Art brut et art singulier à l'encan (24/10/2010)
Je ne vais que fort rarement aux ventes aux enchères. Une question avant tout d'habitude, bien sûr. Je ne connais pas trop les moeurs de la peuplade qui séjourne dans ces lieux. J'ai toujours peur en particulier qu'en me frottant par mégarde l'aile du nez, je me retrouve acquéreur de quelque horrible rossignol. Mais bon, je consulte les catalogues quelquefois, comme celui de la vente chez Tajan, rue des Mathurins dans le VIIIe arrondissement, qui aura lieu demain à Paris. C'est l'occasion de voir défiler de belles images (1), et parfois de belles découvertes, même chez des créateurs aussi connus que Chaissac par exemple (2). On peut également bien entendu découvrir à ces occasions de nouveaux venus non encore repérés (3). Tout en se confirmant par devers soi à quel point vieillissent mal certaines fausses valeurs (Jean-Pierre Nadau, Chomo, par exemple souffrent du voisinage avec les autres oeuvres proposées ; c'est parfois inhérent à l'aspect de bazar que prennent parfois les ventes aux enchères).
(1). Alexandre Lobanov, sans titre, aquarelle, encre et crayons de couleur sur papier, extrait du catalogue de la vente chez Tajan, 25 octobre 2010
(3). Baudoin Fierens, sans titre, stylo bille sur papier, catalogue de la vente Tajan ("provenance" Art et Marges, Bruxelles)
(2), Gaston Chaissac, composition aux personnages, collage et encre sur papier, 18,5 x 13,5 cm, catalogue de la vente Tajan
Et l'on peut aussi avoir la surprise de découvrir des oeuvres annoncées "en provenance de" l'association ABCD, et non des moindres, comme ce magnifique dessin de Jaime Fernandes, dont on se demande pourquoi ABCD aurait songé à s'en défaire (ou pourquoi il ne l'a pas acquis)... Est-ce le début de la grande dispersion? Sur le site de l'association, nulle information à ce sujet heureusement. Au point qu'on se demande s'il n'y aurait pas quelque erreur du côté des rédacteurs du catalogue de la vente Tajan. (Voir cependant le commentaire de "Lem" au bas de cette note qui semble indiquer qu'il pourrait s'agir d'oeuvres ayant été vendues lors d'expositions à la galerie ABCD de Montreuil)
Jaime Fernandes (1899-1968), Personnage, stylo à bille sur carton, 32 x 25 cm, catalogue de la vente Tajan, " provenance collection ABCD"
De même, autre sujet d'étonnement, deux oeuvres de Noël Fillaudeau, une valeur sûre de l'art singulier (ce continent en marge de l'art brut, ce surréalisme inconscient et inachevé...), sont également à vendre, en "provenance"... du Musée de la Création Franche ! Je croyais ce dernier pourtant en train de bâtir une collection en évitant d'en perdre la moindre brique. Le fondateur de cette dernière collection, sollicité par moi, m'a aimablement fait savoir que cette information concernant cette problématique "provenance" des deux Fillaudeau était tout bonnement fausse! La collection de la Création Franche est par principe "invendable et incessible". Cette formule "en provenance" est bien confusionnelle, je trouve, et peut créer des inquiétudes chez ceux qui ont fait des donations aux collections mentionnées, par exemple...
Noël Fillaudeau, sans titre, gouache sur papier (en réalité, cette oeuvre semble faire partie de la série dite des "Métamorphoses" dans laquelle Fillaudeau peignait en "modifiant" des reproductions photographiques de magazines et autres), catalogue de la vente Tajan, donc pas en "provenance" du musée de la Création Franche
15:38 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : tajan, ventes aux enchères, art brut, neuve invention, création franche, chaissac, noël fillaudeau, art et marges, abcd, lobanov, baudoins fierens, yassir amazine, jaime fernandes | Imprimer
Commentaires
Bonjour Bruno, je n'ai pas compris cette phrase :
"Tout en se confirmant par devers soi à quel point vieillissent mal certaines fausses valeurs (Jean-Pierre Nadau, Chomo, par exemple souffrent du voisinage avec les autres oeuvres proposées "
tu considères Chomo comme une fausse valeur ?
(je ne connais pas JP Nadau)
Écrit par : Cosmo | 25/10/2010
Je peux donner en disant cela l'impression de brûler ce que j'ai adoré, mais après avoir attendu une possible révélation de l'expo Chomo à la Halle Saint-Pierre récemment, j'ai bien été obligé de conclure que soit cette expo était un fabuleux ratage (je pense qu'il y a un peu de ça, quelle idée d'exposer toutes ces toiles "psychédéliques" assez lamentables, en particulier, et d'avoir séparé les rares bois brûlés qui, chez Chomo, dans son "Sanctuaire des bois Brûlés", se renforçaient les uns les autres quand ils étaient présentés ensemble ; les pièces de cette série étaient elles aussi très peu surprenantes, très datées), soit il s'avérait que Chomo finalement avait davantage valu par l'environnement total qu'il avait créé, ainsi que par son comportement de gourou foutraque et légèrement bouffon (parfois cruel), que par ses oeuvres artistiques elles-mêmes.
J'en avais pourtant vu ici et là, au hasard de visites chez les rares collectionneurs qui pouvaient en avoir, qui pouvaient être pleines de surprises. Mais là, à la Halle Saint-Pierre, quelle descente en flammes de mon admiration!
Je le trouve daté, te dis-je, ses oeuvres sentent terriblement la peinture et la sculpture des années 60, puis 70. C'est paradoxal pour quelq'un qui faisait profession de se tenir loin des grandes têtes couronnées de la culture de son temps. Il démarquait les oeuvres de l'époque, et en plus mauvais!
En 1983, quand je suis allé le visiter, c'était au début de ma recherche des inspirés du bord des routes. Je suis allé aussi chez Robert Tatin (qui était en train d'agoniser à l'hôpital). Je l'ai trouvé un peu trop apprêté, ce dernier. Le temps passant et au fur et à mesure que je découvrais des créateurs d'environnements plus authentiquement inspirés comme Fouré, Cheval, Picassiette et autres créateurs issus du peuple des artistes non cabotins, ces premiers environnements à la Chomo, à la Tatin (que je trouve plus intéressant que Chomo cela dit) me parurent moins sincères, moins inspirés, par comparaison. Or c'est toujours les inspirés populaires que les amateurs d'art généralement considèrent secondairement, préférant flasher sur les Chomo, les Tatin, les Linard, les Warminski, etc., parce qu'ils sont plus conformes au modèle des "artistes" sans doute, avec tout le folklore bohème à la con (Claude Arz en particulier a fait à ces derniers beaucoup trop de place dans ses malheureux guides de chez Hachette).
Écrit par : Le sciapode | 25/10/2010
Bravo pour ce superbe ramassis de conneries ...
Écrit par : Jean-Pierre Nadau | 26/10/2010
Petite précision :
Lorsque dans un catalogue de vente il est indiqué "en provenance de" il s'agit de l'endroit où l'œuvre à été achetée par la personne qui la vend. Dans le cas cité, un collectionneur a, par exemple, acheté le dessin lors d'une exposition temporaire de la Création Franche et la revend chez Tajan quelques années après, c'est tout à fait probable.
De la même manière, lorsqu'il est indiqué "directement auprès de l’artiste", ce n'est pas l'artiste qui vend l'œuvre mais quelqu'un qui l'a acheté directement à l'artiste.
Écrit par : Lem | 26/10/2010
Merci de vos précisions pour le béotien de salle des ventes que je suis. Mais... Je crois savoir que la maison Tajan avait promis de faire précéder la vente des Fillaudeau d'une mention rectificatrice sur la "provenance" supposée du "musée de la Création franche", reconnaissant ainsi l'ambiguïté de leur formulation. Je vous ferai remarquer que lorsqu'on achète dans les locaux du musée, c'est dans le cadre de la structure dite de la "galerie Imago".
Écrit par : Le sciapode | 26/10/2010
Le dessin de CHAISSAC fait penser à un exercice d'école de simulacre. Sacré Tajan !
Écrit par : bx | 27/10/2010
Pourriez-vous juste préciser ce que vous voulez dire par là, pour nous qui sommes dans l'ignorance de votre regard d'aigle?
Est-ce un exercice d'école dans l'art de la fumisterie (ou de la copie ; et dans ce cas, une copie de Chaissac, un faux?) selon vous? Ou bien est-ce une tentative, une sorte de répétition d'entraînement, un exercice, pour une école de copie, de singerie, et de quel(s) modèle(s)?
En ce qui me concerne, je considère cette oeuvre de Chaissac comme une de ses plus belles.
Écrit par : Le sciapode | 27/10/2010
Vos remarques sont hélas assez justes pour ce qui concerne la fin de la comète de l'art brut et de ses avatars. Les étiquettes ont la vie dure, malheureusement pas les oeuvres ! Je partage votre point de vue sur Chomo qui vieillit assez mal et semble devenir un second produit dans le marché de l'art apparenté à l'art brut. Cet art, puisqu'il faut le dénommer ainsi devient un stock presque inépuisable pour marchand d'art du second voire du troisième marché... Et ça marche !
A Bègles comme ailleurs, vous le savez bien, le choix ne fut pas toujours opéré avec la rigueur nécessaire ... Reste un véritable capharnaüm pour lequel personne ne donnera de la voix !Jeune internaute (2 mois), je consulte vos rubriques toujours avec plaisir ! Mon site (récent)vous dira quelque chose, je suppose. A bientôt sur le web !
Écrit par : versubtil | 29/10/2010
"Personne ne donnera de la voix"! Il ne tient qu'à vous. En ce qui me concerne, je ne compte pas m'en priver. Résistance! (Ca dure depuis déjà un certain temps...)
Une remarque supplémentaire sur votre pseudo, "ver subtil" venu du blog (un peu ésotérique) "Versus anima". "Subtil" sans le poignard et "anima" sans le vagula, ça nous rappelle quelles sont vos lectures sur le web. Faire la synthèse des deux en une seule voix est un pari risqué, pour tout dire légèrement schizophrénique...
Écrit par : Le sciapode | 30/10/2010
Figurez-vous que je n'avais pas du tout pensé à vos conclusions en prenant ces pseudos et je ne suis sur le web que depuis début septembre.
Je n'entre pour ma part dans aucun combat, menant mon chemin en dehors, mais toujours curieux des multiples pratiques artistiques. Je suis du genre solitaire et les bandes ou les groupes ne m'ont jamais intéressé. Votre énergie d'ailleurs m'épate et je ne connais pas toutes les arcanes du web. Versubtil je l'ai trouvé dans un de mes poèmes dans lequel j'écrivais vert subtil... J'ai contracté les deux mots, voilà l'histoire ! Il est quelquefois des rapports de hasard et d'union libre qui font peut-être parler l'inconscient ! J'espère apprendre beaucoup sur votre blog et en tout cas vous avez ma sympathie.
Écrit par : versubtil | 30/10/2010
Je souhaite également souligner que la formule "oeuvres provenant de art & marges" à propos des oeuvres de Yassir Amazine, Baudouin Fierens, Tony Convey, Gunther Deix, Fabienne Gilson imprimée dans le catalogue de vente Tajan est plus que maladroite !
Outre le fait que le musée ne met pas d'oeuvres de sa collection en vente, cette maladresse peut nous causer un grave préjudice auprès de nos pouvoirs subsidiants dès lors que nous ne vendons pas d'oeuvres, notre statut de musée oblige. Il faut aussi souligner que toutes les oeuvres de la collection nous ont été offertes par les artistes et qu'elles nous sont très précieuses !
Carine Fol
Écrit par : Carine Fol | 01/11/2010
Bienvenue à vous, Mme Fol,
Vous qui me confirmez que vous aussi vous trouvez l'expression tajanesque légèrement confusionnelle, même si elle veut dire autre chose que ce qu'elle dit littéralement.
Écrit par : Le sciapode | 01/11/2010
Arrivés à ce stade, vous dvriez, me semble-t-il, rédiger une protestation commune à l'égard de cette officine de vente.
Écrit par : Régis Gayraud | 02/11/2010