Athlétisme | Armand Duplantis sur 100 m contre Karsten Warholm : histoire d'un fantasme

De loin, c'est une drôle d'exhibition dont le but est de surfer sur des JO éclatants pour l'un, et plus que corrects pour l'autre. De près, le défi que se sont lancés Armand Duplantis et Karsten Warholm, à savoir une confrontation sur 100 m, est bien plus que cela. Le recordman du saut à la perche et son pendant sur le 400 m haies sont des hommes de défis. Ils ont aussi beaucoup d'ego.

Pour eux, une confrontation sur l'épreuve reine de l'athlétisme découlerait presque d'une suite logique. Chez Duplantis, il y a bien longtemps que l'idée fait son chemin. Il y a près de deux ans, alors qu'il venait de battre son propre record du monde du saut à la perche à trois reprises en l'espace de quelques mois, "Mondo" avait été challengé, en conférence de presse du meeting de Bruxelles, par celle qui était alors la reine du 100 m, Shelly-Ann Fraser-Pryce.

"Quel chrono penses-tu être capable de faire sur 100 m... contre moi ?", avait alors interrogé la Jamaïcaine, micro en main, devant des journalistes particulièrement intéressés. "Contre toi ?", avait d'abord répondu le Suédois, comme pour se donner le temps de réfléchir. Puis il avait très vite lâché : "Je te battrais." Avec le sourire, certes. Mais aussi avec une forme de conviction. Très vite, la discussion avait fini par devenir beaucoup plus sérieuse : "Très bien, alors explique-nous comment le sprint et le saut à la perche fonctionnent, avait insisté Fraser-Pryce. Car je ne te vois pas beaucoup travailler sur le sprint.
- Comment sais-tu ce que je fais ?, interrogeait Duplantis.
- Je le sais parce que je vois ce que vous faites au saut. Vous faites 20 mètres... ou 10 mètres d'élan ?
- 45 mètres.
- 45, tu es sûr ?
- Heu oui, je dois quand même être sûr des courses que je fais ! J'ai couru sur 100 mètres il y a quelque temps au lycée, en 2018.
- C'était donc il y a cinq ans.
- Et je suis beaucoup plus rapide qu'il y a cinq ans !
- Tu veux parier ?
- Je suis prêt à parier beaucoup."

Les deux stars de l'athlétisme mondiales avaient bouclé leur discussion en se serrant la main pour conclure le marché.

Deux mois plus tôt, Shelly-Ann Fraser-Pryce avait décroché son cinquième titre de championne du monde sur la distance en 10"67. Derrière son record personnel (10"60) réalisé un an plus tôt. Mais aussi derrière la performance à laquelle avait fait référence "Mondo" lors de leur discussion, un 10"57 réalisé lors d'une compétition avec son école de Louisiane, en 2018.

C'est probablement la raison pour laquelle le meilleur perchiste du monde était si sûr de lui. C'est aussi pour cela que le sujet est revenu sur la table, un an plus tard, après la diffusion sur les réseaux sociaux d'une discussion à ce sujet entre Duplantis et... Karsten Warholm. "Celui-ci paraît plus probable, confiait alors le Suédois en conférence de presse, toujours dans le cadre de la Ligue de Diamant. C'est quelque chose que j'aimerais faire. Je voudrais voir où j'en suis. J'ai le sentiment de m'entraîner suffisamment au sprint et ce serait juste fun de voir où j'en suis réellement. Et je crois que Karsten en a envie aussi."

"Je suis un peu partagé à ce sujet, avait immédiatement répondu Warholm. Les gens pensent probablement que je peux courir super vite. Mais je ne pense pas pouvoir afficher le chiffre "9" au chrono [c'est-à-dire courir sous les dix secondes, NDLR]. [...] On doit juste trouver le bon moment, car il n'est pas question de se faire les ligaments avant les Jeux Olympiques. Mais on ne va pas abandonner cette idée. Nous ne sommes pas du genre à éviter la compétition."

Relancé par une boutade de Duplantis, Warholm avait ensuite mis une première pièce dans la machine : "Je pense que tu ne m'aurais pas challengé si tu ne te sentais pas en mesure de me battre. Et je n'aurais pas accepté le challenge si je pensais te mettre dans l'embarras." La dernière performance "connue" du Norvégien sur 100 mètres, un très bon 10"49, remonte à 2017.

Présent à leurs côtés lors de cet échange, Noah Lyles, par ailleurs très proche de Duplantis, avait toutefois préféré "miser son argent" sur Warholm, car il avait déjà vu le Norvégien "utiliser des starting-blocks", et pas le Suédois. Un an plus tard, Duplantis a décroché une nouvelle médaille d'or aux Jeux Olympiques de Paris 2024 et Warholm, une breloque en argent sur 400 haies. Le grand rendez-vous est désormais derrière eux. Il est maintenant temps de s'avancer vers leur petit défi...