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03/01/2014

TEXTE DE FRANÇOIS BONNEAU - PRIÈRE À L'ÉPLUCHE-LÉGUME - VASES COMMUNICANTS - JANVIER 2014




Par la fenêtre de son bureau gris, le végétal lui parlait. Par bribes, par courants d’air : une tentative indéniable de dialogue. Ça n’était pas une première. Tant de bourgeons et de feuilles mortes pour autant de signaux. Tant de mouvements de branches.

Mais cette fois, décidé, il aurait le cran de lui répondre, à ce végétal touffu. De se faire enfin comprendre, sans animosité. Mais pour espérer l’égal à égal avec l’être de sève, il faudrait du nu à nu. L’arbre, en face, avait déjà rempli ce contrat. Pas lui. Hors de question de s’adresser aux branches, aux nids, sans une vraie de vraie nudité. 

Car il lui fallait la nudité sincère. Ce qui ne voulait pas dire apparaître, vulgairement, sans le moindre vêtement. Non. Dévêtu, il se sentait encore bien trop couvert. Et sans vraie blancheur, rien n’était possible. Mais il n’était pas vraiment blanc, ni noir, juste humain comme un benêt. 

Enfin, qu’on la voit donc, cette pauvre peau : veinée, tachée, striée de poils hirsutes et de grains de beauté, pas même capables d’offrir une vraie constellation. Il n’aurait, c’est certain, aucun dialogue à ce prix. L’immaculé ou rien, clama t-il, pour amorcer le dialogue. Un tremblement infime parcourait ses omoplates, jusqu’au bout des phalanges. Il ouvrit les tiroirs, maladivement, en sortit un couteau éplucheur. Et il commença son office, par le bras gauche. Il se débarrassa de son superflu, c’est à dire de lui-même. Il s’éplucha sans hurler, croyant se végétaliser, écorchant son être, espérant des racines qui ne pousseraient pas. Enfin, mains jointes et privé de toute sève, il envia l’arbre haut qui ne put rien pour lui. 

De loin, à ses pieds, on aurait pris un morceau de chair sèche, sur l’épluche-légumes désormais ravagé, pour un bout d’écorce tendre.

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Commencer l'année à reculons. à tâtons, comme pour retenir 2013 entre nos mots. François Bonneau m'offre un peu tardivement un texte à écouter et lire : "Prière à l'épluche-légume".
Il s'agit de notre deuxième échange et je suis heureuse de renouveler à ses côtés l'expérience des vases communicants.


Vendredi 3 janvier, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants est également dressée par Brigitte Célérier, à retrouver et parcourir ici




06/12/2013

TEXTE DE BRIGITTE CÉLÉRIER - COUPES CLAIRES - VASES COMMUNICANTS - DÉCEMBRE 2013




coupes claires pour le champagne
effervescence, nez qui pique, yeux qui brillent, soutenir le désir de joie
coupes claires
dans le bois, une clairière pour que nous dansions, et il y aurait des violons, des robes claires devant les feuillages sombres, une grande table sur des tréteaux, des chandeliers et des torches dans la nuit,
et des coupes claires pour le champagne
mais
coupes claires dans notre budget, nous ne pourrons
coupes claires dans nos rangs, nous dépérirons, 
oui, et coupes claires de ces miens mots maladroits, je veux n'y pas penser
moi je veux défendre les arbres, les budgets flasques, les longues phrases sinueuses et sensuelles.

j'efface, je recommence

nous coupons, nous attachons les branches, nous frayons passage, comme un tunnel, dans la masse, la forêt touffue et sombre, les asservissements, les soucis, les règles imposées que ne pouvons combattre, les taillis et les noirs conifères, cognent les haches, vibrent les scies, roulent les troncs, brûlent les feuilles, on traîne les souches, le ciel nous vient, l'azur et les nuages, la lumière descend et baigne le sol.

ce serait un jardin de merveilles comme les clos fleuris des tapisseries, et, s'ils le veulent, viendraient la licorne et la dame, les petits lapins, les paons, des fanions et des sabots, des joueurs de flûtes-à-bec, de bidons, de clarinettes ou de luth et des vielleux, il y aurait des conteurs et des poètes, des petites niches de silence creusées dans le couvert autour de la clairière, des jonchées de feuilles sous les branches.
il y aurait des pâquerettes et des églantines, du lierre pour faire des guirlandes, des oiseaux bleus et jaunes, comme sur la faïence,
il y aurait, je ne saurais dire comment, un bassin de marbre veiné de rose, une margelle de granit et une source si fraîche qu'une claire douleur percerait le front, entre les sourcils, des buveurs trop avides
il y aurait concorde sans ennui,
il y aurait l'impossible.

Texte et image de Brigitte Célérier



Ce mois-ci, nous coupons clair avec Brigitte Célérier. Coupes claires, loin des affaires budgétaires, et occasion de s'aérer à ses côtés dans une épaisse forêt qui ouvre sur un jardin rêvé. Grand plaisir que d'échanger avec elle, elle qui doute tant, tout au moins autant que moi. Douceur de se retrouver simplement et de couper quelques branches ensemble.
Mon texte chez elle : 
http://brigetoun.blogspot.fr/2013/12/coupons-clair-vases-communicants-de.html?spref=tw

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Vendredi 6 décembre, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants est également dressée par Brigitte Célérier avec qui j'échange ce moi-ci, est à retrouver et parcourir ici

31/10/2013

TEXTE DE GILLES PIAZO - VASES COMMUNICANTS - NOVEMBRE 2013

Tu as voulu penser.
Te mettre à l’abri de la croyance. Refusant de vivre dans cet asile de l’ignorance ; de te contenter des ombres sur le mur de la Caverne ; de vivre les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir ; et que sais-je encore. A chaque école son adage, sa litanie.
Ta vie durant tu as fourni l’effort. Eté dans une quête quotidienne, minutieuse, parfois laborieuse et obsessionnelle, de l’énergie nécessaire à l’explication rationnelle de ce satané réel comme un gigantesque mur pourtant continuellement dressé devant toi. Avec tous ces pans obscurs que tu ne voulais pas vraiment voir - tu t’en rends compte aujourd’hui ; reconnaître pour ce qu’ils étaient.
Jamais tu n’as abdiqué ; baissé la garde; accepté d’en subir simplement les conséquences. De plein fouet et sans le secours de ce que tu pensais être la Pensée.
Tu en as fait un devoir. Un impératif catégorique.
Tu as pensé penser.
Même si maintenant tu hésites, finalement. Tu ne sais.
Car peut-être l’as-tu seulement cru finalement : avoir pensé.
Peut-être, à l’aube du dernier jour et alors que la faucheuse se met doucement à ricaner, te rends-tu réellement compte de la dose de croyance qui se logeait en creux dans chacun de tes raisonnements ; des prémisses imaginaires qui y présidaient ; de tous ces choix arbitraires que tu as fait dans le dos des concepts, des idées.
Peut-être, à l’aube du dernier jour seulement, comprends-tu alors que penser, ce n’est peut-être pas renoncer aux croyances tous comptes faits, mais être capable de les organiser ; les cimenter toutes ensembles ; les enserrer de fils logiques comme pour faire des paupiettes.
Que penser, c’est rendre ses croyances compactes ; explicites ; dicibles ; simplement acceptables pour les autres et pour toi-même.

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Gilles Piazo vient de passer l'été avec Spinoza, à peine est-il rentré de cette aventure philosophique que je lui propose de nous attaquer, tout au moins comme piste de réflexion, à une citation de Gaston Bachelard "Le réel n'est jamais "ce qu'on pourrait croire" mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser", croisée à l'occasion de la lecture de l'ouvrage de Stéphane Vial L'être et l'écran - Comment le numérique change la perception. 
Epaisse proposition avec laquelle j'ai craint de ne l'avoir définitivement assommé, or Gilles n'a pas battu en retraite et s'est au contraire emparé du sujet que je me suis contentée d'aborder de façon plus transversale de mon côté.

On peut retrouver et lire Gilles Piazo sur son blog commeunratfaitsonterrier ou encore chez numeriklire.net



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Quant aux vases communicants... 

Vendredi 1er novembre, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants, dressée par Brigitte Célérier, est à retrouver et parcourir ici












04/10/2013

TEXTE DE MICHEL BROSSEAU - IL DIT - VASES COMMUNICANTS - OCTOBRE 2013


Mon père a peut-être été surpris de me découvrir intact et bienveillant de l'autre côté de la table.
Pierre Bergounioux, L'Orphelin 


Il dit : « Ça n'aurait pas été si long de suivre le fil, remonter méthodique jusqu'au point d'origine. » Il dit : « On n'a pas osé : trop de peur en nous. » Il dit : « Tellement de trucs qu'on n'a pas su... » Il dit : « Pas besoin de stèle ni de monument d'aucune sorte : de la terre qu'est né notre silence. » Il dit : « De la terre, et d'avant. » Il dit : « De devoir s'y enfouir encore vivants. » Il dit : « D'être désormais façonnés de boue. » Il dit : «Qu'ils l'aient cru suffit. » Il dit : « Chacun a fait semblant, et pourtant leurs yeux meurtris. » Il dit : « Il y a d'abord eu ceux qui se sont tus, puis ceux comme moi qu'on a nourris de silence. » Il dit : « Quand on dit silence, il faudrait se mettre d'accord : pour les autres ou pour soi ? » Il dit : « Des mots se formaient sur nos lèvres sans qu'on en sache rien. » Il dit : « Leurs mains nous avaient à peine effleurés, alors parler...» Il dit : « Cette certitude du rien à dire qui creuse le ventre... » Il dit : « Et puis, on sait déjà si peu pour soi. » Il dit : « Derrière quelle porte les mots ? » Il dit : « Pas de toi que j'avais peur, ni de tes cris. » Il dit : « L'éclat que c'était. » Il dit : « De ça la peur surtout : qu'aux premiers mots tout s'effondre. » Il dit : « Que nécessité fasse rage ! » Il dit : « Tu vois, j'ai retenu. » Il dit : « J'écoutais. » Il dit : « Attendu tellement que de ses lèvres à lui... » Il dit : « Tu sais,pendant les veillées mortuaires, toutes les femmes assises le long des murs, qui marmonnent leurs bondieuseries. » Il dit : « Mais c'est les lèvres du mort que tu fixes. » Il dit : « Ce trop tard que tu lis sur les lèvres des morts. » Il dit : « En même temps, on ne pardonne qu'aux morts. » Il dit : « Parce qu'on sait bien que plus rien n'y fera. » Il dit : « On est plus fort avec les morts. » Il dit : « Peut-être qu'on les craint moins. » Il dit : « Toi aussi ça te fait ça ? » ll dit : « Rien du corps qui encombre, juste être là. » Il dit : « Ce face à face chaque fois que parler... » Il dit : « Tu sais que j'ai jamais su. » Il dit : « Ou alors en marchant... » Il dit : « Le vin, des fois, ça aide. » Il dit : « De le boire ensemble. » Il dit : « D'une même bouche. » Il dit : « J'ai essayé des fois, de parler.» Il dit : « Si seulement ça aidait d'y penser à l'avance. » Il dit : « Quand tu repartais, qu'on savait tous les deux que c'était peut-être la dernière poignée de mains. » Il dit : « C'était pas des mots mais on savait. » Il dit : « L'accès au dedans, c'est déjà ça. » Il dit : « Vers la fin, quand l'envie te prend de raconter. » Il dit : « Comme s'il fallait que ça se fasse. » Il dit : « Qu'on sent que c'est ça le seul héritage. » Il dit : « T'en fais pas pour la fin. » Il dit : « Je te savais dans ta voiture. » Il dit : « T'as rien raté, tu sais. » Il dit : « Tout ce mic-mac d'hôpital. » Il dit : « C'est avec quelle voix que tu m'entends ? »





Texte et image : Michel Brosseau
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Ce mois-ci, échange avec Michel Brosseau qu'on peut découvrir et/ou lire sur son site à chat perché, mais également chez publie.net
Sur à chat perché trois séries (et pas que) : "injonctions", "monologues", "tu dis" qui m'ont donné l'idée et envie d'explorer une autre contrée à ses côtés, celle du "il dit", point de départ de notre vase. Michel Brosseau a eu la gentillesse et l'honneur de m'accorder sa confiance afin que j'héberge ce magnifique texte sur la voix du père disparu.

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Vendredi 4 octobre, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.

Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants, dressée par Brigitte Célérier, est à retrouver et parcourir ici. 

06/09/2013

TEXTE DE CÉCILE PORTIER - CE QUI SEULEMENT NOUS TOUCHE - VASES COMMUNICANTS - SEPTEMBRE 2013




Ce matin l’air est léger, légèrement acidulé, parcouru d’un frisson prémonitoire d’automne. Mais c’est seulement pour le souvenir qu’on a des automnes déjà passés qu’on le sent, qu’on le sait. Car ce matin-là est surtout léger, presque oublieux, très lumineux. On évolue dans ce matin-là en s’y sentant très libre, comme si l’air ne pesait rien. Il pèse moins certes, mais il pèse. Sur nous toujours, s’étale et rampe le gigantesque ventre d’un gastéropode qui n’en finit pas de passer. L’avancement de ses muqueuses ventouses décide de nos anticyclones, de nos dépressions.

Surgit le besoin de dessiner, dans ces gigantesques masses, quelque chose pour s'y retrouver, comprendre ce qui sur nous agit et ne se voit pas. Le besoin de strier le ventre en constrictions précises. On se sent moins balloté, à voir ainsi apparaître notre destin en cercles concentriques.

Et encore cette idée de ventre ce n’est pas tout dire. C’est oublier que l’air ne fait pas que nous passer dessus, qu’il nous baigne, qu’il s’insinue en nous pour nous faire vivre et nous corroder. Insidieusement il se joue de notre peau comme barrière. Lui-même en si peu de temps se mélange avec d’autres gaz incolores, inodores. Et nous en sommes, devant ceux qui en meurent, à rechercher méticuleusement des preuves. Le dessin à traits fins, peut-être, d’un chemin d’expansion, depuis lequel remonter à des auteurs certains?

Ah, nous serions rassurés, si l’air avait réellement des bords... Et avec lui toute chose en ce monde.

Qu’à cela ne tienne : s’il n’y a pas de bords ajoutons-en.

À toute force nous voulons rendre visible ce qui seulement nous touche. Parce que nous sommes seulement touchés nous le sommes beaucoup trop, alors, vite vite vite, recours aux yeux, recours aux traits, nous dépêchons de faire émerger du réel tout son appareil d’os et de nerfs, de trame cachée, nous nous dépêchons d’apposer des grilles de lecture.

Dans le ciel intérieur aussi, un seul et même ventre mouvant ressassant aller et retour et soufflant les mêmes questions, contre lesquelles tirer des bords, et à les remonter comme ça de biais, on se dessine comme des constellations, des choses qu’on se dit qu’on a écrites, alors qu’en fait ce n’est pas cela qu’on cherchait, seulement à lire, lire pour faire apparaître enfin ce qui seulement nous touche.

(et ceci glané sur wikipédia, que la pression est une grandeur intensive, et la densité une grandeur sans dimension - je laisse les mots me toucher sans les lire tout à fait)

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Ce sont les vases communicants qui m'amènent à Cécile Portier. Un échange réalisé en juin dernier avec Philippe Aigrain qui m'a particulièrement plu, simplement, ainsi. Son texte à relire ici.
Il faut suivre l'évolution du projet de Cécile Portier Etant donnée ou encore Traverser la ville sous mes pas et prendre Petite Racine sur son blog, là où cela est fait pour écrire. 

Ce sont les idée du trait, de la nervure et de l'état gazeux, proposées par Cécile qui sous-tendent notre échange.

Mon texte chez elle ici : http://petiteracine.net/wordpress/2013/09/anne-charlotte-cheron-2/?utm_source=feedly


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Vendredi 6 septembre, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.

Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants, conscieusement dressée par Brigitte Célérier, est à retrouver et parcourir ici : http://rendezvousdesvases.blogspot.de/2013/08/liste-des-vases-communicants-en.html


02/08/2013

TEXTE DE PHILIPPE AIGRAIN, GRAVIR - VASES COMMUNICANTS - AOÛT 2013

R
RI

RAI
RAVI
RAVIR

GRAVIR


Vues du Nord, les Pyrénées de Bigorre sont baignées par la plaine. De loin en loin des massifs se tiennent en bastions avancés : Pibeste, Hautacam, Montaigu, Baronnies, Neste. Par beau temps, ce sont les châteaux de l'air. Souvent la plaine reste couverte, alors que les sommets émergent des nuages, bateaux aux proues immobiles. Cela commence un de ces matins.



Sous la mer de nuages, il fait sombre, un temps grisâtre, une humidité pénétrante. On se dit « à quoi bon », on erre plus qu'on ne marche. Au passage des branches, la douche.


RI

Ils serpentent dans la forêt. Tapis imputrescible des feuilles de hêtre, clairière occasionnelle, murs de pierres sèches témoignant du recul d'une ancienne agriculture. Toujours la semi-pénombre, l'humidité. Par endroits la gadoue, le rocher glissant. Il s'étale, jure avec la grossièreté de ceux qui sont de plusieurs endroits et ont appris les jurons de chacun. Puis inventoriant taches de boue et égratignures, il éclate de rire. Ce ri* leur fait réaliser qu'ils sont seuls au milieu des bruits étouffés de la forêt.


RAI 

Bientôt la futaie s'éclaircit, fait place aux pâturages et aux fleurs d'un printemps attardé, l'infinie promesse de bleu des gentianes et des iris sauvages. Le gris paraît moins sombre, il se parsème de blanc lumineux. Soudain, une ouverture, un rayon sur l'herbe, un espoir dans les rêveries.


RAVI 

Chauffés par le soleil, les nuages s'animent de mouvements ascendants. L'éclaircie possible s'échappe sans cesse. Puis soudain, tout s'ouvre. Les nuées qui les entouraient étaient finalement insubstantielles, ils dominent les nuages de près de cent mètres. Vertige de la mer immense.



Elle le connaît, ce skieur de télémark sans skis qui régente ses sujets ovins. Mais pour l'heure, elle anticipe le ravissement qui les attend plus haut.

RAVIR

Des tours de nuées leur masquent le ciel et les maintiennent dans l'ombre. Chaque pas cependant est plus léger. Ils sont ivres de ravir le soleil aux nuages. L'immensité du bleu les attend.

GRAVIR

Quand le ciel leur appartient enfin, le monde se renverse. La marche est rude encore jusqu'au sommet, mais c'est une plongée vers le haut. La gravité s'est retournée. Ils sont gravis.


L'usage de « ri » comme substantif n'est documenté que chez Chrétien de Troyes, il est temps de s'y remettre.


Texte : Philippe Aigrain
Photographies : Morgane Tenoux

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Ce sont les vases communicants qui m'amènent à Philippe Aigrain dont j'ai découvert le blog sur le tard alors qu'il échangeait avec Cécile Portier en juin dernier. Deux belles trouvailles faites avec avec joie et excitation comme lorsque l'on se sent à l'orée d'une amitié nouvelle. Suis très heureuse d'échanger avec lui ce mois-ci [et avec elle le mois prochain.]

Le hasard fait que nous partageons avec Philippe un territoire commun, lui dans la vacance, moi le transit. C'est cette circonstance qui nous a amenés à l'idée de gravissement et au partage de souvenirs photographiques de lieu perchés, aimés et à aimer.
 "Gravir" en tête, nous arpentons quelques chemins à découvrir ou rêver. 


Philippe Aigrain se cache sur Twitter derrière un pic pyrénéen : @balaitous
Son nom me disait bien quelque chose. Il appartenait pour moi à l'homme de la situation numérique, avec pour avant-poste la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. N'ai pas immédiatement tissé le lien entre le bricoleur qui trafiquait, tout aussi habilement que poétiquement, dans son atelier de bricolage littéraire et l'homme 2.0. Pour aller plus loin et prendre place dans sa pensée, on peut lire Cause commune, d'abord publié chez Fayard et disponible en version numérique chez Publie.net. Il faut aussi consulter le site Communs / Commons. L'ensemble est dense et touffu, on peut s'y perdre et ne connais moi-même pas toutes les fonctions qu'il occupe dans ce paysage engagé et qu'il dessine à vue. Pour en savoir plus - et il y a beau et bien à savoir-, on peut faire un tour là.
J'aurais très bien pu le rencontrer avant cette date et lui dire mon admiration pour les positions qu'il défend, mais me sens tout particulièrement fière et favorisée de pouvoir partir avec lui sur le pied des mots, gravir avec lui l'écrit fut une source de réjouissance riche en échanges, poésie et mots confiés, réconfort et ouverture. Merci Philippe, je suis gravis.


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Vendredi 2 août, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants, conscieusement dressée par Brigitte Célérier, est à retrouver et parcourir ici : http://rendezvousdesvases.blogspot.fr

05/07/2013

TEXTE DE DOMINIQUE HASSELMANN, Y COMPRIS INVISIBLE (2/2), VASES COMMUNICANTS - JUILLET 2013


Vendredi 5 juillet, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants, dressée par Brigitte Célérierest à retrouver ici : http://rendezvousdesvases.blogspot.fr 


Ce mois-ci je suis très heureuse d'échanger avec Dominique Hasselmann, auteur du blog Le Tourne-à-gauche qui fait suite  au Chasse-clou puis à L’Irréductible. Il m'accueille sur son blog ICI et je lui laisse dire l'invisible sur le mien. Voici le thème moteur de ce vase communicant qui a donné lieu à un échange d'images personnelles puis de textes à partir de ces deux photographies. Collectionnant pour ma part des clichés qui ne sont qu'exceptionnellement de moi sur ce blog, je le remercie de m'avoir encouragée à sortir mon appareil pour tenter de capturer l'insaisissable. 


J’avais mis les mains sur mes paupières, comme pour leur apporter une autre protection. Les lumières intérieures clignotaient (papillons de jour), des myriades de traits, de pointillés, de courbes, de routes en lacets de montagne se bousculaient dans ma tête.

Pourtant, je vivais dans ce royaume – une sorte d’équivalent de celui du Douanier Rousseau – et quand j’ouvrais mes doigts pour regarder entre eux, j’apercevais alors la luxuriance, l’exubérance, la floraison à foison, la nature déchaînée, le paradis retrouvé, un monde en soi(e), un univers de couleurs, de sons, de cris d’animaux.

Cette forêt était devenue autre : non pas qu’elle bougeât comme dans une idée shakespearienne, mais elle semblait implantée là, depuis un temps immémorial, sans qu’aucune racine n’affleure ici ou là, sans que l’on sache d’où elle venait ni où elle allait, vaisseau fantôme déposé sur la grève verticale, barque ou arche sans doute perdue corps et biens et qui s’était transformée ou refabriquée en chênes, frênes, bouleaux mais tous recouverts de mousses, lichens et fougères.

La dissimulation de leurs corps de bois semblait étrange : la nature ne serait donc plus vraiment naturelle, mais un masque détournant l’origine de la structure, une nouvelle peau déguisant l’ossature originelle ? L’ensevelissement de la réalité s’étalait à perte de vue (l’horizon était bouché par le vert omniprésent dans toutes ses déclinaisons, du sombre au clair, du violent au fragile, de l’aveuglant à l’apaisant), le concert animalier – aras, oiseaux baroques, singes hurleurs… – orchestrait le tableau et lui donnait son relief sonore et aigu.

J’avais réussi à me construire une cabane en haut d’un de ces arbres, j’y grimpais le soir par une échelle de bambou. De là-haut, je dominais la situation même si mon regard ne pouvait percer bien loin l’immense canopée. J’étais cependant à l’abri des bêtes sauvages, des fourmis rouges et des serpents venimeux. De temps en temps quelques bêtes sauvages (des sangliers ?) faisaient entendre leur galop étourdi dans les environs.

A l’époque où je m’apprêtais à me retirer de la civilisation, j’avais pris une photo de l’endroit où je comptais m’installer : une fois développée dans la ville lointaine (les appareils numériques n’existaient pas encore), je l’avais conservée dans mon portefeuille, elle me servait de repère (le GPS n’avait pas encore été commercialisé) au milieu de l’océan vert, ce « vieil océan » de feuilles couvertes de rosée le matin et inclinées vers la terre le soir, pour retrouver l’endroit que j’avais choisi – car il ressemblait à tous les autres – et la demeure de fortune que j’avais construite, basée sur un équilibre assez instable.

La poche de ma veste intérieure dite « de brousse » gardait ce cliché que je trouvais toujours énigmatique : la silhouette d’un être humain semblait en effet s’y dissimuler et je me demandais chaque jour s’il allait enfin exposer sa présence. Par précaution, je portais toujours avec moi, lors du moindre de mes déplacements, un fusil de chasse approvisionné avec deux cartouches pour le gros gibier.

La solitude devait être défendue à tout prix.

Texte : Dominique Hasselmann
Photographie : Anne-Charlotte Chéron

07/06/2013

TEXTE DE MATHILDE ROUX, VASES COMMUNICANTS - JUIN 2013
















C’est une île tu peux en faire le tour sur la pointe des doigts.


C’est une île posée là en instance à la surface du monde, allongée sur l’évènement qui court, accroupie au bord d’un inconnu qu’on ne peut ni chercher ni éviter ni obtenir ni.
Une île puisqu’excepté le temps et l’espace du temps ce qui existe à un contour.

[dans la leçon des cercles, dans les lignes et les heurts,
pour épouser le cintre]

C’est une île à un seul unique premier et dernier habitant, c’est une île on y tient dedans, on pourrait sans doute y tenir mieux, encore, davantage.

C’est une île avec plis, pliures, brisures d’angles, rives et rochers, flèches et dunes, issues et tunnels, changements d’état. Avec peau sous la forêt sous le coton avec sang sous le cuir avec misères et prodiges sous l’apparence l’apparence n’est pas elle. Une île avec mouvements caractéristiques, crêtes de rythme, déferlements. Une étendue, la couleur est partout, fragile et forte sous la foulée des jours – et des points imaginaires où puiser la faculté de bonheur.

[l’été commençait à se dilater et mon cœur nageait sur le dos
vers une destination aussi urgente que le bleu
du ciel aussi urgente qu’insaisissable]

C’est une île sans autre mesure que ses proportions, tu ne peux la faire grande ni la rétrécir avec des mots.

[je te voyais petite flottant à la dérive inaccessible
je ne voyais pas que c’était moi qui m’éloignais]

C’est une île qui a pour premier nom être au nom de rien d’autre – un lieu de passage parfois prolongé par la pensée.

Une île y venir y revenir, y délier gestes les prêter au relief, écouter le langage des flux.

[je n’ai faim que d’une chose dit le corps]

Une île tu peux la porter dans tes bras pour aller peut-être plus loin que tu ne crois.



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Texte inédit de Mathilde Roux. Juin 2013

Photographie : La Femme Paysage est une démarche à l'écart des collections,  c'est une recherche de vêtements-territoires, élaborée par la créatrice Marie Labarelle. À la photo, Matthieu Gauchet et à la pose élégante et gracieuse, la danseuse Marie Barbottin. 

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Mes mots pourraient être intarissables s'il s'agissait de qualifier le plaisir que j'ai d'accueillir pour la seconde fois Mathilde Roux, auteur du blog Quelque(s) Chose(s), en ce lieu [Mathilde réalise également des collages poèmes que l'on trouve iciUn plaisir de lecture tout d'abord car ce texte est immensément beau, et ce n'est pas pour la caresser dans le sens du poil que j'en fais la confidence. Si le monde était à magnifier, voici une trace numérique de l'objectivation de sa beauté. Un grand merci à l'auteur de me faire ce cadeau. 
Au départ de notre échange, le corps en proposition [de Mathilde] et l'invitation d'y proposer une image. J'ai choisi ce portrait de femme-paysage, création à trois mains, hybride, mystérieuse et je trouve fascinante : une créatrice Marie Labarelle, qui réalise notamment les costumes de scène de la chanteuse Camille mais pas que. Matthieu Gauchet qui capture l'instant et Marie Barbottin danseuse qui se charge de l'incarner. 
  Je remercie Eva de m'avoir permis d'en faire la rencontre dans son ex studio bellevillois
Quant au contexte de cet échange,  il s'agit des vases communicants et plus que jamais je loue son existence. 
Projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.

L’idée est simple, riche et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants est dressée par Brigitte Célerier et à retrouver ici : http://rendezvousdesvases.blogspot.fr


Mon texte se trouve de son côté ici :  http://www.mathilderoux.fr/2013/06/vasesco_accheron.html 

03/05/2013

TEXTE D'AMÉLIE CHARCOSSET, J'AURAIS CUEILLI DES ARBRES, VASES COMMUNICANTS - MAI 2013

Croisée Amélie, au détour d'une route, quelque part chez Brigitte Célérier, je crois, Brigitte qui sème tant de cailloux précieux sur ses chemins. Celui-ci hasardeusement emprunté débouche à Och, Kirghizstan, très loin en Asie centrale. 
A 102 km de chez moi, il y a une ville que j'imagine pouvoir être son homophone, Auch, prononcé "auche" et non "hors" comme en allemand ainsi que je le croyais en premier lieu. Amélie, tu me diras si je m'égare dans la prononciation. 
J'invite les lecteurs au voyage au sein des p'Och d'Amélie qu'elle emplit d'abricots sec, de beauté alentour et mots chéris. Un détour s'impose > http://lesmainsdanslespoches.tumblr.com

Elle m'envoie ce poème de l'ailleurs. Je la remercie très chaleureusement d'avoir pris le temps de poser ses sacs pour me confier cette cueillette. Nous partageons ce vase et également une étonnante image de Zander Olsen. Son travail photographique est proposé en lien en cliquant sur les arbres ci-dessous ou plus bas sur le nom de l'artiste. 

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Vendredi 3 mai, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

La liste complète de l'ensemble des participants est à retrouver ici : http://rendezvousdesvases.blogspot.fr



J’aurais cueilli des arbres

J’aurais cueilli des arbres pour en faire des bouquets
Noué un ruban blanc autour de tous leurs troncs
Fait attention aux verts, aux nuances de marron
Pour enfin bouleverser l’entière composition
J’aurais cueilli des arbres pour en faire des bouquets
Et je te les aurais tendus
Arbre tordu contre air perdu
Le tissu est un bandage
Ou un hamac
Tout dépend
du point de vue

J’aurais scié les branches sur lesquelles on s’asseyait
Juste pour le vertige du ventre qui lâche
Et pour voir si on saurait retomber sur nos pieds
Pour craquer comme les feuilles comme les os
Pour la fraîcheur de l’humus dans notre dos
Pour les écorces dont on a préféré se défaire
Pour la sève pour l’odeur de la terre

On pourrait mourir de se – taire – que personne n’en saurait rien
Mais on découvrirait un beau jour ou un petit matin
A côté des cœurs nus
Un bouquet d’arbres fanés
D’avoir trop attendu
D’avoir trop sommeillé
Dans les draps en lin qui les tenaient ensemble
Un bouquet d’arbres tués
De n’avoir rien dit
quand le monde entier
tremble.



Photographie : Zander Olsen

01/03/2013

TEXTE DE DANIELLE MASSON, VASES COMMUNICANTS - MARS 2013



Marie-Amélie ! Je te l’avais bien dit. On ne pouvait pas…
Mais Mademoiselle Je sais-tout avait suivi son instinct, paraît-il !!!
Mademoiselle je fais ce que je veux devait être plongée dans un livre de Stéphane HESSEL et se ficher du reste !

Marie-Amélie ! Regarde ce que je viens de trouver dans la boîte aux lettres…
Un mois que je n’y étais pas allé voir dans cette foutue boîte aux lettres du bout du chemin.
Tu sais la boîte qui m’a coûté les yeux de la tête ! Mais tu la voulais pour ton anniversaire ! Une vraie gamine…

Marie-Amélie ! Je ne voulais pas que le troupeau…
Comment cela ? C’est moi qui aie mené le troupeau à cet endroit.
Tu es d’une mauvaise foi. Tu es impossible !

Marie-Amélie ! Regarde une photo de nos moutons sur le court de tennis de Monsieur le Comte de Milan.
Qui l’a prise ? Et bien lui ! Oui lui… car Monsieur le Comte est au top de la technologie.
Il y avait une caméra cachée qui surveillait sa propriété… Oui dans le grand chêne… celui sous lequel Mademoiselle l’intellectuelle a passé son temps à lire en regardant d’un œil distrait le troupeau… tu sais notre troupeau… 532 bêtes dont ….

Une petite dizaine avait suivi Mademoiselle …

Marie-Amélie ! Monsieur le Comte est très en colère. Le troupeau aurait détruit sa pelouse… sa pelouse… son herbe à vaches… là, il pousse Monsieur le Comte… il paraît qu’il a ramassé deux brouettes de pétoulettes… tu imagines Monsieur le Comte ramassant les crottes de nos moutons… en levant le petit doigt…

Marie-Amélie ! Arrête de rire… moi, je ne ris pas… il veut être dédommagé… et tu sais comment…. Il veut transformer en méchoui les fautifs… qu’est-ce qu’on fait, marie-Amélie ?

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Vendredi 1 mars, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.

L’idée est simple et définie ici : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »


Ce mois ci j'échange avec Danielle Masson qui habite pour sa part ici



Photographie : Emmanuelle Pujol pour Traverse

02/11/2012

TEXTE DE CHRISTOPHER SELAC, MA PROCHAINE VIE ANTÉRIEURE, VASES COMMUNICANTS - FÉVRIER 2012



Quand tout converge en un point, quand tout semble alors faire sens. Christopher Selac, auteur du blog De l'autre côté du livre  avec qui j'ai le plaisir d'échanger ce mois-ci, a déjà publié le texte que je lui ai proposé sur son blog : petit machin (le texte, pas le blog bien sûr) écrit à partir d'un beau thème dont il m'a fait la proposition : exploration d'une prochaine vie antérieure. Thème qui m'enthousiasme et m'amuse d'abord, puis me gêne, me questionne, me plaçant inéluctablement face à la mort. 
Si près de la Toussaint, comme il le précise si bien. Alors que je voyais l'ombre crépusculaire et funeste partout, la circonstance m'avait pourtant échappé. 
J'apprends que ces vases communicants sont dédiés à Maryse Hache que je ne connaissais pas, mais je lis dans ce hasard un signe et lui dédie mon texte qui est généreusement accueilli par Christopher Selac en ce lieu. Je me permets également de reprendre cette très jolie phrase concise, pleine d'espoir et de sens d'Edgar Morin : "La riposte à la mort, c’est la participation vivante, c’est l’amour."

Là où je regarde le projet en chiens de faïence, Christopher Selac se débrouille un peu mieux que moi. Il "s'antériorise" avec plus de fantaisie, saisissant à pleine plume la fiction. Deux textes très différents, des vases salvateurs : un souffle qui affermit ma croyance en la pensée d'Edgar Morin.  



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Vous avez tout pour être heureux. Un job passionnant, un salaire mensuel à quatre zéros, une famille épanouie, une belle maison, une grosse voiture, une résidence secondaire au bord de la mer. Tout le monde vous envie. Sauf vous-même.

Et c’est là que les choses se compliquent. Insidieusement, tout vous paraît insipide. Vous n’avez plus envie, plus goût de rien. Tout vous énerve, tout vous rend triste, rien ni personne n’arrive à vous faire sourire, même les pitreries du petit dernier. Rapidement, le verdict tombe : dépression. Le médecin du travail qui vous recommande un confrère, un psychologue, quelqu’un de très bien, il va vous remettre sur pied en un rien de temps.

Son cabinet en ville est modeste, la salle d’attente, temple silencieux à la bibliothèque chargée de livres, est un désert où le patient déjà se perd dans ses pensées. Le bureau, le divan, des questions, encore des questions, et voilà que, spécialiste de l’hypnose, il se met en tête de rechercher les causes de votre malaise dans les souvenirs refoulés de votre enfance. Parce que l’enfance, ça sert aussi à ça, à refouler des tonnes de souvenirs qui viendront plus tard vous pourrir en cachette votre vie d’adulte.

Il agite son pendule, prend une voix grave et calme, vous demande de fermer les yeux, et ça commence. Ce que mon thérapeute n’avait pas vraiment prévu, c’est qu’avec moi, le retour en arrière irait bien au-delà des frontières acidulées de l’enfance. Ce jour-là, le premier jour de mon traitement, nous avons exploré ma première vie antérieure.

Ma réminiscence, au cœur d’une meute barbare, dans les forêts d’Europe Centrale au IVème siècle après Jésus-Christ, n’a pas véritablement contribué à ma guérison. Intéressant, a-t-il simplement dit, avant de me redonner rendez-vous la semaine suivante, et une ordonnance longue comme un listing informatique sorti d’une imprimante à aiguilles.

Au bout de deux mois, à raison d’une séance hebdomadaire, la science avait fait des progrès considérables. Mon statut avait changé : je n’étais plus un patient, j’étais un cas. Le lieu de nos rencontres aussi avait évolué : le cabinet en ville avait cédé sa place à un bel hôpital. Ce n’était plus moi qui me déplaçait, mais mon psy, souvent accompagné de confrère.

Lorsqu’ils ont commencé à me sangler au lit et à me faire des piqûres au creux du coude, je dois avouer que j’ai commencé à m’inquiéter. Il ne faut pas tout dire à son thérapeute, même s’il vous le demande gentiment, même s’il vous pose des questions et qu’en plus il donne l’impression d’écouter sincèrement les réponses.

Ainsi, nous n’aurions jamais dû faire cette séance qui a bouleversé tant de nos certitudes, mais qu’un jour sans doute la science expliquera. Notre conception du temps est linéaire, chronologique. La réincarnation devait l’être aussi : vous mourrez, et dans un laps de temps plus ou moins long, vous vous réincarnez en un autre être. Vous suivez ainsi le cours de l’histoire, génération après génération, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ce n’est pas vrai, j’en suis la preuve. Mes vies antérieures ne sont pas continues, leur ordre n’est pas chronologique. Je me suis déjà réincarné dans le futur, j’y suis mort, et je me suis réincarné dans le passé, bien avant mon présent. Oui, je sais, c’est difficile à admettre. La réincarnation est déjà, pour beaucoup, une aberration, une idée farfelue. Pour beaucoup, rien ne nous attend après la mort, éventuellement le paradis ou l’enfer.

Mais comment expliquez-vous que les grands hommes, les grands savants aient fait progresser l’humanité à coups d’inventions extraordinaires ? Elles seraient sorties du néant bouillonnant de leur imagination ? Ne soyez pas si naïfs !

Projetés dans ce qui est notre passé après leurs vies antérieures futures, ils ont su décoder les signaux de leur inconscient, qui avait emporté d’un corps à l’autre le souvenir de ces progrès, ces techniques. Si vous croisez la réincarnation de Léonard de Vinci lors de votre prochaine vie antérieure, n’hésitez pas à lui poser franchement la question. Il vous dira lui-même à quel point j’ai raison.

Mon plus gros préjudice, néanmoins, fut causé par la séance où mes mots furent incompréhensibles, au cours de laquelle je parlais une langue étrange. Elle a peut-être été celle qui a précipité ma chute. Parce j'ai affirmé en revenant qu’il y a de la vie ailleurs qu’ici, que certaines de mes vies antérieures, passées et futures, ont eu lieu sur d’autres planètes. Une partie de ma mémoire avait gardé trace de ce langage.

Aujourd’hui, je suis sanglé à mon lit jour et nuit, avec des pastilles scotchées sur ma tête, et des fils qui me relient à un ordinateur, attendant une nouvelle séance au cours de laquelle j’irai à la rencontre de ma prochaine vie antérieure. Je n’ai pas vu la lumière du soleil depuis longtemps, trop longtemps.

Il est sans doute trop tard, mais je me suis rendu compte d’une chose : je regrette ma vie d’avant, celle où j’ignorai tout de ces vies antérieures, de ces cauchemars millénaires dont mon âme tourmentée colporte les fragments. Si je pouvais mourir tout de suite pour me réincarner en moi-même, dans ma vie d’il y a à peine quelques mois, je le ferais. Sans l'ombre d'une hésitation. J’avais tout pour être heureux, alors.



Texte de Christopher Selac, auteur du blog De l'autre côté du livre 
mais également du livre L'affaire du Jumeaux de Bourges aux Editions La Bouinotte

Image de Steve Jurvetson

05/10/2012

TEXTE DE CAMILLE PHILIBERT-ROSSIGNOL, EMPRESSEMENTS, VASES COMMUNICANTS, OCTOBRE 2013

Lever le regard et panneau lumineux, clignotements jaunes : train à l'approche en lettre penchées. Accélération à oser. Les escaliers sont dévalés, dernières marches survolées, amorti sur le quai et vite vite dans le serpent d'acier. Gens dedans. Corps tassés. Foule amassée. Tassés du matin près des vitres, paysages verts, pavillons gris, cumulus magnétisés quand le freinage s'amorce dans une accumulation de couinements. Chloing. Avec un peu beaucoup de chance, les deux prochaines stations sans arrêt. Les doigts courent sur les portables. Souvent des écouteurs dans les oreilles bercées par des musiques aplaties. Voix féminine, synthétique, répétant d'un ton robotique: Prochain arrêt à la station, à la station. La grande station. Là où l'on sort en masse, d'autres affluent presqu'autant. Les assis tressaillent. Les sièges se libèrent quelques secondes. Un piaillement froid rythme le passage entre les immeubles collés à la voie. Devant les portes, une poussette, des valises. Effacement du bleu du ciel. Prévoir dès Châtelet les Halles, qu'à l’Etoile, l'issue sera forcément de l'autre côté. Auprès de de la porte opposée, ne pas hésiter à se placer -en fonction de la densité humaine ça peut résister, c'est imprévisible, tout dépend de. Placement des pieds, retenues des mains, inclinaisons bancales, celui qui s'endort sur place relève le buste brusquement. Souvent touristes et provinciaux restent scotchés pile où ils sont entrés. A l'endroit exact où ils se sont mis sans bouger d'un cil. Des nez restent collés aux vitres éraflées, des épaules s’incrustent dans les mâchoires, des sacs dans les bides. Compression accentuée. Délimiter un petit espace, une place à soi, minimale mais à soi, on tente, on s'efforce. Puis annonciatrice de l'ouverture aussi imminente que programmée des portes, une lueur vient, vient, s’amplifie. Détente furtive, léger déploiement articulaire. Déclic mat de l'ouverture des portes. L’homme à la béquille, il brinquebale, celui aux écouteurs qui va dare-dare et l'habituée zigzagante avec art. Les trajets se lancent dans une cacophonie de pas, droites floues, courbes nettes, zigzagements ou errances limitées. Accélérations progressives, virages pris serrés dans des cadences énervées et quelques ombres allongées que je ne vois pas. L'escalator, un goulot où la masse s'effiloche et devient brusquement… des gens. Piétinement sur les marches mouvantes. Transfert latéral libérateur. Finie les ombres sans profondeur, mais des silhouettes qui en contre-jour se dessinent en contre-jour sur le ciel.

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Vendredi 5 octobre, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis(Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.

L’idée est simple et définie ici : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »



Ce mois ci j'échange avec Camille Philibert-Rossignol qui habite pour sa part ici

J'accueille avec plaisir et amusement son poème de métro. Là, pas de thème défini entre nous, en amont. J'avais failli lui glisser un "trajet Pyrénées - Paris", puis me suis rétractée, préférant une piste différente, une autre exploration. Une description, plus statique pour ma part. Nous avons toutefois en commun la notion d'espace et, plus étonnement, un boiteux. http://camillephi.blogspot.fr/

Merci également, encore et toujours, mais il ne faut pas se lasser de le répéter, à Brigitte Célérier (auteur du blog Paumée) pour son travail de recension active et de synthèse lettrée.  


Texte : Camille Philibert-Rossignol // http://camillephi.blogspot.fr/
Échange Vases Communicants, oct. 2012