Voici un petit bol à thé (le chaînon manquant entre le guinomi et le chawan question gabarit) de Krists Ozoliņš. Ça fait maintenant plusieurs mois que je suis avec attention ce que publie ce potier, que ce soit sur
son site, sa
page facebook ou sa
boutique Etsy.
Et ce qui devait arriver arriva : je me suis laissé tenter par ce bol à thé (légendé
"For minimal individualists, I guess"... ça ne s'invente pas). A vrai dire il ne fabrique pas beaucoup de "petites" pièces ; j'aime beaucoup ses gobelets ("tumblers") mais ils sont beaucoup trop imposants pour moi, pour ma façon de boire le thé... c'est la raison pour laquelle je me suis précipité sur ce petit bol dont les mensurations me semblaient parfaites : 5,5 cm de hauteur et 8,5 cm de large pour 130ml.
Photo Krists Ozoliņš
Krists est un potier Letton, installé au nord de Rīga, tout près de
Vidriži. J'aime beaucoup son approche très naturelle de la poterie. Je vous laisse faire connaissance avec lui via
sa présentation sur son site. Le petit texte d'introduction sur son Etsy shop est assez également parlant je trouve, et peut nous aider à cerner le personnage :
Less is more
Actually, I'm trying to remind people that the Earth is pretty nice place to hang out. All started with my urge for living in close relation to it, and pottery is just perfect form for it. And it's natural for people to share their passion, right ? Here it is - shop where You can meet Krists' evidence of exploring the Earth. The simple way - just hands, clay and wood-fire. Less is more !
Les poteries de Krists me font penser (peut-être à tort d'ailleurs, je ne suis pas spécialiste) à la poterie des premiers hommes : un matériau naturel, brut, sain, des pièces montées à la main (pas tournées quoi) au colombin, un four minimaliste... Krists polit ensuite ses pièces avec une pierre ou de la laine.
Il va chercher son argile lui-même dans le
Parc national de Rāzna (une argile très pure, qui doit sa présence ici à la fonte des glaciers) et fait ses cuissons dans un four à bois traditionnel. Je vous laisse parcourir son site, il contient plusieurs photos de cuissons et de son four.
Dans mon imaginaire, Krists a presque renoué avec les méthodes de cuisson du néolithique, mais pour de vrai il a quand même un beau petit four en brique qui lui permet de cuire en réduction (comme mon petit bol par exemple), ce qui est impossible dans un feu ouvert (arrêtez-moi si je dis des bêtises hein). Pourtant ses pièces ont quelque chose de vraiment "naturel", et son approche l'est aussi. Regardez-le par exemple monter un gobelet
sur cette vidéo ... existe-t-il une manière plus simple et plus naturelle de faire de la poterie ?
Four "fosse"
Son four est un peu basé sur le principe du four "fosse", qui dans sa version la plus basique consiste à faire un trou dans le sol, à y disposer les pièces à cuire, les recouvrir de (beaucoup de) bois et à y mettre le feu. Le problème de ce type de cuisson (préhistorique pour le coup) est qu'elle occasionne au moins 50% de perte, car les pièces sont exposées aux vents (et donc aux variations de température), aux chocs...
Son four se rapproche plutôt d'un four "romain" :
Krists a construit le sien en briques de manière à le rendre très adaptatif : il n'utilise pas de mortier pour la construction, les briques sont seulement recouvertes de terre et parfois maintenues par une chaîne. Cela lui permet d'adapter la taille du four au nombre de pièces à cuire. Généralement 10 rangées de briques pour le "laboratoire" (cf. schéma ci-dessus) lui suffisent, mais pour une grosse cuisson il peut facilement rajouter 10 rangées supplémentaires.
Photo Krists Ozoliņš
Le compartiment où sont placées les pièces à cuire est relativement petit (voire très petit par rapport aux fours traditionnels lettons) : il fait approximativement 60x50cm pour une hauteur de 75cm, ce qui correspond à approximativement 100 pièces à cuire. Etant donné que les pièces qu'il produit sont très longues à monter (beaucoup plus longues qu'une pièce tournée sur un tour de potier), c'est largement suffisant pour lui.
Il cuit généralement en réduction, c'est la façon traditionnelle de cuire au bois en Lettonie. Toutes les pièces archéologiques retrouvées dans sa région étaient des pièces cuites en réduction. Sans doute pour des considérations esthétiques (dégradés de noirs et de bruns), mais aussi pour des raisons de sûreté alimentaire, la réduction étant à priori plus à même de produire des pièces "food-safe" qu'une cuisson en oxydation. Il prévoit de faire un peu moins de réduction dans le futur car il souhaite développer un émail totalement naturel sur la base de matériaux trouvés sur place, ce qui impliquerait une modification du procédé de cuisson.
Une cuisson dure environ 12 heures : 7 heures de chauffe à température assez stable, puis 5 heures avec des montées en température plus ou moins agressives jusqu'à 1050 / 1150°C.
Photo Krists Ozoliņš
Je reviens plus en détail sur la phase de polissage : celle-ci se fait en utilisant de la laine pour l'intérieur des pièces, et une pierre pour l'extérieur. Ce polissage doit intervenir à un moment bien précis : il faut que la pièce - non cuite évidemment - soit sèche mais pas trop. Ça revient finalement à comprimer la couche supérieur de l'argile (précisons au passage que c'est une opération très longue). Ci-dessous, les photos que Krists m'a envoyées pour illustrer tout ça.
En haut : l'intérieur, avant et après polissage à la laine.
En bas : l'extérieur, avant et après polissage à la pierre.
Photo Krists Ozoliņš
Autre détail un peu particulier dans le processus de fabrication, c'est la couche protectrice de cire d'abeille qui est apposée immédiatement après la cuisson. L'argile est par nature très poreuse, et dans le cas de céramiques non émaillées comme celles-ci, c'est un véritable paradis pour les bactéries et autres micro-organismes. C'est potentiellement mauvais pour la santé, mais ça peut également à terme abîmer la surface de la pièce. Pour remédier à cela, dès la fin de la cuisson, lorsque la pièce est encore chaude et stérile, de la cire d'abeille fondue est appliquée à la surface de la pièce. La cire s'infiltre ainsi profondément dans les pores de l'argile, ce qui lui assure une excellente tenue, même après lavages. C'est une méthode très ancienne, utilisée par exemple en Grèce antique ; c'est sans doute en partie grâce à cette cire d'abeille que nous avons encore aujourd'hui ces pièces dans nos musées... Tous les fragments de poterie ancienne mis à jour en Lettonie étaient également protégés avec cette méthode (dixit Krists).
Le polissage à la pierre (ou avec le dos d'une petite cuillère par exemple) et l'utilisation de cire sont des technique encore employées aujourd'hui sur les poteries non émaillées. En voici quelques exemples, tirés du site
http://ceramique.poterie.free.fr/ :
Voilà, vous savez tout ; je suis à présent l'heureux propriétaire d'un petit bol à thé de Krists Ozoliņš, mais pas seulement. D'après lui je suis aussi - et surtout ? - propriétaire d'un petit bout de nature et de tradition des pays baltes. Je me suis également permis, au passage, d'emprunter à Krists un peu de son choix de vie, de son retour à la nature, de son approche de la céramique, sans oublier un gros morceau de ses grands espaces car il n'en manque pas, contrairement à moi.
Photo Krists Ozoliņš
Merci !