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Date de création : 28.03.2020
Dernière mise à jour : 08.04.2024
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Averroès: Accord de la religion et de la philosophie

Publié le 13/04/2020 à 14:38 par abdelhaq-elmestari Tags : Averroès Foi Raison Philosophie
Averroès: Accord de la religion et de la philosophie

[...]  Que la Loi divine invite à une étude rationnelle et approfondie de l'univers, c'est ce qui apparaît clairement dans plus d'un verset du Livre de Dieu le Très-Haut lorsqu'il dit, par exemple: « Tirez enseignement de cela, ô vous qui êtes doués d'intelligence! »; c'est là une énonciation formelle montrant qu'il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel, ou rationnel et religieux à la fois. De même, lorsque le Très-Haut dit : « N'ont-ils pas réfléchi sur le royaume des cieux et de la terre et sur toutes les choses que Dieu a créées ? »  c'est là une énonciation formelle exhortant à la réflexion sur tout l'univers [...]

 


[...] Comme la réflexion consiste uniquement à tirer l'inconnu du connu, à l'en faire sortir, et que cela est le syllogisme, ou se fait par le syllogisme, c'est pour nous une obligation de nous appliquer à l'étude de l'univers par le syllogisme rationnel ; et il est évident que cette sorte d'étude, à laquelle la Loi divine invite et incite, prend la forme la plus parfaite quand elle se fait par la forme la plus parfaite du syllogisme, qui s'appelle démonstration.

 


Puisque la Loi divine incite à la connaissance, par la démonstration, du Dieu le Très-Haut et des êtres qu'il a créés, comme il est préférable , voire nécessaire , pour qui veut connaître par la démonstration Dieu le Très-Haut , et tous les autres êtres, de connaître préalablement les diverses espèces de démonstration et leurs conditions, en l'occurrence savoir en quoi le syllogisme démonstratif diffère du syllogisme dialectique, du syllogisme oratoire et du syllogisme sophistique ; et comme cela n'est pas possible si l'on ne sait préalablement ce qu'est le syllogisme en général, quel est le nombre de ses espèces, lesquelles sont des syllogismes concluants et lesquelles n'en sont point ; et comme cela aussi n'est pas possible à moins de connaître préalablement celles des parties du syllogisme qui viennent les premières - je veux dire les prémisses et leurs espèces ;  il est obligatoire pour le croyant, de par la Loi divine, dont l'ordre de spéculer sur les êtres doit être obéi, de connaître, avant d'aborder la spéculation, les choses qui sont pour la spéculation comme les instruments pour le travail.

 


De même que le jurisconsulte infère, de l'ordre d'étudier les dispositions légales, l'obligation de connaître les diverses espèces de déductions juridiques, lesquelles sont des syllogismes concluants  et lesquelles n'en sont pas, de même le métaphysicien doit inférer de l'ordre de spéculer sur les êtres l'obligation de connaître le syllogisme rationnel et ses espèces. Et à plus juste titre, si de cette parole du Très-Haut : « Tirez enseignement, ô vous qui êtes doués d'intelligence! », le jurisconsulte infère l'obligation de connaître le syllogisme juridique, à plus forte raison le métaphysicien en infèrera-t-il l'obligation de connaître le syllogisme rationnel.

 


On ne peut objecter que cette sorte de spéculation sur le syllogisme rationnel soit une innovation ou hérésie, qu'elle n'existait pas aux premiers temps de l'Islam, car la spéculation sur le syllogisme juridique et ses espèces, elle aussi, est une chose qui fut inaugurée postérieurement aux premiers temps de l'Islam, et on ne la considère pas comme une innovation ou hérésie. Nous devons avoir la même conviction quant à la spéculation sur le syllogisme rationnel [...]

 


Puisqu'il est établi qu'il est obligatoire de par la Loi divine de spéculer sur le syllogisme rationnel et ses espèces, comme il est obligatoire de spéculer sur le syllogisme juridique, il est clair que si nul avant nous n'avait entrepris déjà d'étudier le syllogisme rationnel et ses espèces, ce serait un devoir pour nous de commencer à l'étudier, et pour le chercheur suivant, de demander secours au précédent, jusqu'à ce que la connaissance en fût parfaite. De fait, il  serait difficile, ou même impossible, qu'un seul homme découvrit de lui-même et sans devancier tout ce qu'il faut savoir en pareille matière[...] Mais si quelqu'un avant nous s'est livré à de telles recherches, il est clair que c'est un devoir pour nous de nous aider dans notre étude de ce qu'ont dit, sur ce sujet, ceux qui l'ont étudié avant nous, qu'ils appartiennent ou non à la même religion que nous ; car l'instrument, grâce auquel est valide la purification , rend valide la purification à laquelle il sert, sans qu'on ait à examiner si cet instrument appartient où non à un de nos coreligionnaires : il suffit qu'il remplisse les conditions de validité. Par ceux qui ne sont pas nos coreligionnaires, j'entends les Anciens qui ont spéculé sur ces questions avant l'avènement de l'islam. Si donc il en est ainsi, et si tout ce qu'il faut savoir au sujet des syllogismes rationnels a été parfaitement étudié par les Anciens, il nous faut manier assidûment leurs livres, afin de voir ce qu'ils en ont dit. Si tout y est exact, nous l'accepterons ; s'il s'y trouve quelque chose d'inexact, nous le signalerons.

 


Quand nous aurons achevé ce genre d'étude et que nous aurons acquis les instruments grâce auxquels nous pourrons étudier les êtres et montrer l'art qu'ils manifestent- car celui qui ne connaît pas l'art ne connaît pas l'œuvre d'art, et celui qui ne connaît pas l'œuvre d'art ne connaît pas l'artisan - nous devrons entreprendre l'étude des êtres, dans l'ordre et de la façon que nous aura enseignés la théorie des syllogismes démonstratifs.

 


Il est clair, aussi, que nous n'atteindrons pleinement ce but, qui est la connaissance des êtres, qu'en les étudiant successivement l'un après l'autre, et à condition que le chercheur suivant demande secours au précédent, comme cela a lieu dans les sciences mathématiques. Supposons, par exemple, qu'à notre époque la connaissance de la géométrie fasse défaut, qu'il en soit de même de celle de l'astronomie, et qu'un homme veuille découvrir, à lui seul, les dimensions des corps célestes, leurs formes, et les distances des uns aux autres ; certes, il ne le pourrait pas : il ne pourrait connaître par exemple la grandeur du Soleil par rapport à la Terre, ni les dimensions des autres astres, fût-il le plus perspicace des hommes, sinon par une révélation ou quelque chose qui ressemble à la révélation.

 


[...] Si un homme voulait aujourd'hui, à lui seul, découvrir tous les arguments qu'ont trouvés les théoriciens des différentes écoles juridiques, à propos des questions controversées qui ont été objet de discussion entre eux, dans la majeure partie des pays de l'Islam, [...] il serait digne de moquerie ; car cela est impossible, outre que ce serait recommencer une besogne déjà faite. C'est là une chose évidente par elle-même, et vraie non seulement des sciences théoriques mais aussi des arts pratiques : car il n'y en a pas un qu'un homme puisse, à lui seul, créer de toutes pièces. Que dire par conséquent de la science des sciences et de l'art des arts, qui est la philosophie!

 


S'il en est ainsi, c'est un devoir pour nous, au cas où nous trouverions chez nos prédécesseurs parmi les peuples d'autrefois, une théorie réfléchie de l'univers, conforme aux conditions qu'exige la démonstration, d'examiner ce qu'ils en ont dit, ce qu'ils ont affirmé dans leurs livres. Ce qui sera conforme à la vérité, nous l'accepterons avec joie et avec reconnaissance ; ce qui ne  sera pas conforme à la vérité, nous le signalerons pour qu'on s'en garde, tout en les excusant.

 


Donc, cela est évident maintenant, l'étude des livres des Anciens est obligatoire de par la Loi divine, puisque leur dessein dans leurs livres est précisément le but que la Loi divine nous incite à atteindre ; et celui qui en interdit l'étude à quelqu'un qui y serait apte, c'est-à-dire à quelqu'un qui possède ces deux qualités réunies, en premier lieu la pénétration de l'esprit, en second lieu l'orthodoxie religieuse et une moralité supérieure, celui-là ferme aux gens la porte par laquelle la Loi divine les appelle à la connaissance de Dieu, c'est-à-dire la porte de la spéculation qui conduit à la connaissance véritable de Dieu. C'est là le comble de l'égarement et de l'éloignement du Dieu le Très-Haut.

 


AverroèsAccord de la religion et de la philosophie (ou Examen critique et solution de la question de l'accord entre la Loi religieuse et la Philosophie) Traduction de Léon GAUTHIER, Alger, 1905.