Il y avait cette jeune femme au supermarché, au rayon chocolat. Elle était avec sa fille, quatre ou cinq ans je dirais. Alors que je cherchais l'objet de ma dernière addiction en date – lait amandes et nougatine de Nestlé, I DIE -, son choix s'est porté sur deux tablettes de côte d'or noir. Tout en louchant ostensiblement sur celles au lait, tripotant l'une et la remettant à sa place.
"Maman, j'aime pas le chocolat noir, pourquoi t'achètes tout le temps du chocolat noir ?", lui a fait alors remarquer la petite. "Parce que c'est ce qu'il faut manger", lui a répondu sa mère, sans la moindre hésitation. Et d'égrener toute la liste d'arguments diététiquement corrects, sur pourquoi le chocolat noir "donne des muscles", "fait une belle silhouette" (on sentait qu'elle voulait éviter de prononcer le mot en G, surtout ne pas dire que le chocolat au lait fait grossir, mais tout faire pour l'expliquer quand même).
C'est simple, on aurait dit moi il y a trois ans.
La mère tiraillée entre ses propres goûts qui la portaient manifestement vers d'autres types de sucreries que celles mises dans son caddie et sa préoccupation number one: ne pas être la maman d'une grosse petite fille.
Laquelle, soit dit en passant ne présentait aucun signe avant coureur d'obésité.
Je me suis mordue la langue pour ne pas intervenir (non seulement je ne veux pas devenir l'une de ces dames embarrassantes dans les supermarchés qui s'adressent à tout le monde mais il se trouve que je prendrais sûrement assez mal qu'une inconnue – même blogueuse influente – vienne m'expliquer comment nourrir mes enfants). Je suis parvenue, donc, à ne pas mettre mon grain de sel dans la conversation qui durait, entre cette maman qui tentait de convaincre sa fille "qu'à force d'en manger elle apprécierait le chocolat noir" et une gamine finissant par lâcher dans un sanglot qu'elle n'aimait aucun des goûters que lui préparait sa maman tous les matins, "parce que y'a que des choses tristes dedans". De fait, le reste du chariot regorgeait de tous ces biscuits au son bio et autres compotes sans sucres ajoutés qui s'ils ne sont pas bons ont le mérite de rassurer les parents: on ne pourra pas leur reprocher d'avoir gavé leurs gosses.
Si je ne m'étais pas censurée, j'aurais dit à cette jeune femme que chocolat au lait, blanc et noir ont exactement la même teneur en calories. Que personne n'a démontré que le noir "fait des muscles" pendant que celui au lait donne de la cellulite. Que mieux vaut très certainement deux carrés d'un chocolat au lait apprécié qu'une barre entière d'un autre mangée sans plaisir. Que quand on y pense, c'est tout de même bizarre d'en arriver à dire qu'il "faut manger" du chocolat, fusse-t-il noir.
Qu'il y avait de fortes chances que sa fille, frustrée par cet interdit, mendie à l'heure du goûter des kinder pingui ou autres saloperies très dangereuses pour les muscles et ne les en apprécie que plus, vu qu'à la maison toute production Ferrero est considérée comme un dérivé de drogue dure.
Qu'on ne se méprenne pas, il n'y a aucun jugement de ma part dans cette histoire, je n'ai pas la clé de ce que les mères doivent faire pour éduquer leurs enfants et encore moins sur ce point très précis de l'alimentation. Je ne suis pas non plus en train de dire que les gens qui mangent du chocolat noir sont tous de gros frustrés du nutella. Personnellement je préfère le lait mais ma fille ainée ne jure que par le 70% de cacao. Mais autant je trouve ça bien de faire goûter d'un peu de tout aux enfants, autant je suis convaincue que ce n'est pas en décidant à leur place de ce qui est bon pour eux – même s'ils trouvent ça dégueu – qu'on va les inciter à aimer ça.
Personne n'a envie d'avoir des enfants "trop" gros. Mais il serait bon parfois de se demander réellement pourquoi on veut tant qu'ils soient filiformes. Si ce n'est pour réparer une blessure narcissique quelle qu'elle soit (il ne faut pas croire il n'y a pas que les femmes étant ou ayant été rondes qui vivent dans la terreur que leurs enfants soient gros, la blessure narcissique peut être d'ordre physique mais pas que). J'essaie, tous les jours, de lutter contre cette tentation de faire de mes enfants un prolongement de moi même. De ne pas leur faire porter le poids de mes échecs en tel ou tel domaine et de leur faire comprendre que quel que soit leur tour de taille futur, je les aimerai pareil.
Vous savez quoi ? Je n'y arrive pas tous les jours.