le déjeuner et ce

geste me fait penser que le voleur doit être un de

ces pauvres soldats croates enrôlés de force dans

l’armée allemande, arrivé ici par les aléas de la

guerre et qui essaye de rentrer chez lui. Il a dû

nous observer depuis le bois derrière la maison, il

a vu où tu as remisé le vélo et il est venu le

prendre car il a besoin d’un moyen de

locomotion. Les œufs qu’il a emmenés nous

donnent la preuve qu’il s’agit bien d’un

voyageur… ».

 

-« Alors, mon vélo va lui rendre un grand

service » !

 

-« Oui, un fier service, au fond je suis content

qu’il serve à un de ces malheureux égarés pour le

rapprocher de son foyer ».

 

Dans la matinée, nous avons appris que notre

voleur avait d’abord tenté de prendre le tandem

de nos voisins les plus proches, mais l’avait

abandonné dans leur jardin en constatant que

ses pneus étaient crevés, ce qui renforça la thèse

d’une personne ayant absolument besoin d’un

moyen de locomotion. D’autre part, tout le

monde savait que les allemands avaient

abandonné derrière eux des soldats slaves dont

ils ne parlaient pas la langue. Ces pauvres

ex-militaires « Malgré eux », louèrent leurs

services dans des fermes du pays afin de gagner

l’argent nécessaire pour le voyage de retour vers

leur lointaine patrie.

 

Dès lors papa et Josy commencèrent à évaluer le

parcours de notre « voleur » ; ils estimèrent à

une bonne vingtaine de jours le temps dont il

aurait besoin pour effectuer les quelques 1300

kilomètres qui le séparaient des Balkans, du

moins si tout se déroulait dans les meilleures

conditions. Ensuite, ils suivirent son voyage sur

les cartes de l’atlas afin de situer notre homme

dans l’espace, jour après jour…C’est ainsi que le

vieux vélo permit à toute la famille de voyager,

du moins en esprit, jusqu’en Croatie, mais

ignorant le point de chute de « Notre homme »

nous fûmes obligés de l’abandonner à la frontière

Slovène, en espérant qu’il arrive à bon port.

 

 

 

C’est ainsi que notre père nous donna une

excellente leçon d’humanité. Il nous apprit à ne

pas juger les personnes selon leurs actes, mais à

essayer de connaître les circonstances et les

motivations qui sont à l’origine de ces actes.

Cette démarche amène immanquablement à la

compréhension et au pardon d’actions

répréhensibles de prime-abord, mais

compréhensible après réflexion, car rien n’est

plus nocif à l’être humain que de nourrir en

lui-même des sentiments de haine, de colère et

de frustration. Malgré mon jeune âge, je compris

suffisamment, à mon niveau, ce que papa voulu

nous démontrer par son exemple ; il s’agissait du

lâcher prise, du partage des biens et du pardon

des offenses. Aujourd’hui je me rends bien mieux

compte de la grandeur d’âme de mon père pour

qui le vieux vélo était un trophée. Il signifiait en

effet la récompense de son héroïsme pendant la

grande guerre ainsi que le compagnon

indispensable de résistance à l’ennemi pendant la

seconde guerre ! Malgré cela et pour couronner le

tout, il s’est réjoui d’avoir pu lui offrir une

nouvelle carrière, loin de lui cette fois, mais pour

aider un « Malgré lui », victime d’une guerre qui

ne le concernait pas, à rejoindre ses foyers…

 

 

                                                                                           Cily_20.gif

 image_10.png



Commentaires (5)

Guimette le 10/12/2017
Bonjour,
Très joli texte histoire
Bisous


Nicole le 10/12/2017
Magnifique ce texte.
Bisous


Claire le 11/12/2017
Magnifique histoire. Merci du partage.
Bisous


Annick le 15/12/2017
Annick le 15/12/2017 Avec retard je découvre ce texte qui a retenu toute mon attention! Une jolie leçon de vie. Bravos et je ne peu que vous encourager à continuer à nous enthousiasmer de vos magnifiques récits. Gros bisous ma douce Cily


Anne-Marie le 18/12/2017
Magnifique texte, merci pour le partage. Bisous


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